Frédéric Thomas

  • Maïs sous plastique en Bretagne
  • Ombre portée
30
octobre
2012

Couvert et épandage d’engrais de ferme (effluent d’élevage)

Depuis plus de 20 ans les nitrates sont sujets à débat, polémiques, mises aux normes et réglementations. Malgré toutes ces déclarations, tergiversations mais aussi contraintes et coûts pour les producteurs, l’augmentation du niveau de pollution des eaux, sur la grande majorité du territoire, a été certes stoppé mais les réductions qui peuvent être sensibles dans certains bassins-versants sont encore globalement timides. Résultat : au-delà de l’impact environnemental mais aussi de la perte économique pour l’agriculteur, l’État français doit aussi payer aujourd’hui une amende à l’Europe de 180 000 €/jour pour non-conformité aux engagements de résultats exigés par l’UE en matière de qualité de l’eau. À une époque où tout le monde parle d’économie et recherche des fonds, où la réduction de la consommation d’énergie est dans toutes les bouches et où la préservation de l’environnement est une préoccupation majeure, on croit rêver devant une telle gabegie et accumulation de non-sens. Au regard de cet exemple, si beaucoup d’autres sujets, qui sortent de l’agriculture et de nos champs de compétence, sont gérés avec la même approche et clairvoyance, je comprends pourquoi notre pays va mal et je suis plutôt inquiet.

Pour en revenir aux nitrates, le comble est qu’en ce moment, phase de négociation pour l’élaboration et la mise en place de la 5e directive prévue pour juillet 2013, la réglementation française et la réglementation départementale se superposent. Cela signifie que dans tous les cas, la règle retenue est la plus contraignante, quelle que soit son origine, comme tout le monde peut s’en douter. En agissant de la sorte les périodes d’épandage sont donc réduites à peau de chagrin avec beaucoup de confusion.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’intérêt des couverts végétaux multi- espèces de type biomax, de la place stratégique des légumineuses mais aussi de l’impact minéralisateur du travail du sol ; surtout celui d’automne avant une période à risque de lessivage. Aujourd’hui de nombreuses références, dont nous avons fait l’écho depuis 15 ans dans la revue TCS, confirment et renforcent ces différents points. Alors pourquoi sommes-nous encore dans la contrainte avec les Cipans alors qu’avec les couverts végétaux l’adhésion est complète avec des agriculteurs qui les implantent, les réussissent sans vraiment d’obligations ni d’aides ?

