Camille Atlani-Bicharzon

  • Colza associé en SD semé le 3 août 2013 (Antonio Pereira - CA 52)
  • Denis Le Chatelier
  • Agroforesterie à Restinclières dans l'Hérault
20
août
2016

Cécile Waligora : Campagnols, rétablir les équilibres proie-prédateur

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

JPEG - 47.2 koSur quels ravageurs travaillez-vous et comment la faune auxiliaire peut-elle aider à lutter contre ceux-ci ?

Il est tout d’abord intéressant de comprendre pourquoi certains animaux deviennent des ravageurs car ils ne le sont pas de fait, c’est lorsque leur population devient trop importante (au-delà d’un seuil dit, de nuisibilité) qu’ils se transforment en menace. Ils ne sont plus contrôlés par leurs prédateurs (ennemis) naturels. C’est la loi prédateurs-proies : moins il y a de prédateurs naturels sur un territoire, moins leurs espèces proies sont contrôlées et donc, plus elles se multiplient ; c’est à ce moment-là qu’elles peuvent devenir ravageuses. Pour qu’une prédation (et donc un contrôle) soit efficace, il faut qu’il y ait toujours un minimum de proies sur le territoire. En réalité, il faut un peu de tout : un peu de campagnols, un peu de renards, de petits mustélidés, de chouettes, de buses... Ce n’est que comme cela qu’un équilibre peut se créer et qu’il est ainsi possible d’éliminer cette notion de ravageurs.

Pour ma part, je me suis surtout attelée à deux ravageurs principaux qui font de plus en plus de dégâts depuis quelques années : le campagnol des champs et le rat taupier, aussi appelé campagnol terrestre. Mon propos est de favoriser des alternatives aux méthodes chimiques ou de piégeage qui ont certaines conséquences sur la faune auxiliaire. Pour cela, nous allons nous faire aider gratuitement par ces fameux auxiliaires – donc, ici, les prédateurs des campagnols. Dans le spectre des auxiliaires de culture, nous parlons beaucoup des organismes de petite taille – les carabes contre les limaces, les coccinelles contre les pucerons... Je m’intéresse pour ma part à ceux dont on parle moins, les animaux avec des poils et des plumes qui sont des prédateurs naturels tout aussi importants. Parmi ceux-ci nous trouvons les renards, les petits mustélidés tels que les belettes, hermines, fouines, blaireaux ; mais aussi les rapaces, tant diurnes – les buses ou faucons, surtout le faucon crécerelle, ou les busards très présents en céréaliculture – que nocturnes, tels que les chouettes et les hiboux. Mon objectif est donc de revaloriser cette faune qui est extrêmement utile pour répondre aux problèmes de campagnols, puisque ces derniers représentent au moins 50% de leur régime alimentaire – parfois même beaucoup plus. Nous n’imaginons pas l’impact qu’ils peuvent avoir sur les populations de rongeurs, à partir du moment où on les laisse « faire leur travail »

Que recommanderiez-vous à un agriculteur qui souhaiterait favoriser cette faune utile dans ses parcelles ? Par où commencer ?

Pour que la faune utile s’installe, il faut que l’environnement proposé lui convienne. Parfois, la première chose à faire est de ne rien faire ! Certaines parcelles agricoles peuvent, par exemple, contenir des petits bouts biscornus – un coin herbeux, un bosquet, un arbre, etc. – qu’il faut impérativement laisser. Ceci est la première étape, la plus simple. Ensuite, de plus en plus d’agriculteurs mettent en place des perchoirs dans leurs parcelles pour réinviter les rapaces, diurnes ou nocturnes. Il s’agit d’un simple piquet en bois ou en métal placé là où les dégâts par les rongeurs sont les plus forts. Il est aussi possible de mettre en place des nichoirs à chouettes (effraies ou chouettes chevêches) et, pourquoi pas, à faucons crécerelles. Ici encore, c’est assez simple, il suffit de se rapprocher des associations locales de protection de la faune sauvage ou de protection des oiseaux. Il est aussi possible de les construire soi-même en regardant comment faire sur internet, ou encore de les acheter. Ces structures vont attirer les rapaces car elles faciliteront leur action de chasse. S’ils n’ont nulle part où se percher pour pouvoir chasser, ils iront voir ailleurs, quand bien même il y aurait à manger sur le site. Donc l’objectif, ici, est bien de fixer les prédateurs sur un site afin qu’ils régulent ces populations de rongeurs.

Quels autres éléments pouvons-nous mettre en place ?

Pour aller plus loin, il faudra recréer de la biodiversité dans son ensemble au niveau de son parcellaire pour réinviter cette faune prédatrice. Le milieu doit être propice à l’accueillir : il doit y avoir suffisamment de nourriture sur place pour qu’elle puisse se nourrir, des espaces où elle pourra se loger et, encore mieux, se reproduire. Un autre point que nous oublions souvent, c’est qu’elle doit aussi pouvoir circuler – et se sentir – en sécurité. C’est un problème dans de nombreuses régions où ce que nous appelons les infrastructures agro-écologiquess – les haies, les arbres, les bosquets, les mares – ont été supprimées. Nous sommes ainsi face à de grandes étendues de parcelles agricoles, de dizaines à centaines d’hectares d’un seul tenant, où il n’est pas possible d’accueillir cette faune car elle n’y serait pas en sécurité. Appelés open fields en anglais, ce sont eux qui ont en grande partie favorisé la multiplication des rongeurs faute de prédateurs naturels.

Il faudra donc remettre en place ces infrastructures agro-écologiquess qui accueillent une biodiversité dont on ne se doute pas ; nous pourrons par exemple planter des arbres, aménager des points d’eau, entretenir et développer des haies. En revanche, il faut savoir qu’une haie toute seule au milieu d’un open field ne sert absolument à rien. Tout la faune, notamment le petit gibier, va s’y concentrer et c’est là que nous aurons des problèmes car les prédateurs, en essayant de s’y cacher aussi, tomberont sur la malheureuse perdrix qui n’en réchappera pas. C’est pour cela que le renard a mauvaise presse et cela se comprend. Pour réinviter la faune prédatrice il est essentiel qu’il y ait une continuité dans les infrastructures, qu’elles soient en lien les unes avec les autres – c’est ce que l’on appelle les corridors écologiques. Remettre en place ces corridors qui ont disparu de beaucoup de régions est effectivement un peu plus compliqué car cela a plus de poids avec une action collective. Certains agriculteurs implantent de telles infrastructures à l’échelle de leur parcellaire, mais il est certain que, pour assurer des continuités, ce sera plus efficace sur un territoire étendu. Certains outils ont été mis en place, notamment lors du Grenelle de l’Environnement, telles que les Trames Vertes et Bleues ; mais il faudrait que ce soit réalisé à des échelles bien plus grandes pour que cela soit vraiment efficace. Restons cependant positifs : de plus en plus d’articles apparaissent dans la presse ou les réseaux sociaux pour parler de cette faune, ce qui est tout de même de bonne augure.

Enfin, un élément très important et sur lequel nous nous trompons souvent, est l’entretien des bords de champs – les fossés, les talus, les bandes enherbées qui sont broyés ou fauchés. Ceux-ci sont souvent bien trop entretenus et aux mauvais moments, notamment en avril-mai qui est justement la période de reproduction de nos auxiliaires. S’il faut entretenir, mieux vaut le faire en automne ou en hiver, mais surtout pas lors de cette période cruciale de reproduction.

Comment définissez-vous l’agro-écologie et comment la gestion de la faune utile peut-elle s’y inscrire ?

