Frédéric Thomas

  • Maïs sous plastique en Bretagne
  • Ombre portée
21
décembre
2010

Conviction, expérience et connaissance (édito du TCS n°60)

Loin des effets de modes, les TCS et le SD sont progressivement en train de s’inscrire durablement dans le paysage agricole français. Les articles, les démonstrations, les rencontres et les formations se multiplient avec toujours plus de participants et cette véritable lame de fond, initiée au départ par des agriculteurs, commence à trouver une adhésion dans la recherche, les instituts, les syndicats, les chambres d’agriculture et même quelques grands groupes coopératifs. Cet engouement est certainement le début d’une véritable mutation qui s’amorce au sein de l’agriculture entretenue par une réussite dans les champs qui devient incontournable, par l’émulation et l’innovation des réseaux TCS qui commencent à mettre en œuvre le concept d’AEI (agriculture écologiquement intensive) et par la cohérence agronomique, économique et environnementale de plus en plus mesurée et reconnue de cette approche.

Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a une bonne vingtaine d’années, il fallait avoir une solide conviction pour s’engager dans cette voie que beaucoup critiquaient sans même en connaître l’étendue ni le potentiel. Il fallait être convaincu des aspects négatifs du travail du sol, convaincu des économies de mécanisation et d’énergie et convaincu que ce n’était tout simplement pas durable de continuer à travailler de la sorte. C’est, seule, cette conviction associée à beaucoup d’audace qui a permis aux pionniers de s’engager vers les TCS et le SD, de produire vraiment différemment, d’en accepter les difficultés tout en affrontant le regard des autres.

À cette époque, les références étaient, elles aussi, très limitées comme souvent les approches techniques où la suppression de tout ou partie des interventions mécaniques devait suffire à retrouver un équilibre favorable. Le peu d’expériences auxquelles il était possible de se raccrocher arrivait avec des machines spécifiques principalement des États-Unis et du Brésil où les agriculteurs, confrontés à de graves soucis d’érosion, avaient dû réagir avant nous. Cependant, et avec les années, en apprenant des erreurs et des échecs et en capitalisant sur les réussites, une solide expérience locale s’est mise en place. Elle s’est progressivement enrichie d’autres ingrédients stratégiques comme l’intégration de couverts végétaux performants, la modification des rotations et plus récemment l’association de cultures et la localisation de la fertilisation. Le revirement de situation est tel que nous commençons aujourd’hui à produire de solides références qui confirment le bien-fondé de l’orientation et que des pays voisins nous convoitent maintenant. Les approches techniques se sont certes sophistiquées comme les équipements, mais aujourd’hui l’expérience acquise permet d’accéder à un niveau de réussite dans les parcelles qui fait vraiment envie. Ainsi, la question qui revient le plus souvent dans les campagnes n’est plus « Pourquoi le non-labour ? » mais « Comment puis-je m’engager dans cette direction ? ». Si tout n’est pas parfait et que des progrès existent encore, les itinéraires commencent à être bien balisés avec des équipements performants qui devraient permettre à un nombre croissant d’agriculteurs d’accéder rapidement aux TCS et au SD avec un certain confort et un minimum de risques.

Enfin, le niveau de connaissances sur l’organisation structurale et la vie du sol, la matière organique, les flux d’azote et d’éléments minéraux était aussi très rudimentaire et simpliste à l’époque. Grâce aux TCS et au SD, nous avons énormément appris dans ce domaine, nous avons redécouvert et mis au goût du jour les fondamentaux de l’agronomie et commencé à apprécier la formidable complexité tout comme la grande cohérence du vivant. Cette compréhension nous a permis de progressivement passer d’une stratégie de production, où les piliers étaient l’imposition et la lutte, vers une approche plus douce où l’objectif est plutôt de piloter et de valoriser les relations et l’énergie du vivant. Ainsi, l’écologie en tant que science et non idéologie est en passe de devenir l’intrant majeur de nos systèmes et de l’agriculture de demain. Mais face à ces enjeux, nous mesurons aujourd’hui encore plus notre ignorance et notre besoin de connaissance sur le sol, les interactions entre plantes, les relations ravageurs/auxiliaires ou l’allélopathie. La recherche agronomique a donc ici un rôle essentiel à retrouver en tissant une collaboration active avec le terrain.

