José MARTIN

  • Bambey, Sénégal - 1958
  • Photo du 29 juillet 2021 chez A. Duphil
  • Herbert Bartz
  • Sol vivant
  • Le mystère du ruisseau rouge - Désastre
27
juin
2024

Encore et toujours, opiniâtreté et humilité

Editorial 2015"L’agriculture : sa capacité de production est liée au vivant et à la rencontre entre trois éléments. Le premier, base souvent ignorée, est le sol,…" Frédéric Thomas, dans son dernier édito sur TCS, rejoint ainsi la conclusion finale de Donald Sparks (Science, 2015) rendue en français à peu près en ces termes : "Les civilisations humaines ont prospéré et régressé grâce et à cause de leurs sols [bien dotés puis dégradés]". Citation alors reprise par Arvind Chusasama qui insistait dans son magistral édito du numéro 841 de l’internationalsugarjournal [sugar = sucre] : "notre sécurité future dépend vraiment de notre capacité à prendre soin de nos sols".
Le schéma ci-dessous extrait du même édito met en vis-à-vis le fonctionnement d’un sol "intact" (forêt ou prairie naturelles par exemple) et celui du même sol "domestiqué" (géré en agriculture conventionnelle) ; au triple équilibre initial des cycles du carbone, des nutriments et de la matière sol, matérialisé par les 3 symboles ’ = ’ succèdent à droite du schéma les mêmes cycles devenus fonctionnellement déficitaires et conduisant à la ruine.

Illustration sol naturel non pertubé et sol travaillé et non couvert
Illustration sol naturel non pertubé et sol travaillé et non couvert

Maints agronomes tropicalistes, vénérant la charrue de bonne foi comme moi, ont passivement ou activement encouragé cette mutation, in fine délétère pour la santé et la productivité des sols : défrichements de savanes ou de forêts, fréquentes mises à nu de la surface du sol avec disparition de l’enracinement pérenne qui recyclait les nutriments le sol dans son ensemble, surface et profondeur, est dès lors exposé à l’agressivité du climat et des pratiques oxydation accélérée + érosion décapante + argiles lessivées + nutriments vidangés inéluctable et ruineuse dégradation du sol (agriculture minière) parfois spectaculaire, souvent graduelle et plus ou moins dissimulable par l’utilisation accrue d’énergie et d’intrants.

Bambey, Sénégal - 1958
Bambey, Sénégal - 1958
Bambey, Sénégal - 2021
Bambey, Sénégal - 2021

Point de fatalité

Mais point de fatalité, la domestication des sols et leur usage en agriculture ou élevage ne conduit pas nécessairement à la ruine : des sols en voie de dégradation sont récupérables, ils peuvent être restaurés, régénérés, revitalisés sans pour autant renoncer à produire des denrées agricoles en quantité et qualité. Sous les tropiques, des agriculteurs et chercheurs pionniers en ont commencé la démonstration il y a déjà un demi-siècle. Depuis déjà un quart de siècle en France le magazine TCS (complété depuis 18 ans par le site A2C), travaille patiemment à partir d’exemples internationaux et de témoignages nationaux de plus en plus nombreux et riches, étayés et aboutis, à la promotion d’une véritable révolution agroécologique silencieuse, productive et vertueuse, climatiquement intelligente. Et sur quoi repose cette révolution : tout simplement sur la cessation de la suroxydation, du décapage et de la vidange des sols, logique irréfutable ! Via la minimisation du travail du sol et la maximisation de la production de phytomasse la plus diverse possible maximisation de la couverture du sol, vivante ou morte, via un tuilage de plus en plus serré, une complicité sans cesse accrue, entre cultures de rente ou fourragère et couverts de plantes de service ; + cessation de la vidange, ou à tout le moins sa minimisation progressive, par la densification racinaire du profil en profondeur, et la mobilisation des "pompes biologiques" devenues proverbiales au Brésil grâce à Lucien Séguy, surtout si l’on parvient à faire cohabiter cultures annuelles et couverts pluriannuels tels que la luzerne ou pérennes et ligneux (haies, arbres alignés ou pas, tels les parcs à Acacia albida au Sahel), capables de performer de spectaculaires "remontadas" de nutriments.

Principe simple mais...

Principe simple, cependant bien plus facile à dire qu’à faire quand on part d’une situation bien ancrée dans les pratiques usuelles. Comme les enfants du laboureur de la fable de La Fontaine, maints agriculteurs "vous retournent le champ", ayant pris le pli de "remuez votre champ dès qu’on aura fait l’août, creusez, fouillez, bêchez : ne laissez nulle place où la main [ou l’outil] ne passe et repasse". Témoignage d’une époque lointaine où il fallait faire face d’abord à la première des menaces antagonistes du bon grain : l’ivraie (et consorts) ; le désherbage chimique n’existait pas, la jachère consistait en une succession de labours à vide (valant faux semis) car il fallait mettre les semences et propagules de mauvaises herbes en ballotage défavorable par rapport aux grains mis en terre ; à présent, avec les progrès de l’agromécanique et de l’agrochimie, de la technologie des semences y compris mixées et la super-puissance des moteurs thermiques, les couverts "vous recouvrent le champ" sans le besoin éreintant de tant ’creuser, fouiller, bêcher" ; mais pour autant, guère de relâche en agroécologie pour élever cultures, bétail et sols vivants, car les surfaces sont vastes et les effectifs sont rares, et l’astreinte météo pèse toujours sur l’agriculture de plein champ.

Un trésor est caché dedans

JPEG - 15.7 kioD’autant, que même en agriculture régénérative, il convient aussi de contrôler le trafic des engins agricoles de plus en plus lourds pour limiter le tassement des sols (en attendant un ressuyage suffisant) en le confinant autant que possible aux couloirs de circulation. La recommandation du père dans la fable "un peu de courage" valant de facto "beaucoup d’opiniâtreté"(comme la victoire à Roland-Garros) dans la réalité reste valable même sans labour, ou avec peu de labours, car élever et prendre soin des cultures et des sols en même temps reste affaire de labeur et de constance : "être une terre libérée, ce n’est pas si facile" pourrait-on dire en plagiant la chanson ! Mais dès les premières étapes de la libération, les sympathiques et humbles vers de terre iconiques de TCS encouragent et gratifient les agriculteurs qui les nourrissent en édifiant turricules et cabanes au-dessus de leurs bonifiantes galeries souterraines, car "un trésor est caché dedans" : le badigeon de leur généreuse brillantine organique, l’humus.
Comme du temps de La Fontaine, l’avenir de nos enfants et de la population dépend des labeurs agricoles, des soins apportés à bien élever cultures et sols conjointement, et ce n’est toujours pas si facile. Mais ça reste très gratifiant pour qui a l’opiniâtreté et l’humilité de se laisser guider par les vers de terre et autres syrphes et abeilles, amis naturels alliés de l’agriculture.

Couvert Biomax en Sologne
Couvert Biomax en Sologne

4
mars
2022

Hommage au professeur Jacques Montegut (1925-2007) et à l’agriculture paysanne

Adonis annua
Adonis annua
Adonis annua L. (Ranunculaceae) : une revenante donnée pour disparue dans les années 1930, bien avant l’avènement des herbicides de synthèse.
(crédit : https://fr.wikipedia.org/wiki/Adonis_d%27automne)

L’automne dernier, une herbe vénéneuse donnée pour disparue dans les années 1930, fit un sinistre retour. Infiltrée dans un foin, elle intoxiqua mortellement une douzaine de chevaux d’une manade camarguaise. La revenante était l’adonis d’automne, revenue en l’occurrence avec la totalité de sa (très forte) toxicité, contrairement aux autres renoncules (adonis de printemps, boutons d’or) qui, elles, perdent leur (moindre) toxicité au séchage, d’après Nathalie Priymenko, Nelly Genous et Gilbert Gault, dans https://equipedia.ifce.fr/intoxications-vegetales-equides). Néfaste rajout à la liste déjà assez conséquente des plantes hautement dangereuses lorsqu’elles contaminent les fourrages ou nos aliments.

