Frédérique HUPIN

  • Frederic Vanwindekens, inventeur du quanti-slake-test, au festival de l'agroécologie et de l'agriculture de conservation des sols à Fexhe (Belgique)
17
novembre
2023

Lancement de l’alliance européenne pour l’agriculture régénérative

Ca vient de se passer ce 17 novembre ! Après plusieurs mois en couveuse, plusieurs échanges de terrain au travers toute l’Europe, EARA vient d’être officiellement lancée avec son site web.
EARA c’est une union d’agriculteurs européens décidés à faire valoir leur vision d’agriculteurs régénératifs à travers toute l’Europe. Histoire de ne pas se faire "prendre la chique" par de fausses définitions, des recettes toutes faites, des impositions d’en haut, ni d’être repris par l’agro-industrie d’une manière qui ne serait pas la leur et d’éviter le greenwashing autour de l’agriculture régénérative.

Conférence de lancement de EARA

Cet article n’est qu’un début. Je le compléterai très bientôt avec d’autres informations glanées auprès des agriculteurs fondateurs et membres de ce nouveau réseau européen.

Vous voulez faire partie de ce réseau européen ou juste en savoir plus ? 1ère étape : exercer son anglais.
Qui est EARA


16
octobre
2023

Le saule pour refermer le cycle de l’azote

Spéciale dédicace à Laurent Denise.
Le projet BIOMEPUR : épuration biologique tertiaire d’eaux usées sur filtre végétal de taillis à très courte rotation.

Mon premier job à la sortie de mes études d’ingénieur agronome : étudier la possibilité d’implanter des saules en bordure de station d’épuration pour récupérer l’azote des excréments humains et éviter qu’il ne soit rejeté dans les rivières.
Projet qui a réussi à prouver que c’était possible, mais resté dans les oubliettes de l’administration.
J’ai fouillé mon grenier, je l’ai scanné et le voici ce rapport que j’ai écrit il y a 20 ans.


22
juin
2023

Contrôle de l’érosion grâce à la gestion des communautés de vers de terre

Qui l’eu cru que de si petites bêtes pouvaient être utiles à un si grand problème : l’érosion des sols.

Ce constat a été réalisé par le professeur Bart Muys. Il réalise actuellement des recherches sur la biodiversité des forêts à l’université de Leuven. Mais dans le passé, il a mené une étude (Ecoworm) quand il travaillait à l’université de Gand, qui lui a permis d’étudier le lien entre l’abondance des vers de terre et les phénomènes d’érosion.
Lors de l’édition 2022 de l’ISEE (un symposium international dédié à l’écologie de nos vers préférés, dont Lola Leveau nous a parlé précédemment), il a présenté une de ses dernières études sur l’impact des éoliennes sur les vers de terre (étude réalisée sur trois fermes dans le centre de la Belgique).

Je vous partage ici le rapport de sa recherche "Ecoworm" ainsi que les éléments clé.

Message clé n° 6 :
Les vers de terre - en particulier les espèces qui creusent en profondeur comme le lombric (Lumbricus terrestris L.) - réduisent considérablement le ruissellement et la perte de sol dans les terres arables.

Message clé n° 1 :
Dans les conditions limites fixées par le climat et le type de sol, la gestion des agriculteurs est le facteur clé qui contrôle l’abondance des vers de terre et la composition des espèces dans les terres arables.

Message clé n° 2 :
Des conditions d’habitat adéquates sont le facteur déterminant pour la restauration et le maintien de communautés de vers de terre diversifiées et abondantes.
Biomasse des vers de terre en fonction des pratiques agricoles - Bart Muys
Ce graphique illustre la quantité de biomasse de vers de terre à l’hectare en fonction des pratiques : conventionnel (CT), TCS (RT), avec ou sans apport d’engrais de ferme (FYM), cultures versus prairies. La biomasse varie de 50 à 2200 kg/ha.

Message clé n° 3 :
Réduire les perturbations du sol - limiter le travail avec retournement en particulier - favorise l’abondance des espèces de vers de terre creusant des terriers profonds, d’une grande importance pour le contrôle de l’érosion.

Message clé n° 4 :
Les populations de vers de terre ont besoin de temps pour se rétablir après des années de gestion intensive du sol.

