Mes grands-parents auraient aimé faire de l’agriculture de conservation

Ces derniers temps, certains médias expliquent que nos agriculteurs devraient retourner à "l’agriculture de nos grands parents". Néanmoins, si mes grands-parents vivaient encore aujourd’hui, je serais curieux de connaître leur point de vue : quelle agriculture feraient-ils ? Et quelle agriculture voudraient-ils faire ?

Mes grands-parents étaient agriculteurs. Tous avaient de l’élevage et des cultures. Néanmoins mes grands-parents paternels ont eu un temps une ferme plutôt accès grandes cultures. Alors que mes grands-parents maternels ont toujours mis l’accent sur l’élevage. Mes aïeux ont aussi su passer la passion agricole à leurs enfants. Du côté paternel, sur 4 enfants, 2 sont devenus agriculteurs/agricultrices et, du côté maternel, sur 8 enfants, 6 sont devenus agriculteurs/agricultrices.

Mes grands-parents étaient déjà agriculteurs lors de la seconde guerre mondiale. Ils ont connu le manque de moyen, le manque d’hygiène et le manque de nourriture. Avant, pendant et après la guerre, ils ont cherché à résoudre les problèmes qu’ils rencontraient de façon pragmatique. Par exemple, mes grands-parents paternels n’ont jamais possédé de tracteur ; ils ont toujours tout fait avec les chevaux. Par contre ils avaient un pulvérisateur pour traiter les cultures et les pâtures. Du côté maternel, le tracteur est arrivé rapidement après-guerre.

Mes grands-parents ont travaillé dur. Malgré ce que certains voudraient nous faire croire, les cultures de mes grands-parents ne poussaient pas avec "de l’amour et de l’eau fraîche". Elles poussaient avec de la sueur et du fumier. Par conséquent lorsque l’industrie chimique a proposé des solutions pour limiter la sueur et fertiliser les sols en plus du fumier, mes grands-parents se sont intéressés à ces solutions agronomiques et les ont utilisés à la manière « d’un bon père de famille ». Mes grands-parents ne jugeaient pas un produit sur sa provenance mais sur ses effets et ses résultats. Cette approche pragmatique valait aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Par exemple, lors de la libération, dans le secteur où vivaient mes grands-parents paternels, les poux étaient devenus un problème de santé publique. En effet, durant la guerre, il y avait un manque d’hygiène généralisé qui a donné le champ libre à certains parasites. Dans la région d’origine de mon père, c’était les poux et l’armée Américaine a proposé de traiter les habitants du secteur au DDT, un insecticide de l’époque. Mes aïeux ont participé à cette action collective.

Mes grands-parents furent des agriculteurs qui travaillaient dur et qui choisissaient des solutions en fonction de leurs efficacités et de leurs coûts (à court et à long terme). Optant parfois pour des solutions biologiques telles des rotations longues, des solutions mécaniques tel un semoir, des solutions chimiques tels les engrais de synthèse ou des solutions mixtes tels les chevaux qui fournissaient la force de traction et convertissaient l’herbe des petites terres en fumier pour les cultures. S’ils vivaient encore aujourd’hui, je pense que leurs regards exprimeraient la surprise et l’incompréhension lorsqu’un media titre "il faut revenir à l’agriculture de nos grands parents". En effet, eux ont connu l’agriculture d’avant-guerre, celle où l’huile de coude et la sueur sont les principaux intrants. Eux ont décidé de changer de système pour qu’il soit meilleur et, un jour peut-être, arriver à un système parfait. Mes grands-parents sont partis d’une agriculture imparfaite et ont cherché des solutions pratiques et pragmatiques à des problèmes de terrain. Retourner à l’agriculture d’avant-guerre ne fait pas partie de leur définition du progrès.

La question logique est alors : si mes grands-parents ne voient pas l’avenir dans un retour en arrière, quelle forme d’agriculture moderne les auraient alors intéressés ? J’aime à penser que mes grands-parents auraient été intéressé par l’agriculture de conservation. En effet, cette nouvelle forme d’agriculture a beaucoup de points communs avec leur vision de l’agriculture qui comportait : travailler avec le vivant, résoudre les problèmes de façon pragmatique avec l’outil le mieux adapté (qu’il soit biologique, mécanique, chimique ou hybride), assurer un revenu suffisant dès aujourd’hui et offrir la chance aux enfants de devenir agriculteurs à leurs tours. Mes grands-parents ont fait l’un des plus vieux métiers du monde mais ils ne sont pas restés immobiles. Ils l’ont fait évoluer en s’attaquant aux problèmes de l’époque. Aujourd’hui, le monde a changé et les défis du moment sont : stimuler la biodiversité, optimiser l’utilisation des ressources et stocker à long terme l’excès de carbone de l’air dans le sol. Mes grands-parents se seraient intéressés à ces questions et c’est pourquoi ils auraient sûrement aimé faire de l’agriculture de conservation.

Maïs en agriculture de conservation des sols