"la Nature n’a de cesse de refermer cette ouverture anti-naturelle"

Or, dans le « Pérennes et Vivaces nuisibles en agriculture » de Jacques Montégut (1983), j’étais tombé comme en arrêt page 74 sur un formidable passage de 4 paragraphes, déjà évoqué dans ma tribune d’octobre dernier, pardon pour ça : bis repetita placent. A partir d’un bref énoncé des fondements écologiques des flores adventices des cultures ou des parcours (grosso modo, nous pâtissons des adventices que nous avons contre-sélectionnées), et d’un rappel sur les sérieux risques liés aux vénéneuses, venait tout un questionnement où il abordait d’importants problèmes de fond, agricoles et sociétaux, toujours d’actualité 40 ans après. J’ai plaisir à partager ci-dessous l’intégralité de ce morceau d’anthologie, impressionnant de densité, simplicité et lucidité, en guise d’hommage à son insigne auteur disparu il y a déjà 15 ans. Son entame – quelque peu violente - est saisissante :
« Le soc de la charrue provoque une déchirure, mille fois renouvelée. Insensiblement, sans que nous le pressentions, la Nature n’a de cesse de refermer cette ouverture « anti-naturelle  ». Le développement de mauvaises herbes que nous observons sur la tranche d’un labour constitue la première étape de cette cicatrisation ; y participent une majorité d’annuelles et quelques vivaces associées. Tous les autres types biologiques ne peuvent intégrer leur cycle entre deux déchirures, entrecoupées de « griffures » que représentent les façons culturales secondaires. La vigueur de reconquête est si forte chez les annuelles que l’agriculteur n’a qu’une alternative : arrêter la culture ou maîtriser les mauvaises herbes qu’il a lui-même concentrées sur ses cultures à un tel degré. Devant la poussée des épineux tout au long des parcours pastoraux, l’éleveur a pratiqué longtemps et pratique encore la mise à feu.

Pommier dans une haie
Pommier dans une haie
Prolonger l’agriculture de conservation et régénération des sols par un ré-embocagement des paysages agricoles, ici avec des haies incluant des pommiers d’ornement.
(crédit : Christian Bouchot (55, Meuse, 18 avril 2020))

Faire grief à l’agriculteur de supprimer ce qu’il a lui-même indirectement créé dans son champ (substrat désormais artificiel : agrosystème ou agro-écosystème) pourrait faire l’objet d’un débat de fond. Si la terre « appartient » à celui qui la travaille, si l’agriculteur est maître de son système de culture, pourquoi lui reprocher un certain nombre des techniques qu’il emploie ? Ce qui peut, et doit même être discuté, ce sont certains abus de fertilisants, de produits phytosanitaires ; ce qui doit être fourni à l’exploitant c’est un herbicide de qualité contrôlé vis à vis des risques d’emploi pour l’agriculteur, des risques de résidus pour les consommateurs, des risques de pollution des nappes aquifères, des risques de résidus à des doses incompatibles dans les récoltes. Ce n’est pas la place, ici, de développer ce problème mais il faut toujours dans ce cas faire la juste part des responsabilités à tous les échelons.

Trompé par les techniques préconisées

Si nous regrettons d’avoir perdu bleuets et coquelicots [en grandes cultures dans les années 1980], sachons que c’est aux cultivateurs que nous devons de les avoir connus. Sans le long cheminement du blé, depuis le Moyen-Orient jusqu’à la pointe de la Bretagne, ces deux espèces, et bien d’autres aussi belles, vivraient, chichement sans aucun doute, sur les hauts plateaux de l’Asie-mineure, loin de nos regards. Les symboles que nous leur attachons n’auraient jamais vu le jour. Mais le blé qui ondoie et le damier jaune du colza, le printemps fleuri des vergers et l’automne rougeoyant du vignoble n ’ont rien perdu de leur beauté. Nous devons encore cela aux agriculteurs et aux viticulteurs. En dehors de notre pain et vin quotidiens. Par contre l’exploitant qui, trompé par les techniques préconisées, a permis sans le vouloir que son champ de maïs-ensilage soit fortement infesté de plantes aussi toxiques que la Petite Ciguë, la Grande Ciguë, la Datura stramoine, la Morelle noire, la Bryone, a le devoir de mettre tout en œuvre pour que ces espèces régressent et même disparaissent, comme jadis la loi imposait (et impose d’ailleurs toujours) d’échardonner manuellement. C’est à la profession en général de mettre au point produits et techniques qui évitent d’aggraver le problème de plus en plus complexe du désherbage, de le maintenir dans une marge de sécurité contrôlée, au meilleur profit de l’agriculteur, du consommateur et surtout de l’environnement (la triple exigence, une gageure ?). 
La microflore des sols est encore assez diversifiée pour que certains de ses microorganismes restent nos plus sûrs alliés pour réguler dans le sol le destin d’une partie des molécules organiques qui viennent s’y stocker ; résistera-t-elle à l’excès de rationalisation, et dans le cas du désherbage à l’éradication totale de la flore cultigène ? Cette éradication est-elle d’ailleurs possible ? Apparemment non, puisque nous avons vu que chaque problème de mauvaise herbe en amène un autre ; l’extension des vivaces en est une excellente confirmation. »

Conclusion prémonitoire

Sol vivant
Sol vivant
Concilier profusion de diversité de vie dans les sols et agriculture « au meilleur profit de l’agriculteur, du consommateur et surtout de l’environnement, la triple exigence » qu’appelait de ses vœux Jacques Montégut.
(crédit : Jean-Pierre Sarthou (31, Haute Garonne, 4 nov. 2010))

Entame saisissante et conclusion prémonitoire, avec l’évocation du pouvoir régulateur de la vie microbienne dans les sols. Pouvoir exalté lorsque les sols sont revivifiés en profondeur et en surface par la mise en jeu et la valorisation maximale d’une grande diversité de couverts alternés ou associés avec les cultures de rente. Ce grouillement de vie dans les sols agricoles rassurant pour le futur de l’agriculture est facilement observable chez les ACSistes, souvent d’abord TCSistes pour les plus anciens, parfois SDistes d’emblée pour les plus récents, qui généralement installent aussi des haies ou des arbres là où il n’y en avait plus. Agriculteurs et éleveurs écologiquement avancés et engagés dans une spirale vertueuse et climatiquement intelligente les rendant de moins en moins dépendants des produits de l’agrochimie, alors utilisés avec parcimonie et à bon escient. Jacques Montégut craignait à raison que la remédiation microbienne soit mise en péril par les excès du modèle agricole développé après-guerre toujours plus productiviste, modèle entre-temps devenu conventionnel et qu’en bio-écologue inquiet et avisé, il voyait devenir de plus en plus dévitalisant pour les sols.
Jacques Montégut serait heureux de pouvoir constater et soutenir aujourd’hui, 15 ans après son décès, l’ampleur et la robustesse de l’alliance qu’il appelait de ses vœux en 1983 entre la potentielle vitalité des sols et un modèle d’agriculture post-conventionnel : l’alliance pactée et magnifiquement mise en œuvre au sein de l’agriculture dite de conservation (et de régénération des sols, rehaussés par les vers de terre) qui lentement mais sûrement, gagne du terrain et génère enthousiasme et espoir dans la durée. Apparemment l’actuel ministre de l’agriculture a bien compris l’importance et la dynamique de cette alliance, qu’il a le cran de défendre dans les médias, quitte à tolérer et soutenir positivement un peu de glyphosate en marge d’une phytomasse abondante et biodiverse (les couverts) au centre de systèmes de culture multi-performants (gageure gagnée !), justement pour renforcer cette alliance entre agriculture et sols vivants, avec leurs enzymes gloutons, avides entre autres molécules de ce phosphonate à la glycine tant décrié…
Jacques Montégut fut le pionnier français de l’enseignement de la malherbologie agricole. En cours et sur le terrain, il suscitait admiration et enthousiasme, balayant large (érudition multidisciplinaire et profondeur historico-géographique) et concluant juste (de l’identification des traits de vie à la modélisation en types biologiques et successions phyto-sociologiques). Puisse ce modeste hommage être l’occasion d’en susciter de plus complets et solennels à l’approche du centenaire de sa naissance, en 1925.

