Camille Atlani-Bicharzon

  • Colza associé en SD semé le 3 août 2013 (Antonio Pereira - CA 52)
  • Denis Le Chatelier
  • Agroforesterie à Restinclières dans l'Hérault
3
mars
2015

Matthieu Archambeaud : « L’agroécologie est fondée sur des principes, non des recettes »

JPEG - 187 koMatthieu Archambeaud est un diffuseur de connaissance : partant d’un intérêt premier pour l’agriculture, l’alimentation, le sol, le terroir, il se passionne pour tous les métiers lui permettant de diffuser la connaissance, la technique et la réflexion. Spécialiste des agricultures dites alternatives, il fait des formations et anime depuis 2007 le site www.agriculture-de-conservation.com. Contributeur permanent de la revue TCS, il est aussi co-auteur, avec Frédéric Thomas, du livre Les Couverts Végétaux. Gestion Pratique de l’Interculture publié aux Editions France Agricole.

Camille Atlani : Matthieu Archambeaud, pouvez-vous nous parler du magazine TCS et de votre parcours vers celui-ci ?

Matthieu Archambeaud : C’est Frédéric Thomas, un autodidacte assez incroyable, qui a créé la revue TCS. À l’origine agriculteur et professeur d’agronomie et machinisme en lycée agricole, c’est au cours de voyages aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande qu’il a découvert les techniques de semis direct. Il est revenu de ses voyages animé par le désir de diffuser cette pratique en France ; c’est ainsi qu’il a commencé à faire des formations et, en 1997-98, qu’il a créé la revue TCS.

Mon parcours est un peu similaire car c’est aussi à l’étranger que j’ai découvert les techniques de semis direct. Pour ma part je suis un citadin pure souche, mais avec depuis toujours un grand intérêt pour tout ce qui touche à la nature. Après des études en biologie, biochimie et génétique qui m’ont mené à un Master 1 d’écologie végétale, j’ai fait une mission de quelques mois au Vietnam avec une association humanitaire. C’était en 1996 et le CIRAD y développait des techniques de semis direct. Cette pratique m’est immédiatement apparue comme une évidence, car le type d’agriculture qu’elle portait allait parfaitement dans le sens de ce que j’avais appris sur l’écologie des milieux naturels. À la suite d’un Master 2 en agronomie tropicale, j’ai approfondi ma connaissance du semis direct dans un petit village au Laos, toujours avec le CIRAD, mais j’étais moi aussi animé par désir de développer cette technique dans mon pays. J’ai rencontré Frédéric Thomas, qui était déjà à l’époque l’une des figures du semis direct en France, en 2001-2002. C’est ainsi que j’ai travaillé pour l’association BASE1dès sa naissance, d’abord en tant que bénévole, puis en CDD puis, comme je continuais à travailler malgré la fin de mon contrat, en CDI ! Cela fait désormais 10 ans que nous travaillons ensemble.

TCS, acronyme de « Techniques Culturales Simplifiées », est une revue technique destinée aux agriculteurs, techniciens et chercheurs s’intéressant à l’agriculture de conservation. À l’origine, ces techniques suscitaient l’intérêt des agriculteurs principalement pour l’économie de temps et de mécanisation qu’elles pouvaient apporter. Puis, petit à petit, nous avons découvert l’agronomie, l’écologie, le fonctionnement des sols, faisant progressivement évoluer la revue vers des systèmes bien plus complexes. Aujourd’hui, la revue s’appelle « TCS : agronomie, écologie, innovation » pour refléter cette évolution.

Au fil des années, TCS est devenue une référence en matière d’agricultures dites « alternatives » : agriculture de conservation, agriculture biologique, agroforesterie… Tous ces systèmes qui sont, certes, alternatifs, mais aussi performants – c’est-à-dire au-delà de l’idéologie. Nous voulons apporter des réponses à ceux qui souhaitent faire différemment, tout en restant très ancrés dans le concret, dans le réel.