Au-delà de ces points, beaucoup de lecteurs se demandent où il serait le plus judicieux de mettre les engrais de ferme (fumier et lisier) en AC. En s’appuyant sur un raisonnement agronomique sans tenir compte de la réglementation de certains départements (où c’est interdit) alors qu’au niveau français cette pratique est autorisée (mais c’est bien la réglementation départementale qui autorise ou non et précise les quantités), les couverts implantés et développés sont une place de choix pour de multiples raisons :
 S’il est possible et facile de traduire sur le papier de la matière organique en éléments fertilisants, au niveau du sol, les transformations sont beaucoup plus longues, dépendantes du produit de base (aucun fumier ne se ressemble) et fortement influencées par les conditions météo. Il est donc préférable d’anticiper et de laisser du temps à l’activité biologique pour digérer le produit afin d’obtenir une plus grande partie assimilable par la culture suivante.
 Les éléments solubles et entre autres l’azote seront rapidement mobilisés par la végétation en place, limitant de fait les risques de fuite. De plus, cette légère fertilisation permettra de doper le couvert à l’automne avec un gain notable en matière de production de biomasse.
 L’activité biologique qui redémarre de manière intense avec les pluies d’automne trouvera dans cet apport une nourriture de choix qu’elle assimilera et incorporera au sol avec d’autres résidus. Une meilleure alimentation en quantité et qualité c’est aussi le gage de plus de travail et donc d’une meilleure structuration biologique au printemps suivant.
 L’épandage dans un couvert en place à l’automne lorsque l’humidité revient est également le moyen efficace, bien plus que toute incorporation, de limiter les pertes par volatilisation qui peuvent dans certains cas être relativement importantes. C’est donc le moyen de conserver plus d’azote dans le système mais aussi de limiter les nuisances olfactives et l’émission de certains gaz à effet de serre. Vu sous cet angle, ce mode d’épandage dans ces conditions ne nécessite aucune incorporation : une économie de temps mais aussi d’intervention que l’agriculteur peut transférer dans la qualité d’implantation des couverts.
 Rouler sur les parcelles avec des engins qui sont de plus en plus lourds au printemps, c’est générer des compactions, qui même retravaillées intensivement resteront pénalisantes sur la culture qui suit. Ainsi, épandre à l’automne c’est aussi préserver la structure du sol qui est généralement, à l’inverse du printemps, sèche en profondeur et supporte beaucoup mieux la circulation des outils. Les sols seront d’autant moins impactés par ce trafic qu’ils sont colonisés par d’importants systèmes racinaires qui jouent le même rôle qu’une armature dans un béton. Enfin, si la structure se trouve légèrement endommagée sous le passage d’une roue, l’activité biologique a plusieurs mois devant elle pour intervenir et corriger la situation.
 Épandre une partie des amendements organiques à l’automne, c’est également faire le vide des zones de stockage avant l’hiver mais aussi limiter les fuites autour des dépôts en bout de parcelle.
 La période d’intervention dans de bonnes conditions étant beaucoup plus large, il sera plus facile de partager les outils et ainsi d’en réduire la taille, le coût et l’impact pour le sol. C’est aussi beaucoup moins de risque de terre et de boue sur les routes pour une meilleure cohabitation avec nos voisins « rurbains ».
 Enfin, pour tous ceux qui sont en TCS et SD mais aussi pour les agriculteurs conventionnels, laisser évoluer un fumier voire un lisier épais pendant plusieurs mois à la surface du sol, c’est aussi réduire fortement le risque de colporter principalement des graines d’adventices qui se retrouveront consommées par l’activité biologique.
 C’est enfin beaucoup de bon sens agronomique qui semble avoir échappé à beaucoup. À l’instar de nos amis belges de Nitra-Wal, il conviendrait mieux de faire un peu plus confiance aux agriculteurs, de les encourager vers des couverts performants avec des concours de biomax (cf. écho TCS 68) et d’orienter l’ensemble de l’approche vers une politique de résultats et non de moyens comme l’APL (azote potentiellement lessivable).

Cette approche mise en place par nos voisins consiste à mesurer l’azote résiduel pendant toute la période d’automne et d’entrée de l’hiver dans des exploitations et parcelles de références (suivant à la lettre les réglementations et les préconisations). Ce niveau de « reliquats  » nommé APL est ensuite traduit en courbes en fonction des types de sols et des cultures et sert d’objectif de résultats à atteindre par les agriculteurs vérifiés au hasard. Avec le recul de cinq campagnes, il a permis de mettre en évidence que mathématique et azote font deux, que la météo, comme l’intensité de travail du sol, a beaucoup d’impact sur la minéralisation automnale et que c’est plus la réussite des couverts qui réduit l’APL que la limitation des fertilisations et des épandages.

Pour plus d’information : http://www.nitrawal.be/41-suivi-apl.htm


10
octobre
2012

Vérifier la concentration en nitrates des sorties de drainage

Observation du comportement de l’eau dans un sol par pulvérisation d’eau en amont d’un profil.

Laurent Rousseau, TCSiste et éleveur de chèvre en Charente, fait partie d’un groupe CIVAM travaillant spécifiquement sur le dossier simplification du travail du sol. Puisqu’il est situé dans un bassin versant prioritaire et que la qualité de l’eau est un sujet central, il a eu l’idée d’acheter en pharmacie des bandelettes « Nitrate Check » et de mesurer pendant la période hivernale et lorsque l’eau coule, tous les 15 du mois, la teneur en Nitrate de l’eau de drainage d’une parcelle de luzerne qu’il à partiellement détruite chimiquement à l’automne pour implanter une orge.

