Thierry Stokkermans

  • Plantule de radis en SDSC aux Pays-Bas
  • Vue aérienne du site d'Oberacker, Suisse
  • Résultat levée de tournesol sans engrais organique
  • Hairpinning
  • Maïs en agriculture de conservation des sols
4
février
2016

Semer 3000 ha par an avec un semoir de 3 m

SD au Cross Slot en Nouvelle ZélandeIl est un pays où des entrepreneurs sèment 3000 hectares par an avec un semoir de 3 mètres de large : c’est la Nouvelle Zélande. Ce n’est pas un pays de grandes plaines et le parcellaire est morcelé. Alors comment font-ils ?
La Nouvelle Zélande a un climat océanique doux et est un pays de montagnes. Ce climat permet à l’herbe de pousser toute l’année. Ils élèvent des moutons et des vaches, aussi bien pour la viande que pour le lait. Il y a aussi des grandes cultures mais rares sont les exploitations spécialisées en grandes cultures. La majorité des exploitations sont en élevage ou en polyculture-élevage. Dans un tel terroir et dans de tels systèmes, il est possible de semer 10 mois par an, marqués par une pause hivernale de plus ou moins 2 mois.
Le calendrier de semis est environ le suivant  :
• En sortie d’hiver, les agriculteurs sèment les orges de printemps, les pois de printemps et des cultures fourragères telles que des associations plantain-trèfle.
• Au cours du printemps, ils sèment un certain nombre de cultures fourragères qui permettront de tenir l’hiver suivant tel que du chou ou des betteraves fourragères. Suivies de près par les semis de maïs.
• Au fur-et-à mesure que le printemps avance, les températures augmentent et les semis prennent de l’altitude dans ce pays de montagnes.
• En début d’été, les prairies en altitude (jusqu’à 1000 mètres) sont ressemées avec des pluriannuelles tels que du trèfle ou du ray-grass.
• Tout au long de l’été, les semoirs suivent les batteuses pour semer des fourragères dans les chaumes et produire un maximum de fourrages pour l’hiver.
• En fin d’été, certains agriculteurs sèment du colza mais c’est une culture assez rare et un grand nombre refont les prairies vieillissantes pour gagner en production de fourrages les années suivantes.
• Et finalement, en automne, les céréales d’hiver sont semées ainsi que les dernières plantes fourragères juste après les récoltes d’automne.

Du fait de son climat clément, de la diversité des cultures et du relief, les semis sont répartis sur toute l’année et un grand nombre d’Entreprises de Travaux Agricoles (ETA) proposent du semis à leurs clients. Certaines ETA font plusieurs centaines d’hectares avec un semoir, d’autres dépassent le millier d’hectares et plusieurs font 3000 hectares avec un seul semoir rigide de 3 mètres de large.
Avec un semoir de 3 m travaillant à 12-13 km/h, il est possible de semer 3 hectares par heure. Mais quand la parcelle est biscornue ou que la pente oblige à ne semer que dans un sens, celui de la descente, le rendement horaire chute rapidement. De plus, si on ajoute le temps de route, l’entretien et la relation client, le tracteur tourne 1500 heures par an devant le semoir et l’attelage occupe 1 UTH, soit une personne à temps plein.
En regardant de plus près les ETA qui sèment plus de 2000 ha par semoir, on observe deux points communs : le suivi agronomique et la qualité du semis.
Ces ETA de semis visitent souvent les parcelles lors de la levée. En effet, faire un tour de plaine et passer chez le client dans les semaines qui suivent est un exercice agronomique et de relation clientèle auquel se prêtent souvent ces ETA. Cela a plusieurs effets positifs : observer les réussites et les problèmes, affuter ses connaissances agronomiques et la qualité du semis, connaître son client et gagner sa confiance. A terme, les clients voient leur ETA comme leur expert et conseiller du semis et, dans ce pays d’élevage, peuvent leur donner un rôle de décideur pour l’implantation des cultures.