C.A. : Oui, Denis Le Chatelier, dont j’ai fait l’interview récemment, décrivait votre dernier ouvrage sur les couverts végétaux comme « du 100% pragmatique fondé sur des vérités biologiques »…

M.A. : C’est en effet ce qui transparait de notre métier car nous nous interdisons tout débat idéologique. Cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes des cerveaux froids ou des technocrates : nous avons de fait une vision philosophique de ce à quoi nous voulons arriver. En revanche, nous pensons que c’est en apportant des réponses concrètes aux gens qu’ils peuvent évoluer dans leurs mentalités.

Au sein de l’agriculture biologique par exemple, considérée par beaucoup comme l’alternative royale, il y a aujourd’hui bien plus de philosophes que de techniciens. Ceci pour moi représente un danger car si la morale, la philosophie ou même l’idéologie sont de bonnes raisons de se lancer dans l’agriculture alternative, sans technique ces systèmes sont voués à l’échec. Frédéric et moi sommes donc portés, au quotidien, par une fondation philosophique finalement très humaine, mais au sein de notre travail c’est la technique que nous mettons en avant.

C.A. : Le slogan de votre site agriculture-de-conservation.com est : « Des regards différents tournés vers un même objectif ». Vers quel objectif ces regards se tournent-ils ?

M.A. : Une réalité de l’agriculture aujourd’hui est que les agriculteurs ne sont plus des paysans. Ce sont des producteurs appliquant des schémas tout faits, fondés sur l’utilisation d’intrants et la mécanisation. Ils vont ainsi travailler le sol, semer des semences certifiées achetées à des organismes, fertiliser leurs cultures, les protéger, les récolter… En étant parfaitement déconnectés de ces notions qui, autrefois, étaient au cœur de leur métier : le terroir, le territoire, le sol. Ces producteurs ont perdu, pour partie, ce que l’on appelait le « bon sens paysan ».

L’objectif vers lequel tous ces regards se tournent est donc multiple. C’est avant tout que chacun retrouve, à son niveau, de l’intérêt et de la fierté pour son métier. Au-delà de la poésie, il s’agit de faire en sorte que les agriculteurs puissent vivre mieux leur métier grâce à la mise en place de systèmes cohérents : cohérents en cela qu’ils doivent permettre à l’agriculteur d’en vivre, mais aussi cohérents en termes d’équilibres naturels avec une empreinte écologique moindre. En fin de compte, il s’agit de créer des systèmes efficaces, requérant peu de travail humain, peu de travail du sol et peu de chimie.

L’objectif de notre travail est aussi de re-sensibiliser, de reconnecter les pointillés distendus du système alimentaire. Re-sensibiliser les agriculteurs d’abord, en les orientant vers une voie où il est possible de réfléchir différemment de ce qui leur a été inculqué depuis l’enfance par les études, les coopératives, les semenciers… En somme, de les amener à aborder différemment le problème de l’agriculture. Re-sensibiliser ensuite les citoyens – je n’aime pas parler de consommateurs – qui, eux, sont dans une ignorance absolue de ce qu’ils mangent.

Une grande partie de ces citoyens ne s’intéresse finalement qu’assez peu à sa nourriture, à comment elle est produite et d’où elle vient. L’autre partie qui, elle, est curieuse de tout cela va essentiellement s’intéresser au bio et aux circuits courts ; mais, bien souvent, dans une démarche très naïve qui ignore totalement la réalité du monde agricole. Certes, tout le travail de ces dernières années autour du bio a permis, d’une certaine manière, de sauver ces notions de terroir, de qualité. Mais penser que seul le bio est capable de répondre à la demande de qualité et d’information est, selon moi, très réducteur. Mon métier aujourd’hui est donc de reconnecter les paysans avec leur sol, mais aussi de reconnecter les citoyens avec leur sol. Un retour à la terre est nécessaire pour que les gens reprennent le sens du goût, de la qualité, du lien social.

C.A. : Comment définissez-vous l’agroécologie ?

