Frédéric Thomas

  • Maïs sous plastique en Bretagne
23
novembre
2010

Une agriculture en panne de projet et en panne d’avenir

Édito du TCS 59 : à lire ici

Malgré la reprise des cours des céréales inévitablement accompagnée de la hausse des engrais et autres moyens de production, le sentiment de crise persiste notamment dans les zones d’élevages pour lesquelles l’augmentation de leur principale matière première n’est pas franchement une bonne nouvelle. Dans ce contexte de grande volatilité qui donne le vertige et peut entraîner un vent de panique, la démission de l’État et de l’UE ne fait plus de doute : aucun projet sérieux ne pointe à l’horizon si ce n’est des mesures disséminées et sans vraiment de cohérence pour répondre aux problématiques environnementales et d’habiles calculs pour réduire le poids de l’agriculture dans le budget de l’UE. La profession, elle aussi, embourbée dans un affrontement stérile et des revendications basiques de coûts, de prix et/ou de marges somme toute nécessaires, n’est pas beaucoup plus innovante et visionnaire.

Au-delà de ce « théâtre des apparences » où chacun vient défendre ses petits intérêts tout en mettant en avant son utilité, il conviendrait de prendre un peu de distance par rapport au quotidien et d’intégrer que nous avons changé d’ère, d’époque et d’enjeux. Si le XXe siècle a été le siècle de l’industrialisation, de la globalisation des marchés dopés par des ressources et entre autres de l’énergie bon marché, le XXIe siècle s’annonce très différent. Il va falloir nourrir et subvenir aux besoins d’une population toujours croissante avec beaucoup moins de ressources comme l’énergie mais aussi l’eau, l’acier, le phosphore et même les terres agricoles. Cette situation de pénurie en chaîne fera inéluctablement grimper les droits d’accès et les coûts des ressources de plus en plus rares et stratégiques et exacerbera les tensions et les conflits.

Au regard des termes de cette grande équation, l’agriculture va être fortement impactée par ce bouleversement, comme beaucoup d’ailleurs, mais en tant que seule source d’alimentation et principale source d’énergie renouvelable, elle risque d’être l’une des activités stratégiques des années à venir. Certains pays l’ont d’ailleurs déjà bien compris, comme les pays d’Amérique du Sud qui développent agressivement leurs agricultures et d’autres, à court de terres, qui investissent à l’extérieur de leurs frontières dans d’importants territoires, en Afrique notamment.

Au vu de ces enjeux majeurs, il ne faut certainement pas démissionner au milieu du gué car l’agriculture a de l’avenir. De plus, nous avons des atouts insoupçonnés et nous possédons d’importantes marges de manœuvre. Alors, et plutôt que d’encourager les tiraillements et les défenses d’intérêts individuels, il convient de construire ensemble un vrai projet ambitieux pour notre agriculture qui en a les moyens.

Dans un premier temps, il faut mettre en place une vraie harmonisation européenne, car si les produits finis circulent librement, les intrants (semences, engrais, produits phyto et vétérinaires), dont les importantes disparités de prix subsistent, sont loin de pouvoir circuler aussi facilement. Plus de cinquante ans après sa signature, le traité de Rome n’est pas encore complètement en application : pourquoi ?

Ensuite, pour une activité aussi stratégique et non délocalisable que l’agriculture, il est logique d’avoir une forme d’encadrement, de protection, de soutien économique. Vendre au prix mondial alors que les coûts et les contraintes de production sont franco-européennes est une hérésie. Dans la même logique, on pourrait aussi payer nos encadrants et nos politiques au prix mondial : que pensent-ils de cette idée ?

À une époque où l’on parle de protection de l’environnement, de conditions d’élevage, de qualité des aliments et d’éthique, la traçabilité est plus simple et beaucoup plus facile à assurer lorsque les produits sont locaux. Outre l’assurance d’un approvisionnement, d’une garantie de qualité et de conditions de production, cette option vertueuse limite de fait le transport et le poids environnemental supplémentaire sur l’alimentation. De plus, nous sommes au coeur d’un des plus grands marchés alimentaires du monde avec un public exigeant en matière de qualité mais solvable : c’est un atout majeur dont il faut savoir tirer parti.