Pour moi, l’agro-écologie implique de se réapproprier les principes de fonctionnement des écosystèmes en général et, plus particulièrement, des agroécosystèmes. Ces derniers offrent des services, efficaces pour peu que nous les laissions se mettre en place et agir – ce sont les fameux services écosystémiques. La faune utile des bords de champs peut justement rendre de tels services si nous remettons en place les équilibres proie-prédateur. Nous avons cassé ces équilibres en modifiant l’habitat naturel de ces animaux ; et nous nous sommes passés, du même coup, de tous ces services écosystémiques qui sont pourtant présents et ne demandent qu’à s’exprimer, gratuitement.

Que souhaitez-vous montrer lors de votre atelier à Innov-Agri 2016 ? Que pourrons-nous y apprendre ?

Je souhaite tout d’abord parler de ces ravageurs que sont les campagnols, puisque je m’appuie sur cet exemple. À partir de là, j’aimerais expliquer le fonctionnement des cycles de pullulation et comment ces cycles sont liés aux prédateurs naturels des campagnols. Il est essentiel de montrer qu’il existe énormément d’espèces animales se chargeant naturellement de réguler ces populations, pour peu que nous les laissions s’exprimer et vivre sur un territoire. Il y aura aussi un nichoir et un perchoir, dont nous pourrons discuter. Je donnerai quelques astuces sur comment les fabriquer et les implanter soi-même car il y a certaines règles à respecter : les dimensions et formes selon les espèces, les critères à favoriser pour choisir l’emplacement, etc. J’apporterai par ailleurs des pelotes de réjection de rapaces (des amalgames de résidus de nourriture qu’ils ne peuvent pas digérer naturellement) qui, si trouvés au pied d’un perchoir, sont des indices de présence de ces auxiliaires.


1er
août
2016

Pierre Anfray : la faune du sol, un million d’individus au mètre carré

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

Pierre Anfray, Agro-LogiquePierre Anfray, vous êtes agro-écologue et spécialiste en biologie du sol. Sur quoi travaillez-vous exactement ?

Je travaille sur l’étude globale de l’agroécosystème, en me concentrant plus particulièrement sur la faune que le sol contient. De la même manière qu’un naturaliste étudierait un paysage et ce qui le compose à grande échelle, j’étudie le sol et ses annexes, en recensant toutes les espèces qu’il est possible d’identifier. Le système-sol est un domaine dans lequel nous manquons cruellement de connaissances. Même avec les moyens sophistiqués d’aujourd’hui, nous ne sommes pas souvent capables de prévoir les processus bio-chimiques mis en jeu, ni leur état de fonctionnalité ; ni, donc, leur incidence ou contribution réelle sur la dynamique fonctionnelle du sol à l’instant T. Et ce, même chez les bactéries et champignons pourtant très impliqués à tous les niveaux dans les processus biologiques. J’ai pour ma part choisi de me concentrer sur une approche globale incluant l’ensemble des populations faunistiques de l’ordre du millimètre au centimètre, comme par exemple les acariens, les collemboles, les cloportes, etc. Toutes les espèces possèdent un régime alimentaire assez spécifique, ce qui permet de s’en servir comme bio-indicateurs : leur présence dans le sol indique, par déduction logique, la présence d’une partie des ressources nécessaires à leur survie.

J’ai commencé à travailler sur ces entités biologiques pendant mes études. En apportant de la matière organique à des systèmes qui en étaient dénués, j’ai constaté que leur taux de population augmentait de manière considérable. Cela avait, à son tour, un effet positif sur la réduction des maladies du végétal. Pour comprendre ces mécanismes du sol, une bonne façon de l’aborder est de s’inspirer du recyclage de la matière organique car toutes les espèces y participent, de manière directe ou indirecte. Certaines d’entre elles régiront la décomposition de la matière organique en surface, tandis que d’autres s’attèleront plutôt à la dégradation de la roche-mère, toutes deux relayées par des espèces mobiles transitant plutôt verticalement. Ensemble, elles parviennent à mettre un important panel d’éléments nutritifs à disposition des plantes cultivées, les rendant par là-même plus saines et robustes. Plus la diversité d’espèces présentes dans le sol est grande, plus ce cycle de disponibilité (que l’on pourrait nommer biodisponibilité) pour la plante pourra se faire dans de bonnes conditions.

À la suite de ces études, j’ai poursuivi mes recherches afin de développer une stratégie de diagnostic me permettant de travailler avec et pour les agriculteurs. Je souhaitais revoir la manière d’échanger et mutualiser les connaissances dans ce domaine qui, aujourd’hui, est essentiellement réservé aux scientifiques. J’ai donc créé mon bureau d’études dans lequel j’ai monté un laboratoire pour être en relation directe avec les agriculteurs, dans le concret, et pouvoir répondre tout de suite aux problématiques qu’ils se posent. De plus, cela me permet de continuer indépendamment mes recherches et observations sur la faune édaphique, en lien avec des parcelles cultivées.

Justement, parlez-nous de votre laboratoire, Agro-Logique. Pourquoi les agriculteurs font-ils appel à vous ?

La première raison pour laquelle les agriculteurs font appel à moi est qu’ils souhaitent réduire leurs coûts de production et l’utilisation de produits phytosanitaires, deux éléments que le vivant est capable d’assumer en grande partie. Dans un premier temps, grâce à des analyses de sol, je détermine où en est l’agriculteur par rapport à la vie de son sol. En cela, je cherche notamment à savoir si l’alimentation des plantes est essentiellement due aux apports chimiques ou si le système est capable de s’autoalimenter et jusqu’où. La présence ou l’absence de certaines composantes dans le sol indique toujours quelque chose ; en mettant en relation ce diagnostic avec nos connaissances sur chacune des espèces et, plus globalement, des connaissances agronomiques et matérielles, il est possible de déterminer quelles pratiques pourront le mieux rééquilibrer la balance. À partir de là, j’accompagne les agriculteurs dans la mise en place d’un itinéraire technique adapté, avec entre autre l’apport de matière organique analysée et bien identifiée, pour mieux nourrir les espèces vivant dans le sol.

Un sol vraiment dégradé auquel nous apportons de la matière organique est comme un humain dépourvu de système digestif : il est impossible, dans ces conditions, de dégrader puis filtrer les éléments nutritifs essentiels provenant de ce que nous ingérons. Pour l’homme, il faut commencer par régénérer sa flore intestinale ; pour le sol le raisonnement est le même, hormis que pour régénérer le système digestif complexe qu’est le sol (donc toutes les populations le constituant) il faut commencer par mettre en place une série de stratégies sans phytosanitaire et limitant au maximum les pratiques culturales. L’utilisation de produits phytosanitaires et le travail du sol sont les plus gros freins au développement d’un sol vivant. L’agriculteur aura beau faire tous les efforts du monde pour que son système tienne la route, des produits chimiques ou un « moulinage excessif » des premiers centimètres du sol, remettent systématiquement la pendule à zéro. Il s’agit donc de mettre en place des stratégies alternatives et naturelles intégrant l’animal et le végétal, tout en se basant sur des observations et expérimentations au champ. L’objectif étant que le système sous-sol/sol/air génère, sans l’apport de fertilisant chimique, des quantités de biomasse suffisantes et puisse ainsi s’autoalimenter en grande partie.

