Djamel Belaid

Après plusieurs années de terrain et d’enseignement à l’université de Batna (Algérie) puis de conseil agricole en grandes cultures au niveau de la Chambre d’agriculture de l’Oise, Djamel BELAID collabore à différents médias algériens. Préoccupé par les questions de développement agricole en milieu semi-aride, il s’intéresse plus particulièrement aux questions de non-labour et d’échanges entre agricultures des deux rives.

Céréales en Algérie : deux années de sécheresse

"J’ai passé des années à vous expliquer cela ...et peu de personnes ont écouté... Maintenant, j’ai plus de 60 ans et plus beaucoup l’envie de me déplacer pour rien. Dommage je vous aime bien". En ce début février, Michel Dedenon donne son avis sur les réseaux sociaux algériens à propos de l’effet desséchant du labour. Ce conseiller de plusieurs céréaliers et éleveurs est apprécié sur la rive sud de la Méditerranée.

Sécheresse en Algérie - état des semis
Sécheresse en Algérie - état des semis
Semences semées en décembre et non germées 50 jours après, région de Batna.

Le motif de ce coup de gueule ? Les plaintes des céréaliers dépités suite à une deuxième année de sécheresse. "Il n’a pas plu depuis 50 jours, les semences sont telles qu’on les a mise en terre" s’exclame Saïd Behaz un céréaliculteur de Batna (sud Est d’Alger). A l’appui, un sillon de sa parcelle où il a mis à nu les semences de blé. On dirait qu’ils viennent d’être mis en terre".
Certes, toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne. Au centre, au mois de décembre, les pluies ont été abondantes, moyennement à l’Est mais particulièrement absentes à l’Ouest. Ceux qui ont semé en sec fin octobre ont vu leurs blés lever, mais avec la sécheresse qui a suivi, de nombreuses parcelles sont clairsemées. Dans le grenier à blé de Rahouia (Tiaret), l’agronome Mokhtar Zair note une réduction du tallage : " dans le meilleur des cas, la densité est de l’ordre de 150 pieds par m2. Nous sommes en 2ème quinzaine de février et le nombre de grains est en cours de formation surtout chez les variétés précoces. Si le stress hydrique se poursuit jusqu’en fin février, cette 2ème composante va être également affectée".

Les parcelles sont doublement handicapées : une irrégularité des pluies et la persistance de la pratique des labours qui assèchent les premiers centimètres du sol.
De plus en plus d’agriculteurs ont pourtant entendu parler de non-labour et de semis direct. Certaines exploitations le pratiquent, mais leur nombre reste faible.
Un autre handicap limite la résistance des blés à ces périodes de stress hydrique : le manque de restitutions organiques. Après récolte, les pailles sont vendues à prix d’or et les chaumes loués aux éleveurs. A la fin de l’été, pas le moindre brin de paille ne subsiste sur le sol. La seule matière organique qui échappe à la dent des moutons est celle des racines mais elle est par les labours et les reprises avec les déchaumeurs à disques (cover-crop).

Sécheresse en Algérie - le non labour peine à se développer
Sécheresse en Algérie - le non labour peine à se développer
Céréalier observant attentivement une parcelle bien chétive

Au milieu des années 1970, un partenariat avec des australiens a lancé l’idée d’une rotation céréales-médicago. Mais le surpâturage en période de formation des gousses et la poursuite du travail profond du sol n’ont pas permis les resemis naturels attendus. Les travaux de Lucien Seguy en Tunisie consistant à semer des céréales dans une luzernière sont à peine connus.
Bien que l’usage des engrais se soit nettement développé, le maintien d’une "agriculture minière" rend incapables les plantes de résister aux coups de secs de plus en plus fréquents avec le réchauffement climatique.

Sécheresse en Algérie - irrigation de fortune
Sécheresse en Algérie - irrigation de fortune
Arrosage de fortune à l’aide d’asperseurs à Tiaret, grande région céréalière au sud ouest d’Alger.

Djamel BELAID, ingénieur agronome franco-algérien et auteur de "L’Agriculture en Algérie. Ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise" Editions l’Harmattan (Paris), 256 pages, octobre 2021.