L’agriculture, en France et en Europe, apporte également autre chose que du blé, du lait, du vin ou de la viande. Elle entretient et façonne les campagnes même si dans certaines régions la recherche d’efficacité et de productivité est allée un peu trop loin. Elle est le garant d’un territoire, de terroirs et d’une ruralité ; des racines et des paysages auxquels est profondément attachée la majorité de nos compatriotes. C’est enfin une image du « bien vivre » que beaucoup nous envient : une formidable vitrine pour nos produits, le tourisme et même les industriels. Cette gestion comporte, bien entendu, des contraintes et des coûts, souvent consentis par les agriculteurs sans contrepartie réelle, qui altèrent leur compétitivité face à d’autres agricultures qui font fi de développer des déserts agricoles.

Au-delà de ces aspects réglementaires et protectionnistes, il est difficile d’admettre que nous ne puissions pas être compétitifs alors que nous avons les meilleures conditions pédoclimatiques du monde : en témoignent le haut niveau et la grande régularité des rendements. Nous avons aussi des agriculteurs formés et compétents, un niveau élevé de technicité avec un encadrement par des structures et des filières performantes mais aussi une recherche forte et dynamique. Comment se fait-il que d’autres agriculteurs du monde comme les Australiens, les Néozélandais ou les Canadiens produisent plus efficacement que nous malgré des niveaux de production par hectare beaucoup plus faibles et un énorme handicap d’accès aux marchés mais aussi aux intrants, dans un contexte socio-économique similaire (prix de la main d’oeuvre et pression environnementale). Plus que se plaindre, il faut comprendre et analyser leur façon de faire afin de les adapter à nos conditions.

Enfin et même si nous sommes encore un peu en retard en matière de développement des surfaces en TCS et semis direct, avec l’agriculture écologiquement intensive, nous avons largement dépassé la seule notion de suppression du travail du sol avec un concept extrêmement novateur et des applications concrètes déjà largement disséminées dans les champs. Cette approche, en opposition à beaucoup d’autres, ne s’interdit rien mais place l’écologie comme l’intrant principal. Outre permettre de réduire encore plus les coûts sans nuire, bien au contraire, au niveau de production, tout en limitant l’impact de l’agriculture sur l’environnement, elle rassemble toutes les agricultures. Enfin, le retour de l’innovation, d’un progrès commun partagé et cette sensation de meilleure osmose avec la nature donne une vraie dimension humaine nécessaire pour assurer le changement.

Il ne faut surtout pas abdiquer, l’agriculture française et l’agriculture européenne sont les seules à posséder tous les ingrédients pour redévelopper assez rapidement une agriculture performante, de qualité et respectueuse de l’environnement, une agriculture différente, qui leur ressemble et répond aux exigences de leurs populations. Elles en ont les moyens, les hommes, les connaissances, les terroirs et maintenant, grâce aux TCSistes, un vrai savoir-faire : aujourd’hui, il ne leur manque plus qu’une réelle ambition, un vrai projet d’avenir.


8
octobre
2010

Agriculture Ecologiquement Intensive : explication de texte

Beaucoup trouvent cette terminologie, « fumeuse », provocante, voire antinomique tant l’écologie est plutôt, dans notre subconscient, synonyme d’extensif, de moins productif de « laisser faire ». Cependant cette appellation choisie volontairement par Michel Griffon pour son côté choquant et interpellateur est cependant d’une grande justesse et dénomme une approche de l’agriculture radicalement nouvelle. Avec l’AEI, l’intrant principal n’est plus la mécanisation, les engrais ou les phytos mais l’écologie ; il est donc logique de l’utiliser « intensivement » pour fortement diminuer le recours aux intrants classiques perturbateurs des systèmes et coûteux que l’on conserve cependant dans la boîte à outils s’il n’existe pas encore de solution écologique. C’est l’énergie du vivant en opposition à l’énergie fossile, c’est la diversité en opposition à la monotonie et c’est l’encouragement de la vie positive pour contrebalancer les « indésirables » en opposition à une gestion par l’élimination, la suppression voire la recherche d’une éradication. L’AEI n’est pas un « mieux » ou un relookage habile des pratiques conventionnelles mais une véritable rupture et vision innovante.