Son étude a permis de sortir un rapport en néerlandais intitulé : "Approfondir l’importance des vers de terre dans la gestion durable des champs. Une boîte à outils pour le contrôle écologique de l’érosion".


6
avril
2023

Ne dites pas "panier de crabes", dites "panier de vers de terre"

Lola Leveau est doctorante à l’UCLouvain. Elle est en dernière année de thèse au cours de laquelle elle construit des indicateurs biologiques et économiques autour de l’ACS. Elle mesure entre autre les vers de terre grâce à une technique particulière.

Le GAA (groupe d’agriculteurs en agroécologie) HORJ-BW, dans sa recherche d’informations sur les vers de terre, s’est adressée à une chercheuse belge. Comment pourrait-elle nous aider à y voir plus clair ? Réalisons d’abord son interview afin de mieux la connaître.

A2C : Lola, tu as participé en juillet 2022 à un symposium à Rennes sur l’écologie des vers de terre. Mais qui s’intéresse à ce genre d’événement ?

Lola Leveau

Lola Leveau : En grande majorité, les chercheurs qui étudient les lombrics. En effet, si ce domaine de recherche est bien développé en France, dans la majorité des pays il reste assez confidentiel/anecdotique, ce qui fait que les équipes sont plutôt isolées au sein de leur pays. Ce symposium, qui a lieu tous les quatre ans, est donc une opportunité énorme pour échanger avec des collègues internationaux qui travaillent sur le même sujet. Le Symposium de cet été était la 12ème édition.
Cependant nous avons aussi écouté des intervenants issus d’organisations publiques comme la FAO ou encore des organismes de science participative, et un agriculteur (Frédéric Thomas) accompagné d’un conseiller technique (V. Frichot). Le logo du symposium soulignait la volonté d’inclure notamment la science participative, avec son slogan « From Researchers to Citizens ».

A2C : Combien de personnes ?
Lola Leveau : En tout, 160 personnes ont participé au symposium. Celui-ci a duré 5 jours, avec au total 62 présentations orales sur les lombrics, réparties par catégories de recherche : fonctions du sol, changements climatiques, communautés et réseaux écologiques, effets des polluants, agroécologie, écosystèmes durables, biodiversité et évolution, et enfin sciences participatives !
En plus de cela, 116 résultats de recherche des participants étaient présentés sous forme de posters dans les couloirs de la conférence, pour que l’on puisse en discuter durant les pauses.

International Symposium on Earthworm Ecology

A2C : Et toi pourquoi y as-tu été ?
Parce que je présentais un poster sur ma recherche, justement. Menant une étude assez « multidisciplinaire » et généraliste dans mon laboratoire à Louvain-la-Neuve, j’avais hâte d’échanger mes observations sur les lombrics avec des spécialistes du domaine.

A2C : Qu’as-tu présenté ?
Lola Leveau : J’ai présenté les résultats d’une analyse de terrain menée en 2020-2021 avec deux mémorants (Aline Fockedey et Xavier Belin). Dans le but de mesurer l’activité d’incorporation de la litière végétale par les vers de terre, nous avions appliqué un protocole appelé « panier à vers de terre » dans des champs de grandes cultures. Ce protocole a été créé par l’Observatoire Participatif des Vers de Terre (OPVT), qui est l’observatoire national français de la biodiversité lombricienne. La méthode est simple et peu coûteuse : dans chaque champ suivi, quatre petits paniers en grillage, faits maison (semblables à des boîtes à chaussures), sont fixés contre le sol au début de l’automne et remplis d’une fine couche de paille. Jusqu’au mois de mars, tous les 15 jours, on passe en champ observer comment cette couche de paille évolue. A quelle vitesse disparaît-elle ? Combien de cabanes (petits amas de litières) et de turricules (déjections) de vers de terre observe-t-on ? Contrairement aux tests d’extraction des vers de terre à la bêche ou à la moutarde, qui répondent à la question « Qui est là ? », le protocole « panier à vers de terre » répond à la question « Quel service d’incorporation est rendu par les vers de terre ? ».

