Matthieu Archambeaud

Après avoir rejoint F. THOMAS dès 2003 et mis en place le site agriculture-de-conservation.com, M. ARCHAMBEAUD a été l’un des initiateurs d’Icosystème, plate-forme d’apprentissage en ligne dédiée à l’agroécologie, l’agroforesterie et l’agriculture de Conservation qu’il anime aujourd’hui.

Méthanisation des couverts : le beurre et l’argent du beurre (sans la fille de la crémière) ?

Matthieu Archambeaud

JPEG - 105.7 koCeci n’est pas une blague : se chauffer au pet de vache


Après la CIPAN, la CIVE (Culture Intermédiaire à Valorisation Énergétique), destinée à l’exploitation pour la méthanisation : en partant du principe qu’un couvert végétal n’a aucune valeur économique directe mais représente plutôt un coût, autant valoriser sa biomasse pour produire de l’énergie dans un bioréacteur. On adapte simplement l’idée du mélange fourrager d’interculture aux « malchanceux » qui n’ont pas d’élevage : au lieu de le donner à manger aux vaches, on le donne aux bactéries méthanogène dans une grande panse en plastique.

Quelques remarques :

- Premièrement, cela valide l’intérêt des couverts végétaux et des mélanges, aussi bien en hiver qu’en été : on peut produire de fortes biomasses à bonne valeur énergétique en interculture à condition de la semer tôt et " d’y apporter peut-être plus de soin à l’implantation que pour des cultures classiques " pour paraphraser l’agriculteur interviewé ;
- Deuxièmement, l’idée que les couverts sont un coût, imposé par une réglementation européenne écologisante mérite d’être discutée. Oui, des couverts végétaux efficaces ont un coût (100 €/ha à l’implantation) et demandent du soin et du temps. Ils apportent par contre de réels bénéfices pas toujours faciles à chiffrer (réduction de l’érosion, portance, structure, matière organique, activité biologique) : on devrait donc plutôt parler d’investissement dans le sol et on pourrait sans doute calculer un amortissement. Pour finir, et sans se projeter à 10 ans, le calcul de la quantité d’azote recyclée ou fixée suffit souvent à se rembourser dès la première année (un couvert c’est en moyenne 3 à 4 t de MS/ha, soit 90 à 150 kg/ha d’azote dont la moitié est disponible assez rapidement).
- Troisièmement, on supprime avec la CIVE une source d’énergie importante pour le sol, ce qui représente sans doute l’intérêt principal des couverts végétaux. Initialement développés pour le semis direct, l’objectif de la couverture est de remplacer l’énergie fossile utilisée par la mécanisation et la fertilisation par de la photosynthèse et de la fixation symbiotique. Si on exporte 1 culture supplémentaire tous les deux ans, on cumule les exportations et on doit résoudre le même problème de retour aux champs que les éleveurs (logistique de stockage et d’épandage des effluents, poids des machines et compaction des sols, valorisation, etc.). Pour reprendre les propos de l’agriculteur méthaniseur : " les difficultés logistiques et de main d’œuvre sont les mêmes que dans un élevage, sans doute plus importantes car les installations de méthanisation sont plus conséquentes. "

Quelques données :

- étude de l’IRSTEA
- étude d’Arvalis dans le Sud-Ouest

Au final, on arrive à produire entre 6 et 8t/ha MS de biomasse pour des CIVE d’hiver et 4 à 6 t/ha MS pour des CIVE d’été implantée tôt et fertilisée, ce qui est concordant avec ce qu’on arrive à produire en interculture. Au niveau énergétique on arrive à produire entre 500 et 2000 L/ha de méthane (soit grosso modo la même quantité de fuel ; si on enlève les 30% de pertes liées à la chaleur (mal valorisée le plus souvent) avec la cogénération électrique, il nous reste 350 à 1300 L/ha de méthane, ce qui n’est pas négligeable. Il restera à enlever les coûts énergétiques liés à la mécanisation (semis, épandage du digestat, ensilage, stockage, transport), l’énergie grise liée à la construction du méthaniseur, des tracteurs, des remorques, des ensileuses, etc...

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Un problème politique ?

Si on reprend le sujet à la base, on est devant un problème politique et non technique. La France refuse (à juste titre à mon avis) l’utilisation de cultures alimentaires pour produire du biogaz : l’objectif est plutôt d’utiliser les effluents d’élevage comme matière première pour éviter des pollutions liées aux épandages. Mais il est faux de croire qu’on va produire du biogaz de manière compétitive en utilisant exclusivement des engrais de ferme et des ordures ménagères : «  Cher (1,5 million d’euros en moyenne), compliqués, chronophages, d’une rentabilité aléatoire... Au nombre de 180 en France, les méthaniseurs agricoles ne tiennent pas leurs promesses. Les exploitants qui se sont lancés dans l’aventure sont déçus. » (Les Échos, 03/03/15). Cela est tout simplement lié au fait que les animaux ont déjà prélevé à leur profit la majeure partie de l’énergie et qu’il ne reste plus grand chose dans un lisier ou un fumier :

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De cette situation de fait on a sans doute pensé retomber sur ses pieds en faisant la promotion des CIVE en se basant sur le potentiel des couverts végétaux... En réalité on se dirige lentement vers une solution à l’allemande pour rentabiliser des installations hors de prix. Les Allemands (80% des installations mondiales) se sont focalisés sur le maïs pour atteindre l’efficacité optimale, sachant qu’une installation de taille moyenne consomme annuellement la production de 200 ha de maïs ensilage, produit 20 000 t de déchets de digestion et pose aujourd’hui de sérieux problèmes à l’agriculture allemande voir ici.

Si la rentabilité des installations CIVE + déchets urbains ou d’élevage veut être optimisé, on verra sans doute se développer des rotations ou c’est l’interculture qui deviendra subrepticement la culture principale : des CIVE à base de maïs, sorgho, tournesol, éventuellement avec irrigation, désherbage, etc... La réflexion de Jean-François Delaitre sur la rotation est à ce titre intéressante : « de l’orge plutôt que du blé pour semer plus tôt les CIVE d’été et abandon du colza comme culture énergétique, une culture qui occupait 11 mois de l’année sans produire beaucoup de biomasse. »

Sinon on peut toujours produire du biogaz à l’indienne :