Avec ce numéro 130, vous venez de recevoir le dernier magazine TCS d’une longue série. Si l’année 2024 a été compliquée dans les champs, principalement à cause des caprices de la météo, elle l’a été également pour la revue TCS, ce qui explique ce léger retard dans la parution.
Après le jugement d’ouverture de liquidation judiciaire du groupe Media & Agriculture qui nous publiait, la revue TCS s’est retrouvée orpheline et menacée. Le Groupe Réussir, qui nous observait avec intérêt depuis quelque temps, a alors formulé son souhait de reprendre TCS sans en modifier la ligne éditoriale.
À l’issue de toutes ces péripéties, ce changement de structure d’accueil est un véritable tournant et une chance pour la revue. De la newsletter confidentielle du départ, qui était le seul lien entre des pionniers un peu isolés, grâce au groupe ATC (devenu Média & Agriculture), nous avons réussi à installer TCS dans le paysage de la presse comme une référence en matière d’agriculture de conservation des sols (ACS). Par chance, l’acronyme de départ TCS, qui signifiait « Techniques Culturales Simplifiées » a pu être transformé en technique de conservation des sols.
Cette reprise par le groupe Réussir va permettre à TCS de s’affirmer auprès d’un plus grand nombre d’agriculteurs et vraiment accompagner la reconnaissance et la démocratisation de l’ACS en France. Elle est d’ailleurs plus que jamais nécessaire pour des raisons économiques, environnementales mais aussi humaines.
Si aujourd’hui, on parle plus d’agroécologie ou d’agriculture régénératrice, une terminologie qui intègre beaucoup l’approche agronomique globale que nous soutenons, la marque TCS va rester, quitte à trouver une nouvelle traduction, plus d’actualité, pour cet acronyme.
En complément, cette collaboration va permettre de mieux couvrir l’ensemble des informations, évènements et rencontres relatives à l’ACS en France mais aussi au-delà des frontières par une équipe plus large et dédiée.
Nous allons enfin profiter de ce moment très particulier pour « relooker » la revue et la mettre au goût du jour en intégrant une partie numérique. Même si on apprécie d’être différent, il faut bien s’adapter et surtout donner aux plus jeunes, accès aux informations pertinentes que nous diffusons.
Rassurez-vous : nous prévoyons du changement certes mais ce sera sans travestir la qualité du contenu, nos analyses critiques, nos éclairages agronomiques, les réflexions stratégiques, le partage de savoir-faire et d’idées novatrices et, bien entendu, notre engagement fort pour la reconnaissance de l’ensemble des bénéfices des pratiques d’ACS auprès des agriculteurs mais aussi de l’ensemble des acteurs.
Plus de 25 ans d’activité
Cette transition, après plus de 25 ans d’activité, est aussi le moment de regarder dans le rétroviseur, de faire le bilan de notre action, d’évaluer les acquis mais aussi et surtout, de mettre en avant les perspectives de travail, de recherche et d’échanges pour les prochaines années.
Si nous avons démarré, animés par beaucoup de convictions et même quelques utopies, armés seulement de bribes de connaissances et quasiment aucun savoir-faire, après 25 ans, nous avons construit de solides références qui font écho dans les campagnes et même commencent à irriguer beaucoup d’autres modes de production comme l’agriculture biologique (ABC « Agriculture Biologique de Conservation ») mais aussi la vigne, l’arboriculture, la lavande et même la banane aux Antilles…
Au cours de ces 25 années, la revue TCS a accompagné la démocratisation du non-labour, puis du semis direct en passant par le strip-till. Plus récemment, on parle plus d’ACS, voire aujourd’hui d’Agriculture Régénératrice, un concept plus large. Cette évolution de la terminologie accompagne l’évolution des pratiques et des connaissances mais aussi le développement d’une approche systémique. En fait, l’objectif de départ, la limitation voire l’arrêt du travail du sol, qui était souvent et reste encore la première porte d’entrée, est progressivement devenu seulement un moyen pour atteindre un objectif beaucoup plus complexe et global. Ainsi, la panoplie des outils s’est bien étendue au cours des années avec les couverts végétaux, le développement de rotations adaptées, la localisation de la fertilisation, le colza avec plantes compagnes et même la réintégration de l’élevage, pour les principaux. En fait, c’est l’ensemble de ces éléments, intégré de manière différente en fonction des productions, des territoires et même des objectifs individuels des agriculteurs, qui permet aujourd’hui de s’affranchir avec succès du travail du sol. L’objectif global est d’utiliser au maximum l’énergie de la photosynthèse au travers du vivant pour remplacer des actions et/ou des intrants coûteux en temps et en énergie avec souvent des impacts environnementaux négatifs. Structurer le sol avec les vers de terre et l’ensemble de l’activité biologique, capter et fixer de l’azote avec des légumineuses, étouffer du salissement avec des couverts Biomax performants et leurrer des insectes ravageurs avec des plantes compagnes sont autant de nouveaux moyens qui font partie de notre boite à outils. Ils ne sont peut-être pas aussi « efficaces » ou plutôt « radicaux » et faciles à mettre en œuvre mais ils sont durables, très économes et leurs externalités sont très largement positives.