La première application à grande échelle du protocole des paniers à vers de terre

Panier à vers de terre et Xavier Belin
Panier à vers de terre et Xavier Belin
  • Panier à vers de terre
  • Panier à vers de terre

Lola Leveau : Notre recherche était la première application à la fois « pour la recherche » et « à grande échelle » du protocole des paniers à vers de terre : nous avons suivi l’incorporation de la litière dans vingt champs de froment aux types de sols similaires (limoneux bien drainés) mais cultivés avec des pratiques agricoles variées (conventionnel, TCS, AB, ABC, SD…), depuis le semis jusqu’à fin mars. Il me semblait donc très intéressant de communiquer sur les résultats obtenus, en abordant deux angles :

  • le protocole était-il « réalisable » d’un point de vue technique dans un grand nombre de champs simultanément ?
  • les résultats fournissent-ils des informations utiles sur l’activité des lombrics et sur leur lien avec les pratiques agricoles ?
    Dans les deux cas, la réponse est « oui ».
    D’un point de vue logistique, il était possible de suivre simultanément les paniers dans 20 champs répartis sur une région d’environ 1000 km². Cela nous prenait 3 jours toutes les deux semaines, avec environ 2/3 du temps passé dans les trajets entre les champs. Nous pensons qu’il est possible de simplifier le protocole tout en conservant des informations intéressantes : en effet, on pourrait imaginer une « version rapide » dans laquelle les paniers seraient déposés en champ en automne, laissés 5-6 mois sur place sans prise de mesures et uniquement observés une fois, à la fin de l’expérience. On ne pourrait plus compter toutes les cabanes et les turricules apparus durant la saison, mais on garderait une information très importante : la quantité de paille totale incorporée par les vers de terre. Et on économiserait beaucoup de temps et d’essence !
    Nous avons observés plusieurs liens entre l’activité d’incorporation des vers de terre et les pratiques agricoles. En particulier, la quantité de paille incorporée durant l’expérience était d’autant plus grande que :
  • La fréquence des fertilisations organiques était élevée
  • Le temps passé depuis le dernier labour était long
  • La fréquence des labours était faible
  • La fréquence des travaux du sol avec des outils animés était faible
    Attention cependant au fait que nous avons fait des analyses multivariées de nos données : ces analyses montrent quelles corrélations existent (« x et y ont tendance à augmenter simultanément »), mais ne permet pas de conclure à des liens de cause à effet (« une augmentation de x entraîne une augmentation de y »). De plus, il s’agit d’une première série de résultats, sur seulement une année et 20 champs. Nous recommençons cette expérience en 2021-2022 et en 2022-2023 pour voir si ces résultats se répètent.

A2C : Quelles ont été les réactions récoltées ?
Les réactions étaient positives. Plusieurs chercheurs étaient contents de découvrir ce protocole car ils ne le connaissaient pas, et cela leur donnait de nouvelles idées sur les manières possibles pour observer l’activité des vers de terre.
L’avantage quand on présente des résultats à des collègues, c’est aussi qu’ils ont toujours des idées pour pousser le protocole plus loin… et qu’ils posent des questions critiques sur ce dont on aurait pu négliger l’effet. Par exemple, on m’a demandé si on ne risquait pas de mesurer sans faire exprès l’activité des fourmis (qui peuvent aussi déplacer la litière végétale) plutôt que l’activité des vers de terre avec ce protocole. Heureusement, nous avons observé durant l’expérience que plus il y avait de cabanes de vers de terre dans un panier, plus la quantité de paille incorporée à la fin de l’expérience était importante. Il semblerait donc bien que les vers de terre soient les acteurs principaux du processus que l’on observe ! Un chercheur m’a aussi conseillé de combiner le protocole des paniers à vers de terre avec un comptage des vers de terre par extraction à la bêche, en fin d’expérience, pour voir « qui était là ». Cela pourrait être intéressant !

A2C : Quelles personnes t’ont parues intéressantes, pragmatiques et orientées pratiques agricoles ?
D’une façon générale, j’ai trouvé les équipes de recherche françaises assez pragmatiques. Les équipes de l’Université de Rennes (ex : Daniel Cluzeau, Kevin Hoeffner, Sarah Guillocheau) et de l’INRAe de Rennes (ex : Guénola Pérès) notamment ont présenté beaucoup de résultats très appliqués sur l’impact des prairies temporaires, des types de travaux du sol, l’ABC… Ils travaillent beaucoup avec les chambres d’agriculture. L’OPVT est d’ailleurs lié à l’Université de Rennes, et a accumulé une grande base de données de référence sur les vers de terre en France dans différents types d’écosystèmes. On peut trouver beaucoup de posters présentés lors du Symposium sur le site de l’ISEE12 (exemple : la page avec les résultats de la thématique « agroécologie »).