Références
• sur Jacques Montégut : https://phyteis.fr/ressources/bibliographies-de-reference/
• sur l’intoxication des chevaux camarguais : https://www.leparisien.fr/gard-30/foin-contamine-alerte-a-ladonis-dautomne-lherbe-tueuse-de-chevaux-26-09-2021-BL2JX2XSBJAWXPW7EGU5W6MKFY.php, consulté le 10/02/2022
• sur les risques de contamination des fourrages et aliments par des plantes vénéneuses : https://www.action-arvalis.fr/Mener-des-travaux-sur-les-plantes-toxiques


18
octobre
2021

Pêcheries, pâtures et cultures : que d’abus à déplorer mais la régénération avance !

« La pêche n’est pas le problème, c’est la surpêche » : peu de doute que le marin Yannick BESTAVEN, à l’honneur dans la dernière tribune d’A2C, approuverait sans réserves cette affirmation du biologiste marin expert des océans pour l’UICN, François SIMARD dans "Êtres en transition" un documentaire de François STUCK (une production de l’association IDÉtorial). Célébré en tant que marin et terrien, Yannick le charentais de La Rochelle ne devrait pas renier les déclinaisons terriennes suivantes dans le sillage/sillon de son témoignage à La France Agricole :
• Le pâturage n’est pas le problème, c’est le surpâturage (ou parfois l’abandon du pâturage)
• La culture par exemple du maïs ou du soja n’est pas le problème, c’est la monoculture
• Le labourage n’est pas le problème, c’est le surlabourage
• La fertilisation n’est pas le problème, c’est la sur- (ou la sous-) fertilisation qui est le problème.
Idem pour les herbicidages, fussent-il à l’atrazine (chez nous avant, ou ailleurs présentement) ou au glyphosate. Surtout si le surherbicidage est couplé à la monoculture labourée, comme dans le champ de maïs rélictuel qui résista encore une vingtaine d’années face à notre lotissement fraîchement gagné sur la campagne, dans le Béarn de mon enfance (Légugnon, Oloron).
Professeur de malherbologie MontégutRemontons à La Souterraine (Creuse), port d’attache d’une figure charismatique de la biologie et l’écologie des champignons et des végétaux, qui à l’Ecole Nationale d’Horticulture de Versailles, fut le premier professeur français de malherbologie, Jacques Montégut, décédé en 2007 à 82 ans. https://www.uipp.org/ressources/bibliographies-de-reference/
Car ce pionnier grand précurseur formateur et divulgateur dénonçait déjà ces abus dans une perle/pépite/pépin de 50 carats (lignes) qu’on trouve pages 74-75 de son formidable Pérennes et Vivaces nuisibles en agriculture publié en 1983, aux quatre paragraphes débutant par « Le soc de la charrue provoque une déchirure… ») ; tout en entrevoyant dès le paragraphe suivant, dernière facette mais non la moins brillante de la pépite, la capacité des sols vivants à réguler les perturbations d’une agriculture non abusive soucieuse de préserver ou régénérer la vie des sols comme actuellement l’A2C, encore à peine en germe à cette époque.

JPEG - 115.5 kioQuelle clairvoyante perspicacité, et quelle pertinence par rapport à nos préoccupations actuelles !
C’est dans https://www.uipp.org/app/uploads/2021/06/Perennes.pdf
PNG - 104.5 kio

Et une fois de plus, en desserte, les amis Alain DUPHIL et GAB nous en donnent une belle illustration résolument orientée bonus régénératif sols vivants dans La France Agricole https://www.lafranceagricole.fr/courrier/verdir-la-terre-ce-nest-pas-tout-de-le-dire-ilfautle-faire-1,1,412948892.html


13
septembre
2021

COUVERTS VEGETAUX et adventices pluvio-estivales : coup franc direct pour obstruction massive !

A grosses pluies en début d’été, comme cette année, abondance de levées d’adventices dans les chaumes. Ainsi, le 19 juillet, Alain Duphil, un condisciple agrotoulousain agriculteur à Tramesaygues 31550 Cintegabelle dans la confluence Garonne-Ariège, m’écrivait :
« Les moissons se sont bien passées. Comme nous avons notre propre moissonneuse, on y va dès que c’est prêt, et on passe immédiatement dans les créneaux que la météo nous laisse. Un glypho sur le chaume de blé dur est maintenant nécessaire pour éliminer la verdure levée avec ce début d’été humide. Sinon, comment semer un couvert dans des adventices déjà levées ? On devrait semer notre mélange sorgho fourrager-trèfles semaine prochaine ».
Cette dernière interrogation me fait penser à Corneille dans le Cid lorsqu’il concède :
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes,
ils peuvent se tromper comme les autres hommes

Pour rapides et couvrants que soient les couverts
ils sont ce que sont les cultures semées,
ils peuvent être insolemment dépassés et défaits
si des adventices levées en masse ont au départ pris trop d’avance.

C’est bien ce qu’avec nos collègues canniers à la Réunion, nous avions retenu de nos séries d’essais canne à sucre x plantes de service : les couverts brident les adventices sur précédent propre, mais tel n’est plus le cas sur sol sale ou sur précédent infesté : les adventices s’y emballent et la bride que leur prétendent leur opposer les couverts ne tient pas ...
Dans ces cas-là, et en attendant les jours sans doute pas si lointains où davantage de semis de couverts pourront être anticipés par voie aérienne à travers les cultures à récolter (sursemis par drones ou autres artifices), la flexibilité à moindre perturbation permise pas un ‘ti’glypho’ n’a guère d’équivalent, sans compter l’économie de carburant et l’évitement de nouvelles levées d’adventices. Tout cela au service de l’installation d’un couvert qui dans ces conditions, oui, pourra prétendre à l’éclatante et écrasante grandeur des plus grands rois !
Petit aparté sémantique : une analyse des correspondances ne ferait-elle pas correspondre préférentiellement couverts avec praticiens et plantes de service avec chercheurs ? J’ai l’impression qu’en recherche académique, en vue de publications en journaux scientifiques jugées par des pairs souvent trop éloignés des réalités agricoles, on s’attache trop à la virtualité des plantes de service à partir de certains de leurs traits (caractéristiques), sans s’attacher suffisamment aux subtiles et multiples interactions découlant des manières de les agencer « in situ et in chrono » pour conformer des peuplements couvrants dans des temporalités diversifiées.

"Tit’herbi"

Cimetière St Lazare, Montpellier, le 24/08/2021
Cimetière St Lazare, Montpellier, le 24/08/2021

Faire le ménage des champs par le manège de cultures (Olivier de Serres, seigneur du Pradel) et des couverts est parfois plus facile et moins nocif pour l’environnement et le climat avec un tit’herbi rimant avec parcimonie ! Pouvait-on en ce début d’été ignorer ce verdissement spontané au pied des chaumes et sa vitalité menaçante pour les couverts à y semer ? Notamment à Tramesaygues, où les eaux pluviales ont tramé avec les adventices un complot bien réel qui sans le coup franc d’arrêt de ce tit’herbi aurait pu faire obstruction et s’avérer ainsi bien hostile à l’agriculture régénérative en marche chez Alain Duphil. Celle qui nourrit et bonifie les sols ainsi revivifiés par les couverts, sans les livrer à la vindicte (quasi activiste, militante et idéologique !) des adventices toujours prêtes à lancer de nouveaux assauts pour à terme, récupérer les soles agricoles qu’elles veulent rendre à la vivacité herbeuse et la pérennité ligneuse des friches forestières au long cours. Car en « advenant » à la moindre occasion, ces opportunistes ne tendent-elles pas à reconquérir leur « concession à perpète » comme dans cette chapelle de cimetière au toit colonisé par la végétation spontanée malgré l’inhospitalité du substrat tout en pierre de taille : trouver la faille, s’installer et garder la place pour la relève, toujours plus vivace et pérenne, telle apparaît toujours et partout leur stratégie globale. A perpétuité ! Urbi et orbi !

