Depuis plus de 20 ans les nitrates sont sujets à débat, polémiques,
mises aux normes et réglementations. Malgré toutes ces
déclarations, tergiversations mais aussi contraintes et coûts pour les
producteurs, l’augmentation du niveau de pollution des eaux, sur
la grande majorité du territoire, a été certes stoppé mais les réductions
qui peuvent être sensibles dans certains bassins-versants sont
encore globalement timides. Résultat : au-delà de l’impact environnemental
mais aussi de la perte économique pour l’agriculteur,
l’État français doit aussi payer aujourd’hui une amende à l’Europe de
180 000 €/jour pour non-conformité aux engagements de résultats
exigés par l’UE en matière de qualité de l’eau. À une époque où tout
le monde parle d’économie et recherche des fonds, où la réduction
de la consommation d’énergie est dans toutes les bouches et où la
préservation de l’environnement est une préoccupation majeure, on
croit rêver devant une telle gabegie et accumulation de non-sens.
Au regard de cet exemple, si beaucoup d’autres sujets, qui sortent
de l’agriculture et de nos champs de compétence, sont gérés avec la
même approche et clairvoyance, je comprends pourquoi notre pays
va mal et je suis plutôt inquiet.
Pour en revenir aux nitrates, le comble est qu’en ce moment, phase de négociation pour l’élaboration et la mise en place de la 5e directive prévue pour juillet 2013, la réglementation française et la réglementation départementale se superposent. Cela signifie que dans tous les cas, la règle retenue est la plus contraignante, quelle que soit son origine, comme tout le monde peut s’en douter. En agissant de la sorte les périodes d’épandage sont donc réduites à peau de chagrin avec beaucoup de confusion.
Nous ne reviendrons pas ici sur l’intérêt des couverts végétaux multi- espèces de type biomax, de la place stratégique des légumineuses mais aussi de l’impact minéralisateur du travail du sol ; surtout celui d’automne avant une période à risque de lessivage. Aujourd’hui de nombreuses références, dont nous avons fait l’écho depuis 15 ans dans la revue TCS, confirment et renforcent ces différents points. Alors pourquoi sommes-nous encore dans la contrainte avec les Cipans alors qu’avec les couverts végétaux l’adhésion est complète avec des agriculteurs qui les implantent, les réussissent sans vraiment d’obligations ni d’aides ?
Au-delà de ces points, beaucoup de lecteurs se demandent où il
serait le plus judicieux de mettre les engrais de ferme (fumier et
lisier) en AC.
En s’appuyant sur un raisonnement agronomique sans tenir compte
de la réglementation de certains départements (où c’est interdit)
alors qu’au niveau français cette pratique est autorisée (mais c’est
bien la réglementation départementale qui autorise ou non et précise
les quantités), les couverts implantés et développés sont une
place de choix pour de multiples raisons :
S’il est possible et facile de traduire sur le papier de la matière
organique en éléments fertilisants, au niveau du sol, les transformations
sont beaucoup plus longues, dépendantes du produit de base
(aucun fumier ne se ressemble) et fortement influencées par les
conditions météo. Il est donc préférable d’anticiper et de laisser du
temps à l’activité biologique pour digérer le produit afin d’obtenir
une plus grande partie assimilable par la culture suivante.
Les éléments solubles et entre autres l’azote seront rapidement
mobilisés par la végétation en place, limitant de fait les risques de
fuite. De plus, cette légère fertilisation permettra de doper le couvert
à l’automne avec un gain notable en matière de production de
biomasse.
L’activité biologique qui redémarre de manière intense avec les
pluies d’automne trouvera dans cet apport une nourriture de choix
qu’elle assimilera et incorporera au sol avec d’autres résidus. Une
meilleure alimentation en quantité et qualité c’est aussi le gage de
plus de travail et donc d’une meilleure structuration biologique au
printemps suivant.
L’épandage dans un couvert en place à l’automne lorsque l’humidité
revient est également le moyen efficace, bien plus que toute incorporation,
de limiter les pertes par volatilisation qui peuvent dans
certains cas être relativement importantes. C’est donc le moyen de
conserver plus d’azote dans le système mais aussi de limiter les nuisances
olfactives et l’émission de certains gaz à effet de serre. Vu
sous cet angle, ce mode d’épandage dans ces conditions ne nécessite
aucune incorporation : une économie de temps mais aussi d’intervention
que l’agriculteur peut transférer dans la qualité d’implantation
des couverts.
Rouler sur les parcelles avec des engins qui sont de plus en plus
lourds au printemps, c’est générer des compactions, qui même retravaillées
intensivement resteront pénalisantes sur la culture qui
suit. Ainsi, épandre à l’automne c’est aussi préserver la structure du
sol qui est généralement, à l’inverse du printemps, sèche en profondeur
et supporte beaucoup mieux la circulation des outils. Les sols
seront d’autant moins impactés par ce trafic qu’ils sont colonisés par
d’importants systèmes racinaires qui jouent le même rôle qu’une armature
dans un béton. Enfin, si la structure se trouve légèrement
endommagée sous le passage d’une roue, l’activité biologique a plusieurs
mois devant elle pour intervenir et corriger la situation.
Épandre une partie des amendements organiques à l’automne,
c’est également faire le vide des zones de stockage avant l’hiver
mais aussi limiter les fuites autour des dépôts en bout de parcelle.
La période d’intervention dans de bonnes conditions étant beaucoup
plus large, il sera plus facile de partager les outils et ainsi d’en
réduire la taille, le coût et l’impact pour le sol. C’est aussi beaucoup
moins de risque de terre et de boue sur les routes pour une meilleure
cohabitation avec nos voisins « rurbains ».
Enfin, pour tous ceux qui sont en TCS et SD mais aussi pour les
agriculteurs conventionnels, laisser évoluer un fumier voire un lisier
épais pendant plusieurs mois à la surface du sol, c’est aussi réduire
fortement le risque de colporter principalement des graines d’adventices
qui se retrouveront consommées par l’activité biologique.
C’est enfin beaucoup de bon sens agronomique qui semble avoir
échappé à beaucoup. À l’instar de nos amis belges de Nitra-Wal, il
conviendrait mieux de faire un peu plus confiance aux agriculteurs,
de les encourager vers des couverts performants avec des concours
de biomax (cf. écho TCS 68) et d’orienter l’ensemble de l’approche
vers une politique de résultats et non de moyens comme l’APL
(azote potentiellement lessivable).
Cette approche mise en place par nos voisins consiste à mesurer l’azote résiduel pendant toute la période d’automne et d’entrée de l’hiver dans des exploitations et parcelles de références (suivant à la lettre les réglementations et les préconisations). Ce niveau de « reliquats » nommé APL est ensuite traduit en courbes en fonction des types de sols et des cultures et sert d’objectif de résultats à atteindre par les agriculteurs vérifiés au hasard. Avec le recul de cinq campagnes, il a permis de mettre en évidence que mathématique et azote font deux, que la météo, comme l’intensité de travail du sol, a beaucoup d’impact sur la minéralisation automnale et que c’est plus la réussite des couverts qui réduit l’APL que la limitation des fertilisations et des épandages.
Pour plus d’information : http://www.nitrawal.be/41-suivi-apl.htm