En fonction des périodes les mesures oscillent entre 45 et 100 mg/L, des teneurs qui inquiète cet agriculteur. Cette expérience nous permet de préciser différents points :
 Il n’existe pas de système complètement fermé. Les « fuites » font partie du vivant, il faut seulement qu’elle restent faibles et maîtrisées ;
 Toutes les mesures réalisées de cette manière sont des mesures instantanées qui peuvent varier de manière importante en fonction du moment du prélèvement. En début de drainage les pics seront inévitablement importants pour redescendre ensuite. Des mesures plus rapprochées permettraient d’établir une moyenne de concentration beaucoup plus juste ;
 Au sein d’un bassin versant, l’eau qui sort d’un réseau de drainage agricole va ensuite être mélangée avec divers autres flux d’eau avec des teneurs très variables qui vont souvent opérer une dilution, amplifiée par des zones de filtration naturelles avant d’atteindre la rivière ou la nappe ;
 En fait, pour se faire une idée de la quantité d’azote qui quitte une parcelle via son réseau de drainage, il faudrait raisonner en flux : c’est à dire multiplier la teneur moyenne pour chaque période de drainage par la quantité d’eau drainée (élément plus difficile à mesurer). Ensuite pour déterminer la quantité d’azote/ha réellement perdue il suffit d’utiliser le même mode de calcul que pour évaluer l’azote apporté par l’irrigation lorsque la source d’eau contient des nitrates : N/ha (perdu par drainage) = teneur moyenne en nitrate x m3 d’eau/ha drainé x 0,00023. Dans le cas présent si l’on prend une teneur moyenne en nitrate de 75 mg/L et un drainage de 1 200 m3, soit 120 mm de pluie, la quantité d’azote réellement lessivée au travers du réseau de drainage est de 75 x 0,0023 x 1200 = 20,7 kg de N/ha : une quantité admissible et loin d’être anormale. Pour perdre par drainage 50 kg de N/ha (la quantité moyenne perdue par ha/an) il faudra que le drainage soit de 30 000 m3 ou 300 mm avec la même teneur moyenne tout au long de la période de drainage ; ou encore que la teneur moyenne atteigne les 187,5 mg/l pour la même quantité d’eau drainée ;

Si le calcul ou plutôt l’évaluation de la quantité d’eau drainée est un peu plus compliqué, nous trouvons cette idée de mesurer la qualité de l’eau qui sort des drainages aussi simple qu’intéressante. Même si dans un premier temps les chiffres peuvent surprendre, c’est un excellent moyen de comparer les parcelles et les pratiques afin de comprendre ce qui se passe pour ajuster les interventions. C’est aussi le moyen d’acquérir avec le temps une forme de référentiel qui permettra de mieux situer les mesures instantanées mais aussi de dialoguer chiffres à l’appui avec les autorités qui gèrent la qualité de l’eau.

On a des possibilités simples et peu couteuse : autant s’en servir !


23
juillet
2012

Des fleurs dans les couverts pour nourrir les abeilles et sauver les apiculteurs !

Le froid et surtout l’humidité du printemps et de ce début de l’été n’ont pas été propices pour les semis, les foins, les céréales mais aussi pour les fleurs et les abeilles. A ce titre beaucoup d’apiculteurs ont un peu le bourdon en regardant leurs ruches dépérir en ce début juillet avec pas ou peu de récolte de miel en perspective.

En faite cette dure réalité montre encore une fois, pour les abeilles comme pour l’activité biologique du sol et d’une manière générale pour le vivant, que c’est avant tout la quantité, la qualité et la diversité de la ressource alimentaire qui prime. Les phytos, souvent mis en avant, et dans ce cas les insecticides, ont certes des impacts négatifs pour toute cette activité biologique périphérique mais utile. Mais c’est l’ensemble des pratiques agricoles qui conduisent à avoir des milieux plus ou moins accueillants voire complètement hostiles à l’activité biologique : un champ de blé ou un foin fauché, ne sont pas propices aux abeilles. A ce titre, passer le reste de l’été à déchaumer et laisser un champ « propre » et nu, c’est fortement perturber l’activité biologique du sol mais aussi oublier les auxiliaires et les abeilles alors qu’implanter un couvert c’est apporter de la biomasse, des fleurs et de la nourriture de choix à une époque où elle se fait rare : une forme de compensation écologique rentable agronomiquement et appréciée par beaucoup.

