Contributions

  • Semis de maïs en Sologne fin avril 2023
  • Pieds d'érables dans une parcelle cultivée
  • Yannick Bestaven dans La France Agricole
  • Parcelle d'essai de CIVEs
  • Plot à alouettes
9
décembre
2013

Le « Marketing Thinking » et l’Agriculture de Conservation

JPEG - 193.4 koLe « pensé marketing » est devenu une science qui ne laisse rien au hasard. Et c’est peut-être mon passage dans une grande entreprise commerciale qui m’a rendu attentif à cet aspect qui a pris une importance stratégique pour tout produit avant sa mise en marché.

- Le premier aspect et de loin le plus important c’est le verdict de l’œil « le look »
- Le deuxième argument de vente c’est « la facilité » ou l’aptitude à proposer une solution en face d’un problème.
- Le troisième c’est la « sécurité », vous ne prenez aucun risque.

Mais quel lien y a-t-il entre cela et l’agriculture de conservation et bio de surcroit. C’est tout simplement que la démarche est « anti-marketing », je parle bien entendu de l’aspect production. Aux Etats-Unis l’AC est appelé » Dirty-Farming » ou « l’agriculture sâle ». Notre conditionnement a aseptisé nos champs de toutes plantes non « exploitables » et à avoir des parcelles propres est un frein culturel de très grande importance. La première fois que j’ai semé une culture, dans un couvert vivant j’ai deux collègues qui en l’espace de quelques heures se sont arrêtés au bord de la parcelle pour me questionner sur mon travail. Quelques mois plus tard le premier m’a avoué qu’il n’aurait jamais cru que mon maïs allait donner quelque chose, et le deuxième que si c’est cela l’agriculture de demain il renoncera à être agriculteur. Ce frein évident lié à l’aspect visuel est le premier frein au développement de l’Agriculture de Conservation. Le deuxième frein et non le moindre est « tu te compliques la vie » argument absolument anti-marketing. Et le terme TCS qui veut dire « techniques culturales simplifiées » est un abus de langage car cela complexifie les pratiques agricoles. On sort d’une logique de recette simple, labour ; préparation du sol ; semis ; pour une gestion minimale et appropriée du travail du sol en fonction de critères divers et variés comme la météo, le type de sol, la rotation, si travail du sol il y a. Le fait de sortir de la monoculture pour une rotation appropriée est souvent perçue comme une contrainte et de surcroit antiéconomique au premier abord. Le troisième critère, c’est l’apprentissage de l’évaluation du risque et de sa gestion. Nos conseillers et fournisseurs nous submergent depuis plus d’un demi-siècle de solutions commerciales pour réduire le risque voir le supprimer. Cela va des protections des semences systématiques contre une multitude d’hypothétiques ravageurs comme des désherbages systématiques ou des traitements des cultures contre les maladies ou éventuels ravageurs. Par cette démarche nous nous plaçons dans la plus part des situations en dehors des solutions que peut nous offrir gratuitement la nature. L’exemple le plus pédagogique est le semis direct de colza associé à d’autres plantes qui évitent dans la plus part des cas le désherbage et la lutte contre les insectes. Mais il n’y a pas de garantie que cela fonctionne tout le temps ou à 100%. Il faut donc envisager un éventuel plan B. Nous ne sommes plus habitués à prendre un risque, que certes il faut évaluer, et le gérer en fonction de l’évolution de la culture suivant les aléas climatiques de l’année.

En résumé je me rends compte que le premier frein à l’évolution vers l’agriculture de conservation est humain. Il y a une partie qui est intrinsèque à notre comportement qui est le besoin de certitudes et de sécurité, et une partie liée à notre éducation et à notre époque qui est surtout liée au visuel et à la facilité.


3
septembre
2013

Réflexion sur la conservation des sols

Je ne sais pas de quelle année est le modèle de la camionnette, mais vu le parc automobile actuel, il y a bien quelques dizaines d’années que celle-ci a fait ses premiers tours de roues. Et par la même on peut en déduire que la conservation des sols est au cœur des préoccupations de ce centre de recherche du Nord Dakota. Il faut évidemment se souvenir des conséquences désastreuses du Dust Bowl des années 30, pour mesurer le traumatisme provoqué par cet évènement, et comprendre que tous les moyens aient été mis en œuvre pour que ce phénomène ne se reproduise pas.

