Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Consolider les marges.

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Avoir plusieurs productions sur la ferme pour réaliser son revenu permet d’atténuer les crises, mais il faut veiller à ce qu’aucune ne vous entraîne vers le fond....

Pour cela, mon épouse et moi, nous nous formons tous les ans afin d’échanger sur nos performances techniques et identifier les axes de progrès.

Poulets de Loué

Cette production est très encadrée par la coopérative, un technicien réalise 3 visites par lot de volailles, cela permet de corriger des petites erreurs techniques que nous pourrions commettre (ventilation, rationnement...) et anticiper les soucis sanitaires qui pourraient survenir. La production de volaille de Loué nous permet de couvrir nos charges uniquement si techniquement nous sommes bons.
A nous d’être rigoureux, méthodique et appliqués. Lot après lot, il faut travailler nos points faibles pour améliorer la marge. Tous les ans, des stages de perfectionnement sont proposés par la coopérative et nous permettent de toujours progresser.
Sur le tableau ci dessous, voici un exemple des résultats de notre exploitation, on peut ainsi comparer nos résultats techniques année après année mais aussi nous comparer à la moyenne de tous les fermiers de Loué. Notre objectif n’est pas d’être le meilleur, mais de viser le quart supérieur.

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Cultures de vente

Depuis presque 5 ans maintenant, j’adhère à un groupe de 15 agriculteurs indépendants et nous payons un technicien privé pour qu’il nous fasse gagner de l’argent. Nous avons 5 réunions techniques tout au long de l’hiver pour aborder en détails les ITK, mais aussi parler stratégie de vente, charges de structures, coût du stockage, sécurisation des marges, choix des couverts ...
Même si le prix du pétrole est extraordinairement bas actuellement, nos charges continuent d’augmenter et c’est surtout les charges fixes qui montent. Tout le monde a remarqué que le foncier, les reprises d’exploitation, le matériel a bien augmenté depuis 5 ans. Ceci pèse de plus en plus lourd dans nos prix de revient.

Les charges fixes sont 2 fois plus importantes que les charges variables pour un hectare de culture

De 1000 €/ha il y a 2 ans, les charges totales représentent maintenant 1269 €/ha en moyenne, la MSA des précédentes récoltes pèsent un peu dans ce coût, mais pas que.
Sur ces 1269 € de charges totales, j’ai environ 900 € de charges fixes et un petit 400 € de charges opérationnelles. Pour couvrir toutes mes charges, je peux compter sur 250 € de DPU, soit 1000 € de CA que je dois réaliser avec ma récolte.

Le chiffre magique => 1000 € de CA/ha

Sur le graphique ci dessous, j’ai entouré mes marges 2016. Comme je suis un grand inconscient, je n’avais pas souscrit l’assurance climatique, cela me servira de leçon.
Il y a 10 ans, les cours étaient assez stables et les faibles récoltes étaient compensées par un prix de vente un peu plus important. C’est fini !!!

PDF - 254.9 ko Marges 2016 Blé et Colza

Nous venons de rentrer dans un marché libre et très volatil, seuls les plus expérimentés tiendrons.
Pour pallier ce manque de trésorerie qui va se faire sentir au printemps lorsque j’aurais vendu le peu de blé que j’ai en stock, je vais réaliser un prêt de trésorerie en rachetant une partie de mon compte d’associé afin de pouvoir injecter de la liquidité sur ma ferme. Cette parade financière est possible 1 fois, la banque ne m’autorisera pas à renouveler cette opération et je dois donc maintenant sécuriser coûte que coûte mes productions.
Je n’ai aucun doute sur mes méthodes de production, ce ne sont pas elles qui ont anéanti mes récoltes, un peu toutefois (on en reparle après), mais c’est surtout le climat qui a impacté mes rendements, de manière totalement imprévisible et avec aucun moyen de lutte de ma part. Il faut donc intégrer ce risque dans mes stratégies.
Sur le graphique des marges, 2 variables peuvent réduire ma marge indépendamment de ma volonté, le prix lié au marché que je ne contrôle pas, mais aussi le climat qui semble devenir de plus en plus aléatoire.