Pour une couverture végétale donnée et ce qu’elle génère en termes de biomasses racinaires et aériennes, les taux de populations nécessaires pour que ce système complexe puisse s’autoalimenter seront de l’ordre du million d’individus au mètre carré (voire du milliard si l’on considère les espèces microscopiques). Malheureusement, de tels taux sont quasiment inexistants dans les sols conventionnels, bio ou non, hormis les prairies naturelles. Ils sont un petit peu plus élevés lorsque les sols cultivés sont gérés en agriculture de conservation, surtout sans aucun intrant chimique, grâce à la présence permanente de résidus végétaux en surface où, du même coup, il y a beaucoup moins de maladies. Il faut savoir que plus des sols seront dégradés, au sens physico-chimique du terme, plus ils seront longs à remettre en marche.

Comment définissez-vous l’agro-écologie et comment cette attention portée à la vie du sol peut-elle y contribuer ?

Pour moi, l’agro-écologie est une manière de remettre en relation toutes les composantes biologiques d’une ferme – dont l’homme – au centre de la production végétale. Elle prend en compte tous les facteurs faisant fonctionner une ferme. J’ai essayé de dresser le bilan de tous ces facteurs, mais il y en a tellement ! Il s’agit donc de recadrer tous ces éléments qui vont réellement influencer le système de production et le simplifier.

Par ailleurs, pour moi, l’agro-écologie ne s’arrête pas aux portes de la ferme. Dans mes essais sur des itinéraires techniques ou sur certaines pratiques nous allons, avec des partenaires, pousser l’expérimentation jusqu’à la consommation (la finalité). Par exemple, en travaillant avec un paysan-boulanger sur une culture de blé : à la fin des essais, nous réunissons quelques personnes autour d’une table afin de goûter les pains issus des différents itinéraires techniques expérimentés. Cela étant du court-terme, nous allons en faire de même avec un maximum d’espèces végétales. Cette démarche permet de mettre en lien tous les facteurs dont je parlais, de la biologie des sols jusqu’à la manière dont nous nous nourrissons. Un laboratoire travaillant sur la qualité nutritionnelle des aliments devra être sollicité pour tenter de déterminer l’impact d’un sol vivant sur les nutriments contenus dans les produits qui en sont issus, par rapport à un sol dégradé et à long-terme. Lorsque cela sera fait, nous aurons presque bouclé la boucle dans son intégralité !

Il nous faut arriver à mettre autour d’une table scientifiques, agriculteurs, consommateurs et cuisiniers – tous les gens gravitant autour de cet élément fondamental : le fait de se nourrir. Lorsque nous arriverons à initier cet échange et à en tirer des lignes directrices pour travailler plus sereinement à l’avenir, nous aurons touché du doigt l’agro-écologie. À toutes les échelles, nous en revenons systématiquement à l’alimentation, que ce soit pour les organismes du sol nécessitant des plats diversifiés ou pour les humains, qui ont besoin de fruits, légumes et autres apports de vitamines et protéines pour être bien vivant et bien réfléchir.

Que souhaitez-vous montrer lors de votre atelier sur la vie du sol à Innov-Agri ? Que pourrons-nous y apprendre ?

Je pense amener des échantillons avec les moyens d’observation adéquats pour montrer toutes les composantes de la vie du sol qu’il est possible d’extraire ou d’observer au champ. C’est une démarche demandant une certaine rigueur scientifique, mais l’objectif ici est d’initier un premier pas pour les agriculteurs dans la découverte de la vie du sol. Je souhaite montrer qu’il y a quantité d’individus formant les populations du sol autre que les vers de terre, aisément visibles. Il ne peut y avoir de fertilité biologique sans toutes ces espèces « amont » – des nématodes aux petits mammifères et tout ce qui permettra de dégrader la matière organique et de dynamiser l’ensemble des populations microbiennes. Enfin, ce tout doit s’organiser dans un équilibre fonctionnel limitant l’apparition de pics de populations qui amènent certaines espèces à devenir prédatrices ou ravageurs.

De nombreuses espèces du sol sont liées à la décomposition de la matière organique, d’autres ont essentiellement des relations proie-prédateur et ont donc un rôle dans le maintien de l’équilibre trophique. Rien ne se passe de manière linéaire, c’est le fruit d’une série de croisements et recroisements trophiques et du travail entre toutes les espèces constituant ce vaste réseau. Ces dynamiques alimentaires dans le système-sol font que toutes les espèces – de la microflore à la mégafaune, en passant par tous les intermédiaires – travaillent en synergie pour décomposer la matière organique et la rendre disponible aux plantes via les racines qui exploitent le réseau de galerie, en partie élaboré par certaines composantes de la faune du sol. Mon intervention à Innov-Agri sera donc axée sur ce recyclage de la matière organique. Je parlerai des éléments permettant que celui-ci se fasse dans les meilleures conditions possibles ; notamment, de comment favoriser le plus large panel d’espèces dans le sol.


25
juillet
2016

Joseph Pousset et l’agriculture naturelle

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

Joseph Pousset et l'agriculture naturelle Céréalier dans l’Orne, cela fait près de 40 ans que vous pratiquez l’agriculture naturelle en utilisant votre exploitation comme « station d’expérimentation ». Quels principaux retours d’expérience pouvez-vous partager ?

Avant toute chose, il faut préciser que mon exploitation est particulière. Tout d’abord, elle couvre à peine 25 hectares, ce qui est très petit pour une ferme céréalière. Ensuite, elle n’est pas sur des terrains « à céréales », mais sur de petits limons argileux, plutôt médiocres, avec des mouillères et des cailloux... Il ne viendrait pas à l’esprit d’un agriculteur « normal » de pratiquer la culture céréalière spécialisée sur de tels sols. L’avantage, cependant, pour le vulgarisateur que je suis, est que les résultats de mes expérimentations ne peuvent pas être mis sur le compte d’une bonne qualité de terre. Si j’ai pu me permettre cela c’est grâce à ce travail de recherche et de vulgarisation qui assure une partie croissante de mes revenus.

Cela posé, je peux résumer mon principal retour d’expérience ainsi : il est probablement possible de pratiquer une agriculture naturelle, sans intrants, de manière quasi-indéfinie. En effet, je n’apporte aucun élément extérieur sur mon exploitation depuis les années 90 – ni fumier, ni engrais, ni même aucun apport toléré par le cahier des charges bio – et j’obtiens une production modeste mais convenable. Pour qu’une ferme puisse vivre ainsi en autarcie complète, sans apports extérieurs, il est nécessaire d’actionner les mécanismes de la fertilité. Cependant je tiens à préciser que ceci est une expérience et pas forcément un exemple à suivre. Il me paraît en effet prudent de redonner au sol, si possible sous forme de matière organique, les éléments qu’on lui retire.

Cela pose la question des recyclages. Comment, donc, activer les mécanismes de la fertilité ?

Pensons d’abord à l’azote, abondant dans l’atmosphère : à peu près 75 000 à 80 000 tonnes d’azote pur au dessus de chaque hectare de terre. La nature sait valoriser cet azote au travers de deux processus : le premier, la voie symbiotique, met en jeu les bactéries vivant dans les racines des plantes légumineuses. Grâce à ces bactéries, le fait d’intégrer des légumineuses dans la rotation – sous forme de cultures, d’engrais verts ou même, parfois, de légumineuses spontanées – permet d’introduire dans le sol l’azote de l’atmosphère. La seconde voie, elle, est non-symbiotique dans la mesure où elle n’utilise pas des bactéries qui sont en symbiose avec des plantes, mais des bactéries « libres » qui ont cette même capacité de fixer l’azote. Certaines vivent à la surface du sol et d’autres, plus en profondeur. Celles qui nous intéressent sont les premières et notre objectif est de les favoriser grâce à l’apport de matières organiques placées à la surface du sol. Ces matières organiques doivent être de bonne qualité, non polluées, avoir un bon rapport sucres-cellulose-azote et être apportées au bon moment. Grâce à cet apport nous offrons le couvert aux bactéries libres. Nous leur offrons aussi le logis grâce à une bonne structure du sol qui permet à l’air et à l’eau de pénétrer, de circuler et donc à nos bactéries de s’abreuver et respirer.

