La sécheresse printanière que le pays vient de subir est sans précédent de par sa précocité, son étendue au niveau du territoire, mais aussi son association avec des températures records qui en ont largement amplifié l’impact. Les dégâts sont importants avec la perturbation des semis, des levées et du développement des céréales de printemps et surtout du maïs et du tournesol, un déficit dramatique en fourrage qui va s’accentuer au vu du potentiel de la majorité des cultures fourragères et des pertes de rendements conséquentes en céréales, surtout en petites terres. Alors que l’année s’annonçait très correcte, elle sème aujourd’hui le désespoir et l’incompréhension dans les campagnes.
Si, pour certains, elle ne laissera qu’une grosse déception, pour d’autres, 2011 sera le chaos économique de trop. Au-delà de ces considérations, cette sécheresse doit cependant nous interpeller sur son intensité mais aussi, et surtout, sur les moyens à mettre en oeuvre pour limiter son impact aujourd’hui et en anticiper d’autres, inévitables, à l’avenir.
Un relevé des pluies et des sommes de températures de la région Centre (Loiret) montre que le printemps 2011 a été aussi sec que 1976, qui était pour l’instant l’année record, mais aussi la plus chaude de ces quarante dernières années. Ce printemps est peut-être une « anomalie climatique », mais si l’on compare les données 1970-1980 aux années 2000-2011 sur la période avril-mai, on constate, en l’espace de trente ans, une diminution de la pluviométrie moyenne d’environ 25 mm conjuguée à une augmentation des sommes de températures de 25 °C. N’en déplaise à ceux qui refusent encore l’évidence ; nous sommes certainement déjà en train d’expérimenter de plein fouet le réchauffement climatique et ce qu’il risque de signifier pour nous dans les années à venir. La proximité de l’océan et des mers qui nous garantissait une grande stabilité et douceur climatique s’effrite : demain il faudra vivre et surtout, pour l’agriculture, continuer de produire avec une météo moins prévisible et agressive, plus typée climat continental qu’océanique. Alors qu’aujourd’hui ce sont les échanges de paille et les restrictions d’irrigation qui dominent l’actualité agricole et même générale, on semble avoir oublié qu’il est urgent de limiter nos émissions de gaz à effet de serre pour non pas arrêter, mais ralentir les processus du réchauffement climatique. En parallèle, il est aussi urgent de développer une agriculture robuste afin d’atténuer cette volatilité climatique qui vient s’ajouter à la récente volatilité économique déjà difficile à gérer. Malheureusement l’observation de cette crise avec la résurgence des vieux conflits et débats stériles, notamment celui sur l’eau, est édifiante. C’est encore et toujours la panoplie de mesures immédiates simplistes (irrigation, stockage de l’eau, plantes résistantes à la sécheresse…) qui est seule mise en avant. On s’évertue à continuer de traiter les symptômes sans anticipation et à ignorer le mal en profondeur : la gestion différente du travail du sol reste absente des débats.
Pourtant, les TCS et le SD possèdent de nombreux atouts en climats secs où l’agriculture de conservation peut démontrer toute sa performance et sa cohérence globale. Déjà par la forte limitation de la consommation d’énergie (mécanisation et fertilisation), son impact est positif sur les gaz à effet de serre tout en débouchant sur une séquestration d’importantes quantités de carbone dans les matières organiques des sols. Par ailleurs, en réduisant drastiquement les coûts de production, elle permet de mieux supporter, économiquement, un manque de productivité. Un avantage de type gagnant-gagnant dont aucune autre agriculture ne peut se targuer. Mais son avantage le plus significatif et le plus direct concerne l’eau : s’il n’est pas encore possible de faire pleuvoir, on a les moyens de gérer l’eau de manière beaucoup plus efficace :
– limitation de l’évaporation (tout travail du sol entraîne un
assèchement du profil, surtout au printemps, alors que le
paillage de surface facilite l’accueil et l’infiltration des pluies
tout en limitant fortement l’évaporation),
– augmentation des réserves disponibles (les matières
organiques contribuent de manière significative à la capacité du
sol à stocker et redistribuer l’eau, un élément qui vient s’ajouter
à l’approfondissement de l’exploration racinaire),
– réduction de l’élévation en température des sols (c’est un
autre impact positif du paillage qui permet à l’activité biologique
de continuer de fonctionner et aux plantes de s’alimenter),
– auto-fertilité et adaptation de la fertilisation (généralement
les cultures ont moins besoin d’eau dans des sols gagnant en
auto-fertilité. En association, 2011 a clairement démontré
l’intérêt d’anticiper les apports d’engrais et/ou de localiser).
En complément, l’agriculture de conservation, avec son
approche rotation, diversité des cultures et associations, apporte
une forme d’amortisseur et débouche souvent sur des systèmes
de production qui intègrent toujours des compensations, des
solutions de repli ou la possibilité de rebondir. Ceci est d’autant
plus vrai en élevage, où des cultures et des couverts peuvent être
habilement transformés en fourrage.
Cette approche complètement différente de la gestion de l’eau peut permettre de sécuriser de bons niveaux de production malgré d’importants écarts climatiques, et de limiter le recours à l’irrigation qu’elle ne remplacera pas pour certaines productions spécifiques et dans des régions où les sols possèdent peu de réserve utile.
Combien de crises, de sécheresses, de désillusions et de détresses faudra-t-il encore traverser pour que l’on positionne le réchauffement climatique comme un risque majeur et que l’on agisse réellement pour en limiter la rapidité et l’étendue ? En agriculture, comme plus rien ne sera comme avant, il est urgent d’anticiper et de faire évoluer nos modes de production vers des approches plus robustes. Des solutions existent et sont déjà mises en pratique sur le terrain et, de plus, elles ont la vertu de limiter l’effet de serre : pourquoi continuer à nier l’évidence ?