Au regard de cette évolution, et même si nous l’aurions souhaitée plus rapide, nous pouvons être satisfaits voire fiers du parcours et surtout de l’impact et de la dynamique que cela est en train de générer au sein de l’ensemble du tissu agricole français. Cette réussite, qui est l’œuvre de tous, ne peut que renforcer notre conviction restée intacte. Cependant l’agriculture de conservation, c’est d’abord se mettre en mouvement et en quête permanente de plus d’efficience : l’expérience est un chemin personnel que chacun doit emprunter. Malgré toutes ces années, personne n’a encore atteint un système vraiment abouti mais tout le monde continue de progresser et de tendre à son rythme et selon ses sensibilités vers une agriculture plus productive, plus économe et plus en harmonie avec la nature au gré des expériences et de l’acquisition de connaissances qu’il nous faut continuer de mutualiser.

Avec cette réflexion, toute l’équipe de TCS vous souhaite une bonne année 2011.


10
décembre
2010

Un concours de labour pas comme les autres

Photo : Hayes Pulling - wikimedia commons

Allez voir cette vidéo. Plus réaliste et agricole que le tracto-pulling, les Danois ont mis au point une autre spécialité de « sport agricole » : le labour rapide. Cette vidéo peut faire sourire et si ce type de sport mécanique satisfait une frange de la population et permet à certains agriculteurs d’exprimer leur goût pour la puissance et la mécanique, passe encore. Cependant cette vidéo soulève certaines questions de fond :

 Bien que l’épreuve consiste à « labourer » une surface donnée en un minimum de temps, aucune contrainte quant à la qualité du travail ne semble imposée. Aller vite, surtout en matière de travail du sol, nous éloigne souvent du bien et du bon ; pauvres vers de terre et pauvre activité biologique : comment peuvent-ils survivre à ce qui n’est même plus du travail du sol mais un véritable tsunami.

 La vitesse exige toujours beaucoup plus de puissance, et donc d’énergie, qui contrebalance souvent les gains d’efficacité sur le temps. La vitesse implique également d’énormes contraintes mécaniques qui demandent plus de robustesse et entrainent plus d’usure et de casse sans parler du dos du chauffeur.

 Le dernier élément qu’inspire cette vidéo est le paradoxe entre cette débauche d’énergie, de bruit, de fumée, de brutalité et les éoliennes que l’on aperçoit paisiblement tourner dans le fond. Cette image montre bien le peu d’évolution dans les réflexions où le développement des énergies « renouvelables » permet souvent de se donner bonne conscience et de continuer de consommer comme avant, même plus. Cette option « renouvelable », beaucoup plus visible et médiatique, qui s’appuie seulement sur de la substitution est de loin beaucoup moins performante et durable que la recherche d’économies qui même si elles sont beaucoup moins visibles, sont quand à elles durables.

Nous conseillons donc à tous ceux qui sont encore un peu trop adeptes de ce type de sport de regarder d’autres vidéos sur notre site. Elles sont beaucoup plus calmes, reposantes, fleuries et surtout respectent tout les milieux ou les environnements (le sol, l’air et l’eau). Même le paysage est préservé car on peut se demander si l’éolienne est nécessaire à la vue des économies d’énergies réalisées. A quand les concours de semis avec un minimum de carburant ? Cela existe déjà pour les véhicules routiers (course ou l’objectif est de parcourir un maximum de distance avec seulement un litre de carburant) ?


23
novembre
2010

Une agriculture en panne de projet et en panne d’avenir

Édito du TCS 59 : à lire ici

Malgré la reprise des cours des céréales inévitablement accompagnée de la hausse des engrais et autres moyens de production, le sentiment de crise persiste notamment dans les zones d’élevages pour lesquelles l’augmentation de leur principale matière première n’est pas franchement une bonne nouvelle. Dans ce contexte de grande volatilité qui donne le vertige et peut entraîner un vent de panique, la démission de l’État et de l’UE ne fait plus de doute : aucun projet sérieux ne pointe à l’horizon si ce n’est des mesures disséminées et sans vraiment de cohérence pour répondre aux problématiques environnementales et d’habiles calculs pour réduire le poids de l’agriculture dans le budget de l’UE. La profession, elle aussi, embourbée dans un affrontement stérile et des revendications basiques de coûts, de prix et/ou de marges somme toute nécessaires, n’est pas beaucoup plus innovante et visionnaire.