Ces ETA travaillent en semis direct et avec des semoirs Cross Slot. En Nouvelle Zélande, certains agriculteurs labourent, d’autres font des TCS et d’autres font du semis direct. Au niveau du matériel, il y a les mêmes semoirs qu’en Europe tels que John Deere, Great Plains ou Aitchison (ce dernier est un constructeur néo-zélandais). Il y a des entrepreneurs qui proposent un gamme complète en travail du sol, d’autres proposent du semis direct avec John Deere ou Aitchison. Mais les seuls qui arrivent à utiliser leur semoir 1000 heures et plus par an sont les propriétaires de Cross Slot à châssis court. La principale raison est la capacité du Cross Slot à passer toute l’année et dans tous les terrains. Et de part ce fait, à assurer une production élevée de fourrages et de matières sèches. L’intérêt du châssis rigide sur un Cross Slot est que les deux barres de semis sont rapprochées pour facilement semer en dévers dans un grand nombre de pentes. Les châssis repliables ont des roues plus grandes qui éloignent les deux poutres de semis et accentuent les effets de dévers.
A titre de comparaison, une ETA dans la région du Waikato n’utilise son semoir John Deere 750A de 6 mètres que sur des terrains plats ou suffisamment nivelés et uniquement à l’automne. Le faible débattement vertical de l’élément semeur ne lui permet pas de semer dans les prairies permanentes qui comportent un grand nombre de trous et de bosses. Et la qualité de la mise en terre lui permet uniquement de vendre ses services pour les semis d’automne. En effet, en Nouvelle Zélande comme en France, les semis d’automne sont les plus faciles à réaliser en semis direct.
En Nouvelle Zélande comme en France, l’élément semeur Cross Slot est lourd à tirer. De plus pour tirer le semoir en montagne, il faut majorer la taille du tracteur et sa puissance. Les néo-zélandais sèment avec l’inter-rang de 6 pouces soit 150 mm. Un semoir de 3 mètres a donc 20 éléments semeurs. Sur le plat, il faut 200 chevaux pour le tirer. Mais la Nouvelle Zélande étant un pays de montagnes, le tracteur moyen pour un tel semoir est d’environ 280 chevaux. Pour assurer la traction, le tracteur est jumelé si possible et est lesté à 45-50 kilogrammes par cheval. Ce qui donne un poney de 14 tonnes. Ces chiffres donnent le vertige mais ils font moins peur que certaines de leurs parcelles qui ne se sèment qu’en descendant.

La facturation d’un semis Cross Slot est d’environ 200 dollars néo-zélandais ($NZ) par hectare. Cela varie de 180 à 220 $NZ selon la région et l’ETA. Et pour des chantiers où la productivité est très basse, petite parcelle et semis en descente par exemple, certaines ETA facturent à l’heure au lieu de facturer à l’hectare. A titre de comparaison, un semis Aitchison ou au John Deere est facturé moitié prix. Et c’est donc bien la polyvalence, la qualité du semis, le gain de rendement et le suivi agronomique qui justifient l’écart de prix auprès des clients.
En termes d‘investissement, un ensemble tracteur-semoir neuf et de largeur 3 mètres coûte environ 600 000 $NZ. Le semoir coûte autant que le tracteur (ou inversement). Pour calculer rapidement la rentabilité d’un investissement, les ETA néo-zélandaises appliquent la règle du tiers : il faut au moins dégager l’équivalent du tiers de l’investissement en chiffre d’affaires annuel. Soit pour l’ensemble neuf ci-dessus, il faut au moins facturer 200 000 $NZ/an, soit plus de 1000 ha/an.