A2C : Et toi tu es qui en fait ? :-)
Je suis une bioingénieure belge, actuellement doctorante au Earth & Life Institute de l’UCLouvain, une université wallonne située à Louvain-la-Neuve.

A2C : Et quel est ton parcours ?
J’ai étudié l’agronomie à l’UCLouvain de 2011 à 2016, avec les options « agronomie intégrée » et « production végétale ». Ensuite, je suis partie travailler un an à Clermont-Ferrand, en tant qu’assistante de recherche, à l’Irstea (maintenant c’est l’INRAe). Je travaillais avec une équipe qui développait un site web pour stocker et partager les connaissances sur l’agroécologie. C’était intéressant car on était en contact à la fois avec l’INRA et avec l’ACTA pour ce projet. Cette année de travail dans le monde de la recherche m’a donné envie de faire un doctorat. J’ai alors postulé à la Faculté des Bioingénieurs, où je travaille maintenant depuis 5 ans en tant qu’assistante d’enseignement et doctorante.

A2C : Pourquoi tu t’intéresses aux vers de terre ?
Parce que je travaille sur les services écosystémiques fournis par les champs, notamment sur le service de fertilité des sols… Et les vers de terre font partie des acteurs importants pour ce service par leurs activités de décomposition de la litière, mais aussi de modification des propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols. On les classe d’ailleurs dans la catégorie des « ingénieurs de l’écosystème », avec les fourmis et les termites.

A2C : Tu fais un doctorat. Quelle est ta question de recherche ?
J’étudie les pratiques de grandes cultures dans les régions agricoles limoneuse et sablo-limoneuse wallonnes. Je cherche à identifier, dans une approche collaborative (on travaille sur des champs d’agriculteurs et ils sont intervenus dans la sélection des indicateurs suivis en champ), quelles pratiques ou combinaison de pratiques agricoles appliquées actuellement en champ permettent de remplacer une partie des intrants issus de ressources non renouvelables par des services écosystémiques. En effet, cette substitution des intrants par des services est assez souvent abordée dans les concepts théoriques de l’agriculture « durable » (sous plein de définitions différentes), mais peu d’études ont encore évalué ce qu’il en était concrètement sur les champs, en s’intéressant à plusieurs services écosystémiques simultanément. C’est ce qu’on essaie de faire !

A2C : Ne nous en dit pas plus maintenant, mais surtout reviens vers nous quand tu as de l’info qui intéressera les agriculteurs.
Lola Leveau : Ça marche ;-)


22
décembre
2022

Quelle est la différence entre un crédit carbone et un certificat carbone ?

Là où le certificat carbone certifie une pratique, le crédit carbone donne un droit à polluer. Si déjà on pouvait ne retenir que cela, ce serait un grand pas. La suite peut se nuancer davantage.

Parcourir la « jungle » des certificats carbone mondiaux n’est pas aisé. La Société Royale Forestière Belge (SRFB) a réalisé un état des lieux de ceux-ci afin de se rendre compte de l’intérêt qu’ils pourraient présenter pour les forestiers. Les principaux résultats de l’étude sont résumés dans cet article.
Il contient également quelques cas pratiques :
 les certificats carbone forestiers aux Pays-Bas ;
 les certificats carbone forestiers en Angleterre ;
 les certificats carbone agricoles en Belgique (France et Angleterre).

Cet article provient de la revue Silva n°6/22 :

Certificat carbone forestier : Rémunérer les pratiques forestières qui atténuent le changement climatique.

Certificat vs crédit


3
novembre
2022

Marc-André Selosse :"Nous pouvons revisiter nos gestes à l’aune de notre connaissance"

J’ai interviewé le professeur Marc-André Selosse à l’occasion de son passage en Belgique lors de la 3ème édition du festival de l’agroécologie et de l’agriculture de conservation (FA²C) organisé par Greenotec. Biologiste et mycologue au Muséum national d’histoire naturelle, professeur, il est également l’auteur de plusieurs livres de vulgarisation autour de la microbiologie. Son dernier livre « L’origine du monde : une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent » revisite l’ensemble de la pédologie et va même au-delà en empruntant les chemins de la physiologie végétale.