Au-delà de ce « théâtre des apparences » où chacun vient défendre ses petits intérêts tout en mettant en avant son utilité, il conviendrait de prendre un peu de distance par rapport au quotidien et d’intégrer que nous avons changé d’ère, d’époque et d’enjeux. Si le XXe siècle a été le siècle de l’industrialisation, de la globalisation des marchés dopés par des ressources et entre autres de l’énergie bon marché, le XXIe siècle s’annonce très différent. Il va falloir nourrir et subvenir aux besoins d’une population toujours croissante avec beaucoup moins de ressources comme l’énergie mais aussi l’eau, l’acier, le phosphore et même les terres agricoles. Cette situation de pénurie en chaîne fera inéluctablement grimper les droits d’accès et les coûts des ressources de plus en plus rares et stratégiques et exacerbera les tensions et les conflits.

Au regard des termes de cette grande équation, l’agriculture va être fortement impactée par ce bouleversement, comme beaucoup d’ailleurs, mais en tant que seule source d’alimentation et principale source d’énergie renouvelable, elle risque d’être l’une des activités stratégiques des années à venir. Certains pays l’ont d’ailleurs déjà bien compris, comme les pays d’Amérique du Sud qui développent agressivement leurs agricultures et d’autres, à court de terres, qui investissent à l’extérieur de leurs frontières dans d’importants territoires, en Afrique notamment.

Au vu de ces enjeux majeurs, il ne faut certainement pas démissionner au milieu du gué car l’agriculture a de l’avenir. De plus, nous avons des atouts insoupçonnés et nous possédons d’importantes marges de manœuvre. Alors, et plutôt que d’encourager les tiraillements et les défenses d’intérêts individuels, il convient de construire ensemble un vrai projet ambitieux pour notre agriculture qui en a les moyens.

Dans un premier temps, il faut mettre en place une vraie harmonisation européenne, car si les produits finis circulent librement, les intrants (semences, engrais, produits phyto et vétérinaires), dont les importantes disparités de prix subsistent, sont loin de pouvoir circuler aussi facilement. Plus de cinquante ans après sa signature, le traité de Rome n’est pas encore complètement en application : pourquoi ?

Ensuite, pour une activité aussi stratégique et non délocalisable que l’agriculture, il est logique d’avoir une forme d’encadrement, de protection, de soutien économique. Vendre au prix mondial alors que les coûts et les contraintes de production sont franco-européennes est une hérésie. Dans la même logique, on pourrait aussi payer nos encadrants et nos politiques au prix mondial : que pensent-ils de cette idée ?

À une époque où l’on parle de protection de l’environnement, de conditions d’élevage, de qualité des aliments et d’éthique, la traçabilité est plus simple et beaucoup plus facile à assurer lorsque les produits sont locaux. Outre l’assurance d’un approvisionnement, d’une garantie de qualité et de conditions de production, cette option vertueuse limite de fait le transport et le poids environnemental supplémentaire sur l’alimentation. De plus, nous sommes au coeur d’un des plus grands marchés alimentaires du monde avec un public exigeant en matière de qualité mais solvable : c’est un atout majeur dont il faut savoir tirer parti.

L’agriculture, en France et en Europe, apporte également autre chose que du blé, du lait, du vin ou de la viande. Elle entretient et façonne les campagnes même si dans certaines régions la recherche d’efficacité et de productivité est allée un peu trop loin. Elle est le garant d’un territoire, de terroirs et d’une ruralité ; des racines et des paysages auxquels est profondément attachée la majorité de nos compatriotes. C’est enfin une image du « bien vivre » que beaucoup nous envient : une formidable vitrine pour nos produits, le tourisme et même les industriels. Cette gestion comporte, bien entendu, des contraintes et des coûts, souvent consentis par les agriculteurs sans contrepartie réelle, qui altèrent leur compétitivité face à d’autres agricultures qui font fi de développer des déserts agricoles.