Pour ces ETA, les clients ont des profils différents et variés. Certains sont engagés dans une démarche d’Agriculture de Conservation et construisent leur sol. D’autres sont à la recherche de l’efficience économique et font pâturer jusqu’aux racines (voir photo ci jointe). Comme tout métier qui comporte une relation de confiance avec le client : accepter le chantier, c’est s’engager à satisfaire le client. Ces ETA l’ont très bien compris et ils travaillent pour et avec leurs clients. Pour valoriser au maximum leur ensemble tracteur-semoir, il leur faut être mobile et disponible. Travailler le dimanche est monnaie courante. La majorité de leurs clients est à moins d’une demi-heure de route en voiture des bâtiments de l’ETA mais, parfois, deux bonnes heures en voiture sont nécessaires pour les clients les plus éloignés.


19
janvier
2016

Le taux de matière organique en ‘‘live’’ sur le téléphone portable : SOCiT

En Ecosse, depuis 3 ans, il est possible de “mesurer” le taux de matière organique du sol avec son Smartphone ou sa tablette. Pour cela, il suffit d’avoir l’application et le témoin SOCiT, de prendre une photo du sol et de la faire analyser. C’est simple, gratuit et rapide.
SOCiT veut dire Soil Organic Carbon information, soit Information sur le Carbone Organique du Sol. L’initiative est gérée par le James Hutton Instituteet Dr. Matt Aitkenhead est le chef de projet. L’outil est gratuit et disponible pour tout le monde en Ecosse (agriculteurs, agronomes, …). Avant d’aller au champ, l’utilisateur doit télécharger SOCiT sur son téléphone ou sa tablette, s’enregistrer en tant qu’utilisateur et recevoir la carte-témoin SOCiT (voir photo).


Illustration application outil Socit

Une fois l’application et le témoin en poche, l’utilisateur va au champ et prend une photo du sol avec le témoin en évidence dans le champ de vision. Il envoie la photo géo-référencée au serveur (utilisation de la 3G, 4G ou wifi) et reçoit dans la minute le taux de matière organique et le taux de carbone du sol. Le passage par le serveur est obligatoire car l’algorithme est trop lourd pour un Smartphone et il y a une base de données contenant des informations pédologiques, climatiques et topographiques (altitude) nécessaires au calcul.
Le code qui calcule le taux de matière organique est basé sur la méthode LUCAS, mise au point au JRC Ispra en Italie. La méthode consiste à utiliser la spectrométrie infra-rouge pour déterminer le taux de matière organique. C’est à priori la méthode que l’IRSTEA utilise en France (voir article de Christophe De Carville). Mais sur les Smartphones et les tablettes, il n’y a pas (encore) de capteur infra-rouge. Du coup, l’équipe du James Hutton Institute a convertit le spectre infra-rouge en palettes RGB (Red, Green, Blue soit rouge, vert et bleue en français) qui sont capturées par les photos numériques. Un algorithme a été écrit pour traiter la photo et donne le taux de matière organique.
Selon Matt Aitkenhead, il y a entre 100 et 200 utilisateurs en Ecosse et un peu plus de 1000 photos ont été traitées en 3 ans. La précision reste faible. Elle est de +/- 20%. Par exemple, pour un taux de matière organique de 2%, il est possible de recevoir n’importe quelle valeur de 1,6 (-20%) à 2,4 (+20%). Ce sont des variations importantes. En effet, si on veut comparer un champ en agriculture de conservation à un champ voisin en labour traditionnel, il n’est pas certain que l’on puisse en tirer des enseignements précis. Néanmoins, Matt Aitkenhead précise que 90% des résultats sont dans une plus petite fourchette : +/-10%. Soit pour un taux de matière organique de 2%, 90% du temps, le résultat SOCiT sera compris entre 1,8 et 2,2. Ce qui est déjà plus acceptable. Le chef de projet explique que le principal facteur de variation est le taux d’humidité du sol. En effet, il est connu que la couleur du sol change avec l’humidité. Un sol sec est souvent de couleur claire alors qu’un sol détrempé est souvent sombre. Malheureusement, la photo RGB ne sait pas calculer le taux d’humidité du sol.
Ce système est aujourd’hui disponible en Ecosse et Matt Aitkenhead a le projet de le rendre européen. Cela passe par l’extension de la base de données à toute l’Europe et la mise en place d’un service d’envoi de carte témoin à tout le territoire. Le but ici est de conserver la gratuité du service pour que chaque utilisateur puisse mesurer le taux de matière organique rapidement et simplement.


