La saison 2022 a certainement été l’une des plus atypiques que nous avons dû traverser sur les trente ou quarante dernières années. Ce sont premièrement des vagues de chaleur à répétition, très éprouvantes, qui ont accéléré la cadence jusqu’aux récoltes d’automne. Couplées avec un fort déficit de précipitations dans beaucoup de régions, ces conditions ont fortement impacté les niveaux de production.
Un contexte tendu
2022 c’est aussi l’envolée des prix de l’énergie et par conséquent des produits qui en contiennent beaucoup comme les engrais azotés. Elle remet donc brutalement en avant la forte dépendance de l’agriculture, certains systèmes de production plus que d’autres, mais aussi de l’ensemble de nos sociétés à cet ersatz qui a permis notre développement et nos modes de vie sur fond de gaspillages et de pollutions.
2022 c’est aussi l’envolée des cours de beaucoup de matières premières mais aussi des céréales qui atteignent des sommets jusqu’alors inespérés. Dans beaucoup de cas, les prix actuels vont compenser les pertes de rendements et l’augmentation des coûts de production pour les producteurs de céréales. La situation est cependant plus tendue pour les éleveurs et notamment les gros consommateurs de grains comme les producteurs de volailles et de porcs. C’est aussi très compliqué pour certains producteurs de légumes qui ont des difficultés à répercuter l’explosion des coûts de production sur le marché.
Certes, le conflit Ukraine-Russie est en grande partie responsable de cette situation. Il faut cependant rester conscient qu’il s’agit plus d’un élément déclencheur voire accélérateur de conditions structurelles qui se tendaient progressivement. En d’autres termes, cet évènement, sur fond de crise d’approvisionnement en énergies et en céréales nous a fait basculer, en seulement quelques mois, dans le monde d’après où l’énergie devient rare, les ressources beaucoup moins disponibles et la production alimentaire remise en avant comme domaine stratégique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le ministère de l’Agriculture, qui avait presque failli disparaître, vient de retrouver une place centrale dans ce monde incertain et inflationniste avec un nouvel objectif de souveraineté alimentaire clairement affiché.
L’ACS, une cohérence globale qui fait sens
Si faire des prédictions est une science compliquée, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir, les fondamentaux militent pour une tendance haussière des prix des commodités agricoles. L’énergie risque de suivre la même tendance à moyen terme bien qu’une récession économique, comme cela est probable avec le retour d’une l’inflation galopante, peut entraîner une chute de consommation et un effondrement des cours. Dans ce cas le prix des céréales pourrait suivre avec en tête de liste le maïs, aussi gros pourvoyeur d’énergie avec l’éthanol. Ce qui est certain, c’est qu’il va falloir continuer de semer et de produire dans cet environnement de fortes turbulences économiques mais aussi climatiques. À ce niveau, l’ACS, comme elle l’a encore bien montré lors de cette dernière saison, rassemble de nombreux atouts et surtout développe une cohérence globale qui fait sens face aux grands enjeux que nous devons affronter.
– Alors qu’on nous demande d’économiser quelques kilowatts dans le chauffage, les enseignes lumineuses ou les déplacements, les agriculteurs en ACS ont déjà très largement réduit leur facture d’énergie. Descendre à moins de 5-6 l/ha pour implanter une culture en SD au lieu de 30-50 l/ha en travail du sol conventionnel est certainement une forme d’exploit qu’il convient de considérer et de mettre en avant. De plus, cette économie directe induit de fait une économie d’énergie indirecte qui est sensiblement équivalente (énergie relative à l’extraction des matières premières et à la fabrication des tracteurs et des engins agricoles). C’est aussi une économie très substantielle qui évite l’explosion de la facture carburant (le doublement du prix du GNR impacte beaucoup plus en euros celui qui consomme) et vient renforcer la résilience économique des exploitations agricoles. Enfin, cette orientation procure logiquement des bilans énergétiques améliorés, beaucoup moins de retour de CO2 dans l’atmosphère à production égale et des impacts positifs sur le dérèglement climatique.