D’autres éléments du sol et de l’air peuvent être prélevés grâce à divers phénomènes. Utiliser des végétaux aux racines puissantes permet de remonter à la surface les éléments minéraux présents dans les couches profondes du sol, les rendant ainsi disponibles pour les autres plantes. La luzerne, le mélilot (qui sont de plus des légumineuses), les crucifères (qui récupèrent la potasse), sont des exemples de ce type « d’engrais vert » à enracinement profond, sans oublier les arbres. Ces plantes permettent par ailleurs de maintenir la structure du sol et, donc, le logis de nos travailleurs bénévoles. Pour attirer les éléments minéraux présents dans l’air, nous pouvons faire appel au « mécanisme d’Ingham », à peu près inconnu des agronomes et qui met en œuvre les attirances électriques à partir de charges, généralement négatives, présentes sur la cellulose des végétaux. Ainsi, la matière organique apportée sur le sol attire les éléments minéraux présents dans l’air, qui viennent se coller à elle. Une pluie les décolle et les entraîne dans le sol, permettant aux racines des plantes de les absorber. Les aérosols marins apportent beaucoup de potassium...

Voilà donc quelques exemples de mécanismes naturels qu’il est possible de mettre en œuvre pour que le sol fonctionne. Pour reprendre une analogie, nous pouvons aussi comparer un sol fertile à une usine avec des facteurs de base de production : des bâtiments (le couple sol-climat), une bonne main d’œuvre (l’activité biologique), une bonne clientèle (les plantes). Parmi cette clientèle, il y a les plantes qui sont cultivées pour être récoltées ou incorporées au terrain sous forme d’engrais vert ; mais aussi celles présentes sans que nous les invitions – les mauvaises herbes. J’ai pour habitude de les appeler « l’engrais vert du bon dieu » car, bien maîtrisées de sorte à ce qu’elles ne soient pas trop envahissantes, elles peuvent jouer un rôle positif sur la fertilité du sol. La maîtrise de la flore spontanée est le problème numéro 1 auquel est confronté l’agriculteur ne souhaitant pas utiliser de produits toxiques. Elle nécessite de mettre en place toute une stratégie pour réduire le stock de graines du sol, nettoyer les lits de semences ou encore sarcler convenablement. Elle met aussi en jeu la succession des cultures pour laquelle il est essentiel de prendre en compte l’équilibre du rapport sucres-cellulose-azote.

Matthieu Archambeaud, dans son interview récente, vous a introduit comme « spécialiste de l’agro-écologie que l’on ne présente plus ». Quelle est votre définition de l’agro-écologie ?

Pour moi, l’agro-écologie est un peu comme « l’agriculture raisonnée » ou « l’agriculture paysanne » : elle n’a pas de définition unique et précise et tout dépend du sens qui lui est donné au moment où l’on en parle. Évidemment, dans « agro-écologie » il y a agro et écologie, donc nous pouvons dire que c’est une agriculture qui cherche à faire fonctionner les mécanismes naturels pour obtenir une production satisfaisante avec un minimum d’intrants. À partir de là, il est possible de mettre la barre à différents niveaux. Les praticiens de l’agriculture de conservation font de l’agro-écologie, mais en utilisant aussi les traitements de l’agriculture de synthèse. C’est une approche tout à fait respectable, mais la mienne est différente : pour moi, l’agro-écologie correspond en gros à l’agriculture biologique, c’est-à-dire une absence de produits de synthèse et le respect d’un cahier des charges rigoureux. Chacun a donc sa définition de l’agro-écologie et il est important, pour quiconque en parle, de bien définir dès le départ ce qui est entendu par là afin d’éviter les incompréhensions.
Parlez-nous un peu de cette double-casquette d’agriculteur et de vulgarisateur : est-ce un désir qui vous a toujours habité ?

Oui, tout à fait. J’ai toujours eu des convictions quant à l’importance de protéger la nature et je les ai concrétisées dans le cadre de l’agriculture car je viens de là, c’est donc un milieu que je connais bien. Ces convictions sont fortes et il est donc naturel que je souhaite les partager, mais je ne veux pas les imposer. Ce point est très important pour moi. Imposer quelque chose équivaut à appuyer sur un ressort : tant que l’on appuie, le ressort est comprimé, mais dès que l’on relâche la pression il se détend. Ainsi, utiliser la contrainte ne fait évoluer les choses qu’en apparence, de manière artificielle ; bien souvent, au contraire, cela mène a piétiner voire à reculer, car cela provoque des réactions. Je préfère de loin convaincre les gens : ainsi, ils empruntent de nouvelles voies parce qu’ils pensent qu’elles sont bonnes. L’évolution est certes moins spectaculaire, les résultats ne seront pas forcément apparents au premier abord, mais au moins ils seront bien ancrés. Ceci dit la contrainte s’avère, hélas, parfois nécessaire...

Que souhaitez-vous partager lors de votre intervention sur l’agriculture naturelle à Innov-Agri ? Que pourrons-nous y apprendre ?

Je souhaite y exposer les principes de base d’une agriculture naturelle et faire réfléchir les participants sur la manière dont ils pourraient, peut-être, inclure cela dans leur pratique. L’agriculteur doit pouvoir vivre de son métier. Il ne touche pas de salaire, donc son revenu équivaut à la quantité de produits qu’il vend, multiplié par leurs prix unitaires, moins les charges. Nous subissons bien souvent les prix de vente fixés par des organismes internationaux dans lesquels nous sommes représentés mais avons assez peu de poids. C’est donc surtout au niveau des charges que nous pouvons avoir une action. Si nous parvenons à les diminuer sans pénaliser notre production, nous augmentons automatiquement notre revenu. C’est donc cela le message que je souhaite faire passer à Innov-Agri : il est possible de diminuer ses charges de production en faisant fonctionner les mécanismes naturels à son profit.

J’ai aussi envie de dire que l’argent ne fait pas tout dans la vie, il s’agit aussi d’être satisfait de son activité car une vie humaine ne dure pas très longtemps et mieux vaut être heureux de ce que l’on fait pour se sentir bien. En tant qu’agriculteur il faut aussi pouvoir, dans la mesure du possible, satisfaire les demandes de la société. Actuellement, celle-ci demande d’augmenter la production pour nourrir la population croissante, sans polluer et en utilisant moins d’énergies fossiles dont les réserves diminuent. Produire plus sans polluer et avec moins d’énergie paraît antinomique car c’est justement grâce à cette énergie qu’au sortir de la guerre nous avons pu produire plus : nous l’avons utilisée pour fabriquer des engrais et des produits de traitement, pour faire fonctionner nos machines... Moins l’utiliser est un défi difficile, mais auquel il faut s’attaquer. Selon moi, faire appel aux mécanismes naturels en agriculture est une manière intelligente de relever ce défi. La nature sait produire en abondance : une forêt européenne produit 5 à 7 tonnes de matière sèche par hectare et par an, le double pour une forêt tropicale. Observer les mécanismes de cette nature et tâcher de les utiliser ou de les imiter paraît donc judicieux.


25
juillet
2016

Fabien Liagre, 40 projets agroforestiers en région Centre

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

Agroforesterie à Restinclières dans l'HéraultQuels retours d’expérience avez-vous de projets agroforestiers en Région Centre ? Quels bénéfices les agriculteurs en retirent-ils ?

