FRANÇOIS COUTANT, COUVERTS DE FÉVEROLE MAINTENUS VIVANTS AVANT MAÏS

Catherine Milou - TCS n°62 mars/avril/mai 2011

Des sols argileux hydromorphes difficiles à travailler et soumis à une érosion conséquente ont incité François Coutant, à l’instar d’autres agriculteurs habitués à travailler ensemble, à passer au semis direct. Prolongation naturelle de la technique, les agriculteurs ont ensuite mis en place des couverts de féverole maintenus vivants jusqu’à l’implantation du maïs, avec des effets positifs sur le semis, la circulation d’eau et la gestion de l’azote.

Agriculteur à Ricourt dans le Gers, François Coutant doit composer avec des sols difficiles : coteaux argileux humides et hydromorphes, sols superficiels et battants, particulièrement froids sur les versants nord, générant des difficultés de semis, de récolte, et soumis de surcroît à une érosion conséquente. Pour limiter tant l’érosion que les coûts de production, François Coutant pratique les TCS depuis 1995, une approche appuyée par un travail de groupe et accompagnée au départ par un technicien de chez Horsch. « Nous avons opté pour le Horsch SE, un matériel acheté en Cuma, principalement pour l’appui technique que le constructeur apportait », se rappelle F. Coutant. Le Horsch SE sème les blés, les sojas, et assure la préparation des parcelles de maïs avant semoir au monograine, un John Deere 7100 à distribution mécanique acheté d’occasion et choisi pour son équipement (chasses-mottes rotatifs et disque ouvreur), ainsi que son poids : « Les premières années de semis simplifié, nos sols étaient très durs, et comportaient une épaisse croûte de battance », rappelle François Coutant. Le groupe d’agriculteurs fonctionne avec le Horsch jusqu’en 2001, puis l’amortissement du matériel arrivant à terme, ils décident de se tourner vers le semoir Dutzi KS. « Nous devions souvent changer les lames du Horsch en raison de nos terres usantes, et nous jugions aussi le débit de chantier trop faible », explique Pascal Lahille, agriculteur du groupe. Le nouveau semoir est un système original à dents avec un rotor à chaîne pour faire circuler et évacuer les résidus. « Une puissance de 80 CV était suffisante pour tirer le semoir, quand il en fallait près du double pour le Horsch », ajoute l’agriculteur.

Un assolement simplifié pour des raisons économiques relance la réflexion

Jusqu’en 2007, la rotation de François Coutant est constituée d’une succession maïs-soja- blé. Mais la baisse des prix du soja incite les agriculteurs à stopper le soja au profit du maïs. « La succession maïssoja- blé était facile à mener en simplifié, car les résidus de maïs avaient le temps de se dégrader avant le soja et d’ici le retour du blé. Mais la simplification maïsblé a rendu difficile le passage du Dutzi en raison de la masse de résidus. Il ne se comportait correctement que derrière des maïs en sec moins végétatifs », précise F. Coutant. Le groupe d’agriculteurs s’oriente alors vers un semoir Great Plains, comportant un disque ouvreur pour positionner la graine dans les résidus. « Ce semoir est bien adapté à nos coteaux en raison de son bon comportement en dévers, car nous prenons les pentes en travers en raison de la configuration des champs, mais aussi pour diminuer la puissance de traction nécessaire », explique F. Coutant. Toutefois, les problèmes ne sont pas tous résolus pour autant. Dès lors que les conditions sont un peu humides, un état commun sur les versants nord, le passage du disque du John Deere comme du Great Plains crée un lissage, et les graines se retrouvent positionnées au fond d’une gouttière non refermée. Les agriculteurs mettent alors en place plusieurs solutions. La première consiste à remplacer les roues plombeuses du semoir monograine par un double disque dont la fonction recherchée est de refermer le sillon. Le semis du blé est quant à lui réalisé à la volée avec un épandeur à engrais, suivi d’un passage de déchaumeur à disques indépendants, avec un résultat très satisfaisant, sans pour autant augmenter les densités de semis. « Il faut passer le déchaumeur à une vitesse minimale de 12 km/heure pour bien projeter la terre sur les graines », précise F. Coutant. Mais la plus grande évolution dans le système mis en place, c’est l’introduction de couverts végétaux, avec des objectifs multiples, notamment la structuration du sol, et l’assèchement de l’humidité excessive.