Marc-André Selosse au FA²C
Marc-André Selosse au FA²C
Crédits : Frédérique Hupin

« Tout d’abord je voudrais préciser que je ne suis pas agriculteur, je suis juste un chercheur qui travaille sur le vivant, la plante et les micro-organismes. Mon souhait est de partager ma vision du sol et d’analyser les gestes agricoles au regard de ce que nous connaissons maintenant sur celui-ci. »
Marc-André Selosse est clairement un bon vulgarisateur. La conférence d’une heure, suivie d’une heure de questions/réponses est passée comme une flèche. Ses livres sont destinés à un large public, mais il faut quand même avoir la fibre scientifique et la curiosité de comprendre le vivant pour en commencer la lecture. La marque de fabrique de l’auteur : nous relier à la science grâce à ce que tout un chacun peut observer au détour d’un champ, d’une promenade à la campagne voire même d’un plat cuisiné.

Les ACSistes sont curieux d’en apprendre toujours plus. Quel est votre message clé à propos du sol ?
« L’écosystème terrestre est avant tout dans nos sols. Et ce qu’il s’y passe est vivant ! Tel est le message que je veux transmettre. Mais la plupart de ce qui est vivant dans le sol ne se voit pas à l’œil nu : les microbes. Il s’agit de champignons, de bactéries et d’amibes. Puis arrive la partie animale : collemboles, nématodes, acariens, vers, pseudo-scorpions, … Sous un hectare on trouve cinq tonnes de microbes, cinq tonnes de racines et une tonne et demi d’animaux. Je termine par les virus dont on ne connaît rien. C’est important de commencer en disant qu’on ne sait pas tout. Car tous les gens qui ne savent pas dire à un moment donné qu’ils ne savent pas, ça veut dire qu’ils croient savoir et qu’ils ne voient pas les limites de ce qu’ils savent. Les virus du sol sont sans doute extrêmement importants mais on n’en a même pas la liste. Et connaissez-vous les amibes du sol ? En théorie il ne devrait pas y avoir de plante car l’azote et le phosphore sont bien plus efficacement collectés par certaines bactéries. Mais grâce aux amibes, qui consomment les bactéries, ces éléments sont restitués au sol lorsqu’elles libèrent les déchets de leur digestion des bactéries. C’est un phénomène méconnu de beaucoup de pédologues ».

Ce qui vit dans le sol est invisible à l’œil nu, mais à l’odeur ? Vous expliquez dans votre livre et vos conférences que ce qui fait l’odeur d’un sol est de deux ordres : les bactéries d’une part, les champignons de l’autre. Les sols labourés étant plus riches en bactéries, les sols non labourés étant plus riches en champignons, pourriez-vous les reconnaître à l’odeur ?
En effet, le nez peut parfois détecter les bactéries ou les champignons là où les yeux ne les voient pas, et beaucoup de sols dégagent une odeur.
Les actinobactéries, comme les streptomyces ou les actinomyces, produisent de la géosmine, responsable de l’odeur du sol. C’est, selon la concentration, l’odeur de terre, de vase ou cette odeur particulière qui se dégage après la pluie quand l’air du sol en a été expulsé. Mais on ne sait absolument pas à quoi sert cette molécule. La betterave fabrique aussi de la géosmine (on ne sait pas pourquoi non plus).
Pour les champignons, l’odeur est liée à une molécule, appelée l’octénol, que les sols exhalent parfois. Mais les sols agricoles ne sont pas assez riches en champignons la plupart du temps pour qu’on les détecte à l’odeur.

Les sols sont-ils morts ?
« Non bien sûr ! Je n’ai jamais vu de sol mort de ma vie !
Même la roche contient de la vie. Placez un morceau de roche dans un verre d’eau, au bout de six mois il ne se sera pas passé grand-chose. Placez ce morceau dans un verre rempli de jus de sol, après six mois sa surface est altérée. Même les roches sont en devenir sous l’effet de la vie du sol. Ce devenir est de produire de la fertilité.
Par contre, dans les sols agricoles classiques, on observe une biomasse microbienne faible. Plus un système est manipulé, moins on a de biomasse microbienne. Mais l’agriculture n’a pas pour autant totalement bousillé les sols. La diversité génétique a diminué mais la plupart des espèces sont toujours là. Même si on est au début d’une extinction, tout est encore possible si on agit maintenant car les espèces sont encore présentes. »