Si les spécialistes parlent de « jachères apicoles », nous avons pris l’habitude d’implanter entre 2 céréales ou entre une paille et une culture de printemps des « biomax » de 5 à 12 espèces qui répondent parfaitement aux besoins des abeilles en terme de qualité de fleur, de diversité mais également d’étalement de la floraison sur la durée, de la fin de l’été à l’automne. Si les moutardes, les radis fourragers sont convenables, les tournesols, la phacélie, les vesces, les trèfles, les pois et le sarrasin sont des fleurs très mellifères qu’il ne faut pas hésiter à mettre. Attention cependant pour le sarrasin qui doit seulement être utilisé avant des cultures d’hiver ou des orges de printemps car la relevée de graines peut être ennuyeuse dans les maïs, betteraves ou tournesols qui suivent.

En complément l’association de cultures comme pour le colza (semis avec des plantes compagnes : cf. article de TCS) est une opportunité supplémentaire de mettre d’autres plantes et d’autres fleurs dans les champs. La lentille, la gesse, le nyger, le fenugrec et encore le sarrasin sont ici de parfaits candidats. En plus de tenir les adventices en respect, réduisant voire supprimant le désherbage, de perturber et/ou de leurrer certains insectes ravageurs (limitant ainsi le recours aux insecticides d’automne) ou de fixer de l’azote, ces plantes compagnes vont également être très favorables aux abeilles : un double argument supplémentaire qui plaide encore plus en faveur des colzas associés.

Ainsi l’agriculture « céréalière » et l’apiculture ne sont pas en opposition, bien au contraire elles ont des besoins et des bénéfices réciproques. A ce titre, les couverts végétaux comme les cultures associées développés par les réseaux TCS et SD peuvent être de formidables liens mais aussi des exemples d’approches collaboratrices positives balayant tous les débats et les polémiques au second plan. Cet été et cet automne, en semant vos couverts végétaux et vos colzas pensez à vos vers de terre bien entendu mais pensez aussi aux abeilles. Elles en ont particulièrement besoin cette année avec les conditions météo : elles apprécieront beaucoup, tout comme les apiculteurs.

Le positionnement de plantes compagnes avec le colza, outre les multiples avantages agronomiques et les économies que cela peut fournir, est un excellent moyen d’apporter de la diversité floristique dans des plaines souvent un peu mornes (désert vert) et d’encourager une bonne population de pollinisateurs tout comme une plus grande biodiversité fonctionnelle.

Production de pollen et de nectar (en kg/ha) de quelques espèces :
 Moutarde : 50-100 kg/ha
 Navette : 100-200 kg/ha
 Phacélie : 200-500 kg/ha
 Trèfle incarnat : 50-100 kg/ha
 Vesce : 50-100 kg/ha
 Sarrasin : 50-100 kg/ha
 Luzerne : 200-500 kg/ha


3
mai
2012

Plantes compagnes en colza : l’approche se démocratise

Colza associé à de la lentille, du nyger, du sarrasin dans le Loir-et-Cher en septembre 2011.

En 2004, ce sont des colzas (installés comme complément dans des mélanges sur une plate-forme de comparaison de couverts BASE dans le 56) qui nous ont interpelés : peu présents à l’automne, voire décevants, nous ne pensions pas continuer à les inscrire dans les mélanges. Cependant au printemps, après la destruction par l’hiver des autres plantes, la surprise a été de retrouver des bandes de colza quasi aussi avancées et régulières que dans les champs voisins.

En 2005, un premier essai en Alsace, réussi même s’il n’a pas été jusqu’à la récolte, confirme le bien-fondé de cette stratégie et corrobore de nouvelles observations sur une plate-forme de couverts, toujours en Bretagne. Il apparaît cependant que ce sont les légumineuses qui sont les meilleures plantes d’accompagnement : à l’automne elle boostent littéralement la crucifère sans vraiment exercer de pression bien au contraire.

Ces deux campagnes suffisent pour convaincre et l’idée est lancée dans les réseaux TCS et SD qui rapidement essayent, adaptent et confirment l’intérêt d’associer des plantes compagnes au semis du colza.

Le Cetiom s’investit également dans la dynamique, en la personne de Gilles Sauzet qui travaille depuis de longues années sur la problématique désherbage. Avec des suivis d’essais agriculteurs et des expérimentations, il apporte des mesures qui certifient l’intérêt de cette approche et contribue même à divulguer un mélange type (GFL : Gesse, Fenugrec et Lentille). Progressivement, année après année, malgré des grandes variations de conditions climatiques, la majorité des résultats confirment que cette voie est non seulement intéressante pour limiter le salissement mais aussi pour économiser en azote voire gagner en rendement et bien sûr développer l’auto-fertilité du sol.

