Djamel BELAID

  • Semoir de SD Sola - Boudour en Algérie
  • Sécheresse en Algérie - le non labour peine à se développer
  • Exemples de semoirs de SD en Syrie
  • Plant de Medicago
  • Rencontres ICARDA juin 2022
21
juin
2022

Algérie, l’agriculture de conservation passe par les fourrages

Face au réchauffement climatique, les choses bougent doucement en Algérie. Trop doucement...

Rencontres ICARDA juin 2022
Rencontres ICARDA juin 2022
Des rendements ont été inhabituellement bas en Algérie cette année. Barbara Rischkowsky (ICARDA)

« Les rendements ont été inhabituellement bas en Algérie cette année. Cela nous montre à quel point nous devons travailler plus dur pour trouver des solutions » prévient Barbara Rischkowsky, chef d’équipe au Centre International de Recherche sur l’Agriculture dans les zones sèches (ICARDA). Un constat émis lors d’une rencontre à la mi-juin à Sétif afin de tirer le bilan d’un programme sur l’association entre céréales et élevage. Une lueur d’espoir, le développement des méteils.

A Sétif, déjà 24 semoirs pour semis direct

Le semoir Boudour produit localement
Le semoir Boudour produit localement

Dans la région de Sétif (250 km au sud-est d’Alger), le message relatif aux bienfaits de l’agriculture de conservation semble avoir été entendu. Ce sont 241 agriculteurs qui ont été associés aux actions de vulgarisation de l’ICARDA sur près d’un millier d’hectares. Les services agricoles ne jurent que par l’irrigation de complément. Pourtant sans irriguer, les résultats obtenus sont probants. Le travail minimum du sol en remplacement du labour a permis des gains moyens de rendement de 1,5 à 4,5 qx/ha tout en réduisant les charges de 10 à 17%. Quant aux agriculteurs qui ont choisi le semis direct, le gain est de 6 à 14 qx/ha avec une diminution des charges de 13 à 24%. L’explication réside dans une meilleure infiltration de l’eau de pluie dans le sol et dans l’économie des 25 litres de carburant auparavant utilisés pour le labour. La région compte 24 semoirs pour semis direct dont des semoirs low cost fabriqués localement par l’entreprise publique PMAT.

La paille réservée pour les moutons

Abandonner le labour nécessite cependant une lutte acharnée contre le brome. La présence de l’élevage du mouton complique également la mise en place de l’agriculture de conservation. Traditionnellement la paille est utilisée comme fourrage et les terres ne sont travaillées qu’une année sur deux pour servir de jachère pâturée.
Le sud de la région de Sétif correspond à une zone marginale aux sols peu profonds et aux printemps gélifs. Face à la faiblesse des rendements en blé dur (15 quintaux par hectare), la présence d’un élevage ovin sur les exploitations permet d’assurer un revenu complémentaire.
Le mérite du programme de l’ICARDA est d’avoir tenu compte des particularités locales. Ainsi, pour le spécialiste tunisien Aymen Frija « l’une des réussites du programme a été de casser les cloisons entre les domaines d’expertise : spécialistes des productions animales et végétales, économistes, chercheurs, développeurs, secteur privé et associations d’agriculteurs ont tous collaboré pour atteindre les mêmes objectifs. »

L’expérience tunisienne pour produire du fourrage

L’exemple de la Tunisie est intéressant. Pour produire en même temps des céréales et des moutons, ce pays s’est lancé dans le développement des cultures de fourrages et de semences avec pour objectif d’augmenter la valeur fourragère des surfaces en jachère pâturée. Des jachères à la flore spontanée de faible valeur nutritive.
Pour Mohamed Abdelhak Khorchani, le directeur de production de semences de la société tunisienne Cotugrains : « Grâce à notre implication dans le programme de l’ICARDA, nous avons progressivement augmenté notre production et notre commercialisation de semences de mélanges fourragers à 200 tonnes par an, pour pouvoir répondre à la demande croissante des agriculteurs. L’objectif commercial de Cotugrains est de commercialiser 500 tonnes d’ici 2025. » Cotugrains, filiale du groupe Hortimag, développe une politique de contrats avec des agriculteurs qui se spécialisent dans la production de semences fourragères. Aux traditionnels fourrages naturels des jachères, il est aujourd’hui possible de semer des mélanges comportant vesce, triticale, avoine et fenugrec. La commercialisation de mélanges de semences prêts à être semés est une première en Tunisie.