- Avant le GNR, c’est souvent l’azote qui est, de manière indirecte, le gros poste consommateur d’énergie des systèmes agricoles, surtout en productions céréalières. Ce sont encore les réseaux ACS qui, grâce aux couverts végétaux, ont bien réussi à conserver l’azote dans leurs sols tout en en faisant rentrer des quantités non négligeables par l’intermédiaire des légumineuses en intercultures : de 50 à 200 kg N/ha. Ainsi, dans certains scénarios comme avec le colza associé avec du trèfle ou de la luzerne, on s’approche d’un niveau d’entrée de 200 kg N/ha entre les plantes compagnes (2 t de MS/ha à 40 kg N/t de MS) et la légumineuse qui relaie la culture (3 t de MS/ha à 40 kg N /t de MS). Idem pour un maïs grain ou un couvert de 5 t de MS avec une bonne base de légumineuses (féverole), conservée jusqu’au semis au printemps, qui est capable de recycler et de faire entrer environ 200 kg N/ha. Ceci représente la quantité exportée du champ par la production du grain (15 kg N/t de maïs). Malgré ces efforts et ces chiffres encourageants, la difficulté réside dans la temporalité. Une grande partie de cet azote se retrouve inévitablement accrochée à du carbone et donc intégrée aux matières organiques du sol qui ont d’autres fonctions stratégiques et très complémentaires. Il convient donc de comprendre cette inertie, d’être patient mais de rester agressif en matière de couverts végétaux. C’est d’ailleurs ceux qui avaient un bon recul ACS qui ont pu apprécier leurs efforts de construction d’autofertilité avec un retour d’azote très stratégique cette année. De l’azote qui rentre grâce à l’énergie de la photosynthèse, c’est moins d’énergie fossile mais c’est aussi beaucoup plus de carbone intégré dans le système sachant que l’azote c’est entre 3 et 4 % de la biomasse en MS et le carbone 40 à 45 %. Là encore, la cohérence est suffisamment forte pour ne pas l’oublier.
L’ACS nous permet de mieux cultiver le soleil pour récolter la pluie !
– L’eau, dans ce contexte climatique, devient un sujet central avec énormément de polémiques. À lui seul, le terme de « consommation » est un biais qui reflète l’ignorance et la désinformation autour de l’eau et plus généralement l’agriculture. Bien entendu, il peut y avoir des conflits d’usage mais l’eau est simplement dérivée et retourne généralement dans ses grands cycles. À ce niveau encore, l’ACS est hyper efficace et c’est certainement ici qu’elle apporte le plus de bénéfices immédiats. Elle limite l’évaporation par la suppression du travail du sol (activité asséchante) et la couverture du sol par un mulch de résidus et mieux encore de plantes vivantes ; une couverture qui régule la température et aussi améliore l’accueil et l’infiltration tout en réduisant de fait les risques d’érosion. Par l’organisation biologique du sol, elle améliore l’infiltration et le stockage dans la matière organique avec en prime une meilleure bio-disponibilité. C’est bien pour toutes ces raisons que des pays comme l’Australie, qui ont parié sur ces approches, ont doublé leur production céréalière en l’espace d’une vingtaine d’années et d’autres pays comme le Maroc se permettent de qualifier ces pratiques de climato intelligentes. Une bonne amélioration de la gestion de l’eau revêt encore d’importants bénéfices en matière de réchauffement climatique. C’est plus de biomasse produite et mathématiquement plus de carbone intégré par la photosynthèse et potentiellement réinjecté dans le sol. C’est en parallèle une meilleure régulation de la température des sols en été pour éviter de les transformer en points chauds. C’est enfin, par l’évapotranspiration, plus d’humidité dans l’air pour apporter de l’inertie thermique et attirer les nuages. En conclusion, l’ACS nous permet de mieux cultiver le soleil pour récolter la pluie !
Au-delà de ces aspects évidents et qui auraient déjà dû être mis en avant depuis longtemps, d’autres éléments viennent renforcer la position centrale de l’ACS aujourd’hui :
– L’arrivée des premières ventes de certificats carbone cette année et des premiers retours financiers pour des agriculteurs bien engagés dans cette démarche scellent l’aboutissement d’efforts et de démonstrations depuis plus de 25 ans. Déjà, à la création de la revue TCS, nous avancions cet objectif comme une conséquence positive des changements de pratique. Même si la mise en place de cette écotaxe habile a pris trop de temps, c’est aujourd’hui une réalité. Maintenant que la porte est ouverte et qu’il est urgent de trouver des solutions pour réduire les émissions de GES, il y a de grandes chances que ce type de tractations s’accélère avec un cours du carbone qui devrait continuer à prendre de la valeur. Bien qu’il soit sujet à controverse, le dossier carbone nous ramène à des mesures et des évaluations concrètes. Il devrait ainsi faire transiter les politiques de soutien à l’agriculture d’une approche de moyens à une gestion de résultats décloisonnant de fait les chapelles et modes de production à partir du moment où ils prouvent leur efficacité en matière de séquestration de carbone. C’est enfin un super sujet de communication grand-public démontrant une vraie utilité environnementale de l’agriculture facile à comprendre pour un grand nombre de concitoyens en plus de la production alimentaire.