M.A. : L’agroécologie, comme le développement durable, est aujourd’hui devenu un mot « fourre-tout ». Pour moi, l’agroécologie consiste en systèmes agricoles qui copient les processus naturels afin d’en tirer une production maximale pour un coût minimal. Lorsque je parle de coût, il s’agit non seulement de coût financier, mais aussi de coût en termes d’impact sur l’environnement et la santé. Cela part du principe que la nature est bien faite et que nous avons beaucoup à gagner à copier certains processus écologiques qui sont efficaces. Sans bien sûr verser dans la naïveté d’une nature gentille qu’il suffit de laisser faire. Non. Si nous laissons faire la nature, il n’y a pas d’agriculture. Nous devons garder à l’esprit que l’agriculture, depuis son origine, est une lutte de chaque instant contre la nature. L’agroécologie propose justement de contourner cela en utilisant les armes-mêmes de la nature.

L’agroécologie n’impose pas de solutions « clé en main », elle est fondée sur des principes et non des recettes. Chacun doit s’approprier ces principes afin de trouver ses propres solutions, adaptées à son terroir ainsi qu’à lui-même. Cela passe par une observation et une compréhension de son écosystème, par le déploiement d’une certaine créativité dans l’imitation de celui-ci, mais aussi par l’interaction et la mise en réseau des individus et des idées.

La diffusion de ces idées et de la technique est très liée à l’aire d’internet, avant laquelle l’information ne passait que par les canaux officiels. Caricaturalement, le développement agricole était porté par les grands instituts de recherche producteurs de connaissance – une connaissance ensuite diffusée par les techniciens puis appliquée par les agriculteurs. L’arrivée d’internet a permis aux agriculteurs de non seulement avoir accès à l’information, mais aussi de devenir eux-mêmes producteurs et diffuseurs d’information. Alors que les techniciens et scientifiques ne produisaient plus de connaissances qui les intéressaient, ils ont pu s’organiser pour échanger. Aujourd’hui la recherche et le politique s’emparent de ce sujet car il est d’actualité, mais ce mouvement est réellement parti de la base et s’est servi d’internet comme moteur d’échange. C’est la révolution internet qui a permis cette révolution agricole.

C.A. : Qu’est-ce qui est pour vous essentiel afin d’opérer cette transition agroécologique ?

M.A. : Pour moi, l’essentiel est de changer son regard. C’est ce que l’on appelle la conversion, qui est un terme religieux mais qui peut aussi être appliqué à la technique. Dès que l’on a changé son regard sur son métier, sur ce qu’est un sol, sur ce qu’est une culture, un animal… Alors tout s’enchaîne assez naturellement car l’essentiel est fait. Une fois cette étape franchie bien sûr, il faut revenir à la technique et à des systèmes complexes qui peuvent être difficiles et peu maîtrisés.

À une échelle plus large, une telle transition est rendue compliquée par l’organisation de l’agriculture en France aujourd’hui. Il y a notamment le coût de la main d’œuvre, excessif, qui nécessite de cultiver sur des surfaces gigantesques, induisant des coût de mécanisation importants, des tracteurs de plus en plus puissants avec un impact non négligeable sur les sols… Aujourd’hui les solutions techniques existent, nous les connaissons. Le principal frein que les « pionniers » rencontrent est d’être en avance dans un monde agricole qui n’est pas organisé pour eux, qui n’est pas adapté à leur pratique. Nous faisons ainsi bon gré mal gré avec l’environnement, en attendant que ce dernier bascule – que cette bascule se passe intelligemment ou par des crises.

FOOD FOR THOUGHTS

Sur le rôle du web dans l’ecosystème mondial de demain : La Troisième Révolution Industrielle, Jeremy Rifkin, 2012 pour la version française.


3
février
2015

Denis Le Chatelier : « Le concept d’agroécologie s’applique à toutes les agricultures »

Denis Le ChatelierDenis Le Chatelier est directeur de collection dans les domaines du végétal et du machinisme agricole aux Éditions France Agricole – la maison d’édition associée au magazine du même nom. Ingénieur agricole, auteur, journaliste agricole pendant près de douze ans puis consultant en communication… Voilà cinq ans qu’il œuvre pour que les séries qu’il dirige au sein de la collection Agriproduction soient au diapason des évolutions récentes de l’agriculture, notamment en matière d’agroécologie.