Enfin l’AEI n’est pas qu’une vue de l’esprit de scientifiques, agronomes ou penseurs éclairés mais elle commence à vraiment se mettre en place dans les réseaux TCS et SD avec des différences suffisamment visibles, capables convaincre même des profanes, à l’instar de ces deux parcelles deux colza de la région Centre voisines de quelques centaines de mètre au début octobre dernier.

Le colza classique sur labour est « propre », c’est à dire indemne d’adventices mais il souffre d’une certaine phytotoxicité du programme de désherbage, certes amplifiée par les fortes pluies, mais généralement consentie pour gérer le salissement. Le champ est vide pouvant laisser la place éventuellement à d’autres plantes et les ravageurs comme les limaces n’ont pas de biomasse importante à se partager : toute attaque sera très préjudiciable. Il va donc falloir redoubler d’attention et ne pas hésiter à encore investir pour protéger la culture de tous nuisibles potentiels.
A l’inverse dans le colza/lentille/sarrasin, semé en direct, les colzas sont là en bien en forme et aucune autre « mauvaise herbe » n’est présente puisque tout l’espace est occupé par de la végétation choisie, sans aucun désherbage pouvant nuire au colza. La diversité « camoufle » en partie le colza de certains ravageurs spécifiques qui auront plus de difficultés à repérer la parcelle et pour d’autres la consommation de biomasse sera partagé entre les plantes présente avec beaucoup moins d’impact sur la culture elle même. Enfin les plantes accompagnantes ou de service (sarrasin et lentille) vont progressivement disparaître naturellement par le gel pendant l’hiver afin de donner plus de place à la culture tout en relarguant des éléments minéraux et entre autre de l’azote pour l’alimenter.

Produire autant voire plus avec beaucoup moins de travail, de phytos, d’engrais, d’impacts négatifs sur l’environnement mais aussi de risques techniques et économiques ce n’est donc plus une lubie mais aujourd’hui une réalité et cet exemple très concret illustre bien le concept d’Agriculture Écologiquement Intensive. Il démontre parfaitement la différence voire l’opposition des raisonnements et la puissance de ces nouvelles approches qu’il nous appartient d’étendre aux autres cultures et productions agricoles.


23
juillet
2010

Un climat très contrasté qui exacerbe les mauvaises gestions techniques

Édito du TCS 58 : à lire ici

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. La saison 2009-2010, qui a oscillé depuis l’automne dernier entre des extrêmes de sec, de froid, de neige, de pluie et de pointe de chaleur avec en ce début d’été une sécheresse sans précédent dans le nord de la Loire et l’Ouest, est particulièrement éprouvante. De plus, les pertes de rendement conséquentes et le manque de fourrage sont d’autant plus critiques qu’ils arrivent dans un contexte économique déjà particulièrement tendu. Cependant et même si on doit déplorer cette situation de crise, elle permet de faire ressortir des éléments essentiels auxquels nous devons rester accrochés.