Grâce à ces 25 années de recul, les réseaux ACS ont intégré beaucoup d’informations d’abord d’Amérique du Nord et du Sud, puis développé un vrai savoir-faire mais aussi innové. Ainsi, la France est devenue un leader reconnu aujourd’hui. Cela ne signifie pas que nous détenons le graal, mais que nous avons établi un socle solide à partir duquel nous allons pouvoir continuer de construire et faire évoluer nos systèmes de production vers plus d’efficacité et de productivité.
Le sol, élément central, les couverts végétaux, dossier transversal
Dans ces éléments et loin des machines et semoirs que nous avons toujours décortiqués, le sol est vraiment l’élément central. Depuis plus de 25 années que nous creusons, nous avons appris beaucoup sur son organisation naturelle, son activité biologique, le recyclage des matières organiques, les flux de fertilité, l’évolution des matières organiques et même sa capacité à infiltrer et stocker l’eau. Cette connaissance et surtout les changements de pratiques ont apporté globalement leurs fruits avec de belles régénérations de sols qui sont aujourd’hui indéniables et servent de références. Si elles confirment que nous sommes bien dans la bonne direction, il semble que nous sommes encore très loin d’avoir traversé cette fameuse période de transition. Nous devons donc continuer de creuser et d’approfondir le sujet tant il nous reste encore beaucoup à découvrir et à incorporer dans nos systèmes.
Les couverts végétaux sont certainement le dossier le plus transversal. Nous évoquions déjà ses intérêts, non pas comme CIPANs, mais comme outil agronomique dans les premiers numéros de TCS. Depuis, nous avons énormément appris et les espèces potentielles se sont bien élargies. Progressivement, le concept Biomax, avec des mélanges conséquents, s’est imposé, puis le couvert relais pour l’optimisation de la gestion d’intercultures longues.
Comme implanter en été est une réelle difficulté, le post récolte est devenu une évidence comme le semis avec des dents et des socs étroits. Beaucoup plus récemment, c’est la profondeur de semis qui a été formidablement bien challengée avec cet objectif de 5 cm et certains testent même la fertilisation localisée de ces couverts végétaux pour aller chercher encore plus de biomasse et d’azote.
En parallèle, de nombreuses recherches et mesures sont venues accréditer nos perceptions et observations. La méthode MERCI, développée par la Chambre d’Agriculture d’Aquitaine, a commencé à nous fournir des références afin de considérer cette dépense consentie comme un réel investissement avec des retours conséquents dans le temps. Avec la version 2, elle nous donne aujourd’hui encore plus de détails et entre autres l’étalement des retours potentiels en fonction des modes de destruction, la valeur fourragère, l’impact sur le carbone et le taux de matières organiques et même la valeur énergétique en cas de valorisation de cette biomasse en méthanisation.
En fait, ce travail et l’engouement pour ce dossier par les réseaux ACS, qui ont été de véritables moteurs, a permis de faire progresser la biomasse produite de 1 à 2 t/ha de MS d’avoine ou de moutarde à des associations de 5-6 t de MS/ha qui peuvent ponctuellement atteindre 8-10 t avec plus 200 à 250 kg, voire 300 kg de N/ha. On pratique même aujourd’hui la couverture permanente. Si le suivi peut être un peu compliqué, l’enjeu est suffisamment intéressant pour continuer. Avec des luzernes et autres légumineuses pérennes mieux adaptées, il y a certainement des astuces pour sécuriser cette orientation.
Ainsi et même si nous pouvons être très satisfaits de ces résultats assez exceptionnels et penser avoir bien fait le tour de la question, les récentes avancées avec la profondeur de semis, la densité de graines/m², la fertilisation mais aussi l’enrobage et le positionnement anticipé avec un épandeur d’engrais ou un drone, montrent que nous avons encore de belles marges de manœuvre devant nous.
Par ailleurs, les couverts ont été aussi une formidable école agronomique et vont continuer de l’être, les observations apportant toujours de nouvelles idées. TCS n’a donc pas fini de vous parler de couverts végétaux dans ses colonnes.