14
décembre
2015

Le semoir sur la planche à dessin

Semis directL’agriculture évolue et ses outils changent. En semis-direct (SD) et en semis-direct-sous-couvert (SDSC), les semoirs ont beaucoup évolué ces 50 dernières années. Il y a 50 ans, les premiers semoirs de semis direct avaient des éléments semeurs à double-disques ou à dent droite. Aujourd’hui en plus de ces deux derniers, il y a des mono-disques, des mono-disques inclinés, des double-disques inclinés, des socs à ailettes, des dents fines, des socs larges et des combinaisons dent-disque. Les SDistes et les SDSCistes ont aujourd’hui le choix. Mais y-a-t-il une machine optimale ? Une technologie supérieure à toutes les autres et à maturité ? Et bien la réponse est « non ». En effet, le semis direct n’a que 50 ans et reste une technique jeune. L’agroécologie (dans sa version moderne) est encore plus jeune. Le SD et SDSC fonctionnent bien, il y a des exploitations entières qui produisent de belles récoltes et des bilans comptables dorés avec ces systèmes. Néanmoins, il y a beaucoup à apprendre avec ces techniques et il reste beaucoup à apprendre. C’est pourquoi il est possible de dire que le SD est, encore aujourd’hui, au stade du « gentil bordel créatif ».
En observant les champs, les cultures, les sols, en lisant les livres en anglais, en français ou en espagnol et en écoutant les experts, il est possible de voir plusieurs axes sur lesquels les semoirs vont évoluer/s’améliorer dans les années à venir. En voici quelques-uns :
1) La micro-gestion de l’eau autour de la graine  : on observe encore assez fréquemment des levées décalées dans le temps au niveau de la parcelle ou des levées en deux temps. La disponibilité de l’eau autour de la graine est souvent une ou la raison. En effet, certains sillons ne gardent pas bien l’eau (gazeuse ou liquide) autour de la graine, ils ont tendance à sécher. Et là où l’humidité est critique au moment du semis, on peut observer des graines qui prennent beaucoup de temps à s’hydrater et/ou qui marquent un arrêt dans le processus de germination. Ceci peut porter à conséquence sur la gestion de la culture et/ou sur le rendement. Comme le savent beaucoup de maïsiculteurs : une levée homogène et rapide est un élément important pour réussir une culture et un bon rendement.
2) La micro-gestion des résidus autour de la graine  : lorsqu’on évoque résidus et semences, il y a 2 mots qui viennent de suite à l’esprit des SDistes : hairpinning et allélopathie. En effet, lorsqu’il y a des résidus dans le sillon et qu’un épisode pluvieux s’en suit, les résidus sont décomposés et ce processus libère des jus acides qui vont brûler les germes des semences à proximité. C’est une des raisons pour lesquelles il est important d’éviter la présence de résidus dans le sillon.
3) La compaction au niveau du sillon  : les semoirs à double disques sont connus pour pouvoir compacter le sillon mais ils ne sont pas les seuls. Les conditions idéales de semis sont très rares et les parcelles sont souvent hétérogènes, c’est pourquoi il arrive souvent (avec certains semoirs) de compacter le sillon et la principale conséquence est une difficulté d’enracinement. Cela peut ressembler à ça. Un problème d’enracinement se traduit par une perte de rendement. Les cultures à cycle court tel que l’orge de printemps par exemple sont très sensibles à ce type de problème. En effet, il y a peu de temps entre le semis et la récolte et le sol n’a pas le temps de se refaire.
Les semoirs de semis direct ne sont pas égaux, certains sont plus performants que d’autres et il faut s’attendre à beaucoup d’évolutions dans les années à venir, en particulier au niveau des fonctions biologiques de ces semoirs tel que la germination ou l’enracinement. On sait aujourd’hui qu’un sol en SDSC est plus fertile qu’un sol labouré. Un meilleur sol doit mener à un meilleur rendement, à de meilleures récoltes. Aujourd’hui, les rendements sont souvent égaux voire légèrement en dessous des itinéraires labourés. Il est donc évident que nos pratiques et nos outils peuvent et doivent encore évoluer et, à mes yeux, les semoirs ont leur rôle à jouer dans ce défi.
Pour ceux que le sujet intéresse, il y a un très bon livre qui parle de la biologie du semis direct. C’est un livre de la FAO des Nations Unies qui fait intervenir les principaux experts du domaine. Il est gratuitement disponible en anglais et en espagnol. J’ai participé, fut un temps, à la version français mais elle n’a malheureusement pas abouti.