Au-delà de ces aspects réglementaires et protectionnistes, il est difficile d’admettre que nous ne puissions pas être compétitifs alors que nous avons les meilleures conditions pédoclimatiques du monde : en témoignent le haut niveau et la grande régularité des rendements. Nous avons aussi des agriculteurs formés et compétents, un niveau élevé de technicité avec un encadrement par des structures et des filières performantes mais aussi une recherche forte et dynamique. Comment se fait-il que d’autres agriculteurs du monde comme les Australiens, les Néozélandais ou les Canadiens produisent plus efficacement que nous malgré des niveaux de production par hectare beaucoup plus faibles et un énorme handicap d’accès aux marchés mais aussi aux intrants, dans un contexte socio-économique similaire (prix de la main d’oeuvre et pression environnementale). Plus que se plaindre, il faut comprendre et analyser leur façon de faire afin de les adapter à nos conditions.

Enfin et même si nous sommes encore un peu en retard en matière de développement des surfaces en TCS et semis direct, avec l’agriculture écologiquement intensive, nous avons largement dépassé la seule notion de suppression du travail du sol avec un concept extrêmement novateur et des applications concrètes déjà largement disséminées dans les champs. Cette approche, en opposition à beaucoup d’autres, ne s’interdit rien mais place l’écologie comme l’intrant principal. Outre permettre de réduire encore plus les coûts sans nuire, bien au contraire, au niveau de production, tout en limitant l’impact de l’agriculture sur l’environnement, elle rassemble toutes les agricultures. Enfin, le retour de l’innovation, d’un progrès commun partagé et cette sensation de meilleure osmose avec la nature donne une vraie dimension humaine nécessaire pour assurer le changement.

Il ne faut surtout pas abdiquer, l’agriculture française et l’agriculture européenne sont les seules à posséder tous les ingrédients pour redévelopper assez rapidement une agriculture performante, de qualité et respectueuse de l’environnement, une agriculture différente, qui leur ressemble et répond aux exigences de leurs populations. Elles en ont les moyens, les hommes, les connaissances, les terroirs et maintenant, grâce aux TCSistes, un vrai savoir-faire : aujourd’hui, il ne leur manque plus qu’une réelle ambition, un vrai projet d’avenir.


8
octobre
2010

Agriculture Ecologiquement Intensive : explication de texte

Beaucoup trouvent cette terminologie, « fumeuse », provocante, voire antinomique tant l’écologie est plutôt, dans notre subconscient, synonyme d’extensif, de moins productif de « laisser faire ». Cependant cette appellation choisie volontairement par Michel Griffon pour son côté choquant et interpellateur est cependant d’une grande justesse et dénomme une approche de l’agriculture radicalement nouvelle. Avec l’AEI, l’intrant principal n’est plus la mécanisation, les engrais ou les phytos mais l’écologie ; il est donc logique de l’utiliser « intensivement » pour fortement diminuer le recours aux intrants classiques perturbateurs des systèmes et coûteux que l’on conserve cependant dans la boîte à outils s’il n’existe pas encore de solution écologique. C’est l’énergie du vivant en opposition à l’énergie fossile, c’est la diversité en opposition à la monotonie et c’est l’encouragement de la vie positive pour contrebalancer les « indésirables » en opposition à une gestion par l’élimination, la suppression voire la recherche d’une éradication. L’AEI n’est pas un « mieux » ou un relookage habile des pratiques conventionnelles mais une véritable rupture et vision innovante.

Enfin l’AEI n’est pas qu’une vue de l’esprit de scientifiques, agronomes ou penseurs éclairés mais elle commence à vraiment se mettre en place dans les réseaux TCS et SD avec des différences suffisamment visibles, capables convaincre même des profanes, à l’instar de ces deux parcelles deux colza de la région Centre voisines de quelques centaines de mètre au début octobre dernier.

Le colza classique sur labour est « propre », c’est à dire indemne d’adventices mais il souffre d’une certaine phytotoxicité du programme de désherbage, certes amplifiée par les fortes pluies, mais généralement consentie pour gérer le salissement. Le champ est vide pouvant laisser la place éventuellement à d’autres plantes et les ravageurs comme les limaces n’ont pas de biomasse importante à se partager : toute attaque sera très préjudiciable. Il va donc falloir redoubler d’attention et ne pas hésiter à encore investir pour protéger la culture de tous nuisibles potentiels.
A l’inverse dans le colza/lentille/sarrasin, semé en direct, les colzas sont là en bien en forme et aucune autre « mauvaise herbe » n’est présente puisque tout l’espace est occupé par de la végétation choisie, sans aucun désherbage pouvant nuire au colza. La diversité « camoufle » en partie le colza de certains ravageurs spécifiques qui auront plus de difficultés à repérer la parcelle et pour d’autres la consommation de biomasse sera partagé entre les plantes présente avec beaucoup moins d’impact sur la culture elle même. Enfin les plantes accompagnantes ou de service (sarrasin et lentille) vont progressivement disparaître naturellement par le gel pendant l’hiver afin de donner plus de place à la culture tout en relarguant des éléments minéraux et entre autre de l’azote pour l’alimenter.