Nous avons commencé à travailler en Région Centre il y a une quinzaine d’années avec une enquête pour évaluer l’intérêt des agriculteurs pour l’agroforesterie. À l’époque, 20% des personnes interrogées s’étaient dites intéressées. Quelques années plus tard, en 2006, nous avons recontacté ces personnes et la moitié souhaitaient concrétiser effectivement un projet agroforestier. Il existe donc aujourd’hui plusieurs projets d’agroforesterie dans la Région et les agriculteurs ont même créé l’Association d’Agroforesterie de la Région Centre, dont nous sommes membres. Cette association regroupe aussi bien des agriculteurs en bio, en conventionnel qu’en agriculture de conservation (40 agriculteurs membres, 28 projets agroforestiers installés dans la région et une quinzaine en préparation).

L’intérêt initial des agriculteurs pour l’agroforesterie dépend bien sûr de leur projet d’exploitation, mais les arguments revenant le plus souvent sont la question des sols, la lutte biologique ou encore la qualité des produits (teneur en protéine des céréales, qualité de la viande, label qualité en maraichage…). Les projets dans la Région sont encore jeunes puisqu’ils ont débuté en 2007-2008, les bénéfices ne sont donc pas encore visibles dans tous ces domaines (notamment sur les sols). En revanche, les agriculteurs observent déjà des résultats significatifs sur la biodiversité. Dès la première année, la maillage agroforestier mis en place avec des bandes enherbées invite une biodiversité qui était jusqu’alors absente ou en régression dans les parcelles : des carabes, des cloportes, des araignées, des vers de terre... Tout cela a un impact très fort sur les processus d’humification des sols ou sur le contrôle biologique des ravageurs, ce qui représente un bénéfice important pour les agriculteurs.

Que recommandez-vous aux agriculteurs s’intéressant à l’agroforesterie mais qui hésitent à sauter le pas ?

Malgré les arguments agronomiques et écologiques en faveur de l’agroforesterie, les agriculteurs hésitent effectivement parfois à se lancer. La première raison de cette hésitation est l’habitude de travailler sans les arbres : planter des arbres au milieu d’une parcelle est à l’exact opposé de ce que nous avons appris depuis 50-70 ans. La tendance – que ce soit au niveau de l’école, du conseil, de la recherche ou de l’administration – a plutôt été de retirer les arbres ou de compliquer leur prise en compte (ex de la PAC…). C’était parfois à bon escient, puisque c’était beaucoup au moment du remembrement et il était nécessaire d’agrandir les parcelles pour optimiser le parcellaire. Ce que nous oublions souvent, c’est que toute une partie de la Beauce était entièrement couverte d’agroforesterie et ce sont des zones qui, aujourd’hui, sont complètement déboisées. Il y a des justifications agronomiques et écologiques à y replanter aujourd’hui des arbres, puisque le système de production y a été totalement artificialisé, avec des parcelles entièrement drainées qui ne peuvent maintenir le même niveau de rendement qu’avec un apport d’engrais minéral conséquent. Or le drainage pose aussi des problèmes en termes de stabilité des sols, d’érosion de surface et de coût d’entretien. Cela devient un coût à prendre en compte, tout comme les problèmes de résistance des ravageurs ou adventices aux produits de traitement. Si le souhait est d’aller vers des principes de gestion un peu plus doux, la question de l’arbre est envisageable, notamment pour son rôle de filtration et d’assainissement des parcelles sur le long-terme et pour son impact sur la fertilité des sols. Dans ce cas, on opte pour une stratégie d’optimisation de la marge brute par une meilleure gestion des charges, plutôt que pour une stratégie de rendement maximum mais avec un objectif de marge non garanti. Il s’agit de chercher à gagner plus en produisant mieux. Bien entendu, ce n’est pas systématique car cela demande de tester, d’apprendre et donc de prendre aussi des risques ; et de raisonner sur le long-terme dans un système qui privilégie le court-terme.

Mon premier conseil aux agriculteurs souhaitant initier un projet agroforestier et d’en faire le test sur une partie de leur exploitation. Expérimenter est le propre du métier d’agriculteur – pour faire de la sélection variétale, pour améliorer la mécanisation... Un agriculteur qui n’innove pas est comme « mort » car il dépendra des conseils extérieurs, il n’innovera plus. J’ai suivi un grand nombre d’agriculteurs qui appliquaient souvent des recettes années après années, avec des conseils de structures pour les aider à doser les engrais ou les traitements. On perdait le sens de l’observation des sols, des auxiliaires, des plantes indicatrices, au profit des recettes et de la recherche des aides maximales. Sauf que nous avons perdu de vue que la rentabilité pouvait aussi se dégager dans une autre manière de travailler, en faisant plus d’agronomie justement. Il faut savoir se poser quelques temps et se poser les questions importantes pour son projet, notamment celle-ci : comment je travaillerais si je n’avais plus la PAC ou si le prix des engrais devenait une charge trop lourde ? Je ne dis pas qu’il faut tout arrêter, mais retrouver le sens de l’innovation qui est au cœur de métier de l’agriculteur. En agroforesterie, nous pouvons essayer un projet test sur 3-5% de notre surface pour voir ce que cela donne. À partir de là, je peux évaluer l’impact sur les rendements, les difficultés liées à la présence des lignes d’arbres sur la circulation des machines, etc. La première étape est de se familiariser avec l’agroforesterie, après cela, il est possible de lever un certain nombre d’idées reçues. Quasiment tous les agriculteurs qui se sont lancés dans la Région en 2007 ont replanté la même surface, voire le double de ce qu’ils avaient planté initialement, après 4 ou 5 ans.

En deuxième lieu, il est vrai que l’attente ne joue pas en faveur ni du projet agroforestier, ni du projet de l’exploitation puisque les arbres mettent un certain temps à pousser. En hésitant pendant 5 ou 10 ans, c’est autant de retard que nous aurons au moment d’exploiter ces arbres et ce capital, ou de bénéficier des services rendus. Certains agriculteurs qui se sont lancés rapidement se retrouvent à l’âge de la retraite avec un capital de 2 000 à 5 000 arbres, avec une valeur sur pied pouvant dépasser le million d’euros. Cela prend tout de suite une autre tournure ! Que ce soit pour la retraite, la reprise par les descendants ou pour la revente.

Un troisième argument est celui du changement climatique qui, lui aussi, se joue sur un temps long. Nous ne le voyons pas forcément d’une année sur l’autre mais c’est quelque chose qui sera vraiment impactant d’ici 20 à 40 ans. Le rôle de l’agroforesterie par rapport au changement climatique est un argument fort en sa faveur, surtout en terme d’adaptation des cultures et du système de production à ses effets, tels que les coups de chaleur, les sécheresses ou même les surplus d’humidité. L’arbre joue un rôle tampon et nous le constatons très fortement sur les vieilles parcelles agroforestières : à chaque sécheresse, les résultats sur ces parcelles sont bien meilleures que sur les parcelles de culture pure. Ici donc, c’est pareil : franchir le pas maintenant est une sorte d’assurance pour dans 20 ou 30 ans.

Pensez-vous que le Plan National de Développement de l’Agroforesterie, lancé par le Ministère de l’Agriculture en décembre dans le cadre de son projet agro-écologique pour la France, peut donner une impulsion à cette pratique ?