Panneaux photovoltaïques verts
– La rareté et logiquement les prix de l’énergie vont faire de nouveau émerger l’agriculture comme aussi productrice d’énergie. Bio-diesel, huile, éthanol et méthane sont de vraies énergies vertes et renouvelables. Nos champs couverts de panneaux photovoltaïques verts sont très efficaces pour capter l’énergie solaire grâce à la photosynthèse et la transformer en énergie dense, stockable et transférable facilement. Autre point fort, cette activité ne requiert que très peu d’investissements énergétiques et encore moins lorsque les cultures ou les couverts (CIVES) sont conduits en ACS avec des bilans énergétiques extrêmement efficaces (un hectare de betterave peut produire entre 6 et 10 000 l d’éthanol et un ha de colza et 1 000 et 1 500 l d’huile) avec en prime, des sous-produits qui sont des protéines de choix pour l’alimentation animale. La seule difficulté réside dans les possibles conflits entre productions alimentaires et énergétiques qui nécessitent certains arbitrages. Cependant, l’intensification de la production agricole ne doit pas être considérée ici comme un souci surtout lorsque les systèmes de production sont menés en ACS avec une approche qualité des sols, de bons retours organiques et une diversité des cultures. C’est même une super opportunité agronomique que nous devrions saisir sachant qu’en prime plus de photosynthèse et de biomasse, en plus de la substitution entre énergie fossile et énergie verte, ce sera également plus de CO2 extrait de l’atmosphère et converti en matière organique dont une partie restera dans les sols.
- Couvert estival pour futur affouragement
- Couvert de sorgho/tournesol en Aveyron début septembre. Alors que la grande majorité des herbages sont desséchés et que les éleveurs ont commencé depuis longtemps à distribuer les stocks pour l’hiver, d’autres utilisent l’ACS pour produire du fourrage d’été et d’automne en quantité et en qualité tout en faisant progresser leurs sols.
- L’élevage pâturant risque d’être un autre élément incitatif. Encore une fois, il a été très impacté par le climat de cette année poussant même certaines AOP fromagères à revoir leurs cahiers des charges en matière d’aliments. Si l’herbe pâturée est un aliment bon marché à privilégier, les prairies, même très bien gérées, montrent de plus en plus qu’elles sont mal adaptées aux étés chauds et secs où elles enregistrent des déficits de production conséquents. À l’inverse, des plantes annuelles en « C4 » comme le sorgho, le maïs et d’autres plantes d’été comme le tournesol peuvent s’en sortir beaucoup mieux et fournir du fourrage d’été plutôt que de distribuer les stocks tout en laissant des intercultures conséquentes pour les relayer avec une production fourragère complémentaire quantitative et qualitative. Ces nouvelles approches de cultures fourragères peuvent donc apporter beaucoup de sécurisation et de résilience aux exploitations d’élevage tout en maîtrisant les coûts d’alimentation à condition de travailler en ACS pour réduire les frais d’implantation et préserver les sols qui s’en porteront que mieux grâce à la diversité des racines et l’augmentation de la production de biomasse.
Laboratoire agronomique multidimentionnel
– Enfin, l’ACS est en train de doucement bouleverser la recherche agronomique et la faire sortir de son approche « outils » pour une dimension beaucoup plus « systémique ». Ainsi, de nombreuses mesures et expérimentations sont conduites en grandes parcelles et chez des agriculteurs en ACS. C’est très logiquement le seul moyen d’appréhender l’ensemble des interactions et de mieux comprendre les équilibres et les arbitrages complexes que sont obligés de faire les agriculteurs au quotidien. Cette multiplication d’interactions et cette création de réseaux agriculteurs-chercheurs très actifs, préfigure la mise en place de ce nouveau laboratoire agronomique multidimensionnel et interactif qui permettra de vraiment faire basculer l’agriculture française vers plus de pratiques agro-écologisantes et d’ACS.
C’est généralement face aux contraintes que les choses évoluent positivement avec un retour forcé à la raison. Comme l’ACS combine de bons ingrédients, un savoir-faire déjà éprouvé avec une approche systémique très cohérente, elle devrait logiquement émerger comme une troisième voie dominante !