Pour le prix, j’ai les outils pour vendre ma récolte dès que le prix de vente couvre mes charges (marché à terme, contrat), et une fois mon physique engagé, je peux encore aller chercher de la plus-value avec des Puts ou des Calls. Si le marché monte, je peux également engager de la récolte N+1 voire N+2. Cela fait bizarre mais le risque est nul de vendre 20 ou 30 % de sa récolte future. Et ce sera toujours cela de garanti.
Pour le climat, il y a un nouveau contrat d’assurance négocié entre l’Etat et tous les assureurs. Les clauses et les tarifs sont à peu près les mêmes entre compagnies.

PDF - 86 ko Contrat Socle PDF - 168.9 ko Grille rendement et franchise

Dans ce contrat, l’Etat subventionne, via les aides PAC 65 %, du coût du niveau 1 plus 45 % pour le niveau 2. C’est bien mais ces 2 options sont quasiment in-déclenchables.
L’idée est plutôt de partir sur l’option 3, afin d’être couvert pour la grêle et sur une base de rendement plus haute (afin de déclencher plus facilement). L’option 3 permet, moyennant surtaxe, d’abaisser la franchise (20 % au lieu de 30%) et de racheter des quintaux si la moyenne de l’exploitation est trop faible. Avec cette stratégie, le surcoût de l’assurance est faible et on pourra activer celle-ci beaucoup plus rapidement.
A titre d’exemple, je vais probablement (à faire avant le 30/11) choisir un niveau 3, rabaisser ma franchise à 20 % avec un seuil de déclenchement à 68 q/ha pour le blé et 32 q/ha pour le colza.
Dans le tableau d’exemple, cela me donne un rendement moyen de 85 q/ha en blé réalisé, - 20 % de franchise soit 17 q/ha. En dessous de 68 q/ha, l’assurance me rembourse le manque à gagner.
Dans le tableau des marges, on voit qu’à 68 q/ha vendus à 155 €/t, je suis à l’équilibre.
Ainsi, cette assurance climatique va me protéger des aléas, et me permettre de normalement couvrir mes charges, cela va rassurer mon banquier.
Prix de l’assurance climatique à titre indicatif (cela peut varier selon le risque de votre région)
Le contrat socle :
- niveau 1 coûte 8 à 10 €/ha en blé et 30 € en colza ( hors subvention)
- niveau 2 coûte 10 à 16 €/ha en blé et 40 €/ha en colza (hors subvention)
- niveau 3 coûte 15 à 20 €/ha en blé et 50 €.ha en colza (hors subvention)
Il faut demander à son assureur une délégation des primes PAC afin de ne pas avoir à avancer la part subventionnable.
Ainsi, pour 1 à 2 quintaux de blé ou de colza, je suis couvert vis à vis du risque climatique. Bien évidemment, l’objectif d’une assurance n’est pas de l’activer à tous va, mais reste bien d’être réellement couvert en cas de gros sinistre pouvant mettre en péril mon exploitation.

Pour le côté technique, nous avons constaté lors de notre tour de table à la dernière réunion technique que les semis les plus clairs et les plus tardifs semblaient moins impactés par le climat particulier de 2016. Il ne faudrait surtout pas tomber dans des extrêmes et changer radicalement ces pratiques, mais il faut tenir compte des observations de l’année.
J’avais l’habitude de semer mon blé entre 260 et 330 gr/m², du 20 au 30 octobre. C’est sans doute un peu trop, un peu tôt. Nous allons donc essayer de retarder les semis de 5 jours (pas avant le 25/10) et diminuer un peu la densité à 220-240 gr/m². Avec les poids de 1 000 grains hyper faibles cette année, nous allons pouvoir réaliser des économies de triage et traitement de semences car pour un PMG de 35 g (45 g habituellement), il ne faudra pas dépasser les 80 kg/ha de semences, voire moins...