Pardon pour cette dernière tirade géostratégique un tantinet anthropomorphique, mais tout ne se passe-t-il pas ainsi, avec cette sorte d’anxiété omni-prégnante et illico-agissante de la Nature dans sa quête incessante pour un retour à la spontanéité et l’authenticité de la végétation climacique, toujours actualisée (avec souvent des infidélités à celle d’antan) ? L’agriculture, activité humano-imposée déployée sur de grandes largeurs, activité relevant donc des arts et métiers mais sous haute interdépendance naturelle et météorologique, reste pour moderne qu’elle soit hyper-astreignante pour les agriculteurs dans leur lutte pour garder - par les cultures, les prairies (’pradel’) et les couverts - la maîtrise d’un espace agricole ou agro-sylvo-pastoral toujours soumis dès la moindre brèche aux contre-attaques de la végétation spontanée forte de ses multiples ressources ô combien opportunistes, diverses et efficaces.

Climatiquement nécessaire...

A Tramesaygues, été 2021 chez Alain Duphil. Le 29 juillet (photo de gauche), les adventices traitées au glypho le 26 commencent à décliner dans ces chaumes de blé dur, à l’exception des ronces plus coriaces, donc nihil obstat semeatur le mélange sorgho fourrager + trèfle (28 ha les 30 et 31 juillet) ; le 18 août (photo de droite), le sorgho velléitaire est en passe de l’emporter face aux seules ronces bien tassées par le glypho ; par contre, la faible levée des trèfles sera sans doute insuffisante pour prendre pleinement la relève du sorgho en hiver.

Photo du 29 juillet 2021 chez A. Duphil
Photo du 29 juillet 2021 chez A. Duphil
Photo du 18 août 2021 chez A. Duphil
Photo du 18 août 2021 chez A. Duphil

Par ailleurs, Alain Duphil contribue régulièrement à La France agricole depuis qu’il a entrepris d’élever la vie et la fertilité de ses sols avec des cultures de couverts, véritables nourriceries à vers de terre (avec auto-incorporation de leur fumier, faiseur d’humus) en alternance avec ses cultures marchandes. Sa dernière contribution publiée le 30 juin in extenso pour les abonnés en ligne et en condensé dans le courrier des lecteurs du 2 juillet, est une motion d’encouragement à l’édito du 11 juin de Philippe Pavart sur l’agriculture « réparatrice ». Motion illustrée avec un excellent dessin humoristique de Gab intitulé COUVERT VEGETAL… où les points de suspension limités par convention à 3 pourraient conformer un chapelet de 30 ou davantage tellement l’introduction de couverts abondants et diversifiés en agriculture alliée à la conservation et la régénération de la vitalité des sols est CLIMATiquement - et alimentairement - nécessaire pour préserver notre avenir dans cette planète. Quitte pour cela aux phases charnières d’installation /désinstallation des cultures marchandes et des couverts d’élevage des sols à continuer d’utiliser à bon escient et avec parcimonie des solutions herbicides, fussent-elles encore chimiques. Car les coquelicots ne semblent nullement en danger, omniprésents chez nous ils fleuriront bientôt en Laponie ou au Groenland : les prohibitionnistes anti-herbicides ne seraient-ils pas en retard d’un combat ? Celui sinon pour plus d’aménité climatique (désormais impossible), du moins POUR RALENTIR LA CROISSANCE DU DEREGLEMENT CLIMATIQUE ET LA BRUTALITE DE SES DESORDRES (encore possible, sans pour autant ralentir la croissance de l’emploi) : excusez du peu !

Dessin de Gab, La France agricole, 2 juillet 2021
Dessin de Gab, La France agricole, 2 juillet 2021

Liens :
L’agriculture réparatrice en chantier :
https://www.lafranceagricole.fr/editorial/lagriculture-reparatrice-en-chantier-1,0,2847896717.html
 
‘Oui, l’agriculture de régénération est une voie d’avenir
https://www.lafranceagricole.fr/cest-son-avis/oui-lagriculture-de-regenerationestune-voie-davenir-1,0,2655094114.html


30
juin
2021

Arbitrage des controverses : les vers de terre en juges de paix ?

Même entame que pour ma première tribune : « dans leur dossier très complet sur l’agriculture de conservation et régénération des sols (ACS), les enseignants-chercheurs agro-toulousains Jean-Pierre SARTHOU et Ariane CHABERT (TCS n° 109)… ». Pour rappeler cette fois-ci un constat que je crois irréfutable : « depuis 8 000 ans, l’érosion des sols est la plus importante externalité négative de l’agriculture ; en témoigne aujourd’hui l’état (ruineux des sols) du bassin méditerranéen, dont les puissantes civilisations n’ont pu se développer que sur le socle d’une agriculture performante ».

Sols écorchés vifs

Le mystère du ruisseau rouge - Désastre
Le mystère du ruisseau rouge - Désastre

Historiquement et jusqu’à présent, aux échelles planétaire et du temps long, la dégradation progressive de la fertilité des sols et leur perte par décapage insidieux ou érosion brutale est bien la principale externalité négative de l’agriculture, sa principale force ruino-motrice. Une agriculture majoritairement minière, dévoratrice de sols natifs - nés de et élevés par la Nature au cours des âges géologiques : sols écorchés vifs à pointes d’araire de fer et de socs d’acier, au mieux et pour partie pansés avec d’onéreux apports de fumier de ferme. Une agriculture dont les dégâts se sont considérablement amplifiés avec l’avènement de l’énergie fossile et des disques pulvériseurs, en particulier il y a une centaine d’années avec la mise en valeur – en fait mise en faillite – des immensités des grandes prairies du nouveau monde, avec par exemple « le Dust Bowl des années 1930 aux États-Unis (qui) a déclenché la première vraie prise de conscience moderne de ce désastre écologique  ».

Réconciliation

Mais ne nous plaignons pas, car contrairement à bien des générations antérieures, nous vivons une époque épique, celle du développement de l’ACS et ses différentes déclinaisons plus ou moins abouties qui convergent vers un même et formidable objectif de réconciliation entre l’agriculture et la nature : l’élevage des sols vivants au profit de la culture des plantes nourricières et autres. Plus besoin de déplacer du fumier de ferme, il est produit sur place par les vers de terre et consorts ! Lucien Séguy (TCS n°108) l’expliquait fort bien : l’ACS n’est plus une exploitation minière, c’est au contraire et par mimétisme une agriculture inspirée du fonctionnement des forêts sempervirentes : verdissement maximum de l’espace agricole via une succession quasi continuelle de cultures marchandes et de couverts multi-services, avec en tête de ces services, ou plutôt à leur pied, une pédogénèse active favorable à la durabilité de cette activité et à sa résilience face à une diversité d’adversités climatiques. Avec l’avènement de l’ACS les anciennes divinités agricoles, la Déméter grecque ou la Cérès latine, feraient allégeance à la phyto-photosynthèse désormais alliée aux sols vivants en toute humilité humus-génératrice. Cette transition d’une agriculture dévitalisante conduisant à la ruine des sols au profit d’une agriculture productive, rentable et durable car génératrice de sols vivants et d’eaux claires - et de surcroît climatiquement intelligente - s’est faite en quelques décennies, et tient toute entière dans une carrière d’agriculteur ou d’agronome, c’est le grand privilège dont nous sommes nombreux à pouvoir témoigner personnellement. Ainsi en France, la revue TCS n’a pas encore 24 ans, et au Brésil, la Febradpd, tentaculaire fédération d’ACS et d’irrigation, n’aura 30 ans que l’année prochaine.

