Steve Groff, une stratégie de couverture permanente des sols

Danielle Bodiou - TCS n°52 - avril / mai 2009

Plusieurs centaines d’agriculteurs se sont rendus en novembre aux journées proposées par l’association Base au cours desquelles Steve Groff, agriculteur américain, a partagé son expérience. Cet adepte de l’agriculture de conservation, axé sur la gestion de la couverture du sol par le semis direct, utilise intensivement les couverts végétaux pour la gestion de l’eau, l’amélioration de la structure du sol et la réussite de cultures légumières de plein champ.

Les journées organisées par l’association Base en novembre dernier accueillaient Steve Groff, un agriculteur américain de 43 ans, pour témoigner de son expérience.

Installé à Holtwood dans l’État de Pennsylvanie, ce pionnier des systèmes agricoles avec couverture permanente des sols conduit avec son épouse une exploitation de 104 hectares, spécialisée en maraîchage et céréales. L’exploitation familiale produit divers légumes pour le marché du frais : 2,5 ha de tomates (une vingtaine de variétés), 12 ha de potirons (pour Halloween) et 14 ha de maïs doux. Dans la rotation, le blé est aussi intégré, de même que le soja (en double culture), le maïs et la luzerne puisqu’une dizaine de bovins et autant de bisons sont élevés sur la ferme. Les sols, de type limoneux-argileux, sont assez bien drainés et très caillouteux. La majorité des terres sont sujettes à l’érosion, certaines pentes affichant une inclinaison de 17 %. La moyenne de perte de sol du comté, en système traditionnel, varie entre 22,5 et 42,5 tonnes par hectare et par an (source : université de Pennsylvanie). En plus de la diversité de la rotation, la ferme maraîchère de S. Groff se démarque par le semis direct et l’utilisation intensive des engrais verts. La forte érosion entraînée par le ruissellement des pluies lors d’un violent orage en 1982 est à l’origine de son basculement vers ces techniques. « Les tranchées provoquées par le ruissellement avaient dû être bouchées au tractopelle avant de pouvoir moissonner », indique-t-il.

L’abandon du travail du sol

Pour lutter contre ce processus de dégradation des sols, il commence à expérimenter la technique du semis direct en louant un semoir pour l’implantation de 6 ha de maïs. Les premières années, seuls le maïs grain, le maïs doux et le soja sont semés en direct. « Il a fallu trois ans avant de constater une évolution favorable dans les parcelles », indique- t-il. Dès 1991, il inclut un engrais vert d’hiver et sème directement sa culture dans un épais tapis de résidus. La charrue est cependant conservée pour la préparation du sol avant l’implantation des potirons et des tomates jusqu’en 1994, année où il a l’occasion de tester une planteuse spécifique développée avec la collaboration des scientifiques. Celle-ci permet de planter directement à travers les couverts végétaux. Dès la première année, les résultats obtenus sont très intéressants en comparaison aux parcelles labourées : les parcelles restent plus propres, les plants de tomates sont moins malades et l’irrigation est réduite. Depuis 1996, la stratégie agronomique de S. Groff vise à couvrir en permanence ses sols afin de bénéficier des avantages constatés : l’intégralité des cultures est semée ou plantée à travers des litières organiques.

« Le sol doit être couvert »

S. Groff utilise largement les couverts végétaux dans la gestion de l’eau, pour la préparation du lit de semences et comme auxiliaires pour l’amélioration de la structure du sol, y compris en culture légumière de plein champ. La casquette qu’il porte en tous lieux arbore d’ailleurs l’inscription « Soil is meant to be covered » (le sol doit être couvert), une formule qu’il se plaît à répéter lors de ses interventions. Pour lui, l’une des premières actions du couvert est de gérer l’eau, élément important en culture légumière. « Lors des printemps humides, seulement si le couvert reste vivant, il assèche le sol de façon précoce, permettant des semis assez tôt en saison. En été, le couvert présente l’avantage de protéger le sol contre l’évaporation. En toutes saisons, il constitue une protection contre les extrêmes : froid, précipitations et chaleur. » Quatre espèces en mélange sont privilégiées : le tournesol, la vesce velue, l’avoine et le radis. « Ils apportent de la diversité grâce aux différents types de structures racinaires et de production aérienne et facilitent le développement de micro-organismes dans le sol. Les mélanges se complètent, se stimulent et donnent des résultats plus intéressants que des couverts conduits individuellement.  » S. Groff apprécie également le trèfle incarnat ainsi que le seigle, espèce la plus utilisée aux États-Unis, pour sa « capacité à lever tard en automne, son redémarrage rapide au printemps et la fourniture d’un imposant mulch ».

L’intérêt des couverts végétaux

À l’automne, un mélange de seigle et de vesce est semé directement après les cultures puis réduit en paillage au printemps à l’aide d’un rouleau à ailette (rouleau Faca) conçu pour laisser les résidus entiers sur le sol. La vesce apporte de l’azote rapidement disponible et le seigle amène le paillage sur le sol. Les plants de tomates sont par la suite implantés à travers ce paillis épais avec une planteuse conçue avec la collaboration de l’école polytechnique de Virginie. Ce système permet de supprimer considérablement l’érosion, la compaction, les adventices ainsi que les insectes nuisibles, dont le doryphore. En empêchant le sol de tacher le feuillage lorsqu’il pleut, le paillis permet aussi de limiter la prolifération d’organismes nuisibles et de réduire les maladies. Ainsi, les coûts des produits phytosanitaires utilisés dans ses cultures maraîchères ont nettement diminué, passant de 80 $/ ha il y a dix ans à 42,5 $/ ha aujourd’hui. Les engrais verts ne sont pas une source de dépense puisqu’ils contribuent à réduire les besoins en azote tout en conservant le sol et en augmentant sa fertilité. Les parcelles les plus anciennes en semis direct présentent un taux de matières organiques de 5,8 % alors que la moyenne des champs cultivés en conventionnel se situait à 2,7 % dans les années quatre-vingt. La progression des taux de matières organiques est de 0,1 % par an en moyenne lorsque l’on pratique le semis direct sous couvert végétal (SCV). En comparant l’approche de S. Groff à la production conventionnelle de tomates de transformation dans sa localité, son rendement est de 59,25 t/ha contre 53,25 t/ha en conventionnel et ses coûts de production ne s’élèvent qu’à 677,5 $/ha contre 1 027,5 $/ha en conventionnel.