Gestion de la fertilité, sujet récurrent
La gestion de la fertilité et l’adaptation de la fertilisation aux approches ACS sont également un sujet récurent. Il est certain que l’amélioration des fonctionnalités du sol et le développement de l’activité biologique doivent permettre de sécuriser voire d’augmenter la productivité tout en réduisant les apports d’engrais. Malheureusement, l’affaire n’est pas si mathématique et paradoxalement, une croissance biologique et organique, très souhaitable, entraine inévitablement des immobilisations et des restrictions précoces, qui peuvent pénaliser les cultures sous nos climats et dans nos situations de sols, très dépourvus après plusieurs millénaires d’agriculture.
Il faut également rester réaliste : les couverts, hormis l’azote et le carbone, ne rentrent pas d’autres éléments minéraux même s’ils les remontent dans le profil et peuvent les rendre plus disponibles. Idem pour l’activité biologique, aussi diverse et performante soit-elle, ce n’est que la courroie de transmission. Il faut bien entendu la favoriser au maximum mais elle ne crée pas de fertilité. Quoi qu’il arrive, il faudra continuer de corriger les déséquilibres minéraux et surtout d’oligo-éléments qui affectent la croissance et l’état sanitaire de nos cultures mais aussi, de manière plus insidieuse, l’activité biologique des sols et plus globalement leurs fonctionnalités. L’analyse de sève est certainement un outil à beaucoup plus systématiser à cet égard !
Il est également clair que la croissance organique, qui est un objectif central, contribue à un meilleur fonctionnement des sols, plus de résilience climatique et globalement à une croissance de l’auto-fertilité. Cependant ces bénéfices entrainent l’immobilisation temporaire de la fertilité.
Nous avons largement dépassé l’idée d’apporter de l’engrais au sol pour nourrir les cultures. Cependant l’équation n’est pas si simple et trouver le bon dosage dans un milieu en pleine évolution, des rendements potentiels qui progressent avec en plus les perturbations climatiques sans vraiment connaitre le point d’équilibre et le temps qu’il faudra pour l’atteindre, ne rendent pas la tâche facile. Il va falloir continuer d’avancer sur ce dossier sans généraliser, tant les états de départ et les parcours sont divers, continuer de qualifier la fertilisation au démarrage qui nous permet de contourner une bonne partie de ces difficultés et certainement apprendre à apprivoiser le « priming effect » ou initier une légère minéralisation dans la zone de germination et de démarrage de la culture, sans avoir recours à du travail du sol.
Le désherbage, point délicat
Si le développement de l’ACS et surtout l’approche « santé » des sols, comme l’envisagent nos collègues anglo-saxons, nous permettent de limiter le recours, en fonction des situations et des climats, à des fongicides et des insecticides qui sont maintenant en partie remplacés par des produits de type « biostimulants » et stimulateurs des défenses, le désherbage et le contrôle de la végétation à l’installation de la culture restent un point délicat. Le roulage des couverts a bien entendu apporté une belle ouverture, mais il faut absolument que le couvert soit très qualifié pour être indemne de salissement : un niveau d’exigence pas toujours facile à atteindre.
À ce niveau, le glyphosate, qui a fait couler beaucoup d’encre, même dans nos colonnes, après quelques années de menace très sérieuse, est aujourd’hui, semble-t-il, réhomologué pour 10 ans. Toutes ces tergiversations ont au moins permis d’explorer beaucoup de solutions potentielles, de la destruction par courant électrique au micro-ondage, pour s’apercevoir qu’elles étaient souvent très coûteuses, peu efficaces et non sans impact sur les sols et leur biologie. La pression sur cette molécule phare a également initié des recherches sur d’autres produits d’origine biologique, comme des huiles essentielles, qui pourraient avoir des propriétés similaires et/ou complémentaires. Une vraie rupture peut donc arriver à ce niveau dans les années à venir qu’il faudra apprendre à maitriser et à intégrer.
Enfin, tout ce buzz a mis en avant l’agriculture de conservation et permis aux journalistes, au grand public et à quelques représentants politiques, de mieux en comprendre l’ensemble des bénéfices et sa grande cohérence agronomique et environnementale.
Malgré cela, dans les champs, les résistances s’étendent, notamment avec les graminées d’automne et principalement le ray-grass, et viennent même perturber des itinéraires et des rotations performantes et bien établies. Si le semis direct avec des couverts denses, associés à des rotations 2/2, comme nous en avons fait l’éloge, nous ont permis de surprendre une majorité du salissement, après 25 ans, une partie de ces plantes a commencé à apprendre et contourner nos stratagèmes. Pour les surprendre à nouveau, il va donc falloir « sur le métier remettre son ouvrage » et inventer du neuf !
Le carbone, notre fil rouge
Le carbone a toujours été notre fil rouge avec la possibilité d’en « séquestrer » dans les sols.