Produire autant voire plus avec beaucoup moins de travail, de phytos, d’engrais, d’impacts négatifs sur l’environnement mais aussi de risques techniques et économiques ce n’est donc plus une lubie mais aujourd’hui une réalité et cet exemple très concret illustre bien le concept d’Agriculture Écologiquement Intensive. Il démontre parfaitement la différence voire l’opposition des raisonnements et la puissance de ces nouvelles approches qu’il nous appartient d’étendre aux autres cultures et productions agricoles.


23
juillet
2010

Un climat très contrasté qui exacerbe les mauvaises gestions techniques

Édito du TCS 58 : à lire ici

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. La saison 2009-2010, qui a oscillé depuis l’automne dernier entre des extrêmes de sec, de froid, de neige, de pluie et de pointe de chaleur avec en ce début d’été une sécheresse sans précédent dans le nord de la Loire et l’Ouest, est particulièrement éprouvante. De plus, les pertes de rendement conséquentes et le manque de fourrage sont d’autant plus critiques qu’ils arrivent dans un contexte économique déjà particulièrement tendu. Cependant et même si on doit déplorer cette situation de crise, elle permet de faire ressortir des éléments essentiels auxquels nous devons rester accrochés.

En agriculture, où non seulement les prix des matières premières et des produits varient avec des amplitudes sans précédent, et quelquefois contraires, et un niveau de production incertain qui peut être fortement impacté par un climat de plus en plus agressif et aléatoire, il est impératif de conserver des coûts de production les plus faibles possibles. À ce titre, la simplification du travail du sol n’a jamais été autant pertinente en transformant les déficits de certains en situation d’équilibre pour les TCSistes. Cependant et au-delà de la réduction du travail du sol, il est crucial de continuer de mettre en oeuvre des systèmes et des rotations encore plus économes, d’explorer des voies encore plus efficaces en mécanisation, mais aussi en phyto et en fertilisation, comme l’association de cultures, à l’instar du colza. L’objectif n’est pas d’« extensifier » ni de réduire le potentiel de rendement, qui est toujours le diviseur des charges, mais de maîtriser l’ensemble des coûts de production à l’unité pour gagner en rentabilité, en sécurité et en flexibilité. Si le climat ou si un accident cultural réduit le potentiel ou si les cours s’effondrent, l’approche sera toujours économiquement plus robuste. Si les cours repartent à la hausse, comme en ce début de campagne, elle devient, à l’inverse, beaucoup plus « margeante ».

Au-delà des considérations purement économiques et s’il est possible de blâmer les adversités climatiques pour une partie des pertes de rendement, celles-ci sont loin de tout expliquer et surtout les énormes différences entre parcelles voisines pourtant dans des contextes pédoclimatiques similaires. C’est en fait ce type d’année « très technique » qui, en exacerbant les défauts et les erreurs, devrait permettre de corriger les pratiques et de comprendre beaucoup mieux la cohérence mais aussi le bienfondé de l’agriculture de conservation.

L’eau qui manquait à l’automne pour les semis de couvert et de colza fait encore cruellement défaut au printemps et en ce début d’été dans de nombreuses régions. Même si le manque de pluies significatives est une cause majeure, un travail du sol inapproprié, évaporant et entraînant la perte de la couverture végétale protectrice, débouchant en plus sur des ruptures et des compactions horizontales et limitant les remontées capillaires et l’enracinement n’est pas assez mis en avant. Dans une situation de stress, ce sont ces quelques millimètres d’eau non évaporés, ajoutés à ceux conservés dans le profil et ceux mieux captés par un enracinement plus performant et profond, qui peuvent faire vraiment la différence. En fait, une pluviométrie plus régulière, voire l’irrigation, permet en compensant l’eau non accessible ou perdue, de limiter, voire de gommer les défauts de gestion et/ou de structure et de fertilisation. À ce niveau, l’AC avec des sols couverts et une structure plus verticale va apporter de réels bénéfices en matière de gestion de la ressource eau.