Camille Atlani : En septembre dernier, à l’occasion du Symposium sur l’Agroécologie de la FAO, la Confédération Paysanne et d’autres signaient un appel exprimant que l’agroécologie ne pouvait être que paysanne ; au même moment, Stéphane Le Foll publiait une tribune proposant d’engager toutes les agricultures, y compris conventionnelles, dans l’agroécologie.

En 2012, les Editions France Agricole publiaient la seconde édition du Traité d’Agroécologie de Joseph Pousset, postfacée à la fois par Régis Hochart, ancien porte-parole de la Confédération Paysanne, et par Jean-Michel Lemétayer et Xavier Beulin, ex- et actuel présidents de la FNSEA1. Il y a-t-il à France Agricole une intention d’ouvrir le dialogue et de faire le lien entre ces deux approches ?

Denis Le Chatelier : Il y a plusieurs approches de l’agroécologie car c’est un concept qui est encore en devenir. Si la littérature nous apprend qu’il a été inventé au début du siècle dernier, force est de reconnaître que l’on ne parle réellement d’agroécologie que depuis une dizaine d’années. Il est donc normal que ces débats existent encore et que la compréhension du concept soit différente selon que l’on s’appelle Confédération Paysanne ou FNSEA 1. Ces tropismes se retrouvent d’ailleurs dans les ouvrages que nous publions, même si depuis cinq ans nous essayons – avec la directrice des éditions Marie-Laure Dechâtre – d’ouvrir un peu tout cela.

Personnellement je pense que l’on assiste à une évolution majeure des systèmes de production mondiaux, mais pas à une révolution. Nous ne sommes pas dans une stratégie de rupture comme au milieu du siècle dernier avec la révolution verte. Aujourd’hui, nous pourrions plutôt parler de progressivité : les techniques agroécologiques sont en train de progressivement s’installer dans les systèmes actuels. L’agroécologie se distille, fait percoler ses principes dans les agricultures dites conventionnelles. Il est donc normal que ces nouvelles solutions, mais aussi ces nouvelles manières de réfléchir, soient récupérées par les structures en place, parce que quoi qu’il arrive les structures restent. Les prescripteurs, chercheurs, développeurs existants qui ont été formés sous d’autres concepts doivent s’approprier ces nouvelles manières de penser. Ce nouveau développement agricole devra se faire par eux.

Ce changement de paradigme se reflète dans l’évolution des Éditions France Agricole. Avant, les Éditions étaient normalisées, à l’image du magazine qui était un journal professionnel conventionnel, pas militant. La maison d’édition ne pouvait donc pas se permettre d’être iconoclaste. Nous avions publié à l’époque quelques ouvrages qui n’étaient pas dans le sens du vent (et qui se sont révélés précurseurs par la suite), mais dans une collection annexe. Aujourd’hui, tout se retrouve dans notre collection Agriproduction et personne n’y voit de problème. C’est très révélateur. D’ailleurs le magazine propose aussi désormais de plus en plus d’articles sur le non-labour, les semis sous couvert, les circuits courts… Autant de sujets qui, il y a vingt ans, paraissaient être l’apanage de « dangereux agitateurs ».

C.A. : Vous êtes co-auteur avec Christian Férault du livre Une Histoire des Agricultures publié en 2012. Pourquoi le pluriel ? Avec cette perspective historique, où vous semblent se diriger nos agricultures ?

D.L.C. : D’abord je précise que Christian Férault, qui m’a fait l’amitié de me confier la rédaction d’une partie de ce livre, en est l’auteur principal, donc je tiens à lui rendre hommage. Des agricultures tout simplement parce qu’en fonction à la fois des époques et des contextes pédoclimatiques, les agricultures ne sont pas les mêmes. Par ailleurs – et cela répond à votre seconde question – il est clair pour nous que nous n’allons pas demain développer un modèle unique d’agriculture. Certaines pratiques, comme les couverts végétaux, sont une très bonne solution dans certains contextes mais pas dans d’autres. En revanche je pense que le concept d’agroécologie s’applique à toutes les agricultures.