Prémices d’une révolution fourragère en Algérie

Initiative dont le directeur général de l’Office tunisien de l’élevage et des pâturages (OEP) s’est félicité : « L’OEP est heureux de voir des acteurs privés et des entreprises s’engager dans la production de semences fourragères, ce qui comble les lacunes et améliore les équilibres dans les calendriers d’alimentation du troupeau en Tunisie.  »
En Algérie, l’expérience tunisienne est suivie de près. A Aïn El Bey (Constantine), l’agriculteur Mohamed Haroun co-gestionnaire d’Agro-Enrubannage, une société de prestation de services, propose un mélange fourrager comportant graminées, légumineuses et colza. La société Axium de Constantine développe également un ambitieux programme de production de semences. A Sétif, pour la seule année 2021, ce sont plus de 8 234 moutons qui ont bénéficié de ce type d’alimentation.

Produire des références techniques locales

Les initiateurs de ce programme ont tenu à toucher le maximum d’agriculteurs. Ils ont multiplié les rencontres et les brochures de vulgarisation en langue arabe : santé des animaux, fourrages, rotation des cultures, lutte contre les mauvaises herbes et fertilisation. Un peu plus de 8 000 moutons concernés sur un cheptel national de plus de 20 millions de têtes ainsi qu’un millier d’hectares concerné sur les 8 millions de terres céréalières. Une goutte d’eau dans l’océan ? Mais des références techniques locales irréfutables.


15
avril
2022

La réussite de la rotation blé-médicago passe par le semis direct

Au Maghreb, dans les zones céréalières, traditionnellement l’élevage ovin est associé à la céréaliculture. Des enquêtes montrent que "les années où les pluies d’automne sont précoces et abondantes, la jachère est riche et la croissance des agneaux élevé. Par contre, lorsque les premières pluies sont tardives (fin décembre), la jachère est pauvre et la croissance faible (de 3,8 kg à 9,3 de 10 à 90 jours)." Dans les années 1970, en Algérie et en Tunisie, c’est ce constat qui a amené les services agricoles à tester le système australien blé-medicago. Le semis direct pourrait donner un nouvel élan à ce type de rotation. Retour d’expérience.

Le medicago, une plante familière en Afrique du Nord

Plant de Medicago
Plant de Medicago

Le medicago est une plante familière en Afrique du Nord. Elle pousse spontanément partout dans nos champs explique l’agronome tunisien Ali Haddad(1) : "On compte dans certaines prairies jusqu’à 60% de medicago parmi les adventices." La plante est si présente localement qu’elle a pu avec le temps développer un rhizobium qui lui est favorable si bien que les variétés importées n’avaient pas senti le besoin d’être inoculées poursuit-il. Même chose en Algérie, où Aïssa Abdelguerfi enseignant-chercheur à l’INA d’Alger a répertorié de nombreux écotypes à forte productivité malgré l’emploi du 2-4 D.
En Tunisie, les essais ont démarré dès 1971. Il s’agissait de définir les variétés les mieux adaptées, la fertilisation adéquate, l’effet de l’inoculation, la date et la densité de semis, le rendement du blé sur précédent medicago et la régénérescence naturelle de cette légumineuse dans la rotation. Les graines de medicago présentent la particularité de posséder un tégument épais, aussi la germination n’est possible qu’au bout d’une année. Une année mise à profit pour semer du blé.
 

Utilisation de variétés "australiennes"

une parcelle en Australie avec régénération du medicago entre les chaumes de blé
une parcelle en Australie avec régénération du medicago entre les chaumes de blé

Sur les 4 variétés australiennes testées, deux ont été retenues Jemalong (Medicago truncatula) et Harbinger (Medicago littoralis). A l’époque, en Algérie, des voix se sont élevées contre ces variétés "australiennes" obtenues à partir d’écotypes locaux. L’Afrique du Nord est en effet la zone de diversification du medicago.
L’inoculation des semences s’est avérée inutile de même que la fertilisation azotée. Par contre un effet positif a été noté lors d’apports d’engrais phosphatés.
Les semis précoces ont donné les meilleurs rendements et il a été recommandé "de semer plus tard que fin novembre." Les semis de début octobre présentent l’avantage d’allonger la période de pâturage jusqu’à la floraison du medicago et donc de contrôler les adventices. A cette date, il s’agit de laisser la plante former le maximum de gousses.
Les essais menés en Tunisie ont montré qu’une plus grande dose de semis permettait d’obtenir une parcelle plus propre. Avec une densité de semis de 15 kg/ha, on ne comptait plus que 10% d’adventices.
Les essais menés dans la région de Fès au Maroc ont montré que la rotation biennale blé/medicago, « permet l’augmentation et la diversification de la sole fourragère, fournit un fourrage relativement abondant et de bonne qualité et constitue un bon précédent cultural pour la céréaliculture ».
 