Vu comme « polluant » par beaucoup d’acteurs, le carbone est cependant au centre de la fertilité du sol, de la qualité de l’eau et même de la biodiversité. C’est tout simplement l’énergie de la vie. Déjà, Nicolas Hulot reprenait un article de la revue TCS en 2003 sur le sujet dans son livre « Le Syndrome du Titanic ». Plus tard, lors de la Cop 21 de Paris en 2015, Stéphane Le Foll, avec l’appui de l’INRAe, lançait le programme 4/1000 et des GIEE qui vont être très utiles à la progression et l’ancrage de l’ACS. Enfin et depuis 2020, les premiers certificats carbone arrivent et commencent à rémunérer les agriculteurs pour leurs pratiques permettant de « séquestrer » plus de CO2 qu’ils en émettent sur leur exploitation. Il aura fallu plus de 25 ans de travail pour en arriver là ! Qu’à cela ne tienne, les premiers « bonus carbone » commencent à être versés et les ACSistes en profitent !
Bien entendu, ce raisonnement perturbe beaucoup de monde, surtout qu’il met encore une fois en avant l’ACS. Cette ouverture est cependant très souhaitable et intéressante car le carbone est partout et commence à être compris par beaucoup. De l’émission des voitures, à l’affichage sur les billets de train et d’avion jusqu’aux notes de restaurant, votre contribution au réchauffement climatique est calculée et affichée.
Ainsi, cet élément va permettre de créer de nouveaux liens avec les agriculteurs qui sont souvent les seuls à pouvoir capter du carbone de l’air grâce à la photosynthèse. C’est d’ailleurs ce que commence à bien comprendre l’ensemble de l’industrie agro-alimentaire. Afin d’aller vers une décarbonation de leur filière, s’ils peuvent aménager leur process, ils ont intérêt à encourager les agriculteurs à réduire leurs émissions, l’empreinte carbone de la partie production agricole étant souvent importante : cette stratégie devient encore plus performante lorsque les fermes deviennent net négatives.
Enfin, le dossier carbone a déjà entrainé beaucoup d’analyses de sols et de suivis qui vont se multiplier afin de mieux comprendre les processus en jeu et pouvoir certifier les variations de stock. Cette approche va également faire migrer progressivement le suivi de la performance environnementale des exploitations agricoles d’une politique de moyens vers une approche de résultats. Certainement encore une aubaine pour l’ACS qui pourra sûrement asseoir son efficacité à ce niveau.
Au-delà de ces sujets généraux, de nombreux autres sont à considérer et à développer pour consolider nos approches systémiques. Il y a bien entendu l’élevage pâturant qui, tout en profitant des couverts comme fourrage de qualité, peut permettre d’ouvrir les rotations, d’intégrer des plantes pérennes tout en développant la fertilité des sols. Avec des approches assez parallèles, il y a aussi la méthanisation qui est non seulement intéressante en matière d’énergie mais aussi permet de recycler de la fertilité de manière performante à condition de garder suffisamment de carbone fermentescible pour les sols.
Nous devons continuer d’explorer, à l’instar de la réussite du colza associé, les plantes compagnes, le semis précoce des céréales et les associations de cultures. Les stratégies de seconde récolte avec la caméline, par exemple, dans le but de fournir du bio-carburant aérien ou même le relais cropping sont autant de nouvelles idées mais surtout des opportunités que nous devons apprivoiser. Cette effervescence des réseaux nourrit la créativité agronomique qui risque certainement de nous apporter encore de belles idées et innovations, voire des ruptures, pour continuer d’avancer dans cette quête pour toujours plus d’efficacité en s’appuyant sur l’énergie du vivant.
Au regard de cette rapide rétrospective et à ceux qui pensaient que nous aurions rapidement fait le tour des sujets avec le non-labour au lancement de la revue TCS en 1999, nous avons, grâce à l’ACS, remis au centre des préoccupations le sol et revisiter de nombreuses approches de l’agronomie traditionnelle qui continuent de raisonner en outil, en technologie et en silo. Sans rejeter ces apports, qui peuvent être utiles, nous avons développé une approche systémique. C’est à ce niveau que résident aujourd’hui les plus importantes marges de progrès, d’économies qui s’accompagneront bien entendu de bénéfices environnementaux.
- Malgré le retard pour ce numéro normalement prévu pour la fin 2024, nous vous souhaitons une très bonne année et une bonne saison culturale.
En d’autres termes, nous n’avons pas fini d’enquêter, d’échanger, de nous émerveiller et de rédiger des articles un peu denses : vous risquez donc de lire TCS encore pendant de nombreuses années !