En agriculture, où non seulement les prix des matières premières et des produits varient avec des amplitudes sans précédent, et quelquefois contraires, et un niveau de production incertain qui peut être fortement impacté par un climat de plus en plus agressif et aléatoire, il est impératif de conserver des coûts de production les plus faibles possibles. À ce titre, la simplification du travail du sol n’a jamais été autant pertinente en transformant les déficits de certains en situation d’équilibre pour les TCSistes. Cependant et au-delà de la réduction du travail du sol, il est crucial de continuer de mettre en oeuvre des systèmes et des rotations encore plus économes, d’explorer des voies encore plus efficaces en mécanisation, mais aussi en phyto et en fertilisation, comme l’association de cultures, à l’instar du colza. L’objectif n’est pas d’« extensifier » ni de réduire le potentiel de rendement, qui est toujours le diviseur des charges, mais de maîtriser l’ensemble des coûts de production à l’unité pour gagner en rentabilité, en sécurité et en flexibilité. Si le climat ou si un accident cultural réduit le potentiel ou si les cours s’effondrent, l’approche sera toujours économiquement plus robuste. Si les cours repartent à la hausse, comme en ce début de campagne, elle devient, à l’inverse, beaucoup plus « margeante ».

Au-delà des considérations purement économiques et s’il est possible de blâmer les adversités climatiques pour une partie des pertes de rendement, celles-ci sont loin de tout expliquer et surtout les énormes différences entre parcelles voisines pourtant dans des contextes pédoclimatiques similaires. C’est en fait ce type d’année « très technique » qui, en exacerbant les défauts et les erreurs, devrait permettre de corriger les pratiques et de comprendre beaucoup mieux la cohérence mais aussi le bienfondé de l’agriculture de conservation.

L’eau qui manquait à l’automne pour les semis de couvert et de colza fait encore cruellement défaut au printemps et en ce début d’été dans de nombreuses régions. Même si le manque de pluies significatives est une cause majeure, un travail du sol inapproprié, évaporant et entraînant la perte de la couverture végétale protectrice, débouchant en plus sur des ruptures et des compactions horizontales et limitant les remontées capillaires et l’enracinement n’est pas assez mis en avant. Dans une situation de stress, ce sont ces quelques millimètres d’eau non évaporés, ajoutés à ceux conservés dans le profil et ceux mieux captés par un enracinement plus performant et profond, qui peuvent faire vraiment la différence. En fait, une pluviométrie plus régulière, voire l’irrigation, permet en compensant l’eau non accessible ou perdue, de limiter, voire de gommer les défauts de gestion et/ou de structure et de fertilisation. À ce niveau, l’AC avec des sols couverts et une structure plus verticale va apporter de réels bénéfices en matière de gestion de la ressource eau.

Avec ces conditions météo, les modes de gestion de la fertilisation, entre autres de l’azote ont également montré d’importants contrastes et réponses sur les cultures d’hiver comme sur les cultures de printemps : « l’engrais a mal porté ». En céréale, les redoublements de rampes et d’épandeurs sont cependant restés plus verts et plus longtemps montrant la liaison étroite bien qu’un peu compliquée qui associe l’eau et l’azote dans le sol. La disponibilité en azote est bien entendu dépendante de la fertilisation et du mode d’application, mais elle s’appuie aussi sur la minéralisation influencée par la température, l’humidité et le travail du sol. Enfin, des soucis de structure et de colonisation racinaire induisent les mêmes symptômes et amplifient les problèmes d’alimentation. Toutes ces observations plaident, comme pour l’eau, en faveur de sols organisés, biologiquement actifs, plus riches en matière organique labile, avec des légumineuses dans la rotation, en culture et en couvert, pour renforcer le volant d’autofertilité qui est la garantie d’une alimentation plus complète et équilibrée indépendamment des conditions climatiques. Il est également important de signaler à tous les éleveurs en quête de fourrage que l’interculture est une formidable opportunité de production de biomasse dont il ne faut surtout pas se priver, sans risque pour le sol et son autofertilité, bien au contraire. Là encore, l’AC, en réduisant les coûts d’implantation et limitant l’évaporation, peut apporter des bénéfices indéniables.

Par ailleurs, ces conditions climatiques certifient qu’en TCS et SD, la fertilisation azotée doit être apportée tôt afin de « rentrer » dans le sol avant d’être redistribuée de manière lente et diffuse aux cultures. De cette manière et surtout au printemps, l’azote a plus de chances de bénéficier de pluies pour se retrouver positionné et intégré dans le profil avec peu de risque de lessivage. La localisation d’une partie de la fertilisation dans le sol au semis, apparaît, à ce titre comme une sécurisation et une source d’économie complémentaire.