En station, des essais prometteurs

Les essais ont aussi comparé les rendements de blé avec précédent medicago ou jachère. Les agriculteurs n’acceptant pas que les rendements en blés de jachère soient diminués. Aucun effet dépressif du medicago n’a été détecté. C’est même le contraire qui s’est produit comme en témoigne la moyenne de 7 essais réalisés en 1981 dans différentes localités avec une pluviométrie moyenne de 350 à 450 mm avec trois doses d’azote.
 

Rendement du blé selon le précédent et trois doses d'azote - Moyenne de 7 essais en 1981
Rendement du blé selon le précédent et trois doses d’azote - Moyenne de 7 essais en 1981

Sources : Le système medicago-blé et son évolution en Tunisie (Ali Haddad).

Le système blé-medicago à l’épreuve de la réalité du terrain

Les services agricoles sont ensuite passés à la vulgarisation à large échelle. Ils visaient l’installation de 5000 ha de medicago. Cet objectif n’a été atteint qu’en 1977. Il est apparu que la régénération naturelle du medicago ne se produisait pas comme initialement prévu. La cause ? Le surpâturage. Certains agriculteurs avaient l’habitude de louer leur jachère à des éleveurs. Et ils ont même profité de la productivité accrue pour multiplier par dix le prix de la location. Ali Haddad explique que c’est le cas de la ferme Essaada à El Fahs où l’hectare loué est passé de 5 dinars tunisiens à 50 dinars. Sauf que l’éleveur n’a jamais respecté la règle d’arrêter le pâturage durant la floraison. De telles situations ont souvent été également observées en Algérie.
Mais le coup de grâce est venu des labours profonds. Pour beaucoup d’agriculteurs maghrébins, l’effet bénéfique de la jachère réside dans l’emmagasinement des eaux de pluie. Quelle n’a été la stupeur des services agricoles de voir certains agriculteurs qui avaient semé du medicago se précipiter, après la phase de pâturage, pour labourer leur parcelle. L’enfouissement profond des semences de medicago leur a été fatal. La régénération naturelle du medicago n’a pas eu lieu.

Éleveurs, une vision à court-terme ?

Du côté algérien, un rapport tirant le bilan du projet blé-medicago note "comme dans tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, des contraintes socio-économiques s’opposant à l’introduction et au développement du système du ley farming". Sont ainsi énumérés une attitude "opportuniste" qui vise à utiliser à court terme le fourrage disponible lors du pâturage, une charge généralement trop élevée, des exploitations trop petites et souvent morcelées et un manque de semences.
Pour sa part, Aïssa Abdelguerfi attribuera cet échec "au type de matériel végétal inadapté et aux itinéraires techniques appliqués pour la céréale."

Le semis direct, un moyen d’éviter l’enfouissement des semences ?

A l’époque du projet medicago, que ce soit en Tunisie ou en Algérie, le matériel pour semis direct était inconnu. Aujourd’hui à Tunis, la société Cotugrains commercialise des semoirs Semeato pour semis direct (SD). En Algérie, grâce à une collaboration avec l’espagnol Sola, il existe une production locale de semoirs SD. La question de l’enfouissement profond des semences de medicago pourrait donc être levé. Le prix des engrais azotés ayant doublé, le medicago pourrait contribuer à enrichir le sol en azote.
Mais, pour permettre l’engraissement du mouton de l’Aïd, l’Office des céréales (OAIC) se tourne vers l’importation d’orge et la production d’ensilage de maïs-fourrage sous pivot d’irrigation. Bénéficiant de larges subventions, cette production a le vent en poupe ; mais elle n’est pas sans contraintes. A Adrar, en plein désert, les parcelles de Mohammed Sellaoui ne sont pas raccordées au réseau électrique. Il doit utiliser un groupe électrogène qui consomme chaque jour 300 litres de carburant pour actionner un pivot de 30 ha.