Si beaucoup de TCSistes on adoptés cette innovation et ne sèment déjà plus de colza sans accompagnement, l’idée commence à faire son chemin chez les conventionnels et les bios. Mais c’est l’arrivée de publicités pour les plantes d’accompagnement dans la revue TCS (N° 66 et 67) qui constitue un vrai tournant. Cela signifie que le conseil et la distribution sont en train de s’accaparer également le concept avec maintenant la possibilité de proposer aux agriculteurs deux solutions « commerciales » : soit un bidon de désherbant, soit un sac de semences compagnes. Si la dépense peut être au final identique, cette ouverture et la possibilité du choix qui va pouvoir maintenant être proposé au plus grand nombre est vraiment une énorme avancée qui sans nul doute enclenchera chez beaucoup une réflexion, un déclic : « si l’on peut faire différemment et surtout avec une orientation et une sensibilité plus écologisante avec le colza, pourquoi pas modifier d’autres pratiques comme par exemple le travail du sol ? »


28
février
2011

Bilan, acquis et perspectives

Avec ce numéro spécial Sima, qui marque également les douze ans de la revue TCS, il est intéressant de faire une petite rétrospective, de considérer les acquis mais aussi et surtout de se projeter dans l’avenir. Si dans ce laps de temps relativement court, nous avons énormément évolué dans nos approches et techniques, nos conditions de production et surtout notre environnement socio-économique ont eux, en revanche, complètement changé. Nous sommes passés d’une période de pléthore, où les ressources semblaient, encore pour beaucoup, inépuisables avec une production agricole en excès chronique qui pesait sur les cours, à un monde où rareté est en train de devenir le maître mot. Rareté des ressources, de l’énergie mais aussi des engrais comme de beaucoup de matières premières mais aussi rareté des produits agricoles qui affolent les marchés largement amplifiés par la spéculation financière. Nous sommes aussi passés d’une période de stabilité relative permettant de prévoir, à beaucoup de volatilité à la hausse comme à la baisse. Dans ce nouvel environnement où les règles changent très vite, il faudra plus que jamais continuer de produire tout en maîtrisant au mieux les coûts de production : situation qui renforce l’intérêt de l’agriculture de conservation dont la cohérence ne cesse de se consolider. Sur cette période, nous avons tout d’abord évolué du non-labour ou semis direct à des interventions plus précises et ciblées. Aujourd’hui nous ne sommes plus dans la suppression des interventions mais dans le raisonnement en fonction des conditions de sol et de culture. À ce titre, le strip-till, qui était en Amérique du Nord le moyen de sécuriser les implantations de maïs et dont nous avons soutenu le développement, est en train d’exploser en France. Beaucoup de producteurs de maïs mais aussi de tournesol et dans une moindre mesure de betterave ont progressé grâce à cette approche mixte avec un panel d’outils et de solutions techniques aujourd’hui largement élargi. L’impact et l’engouement sont encore plus forts en colza où le strip-till apporte tellement de sécurité d’implantations et de réussite qu’il est même en train de faire basculer des agriculteurs conventionnels vers la simplification du travail du sol.

Si l’économie de carburant et de mécanisation reste l’une des principales motivations de la simplification du travail du sol, elle ouvre les portes vers des systèmes globalement beaucoup moins énergivores. Avec les couverts, les légumineuses en mélanges, en associations et en cultures, les économies d’azote (la plus grande source de consommation énergétique de l’agriculture française), sont de plus en plus significatives. La valorisation des couverts et des dérobées pour les éleveurs, tout comme la limitation de l’évaporation de l’eau grâce au mulch laissé en surface apportent aussi des économies complémentaires de fourrage, de protéines, d’eau et donc d’énergie. Bien que l’acquis soit déjà conséquent, il nous reste encore beaucoup de sources d’économie complémentaires dans la fertilisation, la valorisation des effluents d’élevage, le transport avant de penser à réellement produire de l’énergie, une orientation tout à fait complémentaire. Que ce soit sous l’angle ressource ou pollution, l’énergie risque bien de devenir un élément central et les bilans économiques de nos entreprises agricoles vont inexorablement se rapprocher des bilans énergétiques.