C’est une question un peu délicate car très politique, même si je pense qu’il y a une volonté du gouvernement – en tout cas dans la communication – de favoriser l’agroforesterie. Dans les faits, l’agroforesterie n’est pas vraiment aidée, notamment au niveau du premier pilier de la PAC où nous avons même régressé puisque l’éligibilité est passée de 200 à 100 arbres à l’hectare. Dans la conditionnalité, les arbres sous toutes les formes (haie, vergers, linéaires) sont toujours considérés comme non productifs et compliquent les déclarations et les contrôles. À quand une conditionnalité non pas sur des critères de surfaces mais sur des objectifs agronomiques ? Ce Plan National présente un grand nombre d’actions, souvent intéressantes voire essentielles, mais aucun budget n’y est affecté, ce qui est tout de même limitant. Alors certes, le fait d’en parler peut donner un petit coup de boost. Par ailleurs, cela incite certains partenaires à travailler ensemble, ce qui est plutôt une bonne chose. Je suis par exemple engagé, à titre personnel, dans un groupe de travail sur les aspects juridiques de l’agroforesterie, notamment au niveau des contrats et baux ruraux. Sur cet aspect, nous avons besoin de clarifier la place de l’agroforesterie. Une telle collaboration ne requiert pas de gros budget et permet à différents acteurs – Ministère, Chambres d’Agricultures, etc. – de travailler ensemble sur des sujets particuliers, ce qui est plutôt positif. Au-delà de cela, je me pose de vraies questions sur l’impact réel que ce plan peut avoir. Je me dis parfois que si l’argent mis pour son élaboration et la communication était investi sur des groupes de travail efficaces, on avancerait plus vite sur le terrain. Mais c’est peut être un peu facile de dire cela !

Comment définissez-vous l’agro-écologie et comment l’agroforesterie peut-elle s’y inscrire ?

Pour moi, l’agro-écologie est une manière de produire en essayant de s’affranchir au maximum d’apports extérieurs, notamment en termes d’intrants, pour reposer la production sur des principes plus naturels et écologiques. Il s’agit donc de tirer partie des processus agronomiques et écologiques existant sur ses parcelles – au niveau du sol, du climat, de la biodiversité, etc. – pour devenir plus autonome vis-à-vis de l’extérieur. Nous avons beaucoup artificialisé notre manière de produire au cours des cinquante dernières années : nous faisions appel à un produit de traitement pour résoudre nos problèmes de ravageurs, nous cherchions une forme de mécanisation pour le travail du sol, nous faisions des « bilans NPK » pour la fertilisation... Pour moi, l’agro-écologie (bien que le terme soit un peu dévoyé) part de l’intention de donner un peu plus d’indépendance aux agriculteurs dans leur mode de production. L’objectif n’est pas un objectif de rendement mais d’amélioration de la marge à l’hectare. Un objectif qui n’est pas secondaire est de retrouver un sens noble au métier de l’agriculteur en faisant plus d’agronomie, d’innovation, d’échanges… Dans un réseau plus transversal et non pyramidal, où le chercheur trouvait, le technicien conseillait et l’agriculteur appliquait. Là, on travaille ensemble, ou en tout cas, c’est ce que l’on devrait faire !

L’agroforesterie s’y inscrit tout à fait car elle peut participer à cette indépendance à bien des niveaux. Dans les processus de fertilisation, par exemple, l’arbre améliore les bilans carbone et azote organiques, est capable d’altérer sur le long terme la roche-mère pour en remonter des éléments minéraux et les rendre disponibles aux cultures. Il est aussi capable d’accueillir toute une faune d’auxiliaires pour répondre aux problèmes de ravageurs. Il faut savoir que le nombre de fleurs produites par 4 ou 5 arbres adultes peut être équivalent à un hectare de prairie, comme la PAC nous incite à en mettre au détriment des surfaces cultivées. De tels aspects entrent donc complètement dans une logique agro-écologique.

Que désirez-vous présenter lors de votre atelier à Innov-Agri et que pourrons-nous apprendre lors de votre conférence ?

Je souhaite aborder la complémentarité de l’arbre et des systèmes de production dans le contexte de la Région Centre. C’est une Région où la productivité est très variable avec des rendements allant de 60 à plus de 100 quintaux à l’hectare, donc y replanter des arbres pose effectivement quelques questions. Est-il pertinent de remettre des arbres dans des parcelles qui, historiquement, avaient beaucoup d’agroforesterie, mais qui sont aujourd’hui drainées quasiment à 100% ? Faut-il remettre des arbres dans les parcelles de la Sologne déjà si arborée par ailleurs ? J’aborderai donc ces sujets-là dans mes interventions : l’aspect productivité d’une part et, d’autre part, les contraintes liées au sol et les techniques de drainage en agroforesterie. Je m’appuierai sur des exemples d’agriculteurs en Région Centre, mais aussi sur une expérience menée à l’INRA de Nouzilly pour justement voir l’impact des arbres sur le drainage du sol, y compris en présence d’un drain artificiel. Dans notre atelier, des agriculteurs agroforestiers de la région Centre nous accompagnerons pour parler des objectifs des projets, de mise en place et de gestion, des perspectives régionales...


29
juin
2016

Gilles Sauzet, associer du colza et des légumineuses

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

Colza associé en SD semé le 3 août 2013 (Antonio Pereira - CA 52)Quels sont les bénéfices d’une association colza-légumineuse ?

Avant toute chose, il est essentiel de dire qu’une association colza-légumineuse n’apportera des bénéfices que si l’implantation du colza est réussie. Il est donc indispensable de porter une attention particulière à la réussite de cette implantation pour bénéficier des services de l’association. Lorsque nous avons commencé nos essais il y a huit ans, nous avions un certain nombre d’objectifs et de questions sur les avantages supposés d’une telle association. D’autres questions sont aussi survenues en cours de route. Nos six objectifs de recherche principaux étaient de déterminer l’impact de l’association colza-légumineuse sur la structure du sol, la disponibilité d’azote dans le sol, la compétition avec les adventices, les insectes automnaux du colza, les risques d’hydromorphie et, enfin, l’intérêt sur le rendement en souhaitant que les risques de compétition colza/légumineuses soient non influents

Le premier bénéfice d’une telle association concerne donc le sol. Nos régions céréalières présentent des contextes pedologiques argilo-calcaires, limono-sableux ou argileux dans lesquels les taux de matière organique sont assez faibles et où la qualité structurale du sol n’est pas toujours stable. Le fait d’augmenter la quantité de racines dans le sol et de changer le type de rhyzosphère doit faciliter l’amélioration structurale, porale et organique du sol. Pour ce qui est de l’azote, l’installation de couverts d’interculture et l’association de légumineuses à nos cultures enrichit bien sûr le pool d’azote et doit améliorer les quantités disponibles pour les cultures. Le colza, mais aussi les céréales suivantes, bénéficient donc d’une réserve azotée plus conséquente. La compétition vis-à-vis des adventices était, elle, un bénéfice pour lequel nous avions des incertitudes avant de commencer nos tests. Nous craignions notamment que le couvert entre aussi en compétition avec le colza, alors que cette éventuelle concurrence est sans grand risque dès lors que l’implantation du colza est réussie. En revanche, le fait d’augmenter la surface foliaire et la quantité de biomasse par mètre carré entraîne effectivement un phénomène de compétition avec les adventices pour l’eau, l’azote et la lumière. Nous réduisons ainsi la croissance des adventices, ainsi que le peuplement d’adventices à levée tardive.