Bien que la campagne 2009-2010 risque de rester dans les annales comme une période sombre et particulièrement difficile, il s’agit d’une saison riche d’enseignement et qu’il convient de garder comme repère pour conserver la qualité du sol au centre des préoccupations. Comme l’approche système, ce sont les meilleurs garants d’économies durables à partir du moment où le niveau technique suit. Encore une fois, c’est dans ces conditions particulièrement difficiles que l’AC fait la différence. Si déjà, elle apporte un avantage économique incontestable, en limitant la mise en place mais aussi le suivi des cultures, avec une approche système plus développée, elle va permettre à beaucoup de mieux passer cette conjoncture économique particulièrement difficile. L’orientation devient encore plus intéressante lorsque le climat s’en mêle en amortissant ses impacts négatifs sur les résultats techniques grâce à des pratiques beaucoup plus efficaces en matière de gestion d’eau et des sols redistribuant mieux la fertilité dans le temps.

Combien de crises, de détresses et d’espoirs déchus faudra-t-il encore pour que l’on comprenne et que l’on change vraiment d’orientation agricole ?


23
avril
2010

A la fois complexe, simple et logique, la nature n’a pas fini de nous émerveiller

Édito du TCS 57 : à lire ici

Je vous recommande particulièrement la lecture du dossier de ce numéro 57 de TCS réalisé par Cécile Waligora avec la contribution de Jean-François Vian, enseignant chercheur à l’Isara de Lyon. Bien qu’il apporte de nombreux éléments et connaissances nouvelles sur ce milieu vivant qu’est le sol, c’est surtout la place centrale qu’il donne au végétal qui est remarquable. En fait, les plantes, déjà seule source d’énergie du vivant grâce à la photosynthèse, sont loin de subir leur milieu. Bien qu’immobiles, elles ont cependant développé de multiples moyens pour façonner leur environnement, l’adapter et l’organiser afin d’en tirer le meilleur profit tout en se protégeant si cela est nécessaire grâce à une myriade de protecteurs et défenseurs qu’elles nourrissent, encouragent et convoquent si besoin. Sous nos pieds, dans nos champs, il existe donc tout un monde de communication, d’échange et de lutte dont les vrais chefs d’orchestre sont les plantes.

Bien entendu, toutes ces fonctions et ces interactions, qui étaient depuis longtemps pressenties, nous sont dévoilées aujourd’hui grâce à des recherches récentes. Le monde souterrain et surtout les règles qui l’animent sont extrêmement complexes ce qui nous replace devant notre grande ignorance et repousse d’autant des notions trop simplistes comme celle de la « solution du sol » et surtout nos envies de maîtrise du vivant.

Si le milieu « sol » est encore mal connu et excessivement complexe, les relations qui animent l’organisation de la vie souterraine sont paradoxalement d’une grande logique et d’une extrême simplicité. On y retrouve en fait, comme dans tous les milieux vivants, les règles fondamentales de l’écologie issues de millénaires d’adaptation et d’évolution. En premier lieu, on peut citer la diversité qui est la clé de la résilience. Elle permet, en multipliant les options, d’assurer la survie d’une espèce ou plus largement de la vie quoi qu’il arrive. L’équilibre est le second fondement de cette machinerie bien huilée. Bien entendu, il existe des chaînes alimentaires, des proies et des prédateurs, une relation que l’on peut considérer négative. Cependant ramener au niveau de la dynamique des populations, le prédateur et/ ou le ravageur devient un élément positif exerçant, par sa sélection des individus non conformes, vieux ou malades, un impact positif sur les « proies ». À cette échelle, il devient donc un acteur fondamental du maintien et du développement de la vie.