6
décembre
2015

Des arbres au frais

C’est bientôt Noël. C’est l’époque des sapins. C’est le bon moment pour parler des arbres. Malheureusement, je n’ai rien à raconter sur les arbres du pays du Père Noël avec les branches pleines de neige. Par contre, j’ai trouvé une initiative intéressante sur les arbres en milieu aride. C’est le bon moment pour parler des arbres qu’il faut garder au frais et au frais malgré la chaleur et le sec. Ce sont les arbres du sud où les deserts de pierre et de sable avancent.
Pour lutter contre la désertification, planter des arbres est une solution qui fonctionne bien. Seul hic, il faut apporter de l’eau aux arbres lorsqu’ils sont jeunes. C’est un problème technique car l’eau est souvent rare dans ces régions et c’est beaucoup de travail. Pieter Hoff, un horticulteur des Pays Bas, a retourné le problème en pensant : il y a assez de pluie et d’humidité dans l’air ambiant, il faut juste l’optimiser.
Plantation d'arbre au Kenya avec la technologie Groasis
Il a conçu un outil astucieux qui collecte l’eau, la garde, arrose l’arbre avec mesure et lui fournit une couverture du sol qui climatise l’environnement des racines. Ils l’ont nommé Groasis Technology. Pour valider à grande échelle l’outil et le principe, un projet comportant 5 sites en Espagne et totalisant 63 ha est en train de se mettre en place. Il est nommé The Green Deserts(site en anglais).