Mr Badreddine Benyoucef, fervent défenseur de cette rotation lors de son intervention dans un séminaire régional
Mr Badreddine Benyoucef, fervent défenseur de cette rotation lors de son intervention dans un séminaire régional

Aujourd’hui, le projet medicago est enterré ; on ne trouve plus de semences australiennes ni de production de semences à partir d’écotypes locaux. En 2016, à M’Sila au terme d’un séminaire consacré à l’agriculture en zone semi-aride et organisé par l’université locale, l’agronome Badreddine Benyoucef, fervent partisan du système blé-medicago, lançait : "qu’on me procure des semences de medicago et je vous prouverais l’intérêt de cette rotation".
Le dossier médicago n’est peut-être pas clos...

Pour en savoir plus :
- Perspectives d’avenir de la jachère pâturée dans les zones céréalières semi-arides K. Abbas, A. Abdelguerfi. Fourrages (2005) 184, 533-546. Voir le site : afpf-asso.fr.
- Comparaison de la rotation blé/medicago à des rotations traditionnelles dans la région de Fès. Al Awamia – N° 83 - Décembre 1993.

(1) Le système medicago-blé et son évolution en Tunisie. Ali Haddad.


21
mars
2022

Algérie : le colza au secours du semis direct

Deuxième année de relance du colza en Algérie. Une aubaine pour l’extension de la pratique du semis direct. Car rien n’y fait : économie de carburant, réduction des coûts d’implantation, meilleure valorisation de l’humidité du sol, rapidité de semis. Tous ces avantages sont balayés par un seul argument : l’extension des infestations en brome avec le semis direct. Insérer un colza dans la rotation pourrait réduire ce genre d’infestation et "couper l’herbe sous le pied" des détracteurs du semis direct.

Colza, une relance ambitieuse

La relance du colza par l’Institut Technique des Grandes Cultures date de l’année dernière. L’objectif était de semer 3 000 hectares. Pour rendre attractive la culture, le prix d’achat du quintal de colza a été fixé à 9 000 DA(1) contre 7 500 DA l’année passée. Par comparaison, le prix d’achat du quintal de blé dur est de 6 000 DA. La marge brute par hectare est donc intéressante mais à condition d’arriver à un minimum de 20 q/ha. Des pointes de plus de 30 quintaux ont été observées. Pour la campagne agricole en cours, les services agricoles disent viser les 40 000 hectares. Outre les semences, des barres de coupe verticales ont été importées.

L’Algérie tente de répondre aux importations croissantes d’oléagineux. Ce défi concerne également la Tunisie et le Maroc. Depuis 2014, ces deux pays se sont attelés à relancer la culture du colza et du tournesol. Ils ont fait appel à l’expertise française notamment à travers les filiales locales du groupe Avril fortement investi dans la région. Ces deux pays importent massivement des semences et bénéficient d’un soutien financier et technique de l’Union Européenne dans le cadre du programme Maghreb Oléagineux. L’aide technique englobe des essais expérimentaux et une vulgarisation incluant des documents et la production de vidéos en langue arabe.

Les colzas qui se plaisent en zone littorale

Pour beaucoup d’agriculteurs, la culture du colza est une première. La mobilisation d’équipes de techniciens de l’ITGC a permis d’installer du colza dans les endroits les plus improbables : depuis la riche plaine côtière d’El Tarf, jusqu’en plein Sahara sous pivot d’irrigation ou entre les palmiers en passant par les hautes plaines céréalières du Constantinois.

Beaucoup d’agriculteurs tâtonnent : trop grand espacement entre rangs, surdosage sur la ligne de semis, fertilisation azotée insuffisante, herbicides périmés, égrenage lié à des retards à la récolte.

Colza département d'El Tarf, Algérie - mars 2022A Besbes, (département d’El Tarf), les plants de colza atteignent près de 2 mètres de haut. Hamza Bounour, le délégué local de la firme Basf, pose fièrement devant la parcelle. Pour lui, mieux que des prévisions de surfaces décidées dans des bureaux, le développement de la culture peut faire tache d’huile à partir de parcelles correctement suivies et d’agriculteurs satisfaits.

La culture a été semée le 3 novembre et a reçu 100 unités d’azote sous forme d’urée 46% et un traitement fongicide contre le phoma.