Mes vaches laitières

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On arrive enfin à mon maillon faible, la production laitière.
N’étant pas éleveur de naissance, j’avais un peu tendance à aller à reculons à la traite, j’y ai mis un robot pour être plus tranquille mais cela ne résout pas tout.
Il y a 15 ans, j’avais des soucis de cellules alors qu’à priori, le bâtiment apportait tout le confort pour le bien-être de mes vaches. J’ai un jour demandé à mon technicien du contrôle laitier si j’aurais moins de soucis en changeant de race, il m’a répondu :
" tu peux changer de race, tes soucis te suivront !"
C’était un bon technicien, j’ai conservé mes holstein et mes cellules.
Dans ma tête, l’élevage laitier n’était pas une priorité et pour faire simple, je produisais sur les conseils de différents techniciens, et je ne cherchais surtout pas à faire différemment de ce que l’on m’enseignait. Maïs ensilage, un peu d’herbe, beaucoup de soja, pas mal d’antibio pour les cellules, et des passages de véto qui trop souvent se finissaient par l’euthanasie, c’était mon quotidien...

Tout cela est fini, j’ai pris 2 ans pour totalement changer l’alimentation de mes vaches, et je peux dire maintenant que j’ai retrouvé du plaisir dans cette production, encore plus avec la crise qui conforte mes choix, enfin l’avenir le dira.
Un peu d’optimiste pour commencer

En février 2014, j’ai fait un choix radical.
Soit je vendais les vaches et me désengageais de mon salarié à 1/2 temps.
Soit je gonflais mon quota pour optimiser le robot et le bâtiment (passage de 350 000 L à 520 000 L), quitte à investir un peu. Mais en changeant l’alimentation pour aller vers plus d’autonomie protéique ( être moins dépendant des cours), et en rendant ma production laitière primordiale dans mon optique d’agriculture de conservation.

Mes vaches que je considérais comme un handicap pour mes sols vivants, vont devenir le noyau d’un système solide et efficace.

J’ai choisis, en concertation avec mes vaches, l’option 2. On va donc passer d’une ration à l’auge composée de 80 % de maïs ensilage, 20 % d’herbe corrigé par du soja et un concentré de production du commerce, à une ration composée de fourrage très riche et équilibré. Ma ration actuelle comprend 5 kg de luzerne, 5 kg de RGI ou RGA+trèfle, 5 kg de maïs épis, 5 kg de maïs ensilage plus 1 kg de paille et 3-4 kg d’eau pour ramener ces fourrages très secs à 45 %. Un peu de correcteur azoté et d’orge sont encore distribués au robot.
Économiquement, le changement de système ne génère pas radicalement de grosses économies, mais s’intègre parfaitement dans mon optique. La comptabilité laisse apparaitre sur le dernier exercice une économie du coût alimentaire de 40€/1000 L, ce qui me permet d’atténuer la chute de prix du lait. On ne va pas s’enflammer, mais ce changement de système me permet de faire de petites économies, et me protège d’une remontée du cours du pétrole, donc du soja et des engrais.
En plus, il y a des effets indirects super intéressants, mon taux cellulaire a baissé, la santé et la reproduction sont en amélioration, mes vaches ingèrent de plus en plus, et nous avons tous le sourire le matin dans l’étable. Pour les sols, la luzerne et le trèfle qui vont tourner petit à petit sur les parcelles vont me laisser des parcelles avec une superbe structure et un capital azote important, quelques économies en vue par ici également.