Quels sont vos conseils pour ramener encore plus de fertilité ? On rajoute de la vie ? J’entends par là des bactéries ? Ou on booste celles qui sont présentes ? Mais à quel coût pour les plantes ?
« Mon avis est d’abord que des gestes simples et indirects permettent de manipuler les microbes bien mieux que d’essayer de les manipuler directement ! Ça fait 5000 ans que les agriculteurs manipulent la fixation d’azote atmosphérique en cultivant des plantes qui nourrissent les bactéries qui la réalisent : les légumineuses et leurs bactéries Rhizobium transforment l’azote de l’air en acides aminés. C’est connu de tous. Ce qui l’est moins, c’est son coût : ça coûte 30% de la photosynthèse de la plante pour fournir de la sève et du sucre aux Rhizobiums. 30 % des sucres produits !
Et pour produire la même quantité de matière organique, une légumineuse doit faire 1,5 fois plus de photosynthèse qu’une non-légumineuse, car elle doit nourrir ses rhizobium et ses nodosités. Pour les champignons mycorhiziens, on atteint un coût de 10 à 30 % de la photosynthèse.

L'interview au format PDF
L’interview au format PDF

Les Azotobacters, des bactéries libres dans le sol, peuvent aussi tirer profit de l’azote de l’air, mais c’est moins efficace car elles ne sont pas liées à une plante et ne reçoivent pas de sucre en retour.
Notons déjà ici que les Rhizobiums peuvent survivre seuls dans un sol nu, alors que les champignons mycorhiziens ne le peuvent pas. »

Si on ne met pas de légumineuses pendant un long moment, doit-on inoculer le sol avec des bactéries Rhizobium pour qu’elles reviennent ?
« Chaque espèce de légumineuse a son propre Rhizobium. Si on n’a pas cultivé cette plante, la quantité de Rhizobium décroît. En général il reste de quoi faire des nodosités mais il est bon que les légumineuses reviennent souvent dans la rotation.
Pour le soja c’est particulier. Le Rhizobium associé au soja (plante tropicale) ne supporte pas la froidure de l’hiver (Bradirhizobium). Du coup les sojas font peu de nodosités dans les sols. Pelliculer les graines est pertinent et efficace. Sauf dans le Sud de la France où il ne gèle pas, et où il est moins utile de pelliculer. Donc au final, ça dépend de la plante et du climat. Les gestes et réponses ne sont pas universels ! »

Même question pour les mycorhizes. Quand on a un sol nu entre la destruction du couvert et l’implantation de la culture, combien de temps les mycorhizes peuvent-elles survivre ?
Quand on laboure c’est même pas la peine de poser la question. Si on ne laboure pas, la réponse est … [roulements de tambour] … inconnue ! Je parierais sur deux semaines grand max. Les paris sont ouverts. Le moins le mieux. Et en outre, la dynamique dépend des espèces. Une plante a sur ses racines entre dix et cinquante espèces de champignons mycorhiziens. Tout le monde s’associe puis le champignon ne continue de donner des sels minéraux que s’il reçoit du sucre en retour de la plante. Les partenaires ne font fonctionner l’association que si elle est rentable pour eux. Le sucre ne sort de la plante que si des minéraux entrent dans la plante. Des choix s’opèrent. Et d’une espèce à l’autre ce ne sont pas les mêmes partenaires qui sont les bons partenaires. Quand on force une plante à s’associer avec une espèce de champignon mycorhizien, dans un tiers des cas, elle pousse moins bien. Il est préférable de réveiller la diversité des champignons du sol pour que la culture qu’on fait pousser ait le choix.

Et justement : comment réveiller la diversité des champignons du sol ?
En plantant une diversité de plantes, dans le temps entre années et en interculture. Ce qui s’appelle un couvert diversifié va entretenir plein de champignons, parmi lesquels la plante que vous semez va trouver ce qui lui convient. Puis on se débrouillera pour limiter le temps où le sol va être nu, voire même pour qu’il n’y ait pas de temps où il est nu (c’est bon aussi contre l’érosion, ça). L’idéal est qu’il y ait le moins de travail mécanique du sol possible pour ne rien détruire. Il n’y a pas de solution parfaite, c’est juste du tâtonnement. II faut regarder ce qui marche dans votre parcelle. Des couverts variés ou intercaler dans les champs des bandes avec des zones à couverts variés (voire des haies ou des arbres dans la parcelle, avec ce qui poussera dessous), cela va promouvoir la présence de champignons utiles.