Des couverts de féverole

Convaincus de l’intérêt des couverts végétaux, les agriculteurs lancent une série d’essais. Ils testent en premier lieu des couverts de graminées, avoine et seigle, semés au Horsch à l’automne puis détruits au glyphosate en février- mars. « Avec ces plantes, nous avons obtenu un effet "bâche" qui a renforcé l’humidité derrière », décrit à son tour Édouard Coutant, agriculteur et frère de F. Coutant. Le semis de maïs s’en est trouvé retardé, les limaces bien présentes, et les lissages aussi… Après deux campagnes d’essais peu satisfaisants, les agriculteurs testent la féverole, une espèce bien adaptée au terrain riche en argile (40 %), et qui s’exprime même dans les sols tassés. « Nous n’avons pas détruit la féverole et avons semé directement dans le couvert », ajoute E. Coutant. « La culture se comporte différemment en comparaison d’un couvert grillé, estime F. Coutant. Comme le couvert n’est pas plaqué au sol, il s’est avéré plus facile de semer dedans, et nous pouvons à présent semer sans difficultés, même en conditions humides car le sol présente une teneur en eau idéale. » Les féveroles sont semées à la dose de 100 kg par hectare dès que possible à partir du 15 août lorsqu’elles sont positionnées entre le blé et le maïs, ou sinon plus difficilement en octobre entre deux maïs dans le cas de monocultures.

Dans ce dernier cas, l’inconvénient est une couverture plus lente du sol qui laisse le temps aux graminées adventices de s’installer. Les agriculteurs envisagent d’y adjoindre du tournesol pour améliorer le pouvoir concurrentiel du couvert avec un coût modéré, voire d’augmenter la densité au semis. « Je cherche également des solutions pour récolter mon maïs plus tôt, explique P. Lahille, confronté au problème dans ses monocultures de maïs. Comme je sèche moi-même le maïs, je vais essayer une récolte plus précoce, à 32 % d’humidité plutôt que les 25 % habituels. » Le choix des indices de précocité a également évolué, passant de 580 à 500, de manière à trouver un compromis entre la précocité, le potentiel de rendement et l’avancement des dates de récolte.

Quant à la destruction du couvert, elle intervient après le semis du maïs, par roulage. « Lorsque les plantes sont bien développées, les tiges cassent facilement, poursuit F. Coutant. Si elles sont trop peu développées, nous les broyons. Elles sont déjà montées jusqu’à 2 mètres de hauteur ! »

Des avantages multiples

Les problèmes au semis sont résolus, car l’eau responsable de l’humidité excessive du sol est pompée par le couvert. L’effet inverse, un excès de sec, n’est pas une situation commune car, dans le secteur, le mois de mai connaît habituellement des précipitations de 100 à 200 mm. « Dans d’autres zones, le couvert pourrait effectivement générer une sécheresse du sol excessive », estime F. Coutant. Les agriculteurs observent que le tapis de résidus de féveroles, de couleur noire, induit un réchauffement plus rapide des sols qui participe à une bonne levée du maïs.

Les agriculteurs privilégient cette levée rapide du maïs, qui demeure plus lente depuis le passage au semis direct. « Nous avons réalisé des essais variétaux avec des répétitions.

La différence de comportement à la levée entre les variétés est très importante. Nous avons observé de bons résultats avec la variété PR 36K67 qui lève en deux jours de moins que les autres et avec une bonne régularité. »

La vigueur germinative est également pour eux un critère de choix, en raison de pertes de densité pas toujours bien expliquées. « Les comparaisons variétales montraient des différences de densité à la levée du simple au double », révèle F. Coutant.

Côtés limaces, le couvert vivant de féverole offre un bénéfice inattendu : « Les limaces préfèrent rester dans le couvert de féverole plutôt qu’aller dans le maïs, signale E. Coutant. Elles ne se déplacent dans le maïs que lorsqu’il atteint 4 à 5 feuilles, mais les conditions météorologiques sont alors généralement au beau, le maïs se développe bien et les limaces sont moins dommageables.