3 ha de mélange suisse sont arrivés, complétés par 7 ha d’un mélange de luzerne/dactyle. A ceci vient s’ajouter 15 ha de dérobée composée de plus en plus par du trèfle incarnat (5 kg RGI + 20 kg trèfle). Il reste un peu de maïs ensilage fauché haut pour équilibrer mes besoins en fourrage (en fonction de mes coupes d’herbes, je complète mes silos avec plus ou moins de ME). Ce maïs ensilage est également utile pour la ration des taries afin d’inverser la Baca et bien préparer les démarrages de lactation.
En 2015, les récoltes d’herbe à la rétrochargeuse se sont multipliées puisque je cherche un fourrage le plus concentré possible. Je réalise des coupes précoces afin de viser 0,9 UFL et 180 gr de MAT/kg de MS. Petit à petit, la part de maïs ensilage à donc diminué dans la ration pour passer de 14-15 kg auparavant à 5 kg aujourd’hui. La réussite d’un fourrage avec de l’herbe coupée jeune réside dans le taux de MS. Plus le fourrage est sec, plus la vache peut en ingérer.
Je vise donc 40 % minimum pour mes coupes et je viens équilibrer cette ration avec du maïs épis. J’arrive maintenant à avoir une RTM ( ration totale mélangée ) équilibrée à 30 kg à l’auge, pour une ingestion de 20 kg de MS.

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Voici les valeurs moyennes des différentes récoltes 2015-2016

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Ration au 01-09-2016

- Pour ceux qui cherchent un petit tableur pour dégrossir une ration, voici celui sur lequel je travaille, c’est gratuit et c’est sur google drive :
version office
version Excel

Si vous utilisez le tableur pour calculer votre ration, un 1er onglet vous permet d’enregistrer la valeur de vos fourrages. Il suffit ensuite de les appeler sur le second onglet et de renseigner le prix et le volume de chaque aliment. Une fois votre équilibre trouvé, un petit tableau à droite vous notifie le chargement de votre mélangeuse et il reste juste à recalculer le volume d’eau qu’il faut rajouter pour obtenir une ration à 45 % de MS. A titre indicatif, mettre en 1er le maïs épis, les céréales, l’eau puis les fourrages grossiers et finir par le maïs ensilage. L’eau permet de coller les céréales au fourrage et évite que les animaux trient à l’auge.

L’herbe,c’est bien mais ça chauffe au silo donc il faut dimensionner la taille du silo à la vitesse d’avancement, sinon vous perdrez tous les bénéfices de cet excellent fourrage.

Silo

  • Séparation d'un silo de maïs ensilage pour mettre un (...)
  • Mur modulable
  • Petit silo pour limiter les pertes

Calculette vitesse avancement silo herbe

Calculette Bilan fourrager

Toutes les 5 à 6 semaines, je vais donc faucher ma luzerne et mes trèfles (irrigués). Nous avons monté des cales sous les faucheuses afin de couper à 7 cm de haut pour stimuler le redémarrage. Nous fauchons à plat pour ne pas abîmer l’herbe, et j’ai une frontale afin de ne pas rouler sur le fourrage fraîchement coupé. Je fauche très souvent le soir quand les plantes sont parfaitement sèches et que les stomates se rouvrent. Si la coupe est abondante, je fane le matin suivant à la rosée, puis l’andaineur passe le soir (en travers si pas de fanage afin de bien décoller tous les andains). 48 h maximum après la fauche, l’autochargeuse intervient et coupe l’herbe en bouts de 5 cm. Avec des coupes jeunes et un chantier de récolte doux (pas de conditionneur, pas de poussière), on obtient un fourrage qui peut monter à presque 60 % de MS, il faut dans ce cas tasser au maximum le silo, et ne pas avoir peur de monter dessus avec la remorque qui est de conception très stable et adaptée à cela.

Récolte fourrage riche en azote

  • Fauche Luzerne/dactyle
  • fanage à la rosée
  • Andainage
  • récolte autochargeuse + conservateur Biosil

Une fois l’herbe récoltée, il faut aller chercher de l’énergie pour équilibrer la ration, le maïs épis est l’allié idéal.

Récolte riche en énergie

  • récolte maïs épis

Plaquette de présentation du maïs épis
PDF - 1.1 Mo

Puis tout cela est déversé dans une mélangeuse qui me permet d’ajuster chaque ingrédient en fonction des objectifs.
Les refus ont quasiment disparu, les bouses sentent bon, les aplombs sont bien, le blanc de l’œil est nickel, on croise les doigts.
Même si aujourd’hui mes vaches ne pâturent pas, j’aurais tendance à dire qu’elles sont heureuses et elles me le rendent bien.

Des vaches qui ruminent