Je disais qu’il n’y aurait pas de révolution comme dans les années 50-60 où, en l’espace d’une génération, quinze personnes étaient remplacées par une machine et les rendements passaient de 20 à 80 quintaux. Là il est possible de parler de révolution car cela a induit des conséquences sociales qui ont eu une répercussion sur toute la société. Ce qu’il se passe de nos jours avec l’agroécologie sera moins spectaculaire : il y aura d’autres indicateurs qui ne seront pas technico-économiques comme ceux que je viens de donner, mais plutôt environnementaux, d’économies de ressources, etc.

Dans les esprits, en revanche, il y aura un grand changement. Notamment avec cette idée d’imitation de la nature, alors que la révolution verte avait au contraire tout artificialisé. L’idée s’est installée progressivement dans les esprits, mais désormais elle s’impose à tous. Certains la poussent parfois à l’extrême ce qui peut susciter du rejet, comme tout radicalisme. Mais cela peut aussi être appréhendé avec pragmatisme et je ne connais pas aujourd’hui une seule personne disant que chercher à imiter la nature est folklorique. Observer ce qu’elle fait, étudier les relations symbiotiques entre les différentes espèces végétales, animales, les sous-espèces… C’est un champ extraordinaire qui s’ouvre. Pour un jeune étudiant agro ou biologiste, c’est infiniment plus intéressant de se consacrer à cela qu’à la productivité marginale de l’unité d’azote supplémentaire !

Ce n’est que le début, parfois nous n’en sommes qu’à l’étape de promesse, mais tous les jours il y a des idées nouvelles, des preuves, des applications à grande échelle de procédés qui mettent en interaction positive les organismes vivants. L’agriculture biologique est une réussite sur le plan micro-économique avec des milliers d’exploitations, notamment en viticulture, qui ont trouvé le bon compromis entre contraintes agronomiques et l’indispensable valorisation économique. Et cela marche – cela marche dans la durée.

Le second élément crucial dans l’agroécologie, qui participe à ce nouveau paradigme, c’est le fait de mieux prendre en compte les innovations de terrain spontanées. C’est une manière d’ouvrir le développement agricole par rapport au passé où nous étions vraiment dans une logique « top-down » : l’INRA disait que telle technique était bien, Arvalis validait et disait que dans telle région il fallait l’appliquer de telle manière, puis l’agriculteur faisait. Aujourd’hui l’innovation peut venir du terrain et les chercheurs vont de plus en plus regarder ce qui se fait déjà in situ.

C.A. : Vous avez mentionné les évolutions récentes au sein des Éditions France Agricole. Aujourd’hui, quelles sont les collections proposées par cette maison d’édition ?

D.L.C. : Nous publions deux grandes collections : la première, Agriproduction, regroupe tous les ouvrages professionnels, très « techniques métiers », pour les agriculteurs. Lorsque je parle ici d’agriculteurs, j’y inclus les prescripteurs comme les conseillers agricoles, mais aussi l’enseignement et les professeurs, pourquoi pas les élèves… Dans Agriproduction, nous traitons tous les thèmes du végétal, de l’animal et du machinisme, avec pour ligne directrice la valeur d’usage : ce sont des livres qui doivent servir à rendre le lecteur plus performant dans l’exercice de sa profession ou dans le développement de ses connaissances. Certains titres seront spécifiquement rédigés pour des agriculteurs à la recherche d’applications pratiques pour leur métier au quotidien ; d’autres s’adresseront plus aux prescripteurs, aux conseillers ou encore aux enseignants pour construire un cours – à chacun sa valeur d’usage !

La seconde collection, Agridécisions, est dédiée à la gestion de l’entreprise agricole : gestion, droit et commercialisation. Nous publions également, sous la marque Campagne et Compagnie, des ouvrages qui s’adressent aux agriculteurs ainsi qu’à leurs proches, donc plus « grand public ». Si ces ouvrages-ci ont toujours un lien avec la nature, ils ne traitent pas forcément d’agriculture à proprement parler. Par exemple, vient de paraître un livre intitulé Une Campagne pour les Arbres sur le rôle de l’arbre, d’un point de vue historique et de nos jours, dans les paysages ruraux comme dans les villages. Ici, il ne s’agit donc pas d’un ouvrage sur comment mieux produire pour les agriculteurs, mais cela a tout de même un lien avec l’agriculture.