Une culture peut-elle hériter du travail réalisé par une plante précédente en termes de mycorhization ?
Oui. Et cette plante peut être un couvert précédent la culture ou un arbre du voisinage (un noyer ou une haie par exemple). Une culture peut avoir accès, en quelques sortes, à des champignons prépayés !
Si je veux un mycélium établi au moment de ma culture de blé, il faut que quelque chose l’ait entretenu avant. Si le sol est nu pendant 6 mois, tout le monde est mort. Mais si des plantes pérennes se développent autour de ou avant la culture, elles peuvent entretenir les champignons mycorhiziens. Les arbres dans les cultures donnent accès à des champignons prépayés car les mycorhizes des uns peuvent profiter aux autres. De même, en semant des plantes, on peut entretenir d’autres bactéries et champignons bénéfiques du sol (producteurs de facteurs de croissance ou phytoprotecteurs) sans devoir viser directement ces microbes. Il suffit de les nourrir entre deux cultures ou par un voisinage déjà établi pour en bénéficier pour ce qu’on va semer. Et on n’est pas obligé d’inoculer des champignons ou des bactéries pour les entretenir, sauf peut-être au moment où on change de mode de gestion pour booster la transition ! Mais il faudra qu’ils soient locaux.

Que pensez-vous de l’initiative 4 pour 1000 ?
C’est l’autre grande idée, avec le recul du labour. L’initiative du 4 pour 1000 que l’on doit à Stéphane Le Foll (ancien ministre de l’agriculture) c’est un calcul tout bête.
Si chaque année, dans tous les sols du globe, on augmente de 0,4% ou de 4 pour 1000 la teneur en matière organique dans le sol, on compense, par le carbone immobilisé, la production de gaz à effet de serre de l’année.
Évidement c’est un chiffre pour se faire des idées. Je ne me vois pas augmenter de 0,4% la matière organique des sols de Patagonie. Cela montre juste qu’il y a quelque chose qui, avec un petit geste, peut avoir un grand effet. Cela consiste à dire que notre matière organique, c’est sur les sols qu’il faut la remettre. C’est là qu’on voit que l’élevage peut avoir des rôles écologiques intéressants grâce aux fumiers. Et quel animal produit le plus de fumier ? L’homme pardi ! Or, nos excréments finissent à la station d’épuration et nos poubelles à la décharge. En tous cas, vous agriculteurs, vous êtes par vos sols un des espoirs pour stocker du carbone.

Vous aimez dire que le sol est piétiné par le labour. Nos lecteurs ACSistes en sont convaincus, mais partagez nous quand même votre discours à ce sujet. Ça fait toujours du bien de savoir que ça fait 30 ans que les pionniers sont dans le bon malgré les difficultés.
A priori, aucun organisme vivant ne supporte le labour. C’est tellement insupportable que les plantes en meurent. C’est d’ailleurs l’intérêt du labour : désherber.
Même des travaux de surface conduisent à un vrai holocauste vivant. Quand je vois une image de sol labouré, j’ai mal aux champignons. Si votre corps est fait d’un réseau microscopique que le labour détruit, les espèces de champignons qui ne parviennent pas à cicatriser disparaissent. En revanche, les bactéries qui se situent dans les grumeaux du sol subissent moins les effets du labour. Elles en profitent même, puisqu’on enlève la concurrence des champignons. Au final on a autant de diversité en nombre d’espèces, mais ce qui nous intéresse surtout c’est la diversité des fonctions. Or, les bactéries ne font pas le même travail que les champignons – pas de mycorhizes par exemple. On parle ici de diversité fonctionnelle.