Nous apportons par sécurité 2 à 3 kg d’antilimaces dans la ligne de semis. » Le couvert attire également des coccinelles qui semblent réguler les populations de pucerons auparavant nombreuses sur blé et maïs.

Autre effet positif lié à la féverole  : son apport d’azote. « J’amenais auparavant 180 à 200 unités d’azote sur mon maïs, pour un rendement d’environs 115 q/ha en plaine et 90 q/ha en coteaux, explique F. Coutant. Depuis que j’utilise des couverts de féverole, je n’apporte plus qu’une centaine d’unités, et je suis persuadé que l’optimum se situe encore en deçà. » Des pesées de la biomasse du couvert ont révélé en 2010 six tonnes de matière sèche, et huit à dix tonnes l’année précédente. « Nos essais vont porter vers l’optimisation de l’azote. Je projette aussi de réaliser prochainement des analyses de sol pour voir comment ont évolué P et K. »

Côté sol, les agriculteurs observent une homogénéisation qui se répercute sur l’aspect des cultures. La surface du sol a noirci, la structure est beaucoup plus poreuse et l’eau circule mieux. La vie du sol semble nettement améliorée, au vu de la présence de nombreux turricules de vers de terre. La forte battance n’est plus qu’un mauvais souvenir, et aucun des agriculteurs du groupe n’utilise à présent d’écroûteuse, au contraire de leurs voisins… La portance s’est elle aussi nettement améliorée, et la récolte génère moins d’ornières qu’auparavant.

« Le sol est couvert toute l’année, et les orages n’emportent plus la terre. Quant à la féverole, nous avons le sentiment qu’elle offre une synergie positive avec le maïs ! », ajoute F. Coutant.

Conséquence de l’ensemble des techniques mises en place  : des coûts de production qui ont chuté : moins d’azote, moins de gasoil, moins de frais de mécanisation, moins de puissance nécessaire…

Des adaptations nécessaires dans l’itinéraire technique

Dans la modification de leurs pratiques, les agriculteurs ont intégré des changements au niveau du désherbage, en supprimant les produits à action racinaire. « Avec le couvert qui recouvre le sol, il est plus pertinent de passer en postlevée  », expliquent-ils. Deux passages en postlevée, parfois en dirigé pour le second passage, permettent de contrôler efficacement les adventices dans le maïs. Les agriculteurs ont constaté une évolution de la flore, soit moins de chénopodes mais en revanche plus de sétaires, notamment dans le cas des monocultures.

1,5 à 2 l de glyphosate appliqués juste après semis et avant roulage visent à détruire les levées d’adventices et les repousses, particulièrement lorsque la féverole s’est mal développée. « Nous étudions des pistes pour supprimer ce passage de glyphosate, explique E. Coutant. Il faudrait obtenir un couvert plus épais, en essayant de le semer dès la moisson, ou en le semant dans le blé dès le mois de mai. » La conduite de l’irrigation a elle aussi été revue : « Nous irriguons davantage qu’avant au début du cycle du maïs, mais moins à la fin. Le maïs met en effet plus de temps à démarrer, mais nous supposons que l’eau est mieux valorisée ensuite », avance F. Coutant.

Forts de leurs expériences, les agriculteurs visent à présent un autre semoir. « Cela nous déplaît de devoir forcer pour ouvrir le sillon, puis à nouveau pour le refermer ! Nous sommes également convaincus qu’il n’est pas utile d’avoir un semoir lourd, d’autant plus que la structure de nos sols s’est grandement améliorée », souligne l’agriculteur. Le groupe aimerait posséder un semoir mis au point par l’Afdi et le Cemagref. Ce semoir à disques poussés a été conçu pour le semis sous couvert et ne nécessite qu’une faible traction (cf. présentation p 4 de TCS n° 54). « C’est exactement ce qu’il nous faudrait, mais il n’est pour l’instant pas accessible », regrette P. Lahille.

Le travail de groupe est un élément moteur incontournable selon les agriculteurs qui se retrouvent deux fois par mois pour des réunions techniques portées par Agro d’Oc. « Se rencontrer et échanger est indispensable pour avancer et évoluer dans ses pratiques », concluent-ils.


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