Le mystère du ruisseau rouge - l'ACS
Le mystère du ruisseau rouge - l’ACS

Cette transition fut dans le cas du premier des agriculteurs pionniers brésiliens un changement de cap à 180° opéré d’un seul coup en 1972, comme relaté dans ma première tribune d’hommage à Herbert BARTZ. Ce témoignage est repris par son biographe et ses enfants, dont sa fille, universitaire en biologie des sols au Brésil et au Portugal et spécialiste en taxonomie des lombricidés, en forme d’historiette pour enfants, à partir d’un épisode de leur enfance raconté en plusieurs langues, dont le français, avec des illustrations, dont celles qui illustrent cette tribune : https://febrapdp.org.br/livro/Le-mystere-du-ruisseau-rouge-WSantin2019.pdf

Journées nationales de l’agriculture

Chez nous, la dernière semaine de ce printemps 2021 a été marquée par la première édition des Journées nationales de l’agriculture célébrées sur trois jours, du vendredi 18 au dimanche 20, celui du premier tour des élections régionales et départementales si peu concouru aux urnes (y aurait-il une relation de cause à effet ?). La genèse de cette initiative inspirée des journées européennes du patrimoine (parfois matrimonial) dont la première édition à l’échelle nationale et sur une seule journée remonte à 1984 (deux ans après la fête de la musique) est sans nul doute à rechercher dans la non célébration de l’édition 2021 du Salon international de l’agriculture pour cause de pandémie de covid-19. Paraphrasons de Gaulle qui assurément aurait approuvé cette initiative servant in fine notre souveraineté alimentaire et même énergétique : "Comment voulez-vous (gouverner un pays) doper l’agriculture d’un pays où il existe (plus de) 246 variétés de fromages ?" Cette diversité est certes un atout, mais comment soutenir l’agriculture dans toute sa diversité sans déperditions paperassières asservies aux particularismes des filières ? Justement en considérant le cœur et l’âme communs à tant de diversité patri- matri- moniale, leur radicalité vivante : le sol, dans son intégrité et sa vitalité, à préserver ou restaurer, bonifier et renforcer. Par exemple en encourageant les agriculteurs engagés dans cette régénération Plateforme digitale - Pour une agriculture du vivant.

Vers de terre en juges de paix

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Le mystère du ruisseau rouge - Le VDT, indicateur
Le mystère du ruisseau rouge - Le VDT, indicateur
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Pour rétamer cette deuxième tribune, retour à la première, en renvoyant à la conclusion, juste avant l’hommage final à Herbert Arnold BARTZ le grand pionnier germano-brésilien de l’ACS, pour à nouveau lui faire écho, à lui et à sa fille biologiste des sols : « arbitrons avec les bilans de carbone à promouvoir en juges de paix, et les vers de terre du grand Darwin en témoins » ? Ces rôles ne pourraient-ils être inversés, en érigeant les vers de terre en juges de paix, comme le Mimi de cette historiette dont la scène remonte aux années 80’ (Mimi pour minhocas, vers de terre en portugais). Car ce Mimi s’est avéré recouvrir toute une diversité d’espèces, avec parmi elles 10 taxons qui ont été décrits pour la première fois par la petite fille de l’histoire, Marie Luise Caroline Bartz et al. (Zootaxa 3458 : 59–85 (2012) in www.mapress.com/zootaxa/ ), dont Fimoscolex bartzi nommé ainsi en l’honneur de son papa.
ADDENDUM.  JPEG - 8.8 kioEn 1837, Charles Darwin, de retour de son voyage de cinq années à travers le monde, est à bout de forces. On l’envoie se ressourcer à la campagne, chez son oncle, qui dans ses prairies avait observé l’étonnant travail fouisseur et exonérateur des vers de terre. Cela amènera Charles à publier dès 1838 une première communication sur la formation de la terre végétale (On the formation of mould. Proceedings of the Geological Society of London, vol. 2,‎ 1838). Ensuite, accaparé par ses célèbres travaux sur l’évolution par sélection naturelle et l’origine des espèces, il délaisse l’origine des sols et les vers de terre pour y revenir à partir de 1869 avec de remarquables travaux qui culmineront à la fin de sa vie par la publication conjointe en Angleterre et aux États-Unis en 1881 l’ouvrage de référence, en français « La terre végétale et les vers des terre », où il écrit en conclusion page 313 : « Il est merveilleux de penser que sur une telle étendue toute la masse de l’humus superficiel est passée et repassera encore, toutes les quelques années, au travers du corps de vers de terre. La charrue est une des plus anciennes et des plus utiles inventions de l’homme ; mais bien avant qu’elle existe, la terre était en fait régulièrement labourée et continue toujours de l’être par les vers de terre. On peut douter que beaucoup d’autres animaux aient joué un rôle aussi important dans l’histoire du monde que ces créatures rudimentairement organisées. »
« Aujourd’hui, il est bien reconnu que les vers de terre sont des agents importants pour le maintien de « sols sains », et qu’ils agissent comme indicateurs de la qualité de l’environnement. » George G. Brown, Christian Feller, Eric Blanchart, Pierre Deleporte et Sergey S. Chernyanskii, « With Darwin, earthworms turn intelligent and become human friends. », Pedobiologia, vol. 47, nos 5–6,‎ 2004, p. 924–933 (DOI 10.1078/0031-4056-00282)
Source : Wikipedia, La Formation de la terre végétale par l’action des vers de terre

Complément de dernière minute, capté sur France Inter https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-lundi-28-juin-2021 avec l’annonce d’une réédition par L’élan des mots, d’une nouvelle traduction récente de l’ouvrage de Darwin, préfacée par Pierre-Henry Gouyon, professeur au Muséum National d’Histoire naturelle

EPILOGUE 

Sur l’air de la chanson de Féloche Darwin avait raison. Peut-être pas tout à fait sur la charrue (mais à son époque en Angleterre les dévastations par charrue interposée restaient modérées, alors que 140 ans plus tard, avec les énergies fossiles et les disques pulvériseurs, les dévastations devenaient immodérées : BARTZ AVAIT RAISON ! Vivent les vers de terre juges de paix !


13
avril
2021

Quels CONTREFORTS aux PILIERS de l’ACS : une réponse en HOMMAGE à HERBERT BARTZ

Herbert BartzDans leur dossier très complet sur l’agriculture de conservation et régénération des sols (ACS), les enseignants-chercheurs agro-toulousains Jean-Pierre SARTHOU et Ariane CHABERT (TCS n° 109) considèrent qu’il conviendrait de décrire sous un autre angle les trois piliers conceptuels de l’ACS (photos n°1). Au moins dans le cas des systèmes « aboutis », c’est-à-dire stabilisés après une période de transition plus ou moins longue et se bonifiant en régime de croisière ; en insistant d’abord sur les deux piliers d’addition (davantage de biomasse à recycler en couverture des sols - vivante ou morte - et davantage d’agrobiodiversité dans les rotations et assolements, incluant cultures marchandes et de service) ; sans pour autant occulter l’importance du seul pilier de soustraction, « traditionnellement » cité en premier, celui du NO-TILL c’est-à-dire du renoncement au travail du sol (avec remisage des charrues et des pulvériseurs à disques). En effet, la régénération des sols par les systèmes ACS dépend directement des piliers d’addition : les systèmes ACS aboutis génèrent de l’auto-fertilité et de multiples services écosystémiques. Point de bonification à attendre sans augmentation du volant de la phytomasse en jeu et de sa diversité ; ainsi, le système de culture devient plus performant et efficient en production de denrées agricoles mais aussi en production de sols vivants.
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Les trois colonnes de Ciudad Rodrigo (Salamanque, Espagne) en illustration de la symbolique des piliers. Dans la photo de gauche, la colonne centrale est en avant, et dans la photo de droite elle est en retrait. Les deux linteaux au sommet qui assurent leur cohésion pourraient être assimilés à deux contreforts de soutien (photos captées sur internet).

La suppression du travail du sol ne suffit pas à bonifier les sols

Le questionnement de Jean-Pierre SARTHOU et Ariane CHABERT sur la hiérarchie entre piliers conceptuels rejoint une préoccupation qui minait Lucien SEGUY, cet « agronome du génie végétal » (TCS n°108), lorsqu’il déplorait « la symphonie inachevée du semis direct » au Brésil https://agritrop.cirad.fr/546845/ ou ailleurs : des couverts s’ils sont trop maigres ou fugaces, des rotations trop courtes proches de la monoculture, sont insuffisantes à bonifier les sols ; préoccupation d’ailleurs partagée par d’autres figures plus académiques du semis direct au Brésil. La suppression du travail du sol ne suffit donc pas à bonifier les sols. Les statistiques mondiales sur les surfaces en agriculture de conservation, qui reposent essentiellement sur le pilier soustractif du no-tillage, recouvrent de facto une énorme variabilité sur l’importance relative des deux piliers additifs, piliers parfois réduits à de maigres baguettes sans magie et sans pouvoir bonifiant.