Concernant l’impact sur les ravageurs, nos démarches en expérimentation et en parcelles agriculteurs ont montré qu’un colza à croissance dynamique associé à une légumineuse type féverole réduisait nettement les dégâts des grosses altises et des charançons du bourgeon terminal à l’automne. Cinquième bénéfice, l’amélioration de la porosité du sol par un enracinement plus dense, ainsi que l’apport d’un type racinaire pivotant comme celui de la féverole limite les risques d’hydromorphie dans les zones présentant ce risque. Dans des parcelles très hydromorphes, l’association avec une féverole permet de préserver la qualité racinaire du colza qui soufre moins de l’asphyxie. Enfin, la question de l’impact sur les rendements est évidemment importante pour les agriculteurs dans nos milieux où la pérennité du colza passe par une stabilisation du rendement à une valeur plus élevée qu’elle n’est pour l’instant. Si nous voulons que nos cultures restent compétitives dans ces milieux-là, il est indispensable d’en augmenter les performances globales, notamment en termes d’implantation, de contrôle des bio-agresseurs et de nouvelles fournitures l’azote. Dans des systèmes où les intrants ne répondent pas toujours à nos attentes, l’association permet non seulement des bénéfices écologiques, mais aussi une optimisation des performances du colza en termes de quantité et productivité.

Quels facteurs doivent être pris en compte par les agriculteurs souhaitant se lancer dans cette pratique en Région Centre ?

En premier lieu, il est indispensable de connaître à la fois la physiologie du colza et celle des légumineuses. En effet, nous devons intégrer dans nos colzas des espèces de légumineuses à croissance relativement rapide et plutôt des espèces estivales et des variétés de printemps. Nous souhaitons une croissance dynamique à l’automne mais l’absence de concurrence vis-à-vis du colza. Nous devons par ailleurs, autant que possible, utiliser des légumineuses qui gèleront pendant l’hiver pour éviter le désherbage chimique. Les espèces fleurissant avant l’hiver se dégradent ensuite, même en l’absence de gel. Il est très important que le colza soit dominant sur la parcelle au moins jusqu’au stade 4-5 feuilles. Il faut, pour cela, choisir des légumineuses à installation rapide mais légèrement plus tardive que le colza. Le colza doit être dominant sur la parcelle jusqu’au démarrage de sa phase de croissance dynamique. Toutes les légumineuses que nous utilisons à ce jour – lentilles, fenugrecs, trèfles d’Alexandrie, gesse, vesce, féverole, etc. – ont des croissances soit un peu plus tardives, soit vraiment plus tardives que le colza.

Le quatrième élément concerne l’implantation pratique du colza et de la légumineuse, qui est une question fondamentale. N’oublions pas que la réussite de l’implantation du colza et de sa structure de peuplement sont indispensables pour que le système donne satisfaction ; il ne faut en aucun cas que la légumineuse intégrée dans le semoir ne nuise à la qualité du semis de colza. Avec un semoir mono-caisse à une seule trémie, il est possible de mélanger le colza avec des graines de petite taille, telles que des lentilles, des fenugrecs ou des trèfles d’Alexandrie. Pour intégrer des variétés à grosses graines type féverole, il faudra soit un semoir à deux caisses, soit pratiquer le double semis.

L’association modifie les pratiques en matière de désherbage. Il faut notamment intervenir de préférence en post-levée, selon la précocité de levée des adventices ; ou mettre en place des mesures agronomiques limitant la germination des adventices, telles que le semis à faible vitesse pour limiter le flux de terre. Enfin, nous avons intérêt à ce que notre colza associé lève relativement tôt, ce qui nécessite une réflexion sur la gestion de l’interculture, les travaux de préparation, en particulier les dates d’intervention. La croissance précoce du colza et de la légumineuse doit se faire dans des conditions de température et de rayonnement encore importants. L’expertise montre donc que le semis de colza-légumineuse doit s’effectuer avant le 1e septembre dans de nombreux cas. Nous pourrons le pousser jusqu’au 5 septembre dans les zones où il y a un apport de matière organique ; il sera en revanche préférable de le faire avant le 20-25 août dans des situations argilo-calcaires quand les conditions hydriques seront favorables.

Comment définissez-vous l’agroécologie et comment la pratique du colza associé peut-elle s’y inscrire ?

Jusqu’à maintenant la réussite en céréaliculture était fondée sur la réussite des intrants. Nous comptions sur une très bonne efficacité des intrants concernant la protection des cultures ainsi qu’une utilisation maximum des fertilisants apportés. Toutefois nous n’avons pas, tous les ans, une réussite totale de nos intrants. Par ailleurs, politiquement et socialement, la tendance est plutôt à la diminution d’utilisation de ces produits. Il est donc indispensable de mettre en place des cultures robustes et dont les performances ne sont pas liées exclusivement à la réussite des intrants. Nous devons ainsi penser à d’autres modes de lutte contre les bioagresseurs, à d’autres manières de garantir une croissance optimum de nos cultures, à d’autres leviers pour optimiser le comportement de la culture.

Le colza associé peut être l’un de ces leviers : réduction du désherbage par compétition avec les adventices, réduction des insecticides grâce à son impact sur les ravageurs automnaux, réduction des engrais par l’amélioration du pool azote... Cependant, il faut selon moi aller plus loin si nous voulons réellement réussir ce passage vers une démarche agro-écologique. Nous devons entrer dans une démarche globale de changement au niveau du système de culture afin de favoriser des interactions positives et en des avantages écologiques. Intégrer le colza associé dans une exploitation juste pour un seul bénéfice n’a aucun sens. Il s’agit de l’associer à d’autres innovations dans notre système de culture, telles que les couverts d’interculture, le semis direct, le strip-till, pourquoi pas l’allongement de la rotation... Le colza associé, à lui seul, ne transformera pas la situation – il faut être clair. C’est bien l’impact du changement de système de culture et du changement de pratiques de l’agriculteur qui permettra de tirer d’importants bénéfices. Cela doit impérativement s’inscrire dans une démarche globale qui favorise la qualité d’implantation des différentes cultures dans un contexte d’amélioration durable de la qualité du sol tant d’un point de vue physique, biologique que chimique.

En revanche en revenant au colza associé, sa réussite passe par une implantation permettant une croissance dynamique et régulière jusqu’à l’entrée de l’hiver. Pour moi, nous ne pourrons pas entrer en agro-écologie si nous ne sommes pas capables de faire des plantes robustes et cela passe donc par une démarche agronomique très poussée. Prenons l’exemple de 2012 : les implantations étaient généralement ratées et nous n’avons jamais autant utilisé de pesticides pour des résultats médiocres. À l’inverse, en 2011, les implantations étaient réussies et nous en avons très peu utilisé. Avant de parler colza associé, il est donc indispensable de parler colza tout court : sa qualité, sa robustesse, sa capacité à lutter d’elle-même contre les bio-agresseurs de tous types. Ensuite l’association – et nous le constatons encore cette année – permet au colza d’être performant en plus d’être robuste.

Que souhaitez-vous partager lors de votre atelier et de votre conférence sur le colza associé à Innov-Agri ?

Mon exposé portera avant toute chose sur la réussite de l’implantation du colza, parce que sans une implantation de colza réussie nous ne retrouverons pas les bénéfices espérés de l’association. Je parlerai ensuite du choix des espèces pour pouvoir les adapter aux contraintes et aux contextes pédoclimatiques. Surtout, je souhaiterais faire passer que, certes, le colza associé présente des atouts pour la culture de colza mais qu’il est possible d’en tirer encore plus de bénéfices en l’intégrant dans une démarche plus globale de système de culture. Si nous voulons par exemple combattre durablement les adventices en diminuant les quantités de désherbant il nous faudra réfléchir à la rotation, à la succession des cultures, à la couverture du sol, aux alternances entre travail et non-travail du sol, etc.