Au départ, TCS pouvait aussi signifier techniques de conservation des sols mais avec le recul, nous avons progressivement évolué vers des impacts environnementaux plus globaux. Déjà, dans beaucoup de cas, il ne s’agit plus de préserver mais de redonner vie aux sols en les protégeant mais aussi en laissant à leur surface une nourriture abondante et variée. Le vocabulaire s’est également adapté pour traduire notre nouvelle perception. Ainsi on ne parle plus de structure mais d’organisation structurale, ni de fertilité mais de volant d’autofertilité. L’agriculteur devient progressivement un « éleveur » de sol sachant que plus celui-ci sera en santé, plus il pourra retirer, sans risque, le travail mécanique mais aussi réduire beaucoup d’autres intrants. En complément et si notre quête pour plus de matière organique nous place comme des acteurs qui, aujourd’hui, séquestrent plus de carbone qu’ils en émettent, la recherche de sols vivants nous a conduits des vers de terre à la biodiversité fonctionnelle. Ainsi, les carabes ont commencé à gérer les limaces, les syrphes et les érigones encouragés par les couverts s’occupent des pucerons et les renards, rapaces et hérons tentent de réguler les campagnols. Ce ne sont là que quelques exemples qui reviennent souvent dans nos réflexions mais qui montrent bien ce changement fondamental de considération du vivant au sein et en périphérie des parcelles agricoles. Encourager la vie et la diversité biologique nous apporte en retour d’importants bénéfices difficilement quantifiables et dont nous ne sommes pas encore assez conscients. La nature finira toujours par imposer dans les champs la diversité que nous refusons d’apporter. Plutôt que de lutter, il est beaucoup plus judicieux mais aussi économique, même si cela peut sembler plus compliqué à première vue, de comprendre les relations naturelles et le fonctionnement des écosystèmes pour les accompagner plutôt que de rester dans une stratégie de lutte et de conflit.

Sur cette période, nous avons aussi fait des couverts, trop considérés comme une contrainte, des outils agronomiques performants. En passant de l’approche Cipan, avec de la moutarde ou de l’avoine pour une production de matière sèche réduite, au concept « biomax » avec des mélanges, qui dépassent facilement les 5 à 6 t de MS/ha pour atteindre 10 t de MS/ha, les couverts sont devenus, plus que des recycleurs d’azote, des promoteurs de fertilité. Ils permettent ainsi de redresser rapidement l’état physique et organique des sols, nourrissent leur activité biologique, facilitent la gestion du salissement et la pratique du semis direct tout en développant l’autofertilité surtout lorsque les mélanges contiennent des légumineuses. Bien que l’approche soit aujourd’hui relativement bien cadrée et maîtrisée, il reste encore beaucoup d’espèces intéressantes à tester et à valider pour continuer de nous diriger vers le concept de « plante outil agronomique ». Il faut enfin signaler que c’est aussi le développement de couverts performants qui a encouragé les réflexions sur le roulage comme moyen de destruction économique et efficace qui est une technique de mieux en mieux maîtrisée et qui commence même à se développer dans les milieux conventionnels.

Côté fertilisation et après de réels soucis de faim d’azote, nous avons développé le concept de l’autofertilité : restaurer le statut organique des sols séquestre aussi momentanément de l’azote. Ce phénomène est d’autant plus sévère que la suppression du travail est totale et que la fertilité de départ est limitée. Mais nous avons appris à contourner cette difficulté par une anticipation des apports, une surfertilisation ponctuelle, des légumineuses dans les couverts et la rotation. Avec suffisamment de recul, le retour sur investissement est cependant bien réel et les économies significatives. En complément, la localisation de la fertilisation, au regard du dossier de ce TCS, peut certainement encore nous permettre de progresser dans l’accompagnement précoce des cultures et de continuer à gagner en efficacité avec des bénéfices complémentaires intéressants comme en matière de gestion du salissement. Enfin concentrés sur la matière organique et l’activité biologique, nous avons certainement trop laissé de côté les aspects chimiques et surtout les oligo-éléments et les notions d’équilibre que nous devons réintégrer dans nos recherches et raisonnements en matière de fertilité.