Ces considérations nous renvoient à l’idée que nos cultures sont certainement les cibles d’attaques de ravageurs parce qu’elles sont malades et n’ont pas la possibilité de mettre en œuvre leur arsenal de défense naturel ; le milieu stérilisé par des pratiques agressives restant définitivement sourd. Ce même raisonnement doit nous aider à abandonner les concepts classiques d’éradication, de standardisation et d’homogénéisation qui sont, en fait, des approches contre-nature. Il sera tout aussi impossible de tenir éloigné un ravageur ou une maladie que de tenir un champ propre. Ni le travail du sol ni la chimie n’y parviendront et la nature apportera inévitablement la diversité que l’agriculteur aura refusé d’insérer dans son système : c’est pour cette raison que toutes les approches monolithiques développent rapidement des résistances ou des contournements. À titre d’exemple, le meilleur moyen de ne pas avoir d’adventices, c’est d’occuper l’espace vide avec une diversité de plantes comme nous savons le faire avec des couverts de type « biomax » ou depuis peu avec des cultures associées. Dans ce cas de figure, nous ne sommes plus en situation de lutte et de conflit mais plutôt dans une position de pilotage et d’accompagnement. Bien que la mise en œuvre soit plus complexe, les impacts moins rapides et plus diffus et bien qu’il faille souvent s’armer d’un peu de patience et de compassion, le concept est fort simple, efficace et durable.

Il ne faut pas non plus sombrer dans l’idéalisme et l’excès opposé. Même s’il s’agit d’une veille prairie, une parcelle agricole ne sera jamais un milieu et un écosystème vraiment naturel à partir du moment où l’homme a eu un impact et continue d’interférer. L’agriculteur, quelles que soient ses orientations et ses sensibilités, est contraint par des objectifs de production qui le conduiront toujours à imposer et à privilégier des espèces sur les populations indigènes et sauvages. Que l’on se rassure, orientés et différents, ce n’est pas pour cela que les écosystèmes d’une parcelle, d’une exploitation ou d’une microrégion doivent être moins vivants et moins diversifiés.

Bien au contraire, et vu que nous avons aujourd’hui les connaissances et les moyens pour produire plus de biomasse avec une plus grande variété de plantes dans le temps et dans l’espace, et ce, sans toucher le sol, nous avons la possibilité de développer plus de vie et plus de diversité dans les espaces agricoles.

Même si, pour les puristes et les naturalistes, cette orientation n’est pas non plus « naturelle », il me semble plus favorable de mettre en œuvre des pratiques qui encouragent la vie et qui vont dans le sens de la nature même si nous en profitons au final. C’est enfin cette plus grande compréhension du vivant et cette recherche de la meilleure harmonie avec la nature qui animent aujourd’hui les milieux TCS où les approches et les pratiques se sont énormément enrichies avec les couverts végétaux et dernièrement les associations nous mettant progressivement sur les chemins de l’agriculture écologiquement intensive.


9
janvier
2010

Nous sommes proches du point de basculement !

Édito du TCS 56 : à lire ici

En matière de dynamique de changement, si les premières étapes prennent beaucoup de temps et sont toujours sujettes à de nombreuses critiques, il suffit généralement que 12 à 15 % d’une population adoptent une nouvelle technique pour que le reste bascule assez rapidement. Il s’agit d’un effet comparable à une avalanche où les zones de blocage et les freins ne sont plus assez solides pour contenir une poussée qui s’auto entretient et se renforce. C’est précisément la situation dans laquelle se trouve l’agriculture de conservation aujourd’hui en France : une véritable lame de fond qui progresse, monte en puissance et qui risque bien de bouleverser en profondeur l’agriculture. C’est comme si nous arrivions à un carrefour où tous les ingrédients convergent :

- La crise s’est invitée et plonge notre agriculture, mais aussi notre monde économique et social dans des abîmes de perplexité. Si l’année 2009 a été très dure, les perspectives pour 2010 n’apparaissent pas beaucoup plus réjouissantes d’autant plus que les trésoreries sonnent le creux. La production céréalière est, bien entendu, sévèrement touchée, mais aussi l’élevage en général avec, en tête de liste, les producteurs laitiers qui ont découvert brutalement ce que signifiait : ouverture des marchés. Face à cette situation, il est nécessaire de revoir les mécanismes de soutien et de protection de l’agriculture européenne. Cependant, pour sortir de l’ornière durablement sur le terrain, il ne suffira pas de faire quelques économies de-ci de-là, mais il est indispensable de repenser en profondeur nos systèmes de production.