La définition trinitaire de l’ACS universellement reconnue par la FAO depuis le début des années 2010 provient de la définition conceptuelle du SPD « sistema plantio direto » brésilien en tant que « système » consensuellement adoptée une vingtaine d’années auparavant par l’EMBRAPA (recherche agronomique fédérale brésilienne), l’IAPAR (recherche agronomique de l’état du Paraná) et autres organismes de recherche, sur une proposition du même Lucien SEGUY : le détail de cette genèse n’est cependant pas bien rapporté dans la littérature historique sur l’ACS, ni même dans la littérature brésilienne sur le SPD, mais cela fut pourtant relaté ainsi, verbalement, par le Dr Luis C. HERNANI de l’EMBRAPA – j’en fus un témoin direct - en octobre 1999 à l’Université Fédérale de la Grande Dourados, Mato Grosso du Sud, Brésil, lors d’un cours de phytotechnie cotonnière destiné à des professionnels de la filière coton à titre de formation continue.
La définition du SPD fut adoptée à la charnière des années 1980-90 par les chercheurs brésiliens a posteriori de sa mise en pratique par bien des agriculteurs à un moment où de facto « l’intendance suivait » en matière d’agromécanique et d’agrochimie. En effet, plusieurs entreprises brésiliennes fabriquaient déjà des semoirs de semis-direct de haute technologie ; des herbicides nationaux étaient déjà produits sous licence : notamment du glyphosate depuis 1984 dans le sillage du paraquat qui lui précéda comme désherbant total non systémique, ainsi que de nombreux herbicides sélectifs des principales cultures. Ces prérequis techniques - constamment améliorés – étant dès lors considérés comme acquis, l’effort dans les cercles plus académiques pouvait se concentrer sur la formalisation conceptuelle : acter le changement de paradigme cultural et culturel ; soit : renoncer (soustraction) aux lits de semence finement émiettés et préparés en plein sur les grandes largeurs, adopter (addition) les semis sur des sillons discrètement et proprement ouverts dans des litières grossières et adopter également (addition) des cultures non marchandes de plantes de couverture intercalées entre - ou associées avec - des cultures marchandes en rotation. Autrement dit, les trois piliers du SPD pouvaient être érigés sans se soucier des contreforts agromécaniques et agrochimiques désormais garantis et en amélioration constante.

L’agriculture "paillarde" !

Tel n’était absolument pas le cas dans l’état du Paraná des années 1960-70 au sud du Brésil, en cours de déboisement intense pour la production de grains (réforme des caféières et déforestation encouragée par le gouvernement) et dès lors soumis annuellement à un intense travail du sol moto-mécanisé par des producteurs issus de l’émigration européenne. Cependant, avec leur climat subtropical à pluies violentes et leur topographie vallonnée (paysage de coteaux, comme dans le Gers), ces producteurs velléitaires engagés à fond dans l’agriculture moderne façon révolution verte furent très vite confrontés à de sérieux problèmes d’érosion des sols. Il fallut cette nuit de violent orage de 1971 où celui qui allait devenir le tout premier des pionniers brésiliens du SPD, catastrophé par la dévastation de ses semis de soja, comprit – tournant radical - qu’il fallait cesser d’écorcer et écorcher le sol et cesser de l’exposer à l’agressivité des intempéries ; il acquit cette nuit-là la conviction que pour conserver un sol, il faut en préserver la couverture et la cohésion en évitant de le dénuder et de l’émietter ; en fait, le protéger en le gardant couvert avec les résidus de la récolte précédente et – in fine - se résoudre et s’ingénier à semer directement dedans. C’était le très regretté, affable et amical HERBERT BARTZ dont le décès récent (le 29 janvier 2021 à presque 84 ans) a endeuillé toute la communauté des « clubes dos amigos da terra » (clubs des amis de la terre) et de la puissante FEBRAPDP Fédération Brésilienne de Semis Direct sur la Paille (https://febrapdp.org.br/), communauté gravitant autour du ver de terre « a minhoca » promu en mascotte. Semis direct sur la paille, paillis ou paillasse, qu’on pourrait traduire - stricto sensu - par « agriculture paillarde » !

Forcé de s’engager et persévérer dans la voie du sans labour

Ce germano-brésilien né au Brésil, élevé en Allemagne où il connut la faim et le froid et survécut au bombardement de Dresde, revint au Brésil en 1960 pour s’engager en agriculture sur les terres acquises par son père, alors qu’il n’avait travaillé que dans la petite entreprise familiale de démolition (des dégâts de la guerre) et venait de s’inscrire à Aachen en faculté de génie civil /hydraulique ! Il se documenta alors sur l’agriculture et découvrit in libris les notions d’engrais verts et de « minimum tillage » ou « optimum tillage » qui n’étaient pas encore passées dans les pratiques agricoles. Ces techniques étaient expérimentées en Angleterre et commençaient à être pratiquées aux USA à la faveur dans les années 1950 du lancement par la firme anglaise ICI (Imperial Chemical Industries) du paraquat, premier désherbant total sans effet résiduel valant alternative à l’effet nettoyant des labours (notion de labour chimique). Ces techniques commençaient aussi à être travaillées par la recherche brésilienne dans le Paraná près de chez lui à Londrina avec l’ingénieur de la coopération technique allemande Rolf DERPSCH. C’est ainsi qu’après cette terrible dévastation orageuse, à 34 ans, Herbert BARTZ va rencontrer Rolf DERPSCH et les représentants de la firme britannique ICI ; il résout de voyager en Angleterre et aux USA, s’endette sur plusieurs années pour payer son voyage. En 1972 il visite en Allemagne une foire agricole, en Angleterre des réalisations expérimentales ICI encore insuffisamment convaincantes (station de Fernhurst) mais découvre aux USA des réalisations fermières vraiment convaincantes car déjà déployées à échelle commerciale. En effet, par l’entremise d’ICI il rencontre aux USA Shirley PHILIPS, vulgarisateur universitaire, qui l’accompagne chez Harry YOUNG Jr., un agriculteur pionnier à Herdon (Kentucky) : rencontre déterminante, il arpente avec eux de beaux maïs cultivés sans labour sur résidus de récolte et découvre en action le semoir ayant permis cet exploit, un ALLIS-CHALMERS dont il s’empresse de commander un exemplaire en configuration maïs et soja (photo 3b) sans savoir comment il s’arrangera pour le payer. De retour au Brésil, coup de malchance, le front froid hivernal remonte très haut et son blé gèle sur pied : à court d’argent il décapitalise en vendant du matériel agricole, dont ses outils de travail du sol et se retrouve ainsi forcé de s’engager et persévérer dans la voie du sans labour : élément de méthode non intentionnel ou rétrospectivement coup de pouce du destin ?
De la persévérance il lui en fallut, pourtant, et sur plusieurs années, car malgré le paraquat appliqué au semis, l’enherbement greva sévèrement le rendement de sa première récolte de soja sans labour, qu’il faillit de surcroît ne pas pouvoir vendre, à cause du paraquat que faute de solutions alternatives il appliqua aussi par endroits en dirigé entre les rangs, non sans effets collatéraux. L’année suivante, faute d’herbicides sélectifs du soja disponibles au Brésil, il en fit venir à travers le Paraguay, situation qui dura encore une paire d’années avant la libération au Brésil d’herbicides soja d’abord de pré-levée puis enfin de post-levée en 1977. Avancée décisive : les rendements décollèrent, la restitution au sol par les racines et les résidus aussi ! Heureusement qu’il était sur les meilleurs sols du pays (même si acidifiés et carencés en P et K), formés sur d’anciennes coulées basaltiques, le « filet mignon » des terres brésiliennes au dire des brésiliens, les « sols ‘chocolat’ » au dire de Lucien Séguy. Sans quoi, l’entreprise aurait probablement sombré.

Pour semer le blé dans les résidus de soja, d’abord peu abondants et assez labiles, et dans ceux de maïs plus encombrants et persistants, il dut scier les houes rotatives de son semoir Rotacaster si bien que le blé se retrouva semé quasiment sans enfouissement, dans des sillons à peine marqués, très superficiels. Cela dura jusqu’en 1979 où il acheta et améliora un prototype de semoir Semeato adapté pour le semis direct, précurseur de la gamme Semeato TD des semoirs de semis direct pour céréales à paille (‘semeadora’, littéralement semeuse) ; deux à trois ans après il remplaça son Allis-Chalmers peu adapté aux sols lourds de chez lui par un Turbo MAX, premier semoir brésilien de semis direct pour grosses graines (‘plantadeira’, littéralement planteuse).