Pour ce qui est du salissement, nous sommes passés d’une contrainte de désherbage à l’agriculture écologiquement intensive (AEI). C’est certainement dans ce domaine que nous avons enregistré les plus gros progrès ces dernières années. Si l’adaptation des rotations avec des légumineuses et le concept 2/2 a apporté des solutions concrètes en matière de gestion du salissement, l’association des cultures avec des plantes de service est une véritable révolution qui est en train de s’étendre comme une traînée de poudre avec le colza où les itinéraires commencent à être relativement bien validés. Récolter plus avec moins de travail, moins d’engrais et de phyto est maintenant une réalité dans les parcelles, une orientation et une réussite qui illustrent bien ce qu’est l’AEI et démontrent tout son potentiel. Si nous avons trouvé en grande partie les cocktails de plantes à associer avec le colza, beaucoup d’autres cultures sont encore orphelines et montrent l’ampleur de la tâche mais aussi des bénéfices qui nous attendent dans ce domaine.

De l’approche très céréalière des débuts, l’AC débouche aujourd’hui sur des systèmes encore plus performants en élevage. Bien que la surface exploitée multiplie les économies de temps et de mécanisation, l’élevage introduit d’autres paramètres et options très complémentaires. La meilleure intégration des produits organiques avec le mulch mais aussi la portance des sols permet de mieux valoriser et de transformer les effluents en engrais de ferme limitant par la même occasion les soucis de faim d’azote. Le remplacement des couverts par des dérobées ou des méteils apporte plus de nourriture diversifiée à moindre coût aux troupeaux ce qui, de plus, permet de dégager des surfaces en cultures de vente. Enfin, le semis direct autorise sans risque de recharger ou cultiver les prairies voire de concevoir des approches de production fourragère sur couvert permanent extrêmement performantes. Nous avons dans ce domaine encore beaucoup à faire avec d’importantes sources de progrès.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous pouvons être assez satisfaits du parcours et des progrès qui font aujourd’hui de l’agriculture de conservation une orientation technique sécurisée et à portée d’un grand nombre d’agriculteurs. C’est parce que nous avons accepté de nous éloigner des approches un peu simplistes du départ que nous avons pu nous ouvrir à d’autres raisonnements, sources d’idées et d’innovations. Si la simplification du travail du sol a été et restera pour beaucoup une porte d’entrée motivante, le moyen de renverser un mode de pensée établi, ce n’est plus l’objectif central mais un élément majeur du système, un outil permettant de mettre en place des modes de gestion plus performants. Ainsi avec ce recul, notre orientation s’est bien étoffée, fortement enrichie et correctement calée grâce aux expériences et observations de tous, tout en glissant progressivement vers une approche plus globale de recherche d’efficacité basée sur le mimétisme des milieux naturels : un domaine extrêmement riche et diversifié par définition où il nous reste encore beaucoup à apprendre pour continuer de toujours progresser ensemble vers plus d’efficience.


4
janvier
2011

Il n’y a pas que les cours des céréales qui grimpent !

Alors que nous avons tous les yeux étincelants rivés sur l’évolution des cours des marchés des céréales, une autre réalité plus insidieuse est en train de nous rattraper : les cours des intrants et entre autre de l’azote sont eux aussi en train de grimper. En l’espace de 6 mois l’ammonitrate de base a pris au moins 100 €/t pour des prix qui dépassent aujourd’hui facilement 1euro/kg. Cette augmentation représente aussi une facture supplémentaire d’environ 2500 € de plus sur un camion d’engrais ou un surcoût de production d’environ de 7 à 10 €/t de céréale. Rien que cela et il ne s’agit que de la partie engrais azoté.

Ainsi et contrairement à tous ceux de la profession qui aujourd’hui encore refusent les couverts végétaux et boudent les cultures de légumineuses, il vaut toujours mieux d’être conscient des enjeux avenir, d’anticiper et de continuer d’investir dans un solide PEA (Plan d’Epargne en Azote) au travers de couverts biomax performants, de TCS et SD efficaces mais aussi de rotations adaptées intégrants si possible des légumineuses en solo ou cultures associées afin de capitaliser sur des économies solides et durables et dégager une bonne marge plutôt que de subir les revers de la médaille.