Travail du sol vs herbicides : que disent les mycorhizes ?

En pleine remise en question du glyphosate, le GIEE Manche Agriculture de Conservation a débattu sur l’impact des solutions alternatives sur la vie du sol et a sollicité l’Unité de Recherche AGHYLE d’UniLaSalle-Rouen pour les accompagner. Les résultats du suivi de la vie du sol à travers les mycorhizes ont permis au GIEE d’avoir des données acquises et exploitables sur trois campagnes de maïs.

Contexte du suivi

Plusieurs questions ont été posées sur l’arrêt possible du glyphosate, l’arrêt acté du Sonido (thiaclopride) mais aussi les difficultés à faire démarrer correctement le maïs dans les conditions fraîches du nord Cotentin. Face à ces défis, des agriculteurs engagés en Agriculture de Conservation des Sols (ACS) se sont trouvés à réintroduire du travail du sol superficiel pour assurer de bons résultats à la culture principale du secteur. Mais comme la vie du sol est une priorité du GIEE Manche Agriculture de Conservation, les agriculteurs se sont questionnés sur l’impact de cette « marche-arrière ». Des références comparant labour et sans labour existent, mais peu ou pas mettent face à face TCS et semis direct, encore moins sur la vie microbienne du sol. La question était de savoir : si je travaille mon sol en surface et que cela m’assure d’avoir un maïs plus vigoureux, est-ce qu’un enracinement plus rapide permet de pallier la perturbation mécanique ?

Mycorhizes : késako ?
Dans les agroécosystèmes, les plantes sont naturellement associées à des communautés microbiennes très denses autour de leurs racines. Sous l’influence des pratiques culturales, la compréhension de ces interactions dans le sol et leurs conséquences pour la nutrition et la santé des plantes constituent un enjeu majeur pour le développement de nouvelles approches au service de la transition agroécologique. Parmi ces communautés microbiennes du sol, il existe des champignons symbiotiques qui sont associés aux racines des plantes pour former des mycorhizes (du grec « myco » pour champignon et « rhize » pour racine). Les mycorhizes sont les symbioses végétales les plus répandues dans les écosystèmes naturels ou cultivés. Il existe plusieurs types de mycorhizes, mais les plus étudiées sont les ectomycorhizes et les endomycorhizes ou mycorhizes à arbuscules (MA). Dans cette étude, nous nous intéressons plus particulièrement aux MA qui constituent le type de mycorhize le plus répandu et le plus ancien remontant à la première apparition des plantes terrestres il y a environ 450 millions d’années. Les champignons mycorhiziens à arbuscules (CMA) sont des symbiotes obligatoires non cultivables en l’absence de la plante-hôte. Le champignon colonise la racine par son mycélium (un épais tissu de filaments appelés hyphes) en formant des organes de réserves (les vésicules) et des organes d’échange (les arbuscules) à l’intérieur de la racine (Figure 1). Il reçoit des sucres issus de la photosynthèse, par la racine de la plante hôte, énergie qu’il utilise pour sa propre survie. Il s’agit d’une relation bilatérale de partage des ressources entre le champignon et la plante.
Les CMA vivent en symbiose avec la plupart des espèces végétales et apportent de nombreux avantages aux plantes hôtes, telles qu’une absorption améliorée des nutriments - en particulier des nutriments peu mobiles comme le phosphore (P) et une tolérance accrue des plantes aux facteurs de stress biotiques et abiotiques. Par conséquent, il est possible d’améliorer la productivité et la durabilité des systèmes de culture en stimulant les CMA indigènes tout en réduisant la dépendance aux engrais. La présence ou l’absence d’espèces caractéristiques de CMA peut servir d’indicateurs biologiques et pédologiques alors que le taux de mycorhization reste un indicateur pertinent et opérationnel de la qualité biologique des sols. Il estime le pourcentage de longueurs de racines mycorhizées à partir d’une technique de coloration permettant d’observer au microscope les hyphes, les vésicules et les arbuscules. Le premier bénéfice de la symbiose est d’ordre nutritif, c’est pourquoi les CMA représentent de bons indicateurs biologiques des sols agricoles. Toutefois, la mesure du taux de mycorhization est très dépendante du milieu (type de sol, pratique de fertilisation, etc.) et de la culture (espèce, variété, niveau de prélèvement).
Un webinaire sur le lien entre mycorhizes et pratiques agricoles intégrant les premiers résultats de cet essai est disponible via ce lien : https://vimeo.com/515383735.