Les plants présentent un développement impressionnant. Kraïmia Hamid est l’heureux propriétaire de la parcelle. C’est la deuxième année qu’il sème du colza et dit avoir acquis de l’expérience. Le représentant de Basf compte le nombre de tiges à la base d’un pied et en dénombre 12. Déjà les premières siliques apparaissent et les abeilles suivent.

Mais précise l’agriculteur, "cela n’est obtenu que grâce à un fort apport d’azote. La parcelle voisine qui n’en a reçu que les deux tiers est nettement moins développée".

Parmi les variétés utilisées, celles de Basf font l’objet d’une large vulgarisation par le biais de technico-commerciaux recrutés localement. Les variétés commercialisées appartiennent à la gamme InVigor de type controversé Clearfield résistantes aux imidazolinones.

La transformation de la production est assurée par l’entreprise AGC-SIM d’El Hamoul (Oran) qui fonctionne habituellement avec des graines de soja importées. Cette entreprise développe un partenariat avec le groupe Avril et approvisionne aujourd’hui la majorité des unités de raffinage des huiles brutes.

Définir les zones de culture du colza

Reste à voir si la rentabilité de la culture est assurée dans les zones céréalières de l’intérieur du pays. Dans les années 1970, des essais de culture de carthame avaient été tentés. L’extraordinaire développement en Australie de cet oléagineux adapté au climat semi-aride mériterait d’être pris en compte par les services agricoles algériens. L’extension de la culture des oléagineux permettrait de rompre avec la monoculture des céréales à paille et du cortège associé : infestations de brome, ray-grass mais aussi de vers blancs et de permettre ainsi l’extension du semis direct.

(1) Pour apprécier la valeur du Dinar Algérien, une baguette de pain coûte 10 DA.


22
février
2022

Céréales en Algérie : deux années de sécheresse

"J’ai passé des années à vous expliquer cela ...et peu de personnes ont écouté... Maintenant, j’ai plus de 60 ans et plus beaucoup l’envie de me déplacer pour rien. Dommage je vous aime bien". En ce début février, Michel Dedenon donne son avis sur les réseaux sociaux algériens à propos de l’effet desséchant du labour. Ce conseiller de plusieurs céréaliers et éleveurs est apprécié sur la rive sud de la Méditerranée.

Sécheresse en Algérie - état des semis
Sécheresse en Algérie - état des semis
Semences semées en décembre et non germées 50 jours après, région de Batna.

Le motif de ce coup de gueule ? Les plaintes des céréaliers dépités suite à une deuxième année de sécheresse. "Il n’a pas plu depuis 50 jours, les semences sont telles qu’on les a mise en terre" s’exclame Saïd Behaz un céréaliculteur de Batna (sud Est d’Alger). A l’appui, un sillon de sa parcelle où il a mis à nu les semences de blé. On dirait qu’ils viennent d’être mis en terre".
Certes, toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne. Au centre, au mois de décembre, les pluies ont été abondantes, moyennement à l’Est mais particulièrement absentes à l’Ouest. Ceux qui ont semé en sec fin octobre ont vu leurs blés lever, mais avec la sécheresse qui a suivi, de nombreuses parcelles sont clairsemées. Dans le grenier à blé de Rahouia (Tiaret), l’agronome Mokhtar Zair note une réduction du tallage : " dans le meilleur des cas, la densité est de l’ordre de 150 pieds par m2. Nous sommes en 2ème quinzaine de février et le nombre de grains est en cours de formation surtout chez les variétés précoces. Si le stress hydrique se poursuit jusqu’en fin février, cette 2ème composante va être également affectée".

Les parcelles sont doublement handicapées : une irrégularité des pluies et la persistance de la pratique des labours qui assèchent les premiers centimètres du sol.
De plus en plus d’agriculteurs ont pourtant entendu parler de non-labour et de semis direct. Certaines exploitations le pratiquent, mais leur nombre reste faible.
Un autre handicap limite la résistance des blés à ces périodes de stress hydrique : le manque de restitutions organiques. Après récolte, les pailles sont vendues à prix d’or et les chaumes loués aux éleveurs. A la fin de l’été, pas le moindre brin de paille ne subsiste sur le sol. La seule matière organique qui échappe à la dent des moutons est celle des racines mais elle est par les labours et les reprises avec les déchaumeurs à disques (cover-crop).