Le choc pétrolier de 1973 conforta HERBERT BARTZ dans son choix

Quand HERBERT BARTZ se lança à semer sans labourer, ses voisins le crurent devenu fou. C’est qu’à l’évidence, il était en avance sur l’intendance ! Conscient de cette situation, il mit d’emblée en intercampagne son Allis-Chalmers et son expérience à la disposition des ingénieurs brésiliens pour qu’ils s’en inspirent pour en fabriquer au Brésil. Le choc pétrolier de 1973 conforta HERBERT BARTZ dans son choix, le labour étant très gourmand en énergie. Dès 1976 deux autres agriculteurs originaires de la grande région agricole de CAMPOS GERAIS - toujours dans le Paraná mais sur sols sur grès beaucoup plus maigres- s’inspirèrent d’HERBERT BARTZ et à eux trois ils conformèrent le trio des pionniers emblématiques – piliers vivants – du développement des SPD brésilien (photo n°2).

Photo 2
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Les trois grandes figures tutélaires de l’agriculture de conservation au Brésil : Nonô PEREIRA (Ϯ 2015) à gauche, Herbert BARTZ (Ϯ 2021) au centre et Franke DIJKSTRA à droite. Ces amis de la terre posaient ici pour la FEBRAPDP, la fédération brésilienne de semis dans la paille. Ils aimaient se retrouver et ne manquaient pas d’humour ; ils n’auraient certainement pas désavoué ma traduction libre en fédération d’agriculture « paillarde », ce soja ayant été semé sous cette abondante paillasse, véritable aigayoir à « minhocas », les vers de terre. Une « minhoca » souriante devenue mascotte de la FEBRADPD est en macaron dans leurs chemises, car cette fédération nationale est née d’une association locale, le Clube da minhoca de Ponta-grossa, Paraná, en résonance avec une célèbre boîte de nuit de São Paolo, le Clube do minhoca, ce cabaret se vantant d’être le trou le plus chaud de la ville !
Crédit photo : Celso Margraf

A leur tour, ces nouveaux pionniers en inspirèrent d’autres, dont Lucien SEGUY en zone tropicale, dans la nouvelle frontière agricole sub-amazonienne, travaillant en recherche-action avec des particuliers ou des coopératives sur les engrais verts dans des rotations avec labour dressé non repris (sans émiettement) ; dès lors « l’agronome du génie végétal » incorpora dans son dispositif expérimental des systèmes sans labour et convertit ainsi les engrais verts en couvertures végétales (mulch), avec le succès que l’on sait (TCS n°108, pages 31-32). Les cultures de couverture, seules ou associées, se généralisèrent à travers tout le Brésil dans les années 90 (photo 3a), car l’enjeu était énorme : stopper l’érosion et la dégradation des sols agricoles des immensités brésiliennes.

Une révolution doublement verte !

Photo 3a
Photo 3a
Herbert BARTZ en 1994 dans sa ferme Rhenânia, à Rolândia, Parana, Brésil : dans un couvert d’avoine noire
(allélopathique) desséché au glyphosate pour y semer une culture d’été.
Crédit photo : John Landers

Dès lors du sud au nord du Brésil, une dynamique imparable était lancée, soutenue par les institutions et fondations de recherche agro-techniques, avec de avancées substantielles sur les plantes de couverture (tropicales et subtropicales) relayées par des entrepreneurs visionnaires, des associations dynamiques et de nouveaux pionniers devenant autant de référents locaux. Des jours de champ multitudinaires et des foires de grande ampleur attirèrent dès les années 1980-90 des responsables de la FAO et de la Banque Mondiale (avec le Ciradien Christian PIERI) et de nombreux visiteurs étrangers, y compris nord-américains et européens ; entre autres, une des figures de la révolution verte, Norman BORLAUG prix Nobel de la paix 1970 pour ses travaux sur l’amélioration génétique des blés, qui lors de son second voyage au Brésil en 1994 déclara admiratif : « la deuxième révolution verte est en marche dans les savanes du Brésil » : en fait une révolution doublement verte !
L’agromécanique connut un remarquable essor grâce aux interactions entre entrepreneurs et ingénieurs, concessionnaires et revendeurs, agriculteurs et tractoristes – véritable saga nationale où HERBERT BARTZ garda un protagonisme important : toute une diversité de semoirs de semis direct, de pulvérisateurs à bas volume, mais aussi de rouleaux à cornières pour rabattre les couverts. Cette agromécanique adaptée aussi bien aux besoins des très grandes « fazendas » qu’à la traction animale voire aux semis manuels (avec les cannes planteuses) acquit au tournant des siècles un rayonnement international : ainsi du « rolofaca » (littéralement rouleau à couteaux) qu’on retrouve à présent dans le jargon français, et des fameux semoirs SEMEATO, inspirés trente ans plus tôt des semoirs américains importés par les tout premiers pionniers, qui ont à leur tour inspiré les constructeurs européens après leur introduction en France à l’instigation de Lucien SEGUY.
Parallèlement, les grandes multinationales de l’agrochimie diversifièrent leurs gammes d’herbicides sélectifs positionnables en SPD, notamment avec des produits de post-levée suffisamment sélectifs pour la culture considérée et la culture suivante ; les formulations des désherbants totaux furent améliorées pour permettre le dessèchement rapide des couverts dans les séquences de « aplica e planta » ou « planta e aplica » (semis sur un couvert tout juste - ou pas encore - desséché).

Photos 3 b et 3c
Photos 3 b et 3c
Photo 3b, du haut, Herbert Bartz posant devant le semoir historique Allis-Chalmers qu’il importa des USA en 1972. Ce semoir pourrait symboliser à lui seul la complémentarité entre l’agromécanique et l’agrochimie
si la cuve à engrais liquide eût été une cuve à herbicides. L’emblème de la ferme (FR pour Fazenda Rhenânia) symbolise aussi avec sa roue crantée que l’agriculture est également une aJaire d’arts et métiers, et pas seulement d’écologie.
Photo 3 c, en bas, sur le côté, la plaque « Berceau du semis direct » sous seing de la firrme anglaise ICI obtentrice du paraquat, désherbant à l’origine du labour chimique ; cette plaque commémore en 1983, avec une année de retard, les dix premières années d’agriculture commerciale au Brésil en régime volontariste de conservation du sol.
Crédit photo : Marie Bartz

Il est donc clair que le développement des SPD brésiliens s’est appuyé sur deux rampes de lancement et de soutien : l’agromécanique, notamment pour les semis, et l’agrochimie, notamment celle des herbicides, sélectifs pour les cultures et totaux pour le dessèchement des couverts à neutraliser pour permettre le démarrage de la culture suivante (photo 3c) Rampes de lancement et de soutien valant contreforts trop souvent passés sous silence lorsque les trois principes des SPD brésiliens prennent la lumière et sont symboliquement érigés en piliers de l’ACS marqués du sceau de la FAO (photos n°1).