20
novembre
2015

Du lupin dans le calcaire

Culture de lupinEn Europe, il est possible de cultiver du lupin sur des sols basiques (pH jusqu’à 7,8), riches en carbonate de calcium (jusqu’à 10% de CaCO3). C’est une légumineuse qui peut être cultivée pour sa graine riche en protéines (30-35%) ou utilisée comme couvert végétal (en pur ou en mélange).
Contrairement aux pois et à la fèverole, le lupin n’est pas une plante mais une famille de plantes qui regroupe des annuelles, des pérennes et des arbustes. On le trouve aussi en tant que plante d’ornement (Lupinus polyphyllus). En agriculture, on utilise surtout des annuelles de printemps et on peut aussi cultiver des annuelles d’hiver. En Europe, on cultive le lupin bleu (Lupinus Angustifolius), le lupin blanc (Lupinus albus) et le lupin jaune (Lupinus luteus). Attention le nom de la plante ne correspond pas avec la couleur des fleurs, certains lupins bleus ont des fleurs blanches et inversement. L’identification se fait par la forme des feuilles.
Le lupin bleu et le lupin jaune sont des plantes de sol acides. Par contre, le lupin blanc est une plante qui se porte bien sur un grand nombre de types de sols. Cette dernière a été testée et validée aux Pays Bas sur des sols à 7,8 de pH et calcaire (10% de CaCO3). Selon Udo Prins, de l’institut Louis Bolk, les égyptiens cultivent le lupin blanc sur des sols allant jusqu’à 8,5 de pH. En France, au début des années 2000, on parlait beaucoup du lupin. L’offre était composée de plusieurs variétés. Malheureusement, toutes ces variétés sont sensibles au carbonate de calcium et cela a grandement freiné le développement de la culture. Aujourd’hui, avec le lupin blanc qui s’installe très bien dans des pH allant de 5,5 à 7,5, de nouvelles possibilités s’ouvrent aux cultivateurs.
Il est possible de regrouper les lupins blancs en 2 groupes selon leur partie aérienne. Il y a les lupins qui ont une seule tige et les lupins qui ont plusieurs tiges/ramifications. Les variétés sélectionnées à tige unique sont connues pour être faciles à récolter car leurs gousses murissent simultanément. Les variétés à tiges multiples sont appréciées pour leur effet couverture du sol, pour être plus compétitives face aux adventices que les variétés à tige unique et pour compenser les éventuelles pertes à la levée. Aux Pays-Bas, les deux variétés les plus performantes sont Dieta, du semencier d’Outre-Manche SoyaUK, et Boros, du Polonais HR Smolice.
De plus son spectre de pathogènes est éloigné de ceux de la fèverole et du pois. Ce qui est un atout pour faire des cultures diversifiées et/ou des couverts variés. Le lupin de printemps, passé un certain stade, devient gélif, c’est un second atout intéressant pour l’utiliser en tant que plante compagne ou pour des systèmes de semis direct sous couvert sans glyphosate.
JPEG - 408.2 koPour plus d’information, le site de l’UNIP (http://www.unip.fr/lupin.html) est à votre disposition tout en gardant en mémoire qu’il ne fait pas référence aux variétés tolérantes au CaCO3. Pour les néerlandophones qui veulent en savoir plus sur les résultats de l’institut Louis Bolk, l’information est disponible gratuitement et en ligne ( http://www.louisbolk.org/downloads/3066.pdf).


19
octobre
2015

L’étiquette “no-till” cultive l’ignorance

Semis direct Pays-BasLe sol et sa gestion ont un effet sur le climat et sur la qualité de l’eau. Et les surfaces arables ont un grand rôle à jouer. Le no-till, ou semis direct en français, a sans aucun doute un effet positif. Ce dernier se développe et les agriculteurs choisissent le semoir et le système qui leur convient le mieux. Mais dans la multitude des systèmes et des machines, les scientifiques du sol ne font pas la différence et, par conséquent, les politiques ont du mal à s’orienter et à acter.
Les éléments semeurs, soit la partie mécanique qui met les graines dans le sol, ont des modes d’action et des conséquences sur le sol très différents. Certains forment le sillon en enfonçant le sol, d’autres lèvent la terre pour la laisser retomber derrière et d’autres encore la projettent sur les côtés. Très vite, l’agriculteur s’aperçoit qu’il y a plus de diversité entre les machines de semis direct qu’entre les charrues.
Ces différences ont des effets sur les cultures, les résultats économiques, l’évolution du sol et les différentes fonctions du sol. Les aspects cultures et résultats économiques ont été et sont étudiés. A ce niveau, les différences entre un double-disque, un soc droit ou un Bioblade/Crossslot sont connus. Par contre, ces différences ne sont pas connues au niveau des fonctions « lutte contre le changement climatique » et « qualité de l’eau », voire ignorées. En effet, les scientifiques du sol regroupent toutes les machines et les systèmes sous une même étiquette « No-till ».
Lors d’une récente analyse de plusieurs travaux de recherche, des scientifiques du sol ont présenté un article dans lequel ils expliquent que le « no-till » peut séquestrer de 0 à1000kg-de-C/ha/an avec une moyenne à environ 300kg/ha/an et ceci sans trop d’explications. Mais ces résultats frappent de part leur différence. Avec 1000kg-de-C/ha/an, l’objectif des 4 pour 1000 est largement atteint voire dépassé, alors qu’avec 0kg-de-C/ha/an, c’est le statu quo. Lors de la dernière conférence sur le sol de l’université de Wageningen (Wageningen Soil Conference), les scientifiques ont longuement parlé de l’augmentation du taux de matière organique et des conséquences sur le climat et la qualité des eaux. Entre autres, ils ont évoqué le semis direct et les amendements organiques comme solution. En matière d’amendements organiques, les scientifiques font la différence entre les différents produits. Par exemple ils comparent compost, fumier de bovin et fientes de poules. Mais en matière de semis direct, il n’y avait pas de différence de faite : tout rentre dans la boîte No-Till. Et, comme dans l’article cité ci-dessus, les différences trouvées sont grandes et restent inexpliqués.
Néanmoins, sur le terrain, il est possible de voir que les machines de semis direct ont les effets suivants sur les fonctions « lutte contre le réchauffement climatique » et « qualité des eaux » :
Accélération de la minéralisation de la matière organique :