Le dispositif expérimental de suivi

Afin de répondre à la question posée, Olivier Leroux, éleveur en pratiques sans labour depuis 2005, a comparé deux itinéraires techniques de maïs sur une parcelle pendant trois campagnes : 2020, 2021 et 2022. Quelque variation est intervenue d’une année sur l’autre, mais l’objectif de départ a été respecté : d’un côté un travail du sol se limitant à un passage de Strip-till à 15 cm de profondeur combiné au semis et, de l’autre côté, un passage de rotavator sur 5 cm de profondeur allant remplacer l’utilisation de glyphosate. Les deux modalités testées dans cette étude sont les suivantes :
• Strip-till seul : avec une seule intervention de travail du sol localisé sur le rang
• Strip-till + rotavator : avec un passage de rotavator avant le Strip-till.
Dans chaque modalité, 3 échantillons composites de sols (pool de 5 prélèvements) prélevés à la tarière (horizons 0-20 cm) dans l’inter-rang et 3 échantillons composites de racines (pool de deux pieds de maïs) ont été collectés pour évaluer respectivement l’abondance des spores et le taux de mycorhization des plants de maïs. Ces échantillons ont été prélevés chaque année à la même période pendant le mois d’août et dans les mêmes endroits de prélèvements.

Lors de la première campagne de suivi en 2020, l’utilisation de rotavator a permis au maïs un démarrage plus rapide compte tenu d’un réchauffement du sol plus important ainsi qu’une assimilation rapide du carbonate épandu en amont, résultant en un meilleur rendement. Néanmoins, si la biomasse microbienne (analysée par Celesta Lab) est apparue similaire entre les deux modalités, les mycorhizes se sont beaucoup mieux installées en l’absence de rotavator. Ce résultat est plus marqué avec l’abondance des arbuscules (27,87% en Strip-till seul) suivie de l’intensité de mycorhization et de l’abondance des spores (Figure 1). La pratique de Strip-till seul favorise ainsi une colonisation mycorhizienne plus précoce et plus rapide grâce à un réseau d’hyphes important associé au maïs en tant que plante mycotrophe. De plus, la minéralisation induite par le travail du sol en plein qui a alimenté le maïs en éléments nutritifs, a contribué à réduire la dépendance de la culture aux mycorhizes qui lui demandent de l’énergie.
Les deux années qui suivent sont caractérisées par des scénarios météo extrêmement différents : été 2021 anormalement humide et été 2022 marqué par le sec, même dans la Manche !
En 2021, la pression du pâturin est difficilement maîtrisable dans les deux cas de figure et au final les rendements sont proches. Concernant les mycorhizes, on observe une inversion de tendance pour la colonisation racinaire : abondance arbusculaire et intensité de mycorhization supérieures dans la modalité avec rotavator alors que l’abondance des spores est toujours meilleure en Strip-till seul.
Avec les conditions sèches de 2022, la maîtrise des adventices est équivalente dans les deux modalités, mais au final c’est le Strip-till seul qui tire un rendement légèrement supérieur à celui avec rotavator. Les résultats sur les mycorhizes se rapprochent de ce qui a été observé en 2020 : tous les indicateurs sont supérieurs pour le Strip-till seul.
L’abondance de spores dans le sol est, quant à elle, restée toujours supérieure dans la modalité Strip-till seul. Pour rappel les échantillons de sol ont été prélevés dans l’inter-rang, non travaillé en Strip-till, travaillé sur 5 cm dans la modalité avec rotavator. A noter qu’en 2022 un passage de bineuse est venu se rajouter dans la modalité avec rotavator. Concernant ce dernier paramètre, on remarque une évolution positive dans le temps : linéairement très marquée pour le Strip-till seul, plus légère pour le Strip-till+rotavator. Une progression en termes de valeurs absolues peut être observée aussi sur l’intensité de mycorhization dans la modalité Strip-till seul.

Conclusions et perspectives

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un essai avec répétitions, nous pouvons émettre les hypothèses suivantes : en année « normale » ou sèche, les itinéraires techniques avec travail du sol en plein ont un impact négatif sur les champignons mycorhiziens du maïs, comparés à des itinéraires reposant sur un travail du sol localisé et une utilisation plus importante d’herbicides, y compris de glyphosate. En année humide, l’interaction champignon-plante semble être favorisée par un travail du sol superficiel qui améliore les conditions d’aération de surface. D’autres études pourraient nous permettre de vérifier ces hypothèses.
Concernant d’autres critères d’évaluation, il est vrai que l’utilisation du rotavator a permis de diminuer l’utilisation d’herbicides et de faire l’impasse sur le glyphosate, mais cela n’a pas conduit systématiquement à des rendements supérieurs et encore moins à un coût de la tonne de MS inférieur. Le Strip-till seul de son côté a garanti de meilleures performances en termes de temps de travail, consommation de carburant et stabilité structurale du sol.

Pour info, voici un lien vers un autre article sur les mycorhizes que nous avions mis en ligne.


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