Que répondez-vous aux personnes qui vous disent : mais on laboure depuis toujours !
Visualisez les grandes cités grecques ou les grandes cités du moyen Orient : elles sont entourées de paysages caillouteux. Pensez-vous vraiment qu’on a mis ces villes ailleurs qu’au milieu de grandes plaines fertiles capables de les nourrir ? Là, vous avez 5000 ans de labour et vous êtes arrivés à la roche. Le verre est à moitié vide, l’érosion n’a cessé de se développer depuis que l’homme est homme, mais le verre est à moitié plein, il reste encore du sol.
Nos anciens n’ont pas fait une erreur à court terme. A court terme, le labour désherbe, aère, rend poreux et remonte la fertilité. Mais à moyen et long terme, il détruit le sol.

De glyphosum natura ?*
Les sols non labourés avec du glyphosate ont 25% de matière organique en plus que les sols labourés. La gifle du labour est bien plus importante que celle du glyphosate. Avec du glyphosate ça se passe quand même mieux qu’avec du labour. Mais quitte à agir, ce serait bien de se débarrasser du glyphosate. A mon sens, l’ordre d’urgence de la sortie des gestes toxiques c’est arrêter le labour puis à terme arrêter le glyphosate avec si possible une solution alternative entre-temps. N’oublions pas que la viabilité des spores de champignons mycorhiziens est réduite en présence de glyphosate et que le glyphosate tue les cocons des vers de terre.

Vous dites dans votre conférence « Oubliez le trou de labour qui s’écrabouille ». Et le trou de vers de terre ?
Le trou de vers de terre, il est stabilisé par le tartinage de mucus sur les parois, qui les rend élastiques, bien plus que les trous du labour qui se tassent plus facilement. En plus le vers de terre laboure, mais en douceur. Le ver de terre réalise un travail contraire à la charrue : là où elle remonte les cailloux, lui remonte le sol au-dessus des cailloux qui s’enfoncent progressivement. Outre de l’effet des déplacements, un autre effet s’ajoute grâce au système digestif des vers de terre. Les terpènes, tanins, alcaloïdes et autres phytotoxines contenues dans la matière organique sont potentiellement toxiques pour le vers, qui mange de l’argile pour les retenir dans son tube digestif. Ces toxines sont en effet retenues sur les particules d’argiles. Les vers de terre digèrent surtout les microbes du sol et rejettent une partie de la matière organique qu’ils ne digèrent pas ! Le ver de terre mange 20 fois son poids par jour. Tout le sol passe dans les vers de terre tous les 3 à 5 ans ! Dans ses crottes se forme un mariage étroit et très stable entre matière organique et argile : le célèbre complexe argilo-humique.
Au total, toute cette histoire de mariage entre la roche, la matière organique et l’atmosphère, c’est chorégraphié par la vie qui déplace des choses (vers de terre, amibes, racines, filaments de champignons, …). Le sol est une sorte de chantilly battue par le vivant. Et toute cette vie du sol crée des trous dans le sol, des trous dans lesquels circulent les gaz et l’eau qui permettent la vie. Des trous oui mais des trous durables, qui ne s’effacent pas quand on les piétine, qui résistent beaucoup plus au tassement. Des trous englués de matière organique, contrairement au trou produit par le labour qui ne dure pas.

Une conclusion ?
Le sol est une formidable cathédrale du vivant, dont le fonctionnement assure de nombreuses fonctions dans la biosphère, y compris celle de nous nourrir.
Aujourd’hui on peut revisiter certains de nos gestes à l’aune de notre connaissance de ce fonctionnement et déterminer que certains d’entre eux sont un peu, beaucoup, ou pas trop toxiques, et que d’autres façons de travailler sont des vecteurs d’espoir.

Une dernière recommandation ?
Je trouve dommage que nos concitoyens ne soient pas plus sensibles à accueillir une agriculture différente et capables de la soutenir. Parce que au final, c’est quand même eux qui, par la demande du marché, peuvent permettre aux agriculteurs de gérer ou non les sols.
Donc en plus de tout ce que vous avez à faire, allez chercher le citoyen pour lui montrer ce que vous faites et pourquoi.

Propos recueillis par Frédérique Hupin

*Allusion à « De rerum natura », poème du philosophe latin Lucrèce.
Ses deux derniers livres (dont une bande dessinée) :
M.-A. SELOSSE, 2021. L’origine du monde : une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent. Actes Sud, Paris, 480 p.
M. BURNIAT, M.-A. SELOSSE, 2021. Sous Terre (bande dessinée). Dargaud, Paris, 174 p.