Avec ces conditions météo, les modes de gestion de la fertilisation, entre autres de l’azote ont également montré d’importants contrastes et réponses sur les cultures d’hiver comme sur les cultures de printemps : « l’engrais a mal porté ». En céréale, les redoublements de rampes et d’épandeurs sont cependant restés plus verts et plus longtemps montrant la liaison étroite bien qu’un peu compliquée qui associe l’eau et l’azote dans le sol. La disponibilité en azote est bien entendu dépendante de la fertilisation et du mode d’application, mais elle s’appuie aussi sur la minéralisation influencée par la température, l’humidité et le travail du sol. Enfin, des soucis de structure et de colonisation racinaire induisent les mêmes symptômes et amplifient les problèmes d’alimentation. Toutes ces observations plaident, comme pour l’eau, en faveur de sols organisés, biologiquement actifs, plus riches en matière organique labile, avec des légumineuses dans la rotation, en culture et en couvert, pour renforcer le volant d’autofertilité qui est la garantie d’une alimentation plus complète et équilibrée indépendamment des conditions climatiques. Il est également important de signaler à tous les éleveurs en quête de fourrage que l’interculture est une formidable opportunité de production de biomasse dont il ne faut surtout pas se priver, sans risque pour le sol et son autofertilité, bien au contraire. Là encore, l’AC, en réduisant les coûts d’implantation et limitant l’évaporation, peut apporter des bénéfices indéniables.

Par ailleurs, ces conditions climatiques certifient qu’en TCS et SD, la fertilisation azotée doit être apportée tôt afin de « rentrer » dans le sol avant d’être redistribuée de manière lente et diffuse aux cultures. De cette manière et surtout au printemps, l’azote a plus de chances de bénéficier de pluies pour se retrouver positionné et intégré dans le profil avec peu de risque de lessivage. La localisation d’une partie de la fertilisation dans le sol au semis, apparaît, à ce titre comme une sécurisation et une source d’économie complémentaire.

Bien que la campagne 2009-2010 risque de rester dans les annales comme une période sombre et particulièrement difficile, il s’agit d’une saison riche d’enseignement et qu’il convient de garder comme repère pour conserver la qualité du sol au centre des préoccupations. Comme l’approche système, ce sont les meilleurs garants d’économies durables à partir du moment où le niveau technique suit. Encore une fois, c’est dans ces conditions particulièrement difficiles que l’AC fait la différence. Si déjà, elle apporte un avantage économique incontestable, en limitant la mise en place mais aussi le suivi des cultures, avec une approche système plus développée, elle va permettre à beaucoup de mieux passer cette conjoncture économique particulièrement difficile. L’orientation devient encore plus intéressante lorsque le climat s’en mêle en amortissant ses impacts négatifs sur les résultats techniques grâce à des pratiques beaucoup plus efficaces en matière de gestion d’eau et des sols redistribuant mieux la fertilité dans le temps.

Combien de crises, de détresses et d’espoirs déchus faudra-t-il encore pour que l’on comprenne et que l’on change vraiment d’orientation agricole ?


23
avril
2010

A la fois complexe, simple et logique, la nature n’a pas fini de nous émerveiller

Édito du TCS 57 : à lire ici

Je vous recommande particulièrement la lecture du dossier de ce numéro 57 de TCS réalisé par Cécile Waligora avec la contribution de Jean-François Vian, enseignant chercheur à l’Isara de Lyon. Bien qu’il apporte de nombreux éléments et connaissances nouvelles sur ce milieu vivant qu’est le sol, c’est surtout la place centrale qu’il donne au végétal qui est remarquable. En fait, les plantes, déjà seule source d’énergie du vivant grâce à la photosynthèse, sont loin de subir leur milieu. Bien qu’immobiles, elles ont cependant développé de multiples moyens pour façonner leur environnement, l’adapter et l’organiser afin d’en tirer le meilleur profit tout en se protégeant si cela est nécessaire grâce à une myriade de protecteurs et défenseurs qu’elles nourrissent, encouragent et convoquent si besoin. Sous nos pieds, dans nos champs, il existe donc tout un monde de communication, d’échange et de lutte dont les vrais chefs d’orchestre sont les plantes.