Je me demande bien où nous en sommes, en France, dans notre rapport au sol. Au pays des journées du patrimoine, où d’importants moyens sont mis en œuvre pour sauvegarder et mettre en valeur notre patrimoine, qu’il soit architectural ou cultural, signe d’une histoire riche et d’un savoir-faire ancestral ; où en sommes nous vis-à-vis de notre terre nourricière ? A-t-on conscience de la valeur de celle que foulons tous les jours ? Après l’hiver et le printemps que nous avons connu, les nombreuses coulées de boues et autres signes d’érosion me laissent à penser que non. A quand, au sein de nos structures techniques ou de recherche, un département spécialisé dans la préservation, la sauvegarde et la régénération de nos sols ? Quel évènement extraordinaire faudra-t-il attendre pour que la prise de conscience collective ait lieu ?

Heureusement que des agriculteurs, de plus en plus nombreux, ont pris les devants et mettent en œuvre dans leurs fermes différents moyens pour redonner la force à leurs sols de résister aux aléas climatiques, même les plus exceptionnels. Et j’espère qu’un jour, le troisième week-end de septembre, les curieux viendront visiter les fermes de ceux qui ont redonné des couleurs à leur patrimoine sol, avec le même enthousiasme, le même plaisir, et la même curiosité que lorsqu’ils se rendent dans des châteaux ou des musées.


12
août
2010

La question des matières exogènes dans la pratique de l’agriculture écologiquement intensive (AEI)

Diversifier et positionner nos productions animales dans la zone 0-1 mètre de nos agrosystèmes

La question des matières exogènes d’élevage renvoie à leur nature (fumier, lisier, fientes), donc aux systèmes d’élevage d’où découlent ces matières : hors-sol, béton, paille, plein air. Enfin, ces systèmes d’élevage renvoient aux filières de commercialisation qui ont développés ces systèmes. C’est donc bien plus qu’une question technique en mon sens. La question du terme a employer en parlant des fumiers et lisiers est peut-être centrale : s’agît-il d’effluents d’élevage (point de vue de l’administration), s’agît-il de pollution (point de vue des écologistes), s’agît-il d’amendement (point de vue de mon grand-père) ou encore s’agît-il d’un coût évitable (mon point de vue) ?

Chacun a appris au fur et à mesure de toutes ces années de littérature TCS que la vie stimule la vie, et que tout coût de production est susceptible de cacher un gaspillage et donc une économie potentielle. Je pense qu’il est temps de sortir nos animaux de ces bâtiments qui nous coûtent en temps, en argent et donc en compétitivité, sans oublier l’image négative des bâtiments d’élevage auprès de la société. Les agriculteurs qui par exemple conduisent un troupeau d’oie dans un couvert végétale sont sur la bonne voie, l’idée est là ! Les limaces ne vont pas apprécier !! La vache, le mouton, le cochon, la poule, le poulet, la dinde et le lapin sont des engins qui sélectionnent, coupent, broient, digèrent et épandent la matière végétale puis fécale de manière autonome et gratuitement, un peu comme les vers de terre le font dans la zone 0-1m.

Bien-sûr, lorsque les bâtiments d’élevage sont déjà en place, la question est différente, il faut trouver la solution la « moins pire » pour le sol quand à la gestion des matières exogènes. Cependant, je pense là aux jeunes qui veulent s’installer en céréaliculture ou toutes autres productions, je pense qu’il faut bien réfléchir le projet. Dubitatif au départ comme beaucoup sur les marchés courts, je regarde les choses différemment aujourd’hui : je pense que l’ordre des choses vis-à-vis du sol était d’arrêter de le travailler. La même logique s’applique peut-être à nos animaux d’élevage, leur place est peut-être dans nos champs et nos bois embroussaillés (Sud de la France), et ce d’une manière réfléchie, mesurée, organisée, au service du sol ? Le circuit court permettrait à ce moment là de pleinement valoriser les produits animaux aux consommateurs avoisinants, à un prix défiant le rouleau compresseur des GMS (grandes et moyennes surfaces) et avec en plus une empreinte carbone absolument imbattable. Je pense que les agriculteurs sont les futurs commerçants de produits agroalimentaires locaux, vous savez ces magasins de proximité que l’on ne trouve plus dans les villages !! En ce sens, ils auront, j’en suis certain, un rôle prépondérant dans la revivification socio-économique de nos tristes campagnes.

Je m’écarte quelque peu du sujet. Ce que je cherche à dire, c’est que demain, ce sera à celui qui vendra le moins cher, circuit court ou pas. En ce sens, notre système d’élevage actuel en bâtiment n’est je crois pas compatible avec l’esprit de l’AEI car ce concept implique le management de la vie végétale et animale à l’échelle d’un territoire donné. Il faut voir nos animaux comme des outils et nos voisins comme de potentiels clients. A l’agriculteur d’une fois encore tronquer ses bottes pour son intelligence de manageur, au service de son compte en banque, de sa terre et de son image.