Sécheresse en Algérie - le non labour peine à se développer
Sécheresse en Algérie - le non labour peine à se développer
Céréalier observant attentivement une parcelle bien chétive

Au milieu des années 1970, un partenariat avec des australiens a lancé l’idée d’une rotation céréales-médicago. Mais le surpâturage en période de formation des gousses et la poursuite du travail profond du sol n’ont pas permis les resemis naturels attendus. Les travaux de Lucien Seguy en Tunisie consistant à semer des céréales dans une luzernière sont à peine connus.
Bien que l’usage des engrais se soit nettement développé, le maintien d’une "agriculture minière" rend incapables les plantes de résister aux coups de secs de plus en plus fréquents avec le réchauffement climatique.

Sécheresse en Algérie - irrigation de fortune
Sécheresse en Algérie - irrigation de fortune
Arrosage de fortune à l’aide d’asperseurs à Tiaret, grande région céréalière au sud ouest d’Alger.

Djamel BELAID, ingénieur agronome franco-algérien et auteur de "L’Agriculture en Algérie. Ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise" Editions l’Harmattan (Paris), 256 pages, octobre 2021.


24
avril
2017

ALGERIE, SEMIS DIRECT EN ZONE STEPPIQUE

En Algérie, la steppe correspond à une zone de plus de 20 millions d’hectares. La pluviométrie y est en moyenne de 250 mm et les sols superficiels. C’est le pays du mouton et de l’alfa. Les ressources fourragères des parcours étant insuffisantes, les éleveurs ont tendance à distribuer des rations d’orge en grains. Pour pallier à l’insuffisance des quotas d’orge subventionnés vendus par les antennes de l’Office des Céréales, les éleveurs ont tendance à semer de l’orge. Ils défrichent la steppe à l’aide de charrues ou de cover-crop ce qui accélère l’érosion éolienne et entretient un processus de désertification préoccupant.

SD en Algérie
SD en Algérie
Technicien de l’ITGC expliquant le réglage de la dose de semis

Dans les zones à sols plus profonds, il est possible de pratiquer une céréaliculture d’appoint. Le Haut Commissariat au Développement de la Steppe (HCDS) et l’Institut Technique des Grandes Cultures (ITGC) vulgarisent le semis direct. Ils utilisent notamment le semoir de type Aschbel conçu en Syrie entre 2005 et 2011 avec l’aide australienne. Il s’agit d’engins rustiques à distribution proportionnelle à l’avancement permettant la localisation des engrais. Dans ces sols calcaires, ce mode de fertilisation réduit les risques d’insolubilisation des engrais phosphatés.

« UNE EXPERIENCE REUSSIE »

Les quelques parcelles tests où des essais ont été réalisés ont suscité une large adhésion des éleveurs. C’est le cas de Mohamed ATOUAT, agriculteur à Djelfa. Interrogé en novembre 2015 par les ingénieurs du HCDS sur l’utilisation du semis direct en remplacement du labour, il déclare qu’il s’agit d’une « expérience réussie ». Témoignage (https://youtu.be/5daD0qjWHTk) :

Témoignage de M. Atouat sur le SD en Algérie
Témoignage de M. Atouat sur le SD en Algérie
Mohamed ATOUAT, agriculteur à Djelfa, adepte du semis direct

« Cette façon de faire... Cet engin... Il a réussi à 100 pour 100. On a fait l’expérience l’an passé. Cela a donné une bonne production. Nous avons comparé le labour avec le tracteur et le travail avec cet engin. On a donc labouré, mis de l’engrais et du fumier. Et on a comparé avec l’autre parcelle. On a mis la même dose de semis. La parcelle labourée a donné un rendement de 25 qx/ha alors qu’on avait mis de l’engrais et du fumier. On lui avait tout mis. Et l’autre qu’on avait travaillé avec l’engin, on ne lui a rien donné de tout cela [l’engrais et le fumier. Ndlr.] Elle n’était arrosée qu’avec la pluie. On lui a mis ni engrais ni fumier. Le travail de cet engin a donné 36 qx/ha. ’’Tadjriba nadjeha’’. C’est une expérience réussie. »

UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT RURAL

Le semis direct constitue donc une opportunité afin de développer une production locale d’orge. Comme en Australie, l’orge peut être utilisée selon la technique du double emploi ou « grain and graze ». A un pâturage d’automne de l’orge en vert ou « g’sil », s’ensuit une production de grain. Ce qui implique d’arrêter le pâturage à la fin tallage. Les modèles syriens ou turcs de semoirs low-cost correspondent à l’attente des éleveurs (voir la vidéo : https://youtu.be/vgc9SXhNbtE ).