Le colza associé s’inscrit complètement dans une démarche d’évolution du système de culture et d’évolution des pratiques. Sans cette évolution des pratiques, il nous sera difficile de déplafonner le potentiel de nos cultures dans les régions où il est faible, tout en limitant notre utilisation d’intrants.

Pour moi, les deux messages forts à faire passer sont donc : en premier lieu, la réussite de l’implantation de la culture pour qu’elle soit robuste ; puis le fait que le colza associé s’inscrit dans une démarche beaucoup plus globale d’évolution des systèmes de culture pour qu’ils soient complètement adaptés aux contextes pedoclimatiques et aux moyens de l’exploitation.


24
juin
2016

Jérôme Labreuche, céréales sous couvert permanent

JPEG - 188.1 koCette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

Quels retours d’expérience avez-vous d’agriculteurs en Région Centre cultivant sous couverts permanents ?

Cette pratique est encore peu répandue dans la Région. La plupart des agriculteurs la pratiquant sur une partie de leur exploitation sont en phase de test et d’apprentissage. Les premiers résultats de cette phase exploratoire montrent à la fois des réussites et des échecs. Un résultat encourageant est que, jusqu’ici, les rendements se maintiennent, malgré une diminution des apports en azote et herbicide. En revanche, nous constatons aussi quelques échecs, liés notamment à des couverts mal implantés ou au contraire trop développés et ayant des effets concurrentiels sur les cultures. Nous notons aussi, pour l’instant, des difficultés de désherbage puisque le couvert vivant dans la culture restreint l’usage potentiel des herbicides. Sur certains sites nous constatons aussi que les couverts perdurent difficilement au-delà de un ou deux ans, après quoi ils deviennent hétérogènes, éclaircis et n’apportent donc plus les bénéfices escomptés.

Cette pratique demande beaucoup de technicité. Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore certains que les contraintes techniques l’emportent sur les bénéfices. L’un de nos stagiaires réalise actuellement des enquêtes pour éclairer tous ces aspects.

Quels en sont donc ses bénéfices supposés ?

Le premier bénéfice supposé concerne la structure du sol, en particulier dans des sols de limons sableux hydromorphes. Naturellement, ces sols ne sont pas faciles à conduire en travail du sol réduit ou absent, comme dans le cas du semis direct. La présence de racines vivantes dans le sol pourrait donc en améliorer la structure et faciliter une réduction du travail du sol ; ce qui, à son tour, aurait un impact positif en termes d’autonomie des agriculteurs puisque les charges de mécanisation et d’énergie en seraient réduites. Grâce à cette amélioration de la structure du sol, les couverts permanents ou plantes associées pourraient aussi favoriser l’infiltration de l’eau en hiver et, donc, permettre d’avoir des cultures d’hiver en meilleur état. Des observations confirment déjà cela sur des colzas associés, ou sur du blé sur couverts permanents.

Le second bénéfice supposé concerne la réduction de la fertilisation azotée puisque, bien sûr, la légumineuse en apporte naturellement dans le sol. Ce bénéfice n’est cependant pas automatique et dépend de la dynamique de croissance du couvert. Nous pouvons par ailleurs espérer concurrencer la levée des mauvaises herbes – à condition que le couvert ne devienne pas, lui-même, concurrentiel de la culture. Sachant qu’avec cette pratique le spectre des herbicides utilisables dans les cultures est restreint, nous n’y voyons pas encore très clair sur les bénéfices ou contraintes de la pratique vis-à-vis du désherbage. Enfin, chez les éleveurs, cela peut aussi permettre de produire du fourrage en interculture et donc de gagner en autonomie sur l’alimentation des animaux et même, pourquoi pas, d’un méthaniseur.

En somme, nous avons encore besoin de prendre du recul et d’acquérir des références sur le sujet pour pouvoir estimer les bénéfices réels de cette pratique.
Quels types de couverts recommandez-vous en Région Centre ?

Nous recommandons essentiellement les légumineuses pérennes, en faisant attention à ce qu’elles soient adaptées au type de sol. Dans un terrain humide, nous éviterons par exemple les luzernes pour plutôt aller vers des trèfles – trèfle blanc, trèfle violet, voire même du lotier corniculé. Dans des sols plus séchants, nous pourrons aussi utiliser du trèfle blanc ou violet, mais les plus adaptés seront la luzerne et le lotier corniculé.

Que recommandez-vous aux agriculteurs s’intéressant à cette pratique mais qui hésitent à sauter le pas ?

Pour l’instant nous ne sommes pas dans la préconisation, mais bien dans l’observation et l’accompagnement des personnes qui, spontanément, voudraient se lancer. Nous tentons de donner à ces derniers des éléments techniques sur les effets possibles des couverts sur les cultures et sur comment les gérer – notamment, les herbicides utilisables ou les types de couverts présentant un intérêt particulier. Nous avons par ailleurs des recommandations formalisées sur les espèces, les densités de semis, la gestion des couverts dans les cultures mais il m’est difficile de vous donner un itinéraire technique « standard ».

La Région Centre cultive du tournesol et surtout du colza. Les agriculteurs peuvent profiter de ces cultures pour y installer des plantes compagnes pérennes, pouvant par la suite devenir des couverts permanents ou semi-permanents. Il est par exemple assez courant d’installer une légumineuse en même temps qu’un colza. L’objectif est bien d’installer le couvert sans exercer de contrainte sur le colza, pour que ce couvert puisse bénéficier au colza mais surtout au blé suivant, voire même à une troisième culture dans la rotation.

Comment définissez-vous l’agroécologie et comment le fait de cultiver des céréales sous couvert peut-il y participer ?

Avec l’agroécologie, il s’agit de mettre en avant des processus écologiques pour tenter de remplacer les intrants de synthèse. Dans le cas qui nous occupe, nous pourrons faire travailler le couvert végétal pour essayer de remplacer certains intrants. L’amélioration de la structure du sol permet en effet de réduire ou remplacer le travail du sol ; la légumineuse fixatrice d’azote peut aussi réduire l’utilisation d’azote de synthèse ; dans certains cas, le couvert peut enfin jouer un rôle de perturbateur pour les bio-agresseurs au sens large – insectes, maladies ou mauvaises herbes – ce qui permettra de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. En théorie, donc, le couvert végétal rend certains services pouvant remplacer un certain nombre d’intrants. Cependant, la théorie peut être compliquée à mettre en œuvre. L’idée n’est pas forcément de remplacer totalement les intrants de synthèse, car de toute façon nous ne savons pas le faire aujourd’hui avec des couverts permanents.
Vous animerez à Innov-Agri un atelier et une conférence sur la culture de céréales sous couvert permanent.

Que pourrons-nous y apprendre ?

Je souhaite partager les résultats de nos études sur les couverts permanents. Je parlerai notamment de comment installer ses couverts permanents, comment les gérer l’année qui suit, comment gérer la conduite du blé pour tuer – ou garder vivant – le couvert. J’aborderai aussi l’impact de ces couverts sur la culture de blé, mais aussi sur la rotation. Au moment d’Innov-Agri, nous aurons quatre années de recul sur ces expérimentations ce qui nous permettra de dresser un premier bilan de nos expériences.

En plus de nos essais, les enquêtes que nous réalisons en ce moment impliquent des évaluations multicritères. Nous espérons ainsi pouvoir mesurer, de la manière la plus globale possible, les contraintes générées par les couverts végétaux, les bénéfices qu’ils apportent, ainsi que la conduite nécessaire pour obtenir les meilleurs résultats avec un minimum de contraintes.