9
octobre
2009

Impressions d’un agriculteur des Alpes de Haute Provence au Festival du NLSD à Vendôme

Elzéar B. exploite 120 ha en val de Durance, terres maigres d’alluvions de rivière hétérogènes. Un climat aride avec périodes de sécheresse aléatoires et qui peuvent durer. Un œil toujours rivé sur l’orage qui va vous apporter 20, 30, ou…120 mm. Heureusement, l’irrigation par aspersion permet d’assurer. Elzéar s’est rendu à Vendôme dans le Loir et Cher pour assister au Festival annuel du Non Labour (NLSD) le 16 septembre et le lendemain, il prenait part à une journée « terrain » en Sologne sur la ferme familiale de Frédéric Thomas avec 30 agriculteurs invités par Frédéric.

Elzéar B. exploite 120 ha en val de Durance, terres maigres d’alluvions de rivière hétérogènes. Un climat aride avec périodes de sécheresse aléatoires et qui peuvent durer. Un œil toujours rivé sur l’orage qui va vous apporter 20, 30, ou…120 mm. Heureusement, l’irrigation par aspersion permet d’assurer. Elzéar s’est rendu à Vendôme dans le Loir et Cher pour assister au Festival annuel du Non Labour (NLSD) le 16 septembre et le lendemain, il prenait part à une journée « terrain » en Sologne sur la ferme familiale de Frédéric Thomas avec 30 agriculteurs invités par Frédéric.

Voici les impressions principales qu’il en a retirées :

« ... d’abord, ce qui est rassurant, c’est de côtoyer des centaines d’agriculteurs de tous les horizons qui sont là pour les mêmes raisons que vous, qui cherchent à être confortés dans leurs essais plus ou moins avancés de non-labour, semis direct, couverts végétaux, mélanges de couverts, semis sur couverts pour les mieux équipés, etc. …pour moi, en effet, l’ennemi principal des gars qui démarrent dans ces voies là, c’est la solitude, le doute permanent, l’inquiétude … Il est super important de rencontrer d’autres collègues, de discuter, faire des choses ensemble, tester ses idées, parler de ses problèmes ….pour moi qui suis lancé depuis années (abandon du labour depuis 5 ans, mise en place de couverts, semis direct) c’est moins vrai maintenant, mais il y a 3 ou 4 ans, ça m’aurait fait du bien ! Il faut échanger, ne pas travailler seul dans son coin … »

« .. C’est bien pour ça que je viens à Vendôme. Moi, ce qui m’a fait démarrer là-dedans, c’est d’abord mes propres doutes sur nos méthodes traditionnelles sur ces terres pauvres à 1.5% de M.O où l’on s’échinait pour des résultats médiocres malgré labours, irrigations etc... C’est surtout une rencontre avec Claude Bourguignon en 2 000 qui m’a vraiment ouvert les yeux... … Il y a eu aussi la possibilité de faire des essais avec un semoir Huard SD300 à disques de la Chambre que personne ne savait bien utiliser. Nous, on n’arrivait même pas à gérer les masses de paille d’orge (on coupait court, en plus...) pour passer en SD avec ce matériel. Et puis, quand tu ne crois pas à quelque chose, ça ne marche pas … »

« … Aujourd’hui, j’entends l’exposé de Michel Cartier (si je me souviens bien …) qui ne s’embête pas comme nous : la paille est rassemblée en très gros andains et on sème la dérobée entre les andains qui auront pratiquement disparu au semis (direct bien sûr) de printemps. Si on avait su … »

« … Nous, on labourait, on enfouissait. L’enfouissement, valeur sacrée de nos écoles, qui devait préserver le taux de MO. Ici, les gens des SD/SCV rigolent : ils vous disent : Ne rien enfouir, tout laisser en surface… Les vers de terre détestent la nourriture « avariée, moisie » et c’est eux qui font le vrai travail du sol ! Alors on les bichonne, on leur laisse des casse-croûtes de biomasse de plusieurs tonnes (MS) par an, et ils prospèrent… ». Si vous voulez en savoir plus, ils vous renvoient sur les travaux d’Odette Ménard, cette québécoise qui vient régulièrement en France porter la bonne parole de là-bas … ».