Dans un souci d’amélioration de la structure du sol et plutôt que d’utiliser un outil de décompactage, S. Groff se dirige de plus en plus vers une nouvelle espèce, en fort développement aux États-Unis : le radis chinois. De par sa puissante racine pivot (jusqu’à 80 cm), ce radis offre l’avantage de réparer naturellement le compactage des sols durs et d’augmenter l’infiltration de l’eau. L’espèce agit également sur le recyclage de l’azote et permet une récupération de nutriments en profondeur dans le sol et leur remise en surface. S. Groff le sème entre le 15 juillet et le 15 septembre et il est généralement détruit par le gel (-7 °C à -8 °C).

Comme celui-ci relargue assez vite les éléments emmagasinés dans ses racines, S. Groff tend à le positionner devant un maïs précoce. Il travaille également le strip-till végétal en positionnant le radis sur les futurs rangs de maïs et de l’avoine pour couvrir les interrangs.

Produire de d’azote

En plus de la structuration du sol, S. Groff a découvert de nombreux bénéfices des couverts végétaux, comme la production d’azote. La vesce velue notamment fait partie de ses espèces de prédilection pour sa production importante d’azote. Quant au mélange pois-avoine, semé au printemps, il constitue, après roulage, un excellent précédent à la culture de potirons. « Après plusieurs années, les couverts végétaux permettent une diminution de la demande en éléments fertilisants. Ceux-ci sont amenés par la restitution et la transformation des résidus organiques. Les apports extérieurs d’engrais peuvent alors être supprimés », explique-t-il. Les limaces, comme chez nous, peuvent être une inquiétude. Les grands volumes de résidus de culture recouvrant le sol représentent en effet un abri humide pour les ravageurs. La gestion de ces populations passe par l’adoption de plusieurs systèmes de lutte. Outre l’utilisation de produits à base de métaldéhyde sous forme de granulés, S. Groff pulvérise un mélange d’azote liquide et d’eau (50/50) sur les plantes, principalement la nuit et seulement lorsque les limaces sont de sortie. La solution azotée intoxique les ravageurs qui meurent par dessiccation. « Attention au dosage, ce mélange peut provoquer des brûlures sur les feuilles de maïs mais je préfère ces dégâts légers à ceux des limaces. De plus, le produit utilisé n’est pas intégré comme un coût puisqu’au final, il s’agit d’un engrais », prévient S. Groff.

Pour la destruction du couvert, S. Groff privilégie le mode mécanique, notamment l’utilisation d’un rouleau Faca. La faible largeur d’application permet d’accroître l’efficacité du passage de l’outil. En complément, il utilise, si nécessaire, du glyphosate en mélange avec un autre herbicide pour éviter les résistances et adapte les doses en fonction du couvert et de l’efficacité de la destruction par roulage. L’utilisation d’herbicide, en culture, est souvent réduite ; le mulch obtenu par les couverts permettant une réduction du salissement.

Comprendre la biologie du sol

Plusieurs points sont importants pour réussir la transition vers ce type d’agriculture, selon S. Groff. « Essentiellement des détails, qui doivent intervenir aux moments opportuns. La gestion et la compréhension du système sont des facteurs qui font la différence, indique-t-il. Lorsque l’on diminue le travail du sol, tous les détails auxquels l’on doit faire attention évoluent. Au cours de cette évolution, il faut continuer à apprendre. » Pour le spécialiste, la priorité est de comprendre la biologie du sol. « D’une façon générale, le travail du sol a une incidence néfaste sur la vie du sol. Moins le sol est travaillé, plus la vie du sol reprend le dessus (bactéries, mycorhizes…) et crée un environnement favorable. » Il convient également de prêter attention à la fertilité du sol et à la conduite de la fertilisation, l’intégralité des éléments minéraux jouant un rôle, certains d’entre eux étant primordiaux comme le magnésium et le calcium. Selon lui, l’aptitude du sol à absorber l’eau durant des précipitations importantes est un excellent constat d’évolution.

Démarrer l’agriculture de conservation

Les premières années de non travail du sol déclenchent un besoin plus important en azote. L’une des clés du système est simplement d’utiliser une interculture légumineuse qui produira un peu d’azote. Assez rapidement, après cette période de transition, lorsque le taux de matière organique est remonté, les besoins en azote diminuent. Selon S. Groff, il est également capital, pour toutes les cultures de printemps implantées dans un sol encore froid, de choisir une fertilisation localisée de type starter. Les cultures implantées plus tard dans la saison, lorsque le niveau de température du sol a rendu les nutriments plus facilement disponibles, ne nécessitent pas de fertilisation localisée. Par ailleurs, dans les sols très fertiles, la température est capitale quant à la disponibilité du phosphore. Lorsque le sol est froid, la plante doit avoir accès à un phosphore facilement assimilable. « Analyses de sol et analyses de feuilles sont indispensables pour évaluer ce qui est disponible dans le sol et ce qui est absorbé par la plante…  », souligne S. Groff. Les décisions autour des semis et fertilisations se prennent avec le thermomètre.


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