- La réussite et la maîtrise de l’AC par un nombre croissant d’agriculteurs interpellent et commencent à recevoir une résonance favorable dans les campagnes. Bien que certains tâtonnent encore et d’autres rencontrent des difficultés, la question « est-ce que c’est intéressant les TCS et le SD ? » est progressivement remplacée par « comment puis-je passer en AC avec le minimum de risques et de soucis ? ». La perception évolue également au niveau de l’encadrement où des centres de gestion constatent et mettent en avant les avantages économiques, et un nombre croissant de techniciens de terrain soutient que les TCS et le SD sont possibles dans une grande variété de sols, de climats et de productions.

- La pression environnementale et surtout la nécessité de faire, rapidement, beaucoup mieux afin d’ouvrir l’étau qui continue de se resserrer et par effet boomerang, augmentent les coûts de production. Bien que l’agriculture soit un bouc émissaire facile qui évite à beaucoup de balayer devant leurs portes, le bilan n’est cependant pas très glorieux que ce soit en matière d’azote, d’énergie, d’effet de serre et de biodiversité pour ne citer que les principaux. Cependant, il faut réaliser que, souvent, la pollution est en amont un gaspillage et une perte économique pour l’agriculteur. C’est pourquoi, il est urgent de mettre en place des systèmes sobres et qui recyclent beaucoup mieux les éléments minéraux tout en maximisant l’utilisation des processus écologiques et l’énergie du vivant qui sont immédiatement et durablement porteurs de bénéfices environnementaux mais aussi d’économies conséquentes pour l’agriculteur. L’écologie et l’économie ne sont pas en opposition en agriculture à partir du moment où l’on intègre une approche agronomique globale.

- L’arrivée de vraies références françaises est également un élément déterminant. Arvalis, le Cetiom et des chambres d’agriculture commencent à fournir des résultats expérimentaux et des informations qui accréditent les observations réalisées dans les champs et les bases étrangères sur lesquelles nous nous sommes appuyés. Que ce soit en matière de gestion du salissement, de contrôle des ravageurs, de lessivage d’azote, de gestion de l’eau, de circulation et dégradation des phyto, ce sont aujourd’hui des informations locales précieuses qui, au-delà de sécuriser notre orientation, apportent des données complémentaires afin de mieux comprendre les interactions entre les éléments du puzzle et continuer de progresser.

- L’adhésion progressive, même si cela est encore prudent, de l’encadrement de l’agriculture, mais aussi de la recherche est un autre signe. Aujourd’hui, plusieurs grands groupes coopératifs ont mis en place leur « réseau ou club » TCS et l’affichent fièrement alors que d’autres se donnent, comme objectif, l’agriculture écologiquement intensive (AEI). Avec le développement des couverts et l’impact positif de l’AC sur la faune sauvage en général, ce sont aussi les fédérations de chasse qui commencent à soutenir les efforts des producteurs. Les syndicats comme les politiques ne sont pas en reste non plus et certains y perçoivent une nouvelle forme de contact ; une relation différente et positive avec l’agriculture. Enfin, la recherche évolue et réinvestit le terrain en mettant en place de plus en plus de programmes sur ces sujets, intégrant souvent des mesures sur des exploitations pilotes et innovantes.

- Les discours engagés de visionnaires réalistes et non moins pragmatiques comme Michel Griffon et Bruno Parmentier commencent de leur côté à faire écho dans toutes les strates des filières qui intègrent progressivement leurs analyses et les solutions qu’ils proposent. En complément, sur le terrain, des réseaux associatifs en plein développement maillent les campagnes afin de fluidifier les échanges entre praticiens et apporter des idées, des approches et des informations concrètes et innovantes. D’une certaine manière, ces associations préfigurent et préparent le retour à un processus de développement où l’agriculteur redevient le moteur et l’acteur principal.