C.A. : Il y a-t-il un ouvrage dont vous avez envie de parler, qui vous tient à cœur ?

D.L.C. : J’essaye de ne pas avoir de parti-pris pour mes différents auteurs ! Si je devais recommander un ouvrage à un étudiant en BTS ou ingénieur agro ce serait Systèmes Intégrés : une troisième voie en grande culture. Je l’aime beaucoup car il balaye tous les sujets, tous les outils avec une approche vraiment systémique. J’aime aussi beaucoup Les Couverts Végétaux parce que c’est du 100% pragmatique qui s’appuie sur des vérités biologiques. Cela fait dix ans que les auteurs, qui ont un très bon bagage technique, observent ce que font les agriculteurs sur le terrain et les accompagnent dans ce domaine. Ils sont dans la réflexion, ils posent des questions, ils affirment des choses qu’ils ont vu et vérifié et ils sont connus pour cette honnêteté intellectuelle. Ils sont vraiment dans le pragmatisme et non dans l’idéologie – ce sont des pragmatiques éclairés ! Cela a beaucoup de valeur.

FOOD FOR THOUGHTS

- Le site des Éditions France Agricole.

- Joseph Pousset, Traité d’Agroécologie. Pour une agriculture naturelle, 2012.

- Christian Férault et Denis Le Chatelier, Une histoire des agricultures, 2012.

- Philippe Viaux, Systèmes intégrés. Une troisième voie en grande culture, 2013

- Frédéric Thomas et Matthieu Archambeaud, Les couverts végétaux. Gestion pratique de l’interculture, 2013.

- Symposium International de la FAO sur l’Agroécologie


16
juillet
2014

Agroécologie : l’écologie industrielle du système alimentaire

JPEG - 49.9 koCes dernières années ont vu un engouement croissant pour l’application de principes écologiques aux entreprises et industries. Création de l’Institut de l’Économie Circulaire en 2012 (devenu rapidement un référent majeur), multiplication des projets d’écologie industrielle et territoriale en France… L’approche est porteuse. Les grands principes écologiques qui reçoivent le plus d’attention dans ce contexte sont les cycles clos (énergie, nutriments, eau… les déchets d’une espèce sont la nourriture d’une autre) ; l’énergie renouvelable ; la diversification des modes d’interaction (plus seulement compétition, mais aussi mutualisme, commensalisme, ou pourquoi pas symbiose). Quelques exemples fameux d’application de ces principes à l’industrie :

- Michelin ne vend plus des pneus mais un service aux transporteurs qui payent donc le kilomètre (l’usage) plutôt que le produit. Michelin récupère ainsi les pneus usagés, les recycle et les réintroduit dans le système à l’infini (et a donc un avantage à concevoir des pneus résistants plutôt que d’en programmer l’obsolescence).

- Desso fait du « cradle-to-cradle » avec ses moquettes. Production d’énergie sur place pour alimenter le système de production, utilisation de produits non chimiques dans l’eau employée pour la fabrication (eau qui est ensuite traitée et réinjectée à l’infini dans le système), système de marketing qui leur permet de recycler les moquettes usagées et ainsi transformer déchets en ressource…

- La fameuse ville de Kalundborg (Danemark), pionnière de l’écologie industrielle et territoriale, a créé un réel écosystème industriel, où les industries valorisent leurs déchets en les échangeant avec d’autres qui peuvent s’en servir comme ressource.

Pourquoi donc cette approche marche-t-elle, là où tant d’autres démarches de « développement durable » ont échoué ? En voici trois raisons principales :

1) Des économies importantes : un système conçu pour opérer avec des cycles de ressources fermés et des relations de mutualisation ou de symbiose permet de réduire significativement les coûts de production, ainsi que ceux associés à la gestion des déchets.

2) Des bénéfices écologiques clairs, permettant aux industries de répondre aux exigences environnementales devenues incontournables aujourd’hui.

