Le 6 Janvier 2016, j’ai eu le plaisir de présenter mes péripéties devant 450 Québécois, agriculteurs et techniciens.
Ce fut un réel plaisir pour moi de décrire mon parcours, mes échecs et réussites. J’ai aussi jasé de mes déceptions et mes désillusions, mais surtout du chemin parcouru pour rencontrer le plus souvent possible la chance.
Tout ceci est résumé sur le PdF ci-dessous , je vais essayer de vous expliquer les grandes lignes.
Introduction
Je présente la région d’où je viens et ses caractéristiques. Le Québec est issu de la forêt (il y a - de 200 ans), alors que ma ferme est issue d’une région bocagère très hétérogène, ceci se voit tout de suite sur la photo aérienne.
Pour la météo, l’hygrométrie est à l’inverse du Canada, des hivers froids et humides, suivis d’été chauds et secs, avec une pluviométrie répartie de septembre à avril.
Sur le plan économique, la rentabilité de ma ferme s’amenuise d’année en année, mon résultat net varie de 5 à 10 % du chiffre d’affaires, alors qu’il était de 15 à 20 % il y a 15 ans. J’ai du presque doubler mon chiffre d’affaires (travailler plus) en 15 ans pour maintenir mon revenu, la moindre variation négative des cours risque de me mettre dans le rouge très très rapidement. Heureusement pour moi, je travaille en groupe et "le groupe est toujours plus fort que le plus fort du groupe".
On respire un grand coup, on prend du recul, et on réfléchit à mettre en cohérence mes modes de production pour non plus augmenter le chiffre d’affaires mais améliorer le résultat net, ceci en travaillant les postes majeurs (mécanisation, fertilisation, achat azoté et protéique).
Du labour au travail simplifié
De 1995 à 2005, j’ai beaucoup ramé à l’aveugle, j’ai voulu réduire le travail mécanique sans le remplacer par du travail biologique. Les économies de mécanisation ont été englouties dans une utilisation plus importante de produits phytosanitaires, la baisse des rendements nous met en difficulté, le doute s’installe..
Le Sol serait-il vivant ?
Pour la 1ère fois, une femme va me mettre à genoux pour que j’observe mon outil de travail. Je découvre que le sol est vivant, et je prends conscience de mes pratiques. Labour ou TCS, les 2 sont aussi destructeurs pour le sol...
Il faut maintenant nourrir le sol, encore et encore, toujours plus et tout laisser à la surface, même si cela ne ressemble à rien. Le moindre résidu enfoui sous 2 ou 3 cm de sol ne nourrira pas mes laboureurs, mais des bactéries toxiques pour mes cultures. Je doit imprimer dans ma tête de nouvelles images de mes semis. Commencent alors les semis dans le vert, effrayant au début, réussi à chaque fois....
Le ver de terre rentre au Ministère
Nous avons la chance en France d’avoir un Ministère de l’agriculture qui est sensibilisé à la vie des sols, nous ouvrons nos fermes pour faire voir que l’on peut remplacer une partie de la chimie et du gasoil par des systèmes écologiques gratuits. Le Ministère baptisera cela l’Agroécologie.
Ce terme - maintenant rentré dans le dictionnaire - sera désormais enseigné dans les lycées agricoles, chacun y aura été sensibilisé et on peut espérer qu’à l’avenir nos conseillers prodigueront des bienfaits écologiques avant de vendre des produits phyto. (par exemple, un conseiller préconisera de détruire un couvert chimiquement ou mécaniquement seulement 2 à 3 jours avant le semis d’une céréale, afin de nourrir les limaces pendant encore 2 à 3 semaines par les résidus verts et ne pas être gêné par celles-ci)
Rencontre avec la chance
Oui, c’est possible.
Souvent ???
Le plus souvent possible.
Ceci n’est pas de la provocation. J’ai pris l’image d’une arène pour illustrer mes propos.