Il s’agit de semoirs à dents dont les sillons jouent le rôle de collecteurs d’eau de pluie (impluvium). Face aux sécheresses automnales, c’est là un atout non négligeable afin d’assurer la réussite des semis précoces.
Le défi actuel est d’arriver rapidement à une production locale de semoirs dont les réparations pourraient être assurées par des artisans locaux.


30
mai
2016

L’extraordinaire développement du SD en Syrie

Si en Syrie, l’actualité est tragique, le semis direct se porte bien, du moins jusqu’à 2012.

DES RESULTATS SPECTACULAIRES

En 2007, le SD était inconnu en Syrie. Mais dès 2011, il était pratiqué sur 30 000 ha par plus de 500 agriculteurs. Cette avancée spectaculaire est due à la coopération australienne. Dès 2005, dans le cadre d’un projet ICARDA, une équipe d’experts australiens a été basée à Alep.

Progression du SD en Syrie
Une progression croissante du SD. Avec les évènements, des constructeurs se sont adaptés et proposent des kits de conversion pour semoir conventionnel.

Dans un premier temps, des essais comparatifs ont été menés en station. Le SD a permis des semis précoces avec localisation des engrais et donc des rendements nettement supérieurs. Des essais ont été menés en parcelles agriculteurs avec des groupes constitués. L’originalité de la démarche australienne a été d’associer des artisans locaux à la mise au point de semoirs SD. Particulièrement dynamiques, ces artisans ont vite produit des prototypes. Ces semoirs low-cost accessibles à partir de 1 500$ ont vite été adoptés par les agriculteurs. Outre de meilleurs rendements, particulièrement en année de sécheresse, le gain de temps et la moindre consommation en carburant ont été des arguments décisifs.

L’autre particularité de la démarche australienne a été d’adapter l’agriculture de conservation aux conditions locales. La présence d’un élevage ovin associé à la céréaliculture fait que localement, les pailles sont très recherchées. Aussi au lieu d’imposer le SD avec couvert végétal et rotations longues, le projet a d’abord mis en avant le non-labour.

CONSTRUCTION LOCALE LOW-COST

La production locale est essentiellement assurée par 8 artisans locaux installés principalement autour d’Alep. Avant 2012, ce sont 92 semoirs qui ont été produits. Une partie d’entre-eux a même été exportée. Le SD s’est également propagé à l’Irak. Il s’agit de semoirs à dents moins complexes et plus faciles à entretenir que ceux à disques. Ils sont dérivés du modèle australien John Shearer. La configuration des dents permet la formation de sillons collectant l’eau provenant des moindres épisodes pluvieux. L’humidité au niveau des semences assure une germination-levée rapide et régulière particulièrement appréciée dans cet environnement semi-aride.
Le large écartement entre dents permet la gestion des résidus de récolte. La trémie surélevée assure la descente des semences et des engrais par simple gravité.

Exemples de semoirs de SD en Syrie
Al-Bab (modèles Ar-Rachid 2,30 m ou 3,50 m à gauche sur le montage photos), Qabassin (modèles Aschbel 2,30 m ou 3,80 m au centre) et Kamashile (modèles Arrous 2,30 m ou 3,50 m à droite du montage photos).

UNE COOPERATION GAGNANT-GAGNANT

En Syrie, les constants progrès du semis direct avant 2012 ont reposé sur une bonne disponibilité de semoirs SD. La présence de petits constructeurs proches des agriculteurs a permis une inter-activité favorisant l’amélioration constante des semoirs. Par leur dynamisme commercial, les constructeurs locaux ont grandement contribué à la vulgarisation du SD. La production locale de semoirs à prix abordable a été déterminante. Elle a été possible grâce à l’aide des experts australiens et au dynamisme des artisans de la région d’Alep. La coopération australienne a été assurée par des universités australiennes et l’Australian Center for International Agricultural Research (ACIAR) et n’a pas poussé à l’achat de matériel SD australien. En collaborant avec l’ICARDA d’Alep, l’Australie bénéficie d’un accès aux banques de semences, une coopération gagnant-gagnant. Les experts australiens proposent dorénavant aux pays du Maghreb d’adopter la même démarche.