Plus de renards = moins de pesticides

Quelle drôle d’idée, se diront les chasseurs, penser que notre bête noire est un acteur incontournable de l’agriculture durable au même titre que l’abeille et le ver de terre.
Mais voilà, notre renard roux a beau appartenir à une communauté d’auxiliaires sur laquelle l’agriculteur peut s’appuyer pour produire une alimentation plus saine et écologique, les parlementaires en ont décidé autrement, confiant aux chasseurs le soin de s’en débarrasser. Une loi les encourage même à rendre ce service public sans consulter le propriétaire des lieux : “Le renard (Vulpes vulpes) peut toute l’année être : piégé en tout lieu…” Arrêté du 3 juillet 2019 pris pour l’application de l’article R. 427-6 du code de l’environnement.
Bienvenue à la campagne, ce vaste terrain de jeu pour le troisième sport national en termes de licenciés, la chasse, le sport le plus détesté des Français. Mais ce n’est pas le sujet. Ici, les gens n’ont pas la haine de la chasse mais d’une certaine chasse. Alors pourquoi le renard, l’un des animaux sauvages préféré des Français, est-il autant détesté du gouvernement, des parlementaires, et de leurs bras droits, les chasseurs ? Au point de l’avoir classé nuisible. Nuisible pour la société.
Incompréhensible à l’heure où l’État cherche à faire des économies, un renard pouvant rapporter gros à la société, très gros, jusqu’à 2.400 euros par tête de pipe ! Explication.

Parlons chiffres !

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Ce chiffre a été avancé par le docteur en éco-éthologie et en ethnozoologie Denis Richard Blackbourn lors d’un colloque sur le renard organisé par l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) qui s’est déroulé à Paris au mois de mai 2017. Et avant de l’avancer, il a pris toutes les précautions d’usage.
Pour faire simple, en agriculture, les animaux végétariens se nourrissent des cultures quand les animaux carnivores ou omnivores se nourrissent de leurs collègues végétariens... Et, à la louche, un végétarien consomme entre 50 et 100 % de son poids tous les jours. Plus il pèse lourd, plus il consomme, à l’exemple du campagnol terrestre, autrement appelé rat taupier, Arvicola terrestris, un petit rat végétarien qui mange jusqu’à 50 kg de végétaux par an…
On saisit immédiatement l’impact sur les rendements, d’autant que notre petit rat a également un bel appétit sexuel avec un taux de reproduction de 1 à 50, un couple pouvant mettre au monde plus de 100 individus par an… Qui, eux-mêmes, peuvent faire naître 5.000 nouvelles têtes l’année suivante. Et ainsi de suite. On imagine donc aisément les potentiels dégâts occasionnés aux cultures si les populations ne sont pas régulées par une communauté de prédateurs qui, dans les grandes lignes, va de la couleuvre au rapace via le renard.
Le docteur Blackbourn a rappelé que d’autres espèces sont moins gourmandes, comme le campagnol des champs, Microtus arvalis (8,5 kg de végétaux consommés par an), ou le campagnol agreste, Microtus agrestis, (11 kg par an). En métropole, sur les treize espèces de campagnol recensées, trois s’intéressent particulièrement aux cultures et une est protégée. Cette dernière est aquatique et elle ne s’attaque pas aux cultures.

Le renard, un protecteur des cultures

Avec ses déserts verts où rien ne pousse en dehors des variétés cultivées, l’agriculture moderne favorise ces communautés végétariennes au détriment des communautés qui s’en nourrissent. Par l’absence de diversités végétales, de haies, de bois ou de forêts, la monoculture donne ainsi un avantage considérable aux rongeurs. Idem pour les couvertures végétales permanentes ou l’absence de labour, des techniques d’agriculture durable.
La radicalité du climat concentre également tous les problèmes, comme cette année, où la prédation sur les cultures a été amplifiée avec la sécheresse. En effet, tous les animaux aiment et recherchent le sucre dans la nature (même les vers de terre), et les cultures sont des milieux très riches en douceurs. Au mois de septembre dernier, nous avons même trouvé des campagnols en haut des troncs de maïs doux, en train de dévorer les fusées…
Alors, en l’absence d’une communauté de prédateurs suffisante, quelles sont les solutions à disposition de l’agriculteur pour ne pas mettre en péril ses récoltes ?

À petite échelle, dans un jardin, on peut facilement les piéger avec des tapettes à souris contrairement à une exploitation agricole où les solutions sont moins tempérées. Mécanique, avec la charrue qui va bouleverser leur habitat et donc réduire leur développement. Chimique avec l’épandage d’appâts ou de grains empoisonnés, qui, une fois ingurgités par les campagnols, contribueront à empoisonner leurs prédateurs… Une chaîne sans fin. En bio, on utilise du tourteau de ricin pour les empoisonner. Un produit biodégradable qui va également empoisonner toute la chaîne alimentaire avant de se dégrader.
À partir de données scientifiques liées à leurs contenus stomacaux, le docteur Blackbourn a déterminé que 80 % de l’alimentation des renards était constituée de petits rongeurs. 145 kg, soit 3.000 têtes, parfois le double ou le triple selon les circonstances écologiques, c’est la consommation moyenne d’un renard sur les 180 kg de nourriture qu’il ingurgite tous les ans. Et outre l’économie de temps et d’argent, le service agronomique rendu par un renard à l’agriculteur peut être estimé à 2.400 euros. 2.400 euros de dégâts économisés.
Et enfin, le renard est un chasseur de haut vol, pouvant capturer jusqu’à 20 campagnols par jour, mais aussi jusqu’à 4 lombrics terrestres par minute ! Extrait de l’Éloge du ver de terre :
« Le ver de terre voit d’un bon œil le renard se faire une poule. Pour la bonne raison que la poule est l’un de ses redoutables prédateurs, raison pour laquelle elle n’a rien à faire dans un jardin. Mais de savoir que le renard comme la poule sont des omnivores opportunistes ne le rassure pas beaucoup quant à un avenir radieux ! Un renard qui, faute de poule, se remplira le ventre de sa rencontre inopportune avec un ver de terre paisiblement en train de brouter comme une vache ! Quant à goupil, considéré comme un nuisible par la législation française, son pain quotidien est fait de campagnols et autres rats taupiers. Et pour l’agriculteur qui travaille avec des couverts et des paillis pour nourrir sa vie du sol, et en particulier ses vers de terre, le renard est un précieux auxiliaire pour réguler les populations de rongeurs. »

Conclusion

Dans cet article, mon point de vue est strictement agricole. Et loin de vouloir comparer ou mettre en concurrence, nous avons d’un côté le loup et l’ours dont les dégâts agricoles coûtent des millions d’euros tous les ans à la société, des animaux protégés à juste titre, et de l’autre, le renard, un nuisible qui protège les cultures.
Voyez-vous l’incohérence : moins de renards = plus de pesticides.
Et pourquoi la politique, qui s’applique à l’ours et au loup ne s’appliquerait pas au renard ? Par une gestion responsable des populations. Et pour ses services rendus à la Nation, une indemnisation des rares dégâts qu’il peut commettre chez les éleveurs de poules en plein air. Quant aux dégâts sur le gibier, dont les chasseurs l’accusent, il y a encore peu, quand l’environnement était propice, il y avait beaucoup plus de renards qu’aujourd’hui, et la campagne était giboyeuse. Le problème est ailleurs.

Pour compléter, un témoignage d’agriculteur :

Christophe Gatineau, agronome, cultivateur et auteur chez Flammarion de l’Éloge du ver de terre (2018) et de l’Éloge de l’abeille (2019), rédacteur du blog www.lejardinvivant.fr