Sur la 1ère photo, on voit des amateurs qui défient la vachette, certains ont de la chance, d’autres pas. Ceci illustre l’époque où j’ai arrêté de labourer, je faisais du TCS, les résultats étaient aléatoires et jamais supérieurs au labour, donc pourquoi prendre des risques ???
Sur la 2 ème photo, un professionnel se dresse devant la vache, il la connait parfaitement, il sait exactement comment elle va se diriger sur lui, il est immobile, il analyse la situation, il sait exactement le geste qu’il va opérer et à l’instant précis, il va réaliser un saut de l’ange au-dessus de la vache, sans prendre le moindre risque.
Sa tenue est blanche, la vache le voit à-peine car elle course l’écarteur habillé en bleu, et la vache ne voit que sur les cotés, pas au-dessus de sa tête.
Avec ces explications, certains vont peut être vouloir descendre dans des arènes l’été prochain, je vous le déconseille, l’apprentissage de ce sport demande beaucoup d’entrainement, avec un professeur.
Quand on abandonne le labour, il faut également se former, avoir des professeurs, évaluer les risques et trouver des parades pour les déjouer à chaque fois.
Affronter une vachette ne s’improvise pas, abandonner une charrue non plus.
Quand vous aurez trouvé le ou les bons professeurs, essayez 1 ou 2 fois des exercices concrets dans vos champs, il n’y a aucune raison que la chance ne soit pas au rendez-vous. Le jour ou vous dépasserez le professeur, vos rendements deviendront supérieurs à ce que vous pouviez prétendre en conventionnel, ce ne sera pas un hasard.
Pour ma formation, je budgétise 0.5 % de mon chiffre d’affaires que je consacre à des échanges, voyages, temps de formation. Chacun y va à son rythme, mais sachez que le gratuit n’est jamais gratuit.
Découverte du métier de paysan
Je redeviens chef de ma ferme, c’est moi qui appelle les conseillers quand j’ai besoin d’eux, c’est moi qui décide de mon assolement, de la vente de mes céréales, c’est moi qui oriente l’alimentation de mes vaches laitières afin de ré-intégrer cette production qui était devenue "hors-sol" (achat de soja, d’engrais, de semences, ...), en une production en parfaite adéquation avec mes modes de production (sol en santé, animaux en santé, paysan serein).
Je paie des gens pour me conseiller, je remercie ceux qui ne m’apportent rien.
J’implante des prairies multi-espèces et de la Luzerne qui vont être bénéfiques pour la santé des sols et de mes vaches, je récolte en brins longs pour faire ruminer celles-ci, le maïs ensilage va disparaitre au profit du maïs épis pour me laisser une nourriture au sol.
On allège les automoteurs, on retire de la puissance au tracteur pour limiter les bêtises, ces économies de puissance sont investies dans du stockage d’effluents afin de mieux valoriser ceux-ci. On ne parlera plus de fumiers ou lisiers mais d’engrais de ferme, un pas de plus vers l’autonomie.
Au fur et à mesure que je sème dans le vert (donc des racines ), mes rendements montent.
Au fur et à mesure que je limite le travail du sol (en réduisant le trafic en période humide), mon sol se travaille tout seul et 6 l de fioul par hectare me suffisent pour implanter un blé.
Au fur et à mesure que j’introduis des légumineuses dans ma rotation, en plantes compagnes ou dans les couverts (dérobée ou pas), mon taux de matière organique remonte, mes rendements progressent encore sans mettre plus d’azote minéral.
L’image de la montgolfière suit dans ma tête celle de l’homme assis au bout de la falaise. J’ai choisi la voie du non labour qui m’a conduit devant un précipice dans lequel beaucoup sont tombés, je n’ai pas reculé, j’ai juste largué tout ce qui pouvait me gêner. J’ai fait cela de manière progressive, avec plusieurs moniteurs, j’ai choisi ma destination, étudié la meilleure trajectoire et tout mis en œuvre pour atteindre cet objectif.
Mais un jour, il faut prendre son envol, mon Dieu, que cela fait du bien...