- Enfin, l’AC est aujourd’hui l’orientation qui apporte le plus d’idées nouvelles et d’innovations que ce soit en matière de machinisme, de fertilisation, de couverts, de rotations, de gestion du salissement comme des ravageurs mais aussi en termes d’association de cultures. En outre, permettre de continuer de progresser vers des systèmes de production toujours plus intégrés, plus économes et respectueux de l’environnement, l’innovation s’impose aussi comme un formidable antidote contre la morosité et la crise. Elle fédère, redonne de l’enthousiasme, décuple les énergies. Séduisante, rassurante et positive, l’innovation ne peut que nous donner un sérieux coup de pouce.

Il faut aussi capitaliser sur des atouts que nous avons trop tendance à ignorer et sous-estimer comme notre diversité de climats, de sols, de cultures, mais aussi de sensibilités. Le maintien de structures familiales où la majorité des agriculteurs sont encore des acteurs, des observateurs, mais aussi des expérimentateurs au quotidien est une autre clé importante. Enfin et en comparaison des grands pays du semis direct comme le Brésil et l’Amérique du Nord, nous avons, grâce aux couverts et aux associations de cultures, développé une spécificité et un concept avec l’AEI où nous sommes aujourd’hui leader. Même si la « reprise » du dossier AC par l’encadrement conventionnel peut laisser un sentiment de frustration à ceux qui ont pris des risques et fait preuve de courage et de détermination pour s’engager sur des chemins différents, nous devons nous en réjouir. Il y aura encore beaucoup d’inertie dans ce changement, mais ce n’est qu’au prix de ces efforts et de la participation du plus grand nombre que nous pourrons faire émerger en France une agriculture vraiment nouvelle et vraiment performante.


22
décembre
2009

Meilleurs vœux et surtout n’arrêtez pas d’essayer...

Meilleurs vœux de la part de toute l’équipe A2C et TCS pour 2010 et surtout n’arrêtez pas d’essayer, de challenger des nouvelles idées et d’innover même si cela n’est pas tous les jours facile. Aujourd’hui avec les TCS, le SD mais surtout l’approche système et les associations de plantes, une nouvelle forme d’agriculture que certains n’hésitent plus a nommer « Agriculture Écologiquement Intensive » est en train de prendre forme dans vos champs et vos ateliers. Le changement viendra difficilement d’en haut et il est toujours permis de rêver que les grands de se monde, face à une réalité établie comme le changement climatique se mettent d’accord pour changer pour de vrai. Comme nous l’a montré la rencontre de Copenhague, le quotidien, qui n’est certes pas rose, prime sur l’anticipation relayée loin derrière.

Baisser les bras non, mais il faut avant tout croire en soit, à ses idées et à son action locale. Ne cherchez pas à convaincre mais plutôt a donner envie à ceux qui vous entourent qui à leur tour pourront venir enrichir votre réflexion, vos approches de leur idées, expériences et réseaux. Car contrairement à l’agriculture conventionnelle, très codifiée et encadrée, cette nouvelle approche ne fonctionne pas comme un entonnoir mais ressemble plus à une porte d’entrée vers une diversité de solutions complémentaires qui, comme une avalanche, s’amplifie et s’agrandie au fur et à mesure que nous avançons.

Profitez donc de l’hiver et d’un peu de répit pour fouiller plus en détail www.agriculture-de-conservation.com (à ce titre n’hésitez pas à utiliser le petit moteur de recherche que nous avons mis en ligne) et vous rendre aux multiples rendez-vous et formations sur ces thèmes afin d’établir votre ligne de changement pour 2010 et les essais que vous allez mettre en œuvre.

Bonne année et au plaisir de vous retrouver sur le terrain.