Matthieu Archambeaud

Après avoir rejoint F. THOMAS dès 2003 et mis en place le site agriculture-de-conservation.com, M. ARCHAMBEAUD a été l’un des initiateurs d’Icosystème, plate-forme d’apprentissage en ligne dédiée à l’agroécologie, l’agroforesterie et l’agriculture de Conservation qu’il anime aujourd’hui.

Agriculture de conservation : Cap à l’Est ! (1)

Club Soilteq en RussieDepuis 2015, j’ai la chance de travailler sur un projet de développement de l’agriculture de conservation dans dans quatre pays de l’UE (République Tchèque, Pologne, Roumanie et Bulgarie), ainsi qu’en Ukraine et en Russie. Ce projet Soilteq (comme Soil Technology) a été mis en œuvre par Soufflet Agro, filiale du groupe Soufflet implantée en République Tchèque. L’objectif est de développer l’agriculture de conservation en s’appuyant sur les réseaux d’agriculteurs innovants : je rencontre ces groupes deux fois par an pour leur donner les bases de l’AC et leur fournir un appui technique.

Cette vidéo vous donne un aperçu de ce que peut être le projet en Ukraine :

Ce projet est pour moi l’occasion de vous parler de ce qui se passe là-bas au niveau technique mais également au niveau économique et politique : un sujet sur lequel je reviendrai dans un prochain post et qui mérite de s’y pencher.

Au niveau agricole, il faut distinguer les pays de l’Union Européenne (République Tchèque et Pologne) dans lesquels les agriculteurs ont (quasiment) les mêmes contraintes réglementaires que les agriculteurs français, avec des surfaces, un niveau technique et un équipement comparables. Le climat n’est pas non plus tellement différent à part un caractère continental un peu plus marqué (été chaud et hiver froid). Ces pays sont soumis aux mêmes directives agricoles et les couverts végétaux y sont donc une contrainte administrative : les pionniers cherchent comme en France à en faire un avantage. Je ne parlerai pas ici de la Roumanie et de la Bulgarie, pays dans lesquels je ne m’occupe pas pour l’instant de l’appui agronomique.

La situation de l’Ukraine et de la Russie est différente. D’abord parce que la taille et l’organisation des fermes ne sont pas les mêmes (pour caricaturer : la superficie est comprise entre 1 000 et 10 000 ha pour l’Ukraine, et entre 10 000 et 100 000 ha, parfois plus, pour la Russie). Ensuite parce que le climat continental commence à être réellement marqué et qu’enfin, au niveau technique, les connaissances des agriculteurs et des opérateurs est très inégale. La recherche de l’efficacité économique est dans ces pays un gage de survie dans des systèmes non subventionnés couvrant de grandes surfaces : la porte d’entrée de l’AC est ici davantage la réduction du travail du sol : semis direct, TCS, strip-till.

Si on sait que le semis direct fonctionne très bien dans les zones continentales (cf. Canada et États-Unis), la bonne nouvelle technique (pour eux, pas forcément pour nous) est que l’AC est parfaitement adaptée. Deux cartes du monde permettent de comprendre assez rapidement :

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Au niveau des températures, la situation de la Russie (et dans une moindre mesure de l’Ukraine) est la même que celles des grandes plaines canadiennes et américaines : fortes chaleurs en été et froid intense en hiver. Cela donne toute une batterie d’avantages aux systèmes en semis direct (SD) : sols de prairie (très) riches en humus, restructuration mécanique des sols en été et en hiver, peu d’excès d’eau gênants en SD, parasitisme réduit, etc.

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Au niveau des précipitations, la situation est meilleure pour l’Europe de l’Est, avec des niveaux de précipitations comparables aux nôtres mais différemment répartis. Cela signifie que contrairement aux grandes plaines américaines “condamnées” à produire peu, l’Est est capable de produire beaucoup, sur de grandes surfaces (sujet du prochain post sur l’Est). Si on se penche plus attentivement sur les différences climatiques en comparant par exemple celui de Tours en France et de Moscou, deux points sautent aux yeux :

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La température est plus basse en hiver (jusque là rien de neuf, tout le monde le savait...) mais pas forcément plus haute en été. Au niveau de la rotation, aujourd’hui seul le blé peut être implanté à l’automne et passe correctement l’hiver, bien que des essais de variétés de colza et d’orge soient en cours... Les couverts quant à eux n’ont aucune chance de survivre, ce qui ouvre une foule d’opportunités (couverts avant cultures de printemps, couverts permanents, blés associés...)

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Plus intéressant :

  • le printemps est plus sec que chez nous (fait aggravé dans ces pays par le fait que les précipitations soient sous forme de neige jusque tard en saison) mais permet de faire de l’AC sans trop de difficultés à condition de résoudre les problèmes de fertilisation au semis pour compenser le retard à l’allumage
  • par contre, l’été est plus humide, ce qui en fait une période propice à la production des cultures de printemps (maïs, soja, tournesol) mais également de couverts végétaux performants. Seul bémol, l’implantation doit réellement intervenir tôt car la saison se termine rapidement en Russie (fin septembre) ; le cas de l’Ukraine est plus favorable puisque l’interculture est un peu plus longue.

Pour terminer, une petite vidéo de semis sous couvert en Ukraine (le couvert a été semé en TCS après récolte ; vous noterez le problème récurrent de répartition des menues-pailles qu’on voit parfaitement sur la vidéo) :

JPEG - 217.5 koLe résultat : un blé propre avec un bon potentiel ... mais dans lequel on retrouve les repousses d’orge du précédent

JPEG - 300.6 koPour le profil de sol : tchernoziom dans lequel le blé descend profondément sans problème (malgré une structure encore imparfaite) ; ces sols allient l’avantage des limons profonds sans leurs inconvénients grâce à des taux d’humus importants (7% à 15%).

JPEG - 168.9 koPour ne pas faire de jaloux, on trouve quand même des régions entières avec de jolis bacs à sables (on voit même ici la couche organique qui a été enfouie dans le fond de labour).