« …Je n’ai pas été très impressionné par le matériel exposé. Rien de bien nouveau dans les trains d’outils de « non-labour ». A propos, NL, c’est le nom du festival d’accord ! Mais c’est bien les TCS, non ? Ou alors il faut qu’on m’explique... Les semoirs SD connus, beaux mais toujours chers. Vu quand même des choses intéressantes comme le semoir SD poussé du Cemagref, ou le strip-till de Duro. A suivre cette histoire de strip-till. Ça a l’air très intéressant ! Même des inconditionnels des SCV s’en occupent sérieusement, et pourtant, il y a des dents (un coutre ouvreur par élément semeur), et pas des petites... ça me fait penser qu’il faut se méfier des opinions trop tranchées pour ou contre telle ou telle façon de faire... (…la « gratouille »...) »

« .. Je n’ai pas pu voir la conférence de l’américain (Jay Fuhrer) car la salle était bondée. J’espère qu’on en aura les bons morceaux sur TCS. J’ai été très impressionné par l’exposé de Philippe Pastoureau, agriculteur en Sarthe, associé dans une Cuma dynamique. Il met en place une rotation exceptionnelle avec 5 ou 6 espèces en alternant plante commerciale et couverts. Je ne sais pas bien comment dire, mais ce gars a une vision globale, en perspective, de fait ! Toutes ses actions sont conçues en fonction de ce qu’on a fait avant, des résultats, bons ou moins bons, et de ce qu’on veut obtenir à moyen terme, une vision en quelque sorte… on observe, on réfléchit non-stop, on discute, on essaye ceci et cela, on rebricole les réglages, on tire des leçons de tout, c’est le mouvement perpétuel .. »

… « Et c’est une nouvelle leçon que je retiens : il n’y a pas de recettes, chacun doit trouver sa propre méthode dans un méli-mélo de démarches possibles, en fonction de son exploitation, les conditions climatiques, les sols, les objectifs économiques etc., tout en appuyant ses choix sur des échanges avec d’autres. Echanger, c’est apprendre ! Pendant ces 2 journées, je n’ai pas rencontré de donneurs de leçons, rien que des gens qui racontent leurs expériences, sans cacher les cartons, et qui se posent sans cesse de nouvelles questions… »

… « La leçon suivante : j’ai vraiment saisi l’importance fondamentale des couverts, tout ce catalogue d’espèces qu’on peut utiliser en variant les mélanges, les dosages, … « et tu mets combien de kilos de vesce, d’avoine brésilienne... et le sainfoin, … ah bon ! le mélilot ? le fenugrec ? ... ». On n’a jamais fini de refaire les cocktails selon les buts recherchés. Un exemple : nos collègues plus avancés ont l’objectif de contrôler les adventices par les couverts, et ils progressent bien on dirait ! C’est même le CETIOM qui vient vous parler de s’affranchir du désherbage du colza en y semant des légumineuses gélives … Et je cite à nouveau le Pastoureau de Sarthe qui conclut son exposé sur ce sujet en disant : « … nous sommes actuellement à 1.5 l/ha/an de glypho et notre objectif c’est d’atteindre bientôt 0.5l… », et je sais qu’ils vont le faire. Moi je suis à 3/3.5 l/ha/an et ça ne me plaît pas … »

Sur l’importance de la MO, pas de vraie révélation : chez nous c’est des sols de rivière pauvres, sables, cailloux, limons battants, 1.5 % de MO il y a quelques années. On voit bien que les couverts qu’on met en place depuis 5 ans ont gommé l’hétérogénéité dans les parcelles et que la végétation y est beaucoup plus régulière… ». « … Mais j’ai quand même été bluffé le lendemain chez Frédéric : les sols les plus pourris qu’on puisse imaginer, des lits de sable pur sur argile pure, toute l’année entre gadoue et béton. Et pourtant, là-dessus avec son associé, ils réussissent à faire des sols : à force d’accumuler la biomasse (Vive le maïs !), de ne pas toucher au sol, d’activer la vie organique, ils ont bâti une vie organique active en surface et développe patiemment la communication entre horizons par les vers de terre… …Leurs champs ne sont plus des mouillères impossibles passant au béton en quelques jours de soleil. Je me suis dis que finalement, chez nous, c’était moins pire ! Y’a de l’espoir ! .. »

« … Quand on voit ça, tout ce travail, cette intelligence agricole, on comprend que plus les conditions sont difficiles et plus tu dois phosphorer pour trouver des solutions. C’est vrai au fond ! Pourquoi changer quand tes terres sont très bonnes et que bon an mal an tu assures tes 80 quintaux ? Chez moi , quand tu veux implanter un semis estival de colza ou de couverts, pas de recette ! Rien n’est évident et tu es bien obligé de sortir des sentiers battus .. »

Propos recueillis par L. Le Bezhiner Base SE le 2 octobre 2009