-  Les différents éléments semeurs bouleversent plus ou moins le sol et activent les bactéries qui minéralisent le sol.
-  A priori, les socs droits brulent plus de matière organique que les systèmes à disques.
Limiter la respiration-inutile/production-de-Dioxyde-de-Carbone :
-  Un gramme de sol (soit environ une cuillère à café) contient environ 10 millions d’êtres vivants (bactéries, nématodes, graines, …). La grande majorité est invisible à l’œil nu. Et une grande partie dort en entendant un moment propice à leur réveil et à leur multiplication.
-  Le passage du semoir peut provoquer une augmentation de l’intensité de la vie du sol. Par exemple, certains êtres vivants vont se réveiller et se multiplier. Réveil et multiplication sont des activités intenses qui provoquent une augmentation de la respiration et donc du rejet de Dioxyde de Carbone, gaz à effet de serre.
-  A priori, les semoirs qui remuent beaucoup le sol provoquent plus de respiration et de production de Dioxyde de Carbone que les modèles à faible perturbation du profil.
Conservation de l’humidité :
-  L’humidité est un facteur important dans l’humification. En effet, les terroirs humides produisent plus et plus facilement de l’humus que les terroirs secs. Par conséquent, un sol qui garde l’humidité a plus de chance de voir son taux de matière organique augmenter.
-  Les résidus laissés en surface ont un effet couverture et gardent l’humidité dans le sol alors que les sols nus sèchent avec le vent et le soleil.
-  Les semoirs de semis direct laissent plus ou moins de résidus en surface, ce qui, à priori, a un effet sur l’humification des matières organiques fraiches.
Limiter l’évaporation :

-  La vapeur d’eau est l’un des gaz à effet de serre. Et, à priori, lorsque le semoir laisse les résidus végétaux en surface, cela protège le sol de l’évaporation et donc limite la formation de ce gaz.
Effet Albédo :

-  Les couleurs sombres exposées au soleil absorbent de la chaleur. Alors que les couleurs claires reflètes la lumière et « renvoient » la chaleur dans l’espace, tel que la banquise par exemple.
-  De manière générale, un sol exposé absorbe plus de chaleur que les résidus de surface. Et par conséquent, les semoirs qui projettent la terre vont plus provoquer d’Albédo que les semoirs à faible perturbation du profil.
Entrée de Carbone :