3) Une démarche d’innovation – et ceci est pour moi le point le plus essentiel. Toutes ces démarches ne commencent pas avec des solutions mais avec des principes simples. Puisque tout part de principes, les déclinaisons sont infinies. À chaque industrie ou groupe d’industries de s’inspirer de ces principes pour les appliquer de manière adaptée à leurs besoins, à leurs problèmes, à leurs territoires. À chacun de développer des solutions innovantes qui pourront servir de source d’inspiration pour d’autres. L’innovation n’est plus seulement au service de la compétitivité des produits vendus. Elle participe à un changement de paradigme.

Pour ces raisons et d’autres encore, l’application de principes écologiques à la conception et à la gestion d’industries et de territoires durables est une idée qui inspire. Alors pourquoi l’application de principes écologiques à la conception et à la gestion de systèmes alimentaires durables est, elle, souvent perçue comme un retour en arrière ? L’agroécologie cherche à appliquer ces mêmes principes – cycles fermés, énergie renouvelable, diversification des types d’interaction – au système alimentaire (aux échelles de la ferme, du territoire, ou de toute la chaîne). Et elle invite à la même démarche d’innovation.

L’INRA vient de publier un article intitulé « Agro-écologie et écologie industrielle : deux voies complémentaires pour les systèmes d’élevage de demain ». Les auteurs y suggèrent que là où l’agroécologie tire parti de processus écologiques dans des systèmes peu artificialisés, l’écologie industrielle explore les possibilités de fermeture des cycles dans les systèmes industriels. Leur proposition de couplage de l’agroécologie et de l’écologie industrielle dans l’élevage est absolument novatrice et l’article identifie avec brio le potentiel des deux démarches. Je n’en dirai ici pas plus sur les avancées de cet article qui ont été explorées dans cette chronique.

Cependant j’aimerais défendre ici l’idée qu’il n’est pas nécessaire de faire appel au concept d’écologie industrielle, puisque les deux approches cherchent à appliquer les mêmes principes écologiques à des domaines différents – pour l’un, le système alimentaire, pour l’autre, l’industrie. Le fait que certains systèmes alimentaires soient industriels ne signifie pas qu’il faut faire appel à l’écologie industrielle, seulement qu’il faut changer l’échelle d’application de l’agroécologie. Si l’agroécologie est l’application de concepts et principes écologiques à la conception et à la gestion de systèmes alimentaires durables, ces principes sont les mêmes quelle que soit l’échelle. Ce sont les déclinaisons concrètes, les façons d’appliquer ces principes qui varient.

L’agroécologie comprise ainsi présente autant de bénéfices potentiels pour les entreprises que ceux cités plus haut. Comme dans les exemples cités, l’agroécologie permet de fermer les cycles de ressources afin d’utiliser moins d’intrants, créer moins de pollution, et ainsi faire plus d’économie. Elle invite à développer de nouveaux modes de production, commercialisation et consommation permettant de transformer des problèmes en possibilités d’innovation. Les leviers y sont aussi plus important lorsque toute la chaîne de production peut être mobilisée. Les déchets des uns (e.g : le fumier) peuvent devenir ressource pour d’autres (le sol) et la mutualisation permet de plus grands projets (e.g : unités de méthanisation).

Tout comme pour l’écologie industrielle et territoriale, tout comme pour l’économie circulaire et le « cradle-to-cradle », voyons l’agroécologie comme le creuset d’innovation qu’elle est plutôt que comme un retour en arrière. Ce n’est qu’en changeant ainsi notre perception de l’agroécologie que nous pourrons en débloquer toutes les potentialités.

FOOD FOR THOUGHTS :

Interview de Jean-Yves Dourmad, chercheur à l’INRA, parlant d’agroécologie et écologie industrielle appliquée à la filière porc.

Présentation TED de Stef Kranendijk, ancien PDG de Desso, expliquant la stratégie Cradle-to-Cradle.

Fastcoexist : The Circular Economy is Going Mainstream.

HBR Blog Network : The Awesomeness Manifesto.