Bien entendu, toutes ces fonctions et ces interactions, qui étaient depuis longtemps pressenties, nous sont dévoilées aujourd’hui grâce à des recherches récentes. Le monde souterrain et surtout les règles qui l’animent sont extrêmement complexes ce qui nous replace devant notre grande ignorance et repousse d’autant des notions trop simplistes comme celle de la « solution du sol » et surtout nos envies de maîtrise du vivant.

Si le milieu « sol » est encore mal connu et excessivement complexe, les relations qui animent l’organisation de la vie souterraine sont paradoxalement d’une grande logique et d’une extrême simplicité. On y retrouve en fait, comme dans tous les milieux vivants, les règles fondamentales de l’écologie issues de millénaires d’adaptation et d’évolution. En premier lieu, on peut citer la diversité qui est la clé de la résilience. Elle permet, en multipliant les options, d’assurer la survie d’une espèce ou plus largement de la vie quoi qu’il arrive. L’équilibre est le second fondement de cette machinerie bien huilée. Bien entendu, il existe des chaînes alimentaires, des proies et des prédateurs, une relation que l’on peut considérer négative. Cependant ramener au niveau de la dynamique des populations, le prédateur et/ ou le ravageur devient un élément positif exerçant, par sa sélection des individus non conformes, vieux ou malades, un impact positif sur les « proies ». À cette échelle, il devient donc un acteur fondamental du maintien et du développement de la vie.

Ces considérations nous renvoient à l’idée que nos cultures sont certainement les cibles d’attaques de ravageurs parce qu’elles sont malades et n’ont pas la possibilité de mettre en œuvre leur arsenal de défense naturel ; le milieu stérilisé par des pratiques agressives restant définitivement sourd. Ce même raisonnement doit nous aider à abandonner les concepts classiques d’éradication, de standardisation et d’homogénéisation qui sont, en fait, des approches contre-nature. Il sera tout aussi impossible de tenir éloigné un ravageur ou une maladie que de tenir un champ propre. Ni le travail du sol ni la chimie n’y parviendront et la nature apportera inévitablement la diversité que l’agriculteur aura refusé d’insérer dans son système : c’est pour cette raison que toutes les approches monolithiques développent rapidement des résistances ou des contournements. À titre d’exemple, le meilleur moyen de ne pas avoir d’adventices, c’est d’occuper l’espace vide avec une diversité de plantes comme nous savons le faire avec des couverts de type « biomax » ou depuis peu avec des cultures associées. Dans ce cas de figure, nous ne sommes plus en situation de lutte et de conflit mais plutôt dans une position de pilotage et d’accompagnement. Bien que la mise en œuvre soit plus complexe, les impacts moins rapides et plus diffus et bien qu’il faille souvent s’armer d’un peu de patience et de compassion, le concept est fort simple, efficace et durable.

Il ne faut pas non plus sombrer dans l’idéalisme et l’excès opposé. Même s’il s’agit d’une veille prairie, une parcelle agricole ne sera jamais un milieu et un écosystème vraiment naturel à partir du moment où l’homme a eu un impact et continue d’interférer. L’agriculteur, quelles que soient ses orientations et ses sensibilités, est contraint par des objectifs de production qui le conduiront toujours à imposer et à privilégier des espèces sur les populations indigènes et sauvages. Que l’on se rassure, orientés et différents, ce n’est pas pour cela que les écosystèmes d’une parcelle, d’une exploitation ou d’une microrégion doivent être moins vivants et moins diversifiés.

Bien au contraire, et vu que nous avons aujourd’hui les connaissances et les moyens pour produire plus de biomasse avec une plus grande variété de plantes dans le temps et dans l’espace, et ce, sans toucher le sol, nous avons la possibilité de développer plus de vie et plus de diversité dans les espaces agricoles.

Même si, pour les puristes et les naturalistes, cette orientation n’est pas non plus « naturelle », il me semble plus favorable de mettre en œuvre des pratiques qui encouragent la vie et qui vont dans le sens de la nature même si nous en profitons au final. C’est enfin cette plus grande compréhension du vivant et cette recherche de la meilleure harmonie avec la nature qui animent aujourd’hui les milieux TCS où les approches et les pratiques se sont énormément enrichies avec les couverts végétaux et dernièrement les associations nous mettant progressivement sur les chemins de l’agriculture écologiquement intensive.