-  Actuellement, il y a trop de Carbone dans l’air (sous forme de Dioxyde de Carbone) et il est possible d’en stocker dans le sol.
-  Par la production de biomasse, les plantes absorbent du Dioxyde de Carbone et fabrique de la matière organique. Et, plus un champ produit de biomasse, plus il extrait du Dioxyde de Carbone de l’atmosphère.
-  Tous les semoirs ne sont pas égaux en matière de production de biomasse. Les principaux facteurs sont l’enracinement des plantes (un sillon peut être compacté et le rester pour la saison par exemple), la disponibilité des nutriments (la localisation de l’engrais peut être plus ou moins efficace) et la disponibilité de l’eau (certains semoirs assèchent plus le sol que d’autres).
-  A priori, un semoir qui donne un bon environnement biologique à la plante permet une plus grande entrée de Carbone par une production végétale plus importante.
-  Ici, la notion de bon environnement biologique vaut aussi bien pour les engrais verts que pour les cultures de vente ou que pour les prairies. En effet, la semence, les plantules et les racines des différentes plantes ont des besoins de bases similaires.
Pénétration de la pluie :

-  L’eau est un élément indispensable à la vie du sol et cette dernière cherche à « récolter » autant de pluie que possible, c’est pourquoi la surface d’un sol vivant est très poreuse avec de nombreuses galeries.
-  Les semoirs ont un effet plus ou moins important sur l’horizon supérieur et peuvent casser cette porosité et limiter l’infiltration de la pluie.
-  La pluie qui n’a pas pénétré va soit ruisseler soit s’évaporer.
Fixation des agrégats du sol :

-  L’érosion hydraulique, soit l’eau qui court sur le champ en arrachant de la terre, est un vecteur de pollution des eaux de surfaces, tel que les lacs et les rivières.
-  La vie du sol construit une structure solide et robuste pour résister aux intempéries et les semoirs les plus agressifs vont casser une partie de la structure et la rendre vulnérable à l’érosion.
En lisant les points évoqués ci-dessus, il est possible de comprendre qu’un semoir qui perturbe peu le sol et qui donne un bon environnement biologique est/sera plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique et améliorer la qualité des eaux. La grande diversité des semoirs et des systèmes explique (en partie ou en totalité) la diversité des mesures des scientifiques qui vont de 0kg-de-C/ha/an à 1000kg-de-C/ha/an.

Lutter contre le réchauffement climatique et améliorer la qualité des eaux est un souhait/besoin de la société et les politiques vont dans ce sens en France et aussi à l’étranger. Pour déterminer des plans d’action et des budgets, les fonctionnaires aiment avoir des données chiffrées et de l’information de pointe. Néanmoins les publications scientifiques prennent un dangereux raccourci en mettant tout le semis direct dans une seule et même boîte et, ceci, sans en expliquer les différences.
Le semis direct propose des solutions simples, efficaces et économiques pour augmenter le taux de matière organique, lutter contre le réchauffement climatique et améliorer la qualité des eaux. Néanmoins, tous les semis directs ne sont pas égaux, certaines machines et certains systèmes sont plus performants que les autres. Pour que les politiques puissent favoriser et/ou rémunérer les meilleures solutions, il est important que leurs effets (positif ou négatif) soient mieux connus et caractérisés. Il semble opportun voire nécessaire, d’investir dans la recherche pour observer les effets, les caractériser et les quantifier.
Le semis direct, « No-Till » en anglais, n’est pas unique mais multiple. Certains semoirs sont conçus pour projeter beaucoup de terre, d’autres sont testés pour impacter le moins possible le sol. Certaines machines sont dessinées pour être faciles à tracter, d’autres sont étudiées pour donner le meilleur environnement à la graine et à la plantule dans le but d’augmenter les rendements. Toutes ces différentes technologies ont un effet sur le sol qui va évoluer de façon différente sur le moyen et le long terme. Les agriculteurs, les agronomes et les biologistes ont compris cela et font la différence entre les différentes technologies. Les scientifiques du sol n’ont, pour l’instant, pas fait cette différence qui est pourtant nécessaire et bien réelle. Il est important que ce travail de différenciation soit fait. Il est important de définir, caractériser et mesurer ces effets dans le but d’informer mais également de favoriser et, éventuellement, rémunérer les bonnes pratiques.