Passons sur le tsunami des cultures transgéniques de soja et coton résistantes au glyphosate qui au tournant des siècles a commencé à déferler sur les deux Amériques ; il a conduit à surutiliser le glyphosate, d’abord pour détruire leurs couverts d’avant culture et les convertir en paillis, puis pour désherber ces mêmes cultures en post-levée, en une puis deux applications. Grisée par son audace, l’agriculture brésilienne a négligé la prudence ancestrale des agriculteurs consistant à ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier. Diversité rime avec sécurité et durabilité, hégémonie et monotonie risquent de rimer avec agonie. Dans son poème d’éloge funèbre à HERBERT BARTZ, John LANDERS autre figure historique de l’ACS au Brésil (https://febrapdp.org.br/noticias/1001), n’a pas manqué d’insérer un quatrain d’humilité, renvoyant à notre vulnérabilité au dérèglement climatique, autant par déluge que sécheresse, et à nos excès, puisqu’il y fait rimer « chuva » (la pluie) avec « buva », ces vergerettes sans diminutif qu’on trouve au Brésil déclinées en trois espèces : Conyza bonariensis, C. canadensis et C. sumatrensis. La troisième est devenue une plaie végétale très redoutée avec des occurrences de biotypes résistant à jusqu’à 5 modes d’action herbicides ! (http://www.weedscience.org/Pages/Species.aspx)

L’agriculture européenne plus prudente

Fort heureusement, l’agriculture européenne plus prudente, a beaucoup moins misé sur le glyphosate, qui depuis longtemps n’est plus appliqué directement sur les cultures (comme ce fut le cas à ses débuts, pour nettoyer les ronds verts dans les céréales dorées avant la moisson) et reste appliqué – avec parcimonie – sur jachères et couverts en ACS. La gestion des couverts, de plus en plus diversifiés en composition spécifique et en modalités d’insertion dans les systèmes de culture, est elle-même de plus en plus diversifiée, et n’est donc pas nécessairement dépendante du glyphosate ; des moyens alternatifs sont potentiellement mobilisables, certains naturels (génie agroécologique), d’autres artificiels (génie agromécanique), avec en contrepartie dans ce dernier cas consommation accrue d’énergie fossile, moindre rendement de chantier et calendriers culturaux plus contraints. Il ne serait donc pas raisonnable d’abattre le contrefort agrochimique de l’ACS car peu ou prou le recours aux herbicides en général, et au glyphosate en particulier, reste de facto indispensable dans le contexte de l’agriculture européenne. Loin de pouvoir rompre d’un seul coup comme le fit HERBERT BARTZ en 1971 avec un maximum de risques et de façon tout à fait exceptionnelle dans l’histoire de l’agriculture universelle, la plupart des fermes se projettent graduellement et à moindre risque dans le temps long, en termes d’évolution structurelle et fonctionnelle : en témoignent régulièrement les reportages si bien documentés publiés dans chaque numéro de TCS ou de la France agricole.

Ne taclons pas le bon sens paysan

L’ACS est souvent citée et conviée lorsqu’il est question d’agroécologie, d’agriculture climatiquement intelligente et du 4p1000 (quatre pour mille), cette très intéressante initiative française de R & D lancée par Stéphane LE FOLL lorsqu’il était ministre de l’agriculture, initiative devenue désormais internationale (ouvrages des éditions QUAE, numéro spécial de Cahiers Agricultures). A chacune de ces occasions, les fameux piliers de l’ACS sont mis en exergue avec force développements écologiques, mais les contreforts agromécaniques et surtout agrochimiques y sont rarement évoqués, l’intendance étant supposée suivre ; comme si l’agriculture était seulement faite de l’écologie des cultures et des couverts et n’était pas aussi une affaire d’arts et métiers, contingente de l’activité des agriculteurs et des moyens matériels et humains qu’ils mobilisent pour cela. Et même si l’ACS diversifie de manière de plus en plus performante ses couverts et leurs modalités de gestion, et ce faisant devient de moins dépendante des herbicides en général et du glyphosate en particulier, elle n’est pas encore, loin s’en faut, apte à se passer complètement, dans toutes les situations et de façon permanente, de glyphosate. « L’ACS gaillarde » avance (gestion des couverts encore vivants), mais elle est encore largement adossée à « l’ACS paillarde » sur couverts souvent encore desséchés au glyphosate. Le dossier glyphosate, désormais porté par un consortium de firmes, sera réexaminé par l’union européenne en 2022 (https://www.glyphosate.eu/fr/). Alors ne taclons pas le bon sens paysan, ne bridons pas la tolérance des lumières, et arbitrons avec les bilans de carbone à promouvoir en juges de paix, et les vers de terre du grand Darwin en témoins.

Garder les sols, dans leur intégrité et bien vivants : maximiser leur verdure, leur volant de phytomasse et leur agrobiodiversité, les bonifier en les rechargeant en carbone et par ricochet en azote et autres nutriments (auto-fertilité) ; pour une agriculture plus performante, plus résiliente aux dérèglements climatiques et atténuatrice du réchauffement global ; quitte pour cela à utiliser à la marge, avec parcimonie et à bon escient, un peu d’irrigation et de chimie, glyphosate inclus : c’est l’appel d’Alain DUPHIL, agronome et agriculteur céréalier aux confins de la Garonne et de l’Ariège, appel aux accents presque gaulliens pour la France et au-delà pour la Planète car la maison brûle et nous tergiversons (la France Agricole, 29 janvier 2021, page 11). N’est-il pas en effet grand temps de se lever comme de Gaulle en 1940, et de faire face comme le fit HERBERT BARTZ en 1971-72, pour garder ses sols chez lui et les aggrader, et ainsi pouvoir vivre durablement et dignement du travail de sa terre conservée et bonifiée. Car en s’ingéniant et s’efforçant à garder et bonifier sa terre sur sa ferme, HERBERT BARTZ prit progressivement conscience de la dimension planétaire et de la portée climatique du développement de l’ACS, ses lectures d’Alexander Von HUMBOLDT le naturaliste, géographe et explorateur allemand qu’il admirait tant l’y avaient sans doute prédisposé. Repose en paix, HERBERT BARTZ, en ta généreuse terre brésilienne tant aimée, tu auras bien mérité de l’agroécologie bien comprise, celle qui gardant et bonifiant la terre, nourrit les terriens, clarifie les eaux et adoucit le climat.

Remerciements pour compléments d’information, photos et relecture du manuscrit :
à MARIE et JOHANN BARTZ, fille et fils d’HERBERT BARTZ, avec nos condoléances ; Johann est ingénieur agronome ; MARIE L. C. BARTZ est chercheuse et enseignante en biologie des sols et taxonomie des vers de terre au Centre d’Ecologie Fonctionnelle à l’Université de Coimbra au Portugal et au Cours de troisième cycle en Gestion Environnementale à l’Université Positivo, à Curitiba au Brésil, ainsi que vice-présidente de la commission des relations internationales du bureau de la FEBRAPDP (https://febrapdp.org.br/) ; à Ricardo RALISCH, professeur d’Agronomie et Machinisme à l’Universidad Estadual de Londrina, Paraná, Brésil ; à Serge BOUZINAC, retraité, ex compagnon d’armes agroécologiques de Lucien SEGUY ainsi qu’à Jean-Pierre SARTHOU, enseignant-chercheur à Toulouse (INP-ENSAT et INRAe –UMR Agir).

Pour en savoir plus sur HERBERT BARTZ et l’histoire de l’agriculture de conservation au Brésil :
BOLLIGER, A. ; MAGID, J. ; AMADO, T. J.C. ; SKORA NETO, F. ; RIBEIRO, M. F. S. ; CALEGARI. A. RALISCH, R. NEERGAAD, A. Taking stock of the Brazilian “Zero-till revolution” : A review of landmark research and farmers’pratice. Advances in Agronomy, v. 91. 2006. pp. 47-110. http://www.agrisus.org.br/arquivos/TAKING_STOCK_OF_THE_BR.pdf
BORGES, G. 0. Resumo histórico do plantio direto no Brasil. In : EMBRAPA. Centro Nacional de Pesquisa de Trigo. Plantio direto no Brasil. Passo Fundo : Aldeia Norte Editora, 1993. pp. 13-18.
BORGES, J. ; GASSEN, D. N. Plantio direto uma revolução na agricultura brasileira. In : PATERNIANI, E. Ciência, Agricultura e sociedade. Embrapa. Brasília, DF : Embrapa, 2006. pp. 227-276.
P. L. de FREITAS and J. N. LANDERS. Herbert Bartz, no-till pioneer in Brazil. Success through innovation, determination and perseverance Box 1 (p. 42-43) In : The transformation of agriculture in Brazil through development and adoption of Zero Tillage Conservation Agriculture In : International Soil and Water Conservation Research, Vol. 2, No. 1, 2014, pp. 35-46 https://www.sciencedirect.com/journal/international-soil-and-water-conservation-research/vol/2/issue/1
Ruy CASAO Jr. et al., 2008. Fatores que promoveram a evolução do sistema e desenvolvimento de máquinas agrícolas. http://www.cpatc.embrapa.br/conservasolo/imagens/11.pdf
Wilhan SANTIN, 2018. O Brasil possível : a biografia de Herbert Bartz. 1ª Edição – Londrina : Edição do autor, 2018. 220 páginas. ISBN 978-85-922249-1-2