Pourquoi extraire des vers de terre ?
En dehors de leur haute valeur protéique en alimentation humaine et animale, l’extraction et la caractérisation des vers de terre sont un moyen simple d’évaluer l’activité biologique de ses sols et donc par conséquent de leur santé. En premier lieu parce qu’ils travaillent le sol et le fertilisent, dégradent les matières organiques et facilitent leur assimilation dans le sol. Leur seconde qualité est qu’ils sont d’excellents indicateurs d’une vie souterraine très mal connue : ils représentent environ 20 % des organismes vivants dans le sol (hors racines) ; cela signifie que si vous trouvez 30 g de vers de terre au m2, il y a aussi le même poids de champignons et d’algues, à peu près le double de bactéries et la moitié de tout le reste (protozoaires, nématodes, insectes, mammifères etc.). Soit en réalité 150 g/m2 de vie sous vos pieds ou encore 1,5 t/ha ou bien 2 UGB représentées par 260 millions d’individus plus ou moins petits. Avec 150 g/ m2 de vers, sol de prairie ou en semis direct, on monte à 7,5 t/ ha de vie biologique souterraine et vous disposerez également de 45 t/ha/an (45 kg/m2) de déjections très fertiles en surface auxquelles il faut ajouter 315 t/ha/an dans le sol.
Moutarde forte, arrosoirs et pince à épiler
Pour quantifier et identifier les lombrics, il est nécessaire de les séparer de leur habitat naturel qu’est la terre. Un premier moyen consiste à découper un bloc de terre et à le tamiser, la méthode n’étant pas forcément des plus simples et laissant le terrain plutôt « travaillé ». La deuxième solution est de faire sortir tout ce petit monde en employant soit l’électricité, soit des solutions chimiques urticantes. Parmi ces dernières, la plus efficace est le formol qui a toutefois l’inconvénient d’être toxique pour l’expérimentateur et le milieu naturel. L’équipe de scientifiques de l’UMR Ecobio a donc retenu et validé l’extraction à la moutarde : le procédé est suffisamment efficace, non délétère pour les lombrics et vous permettra d’acquérir rapidement un service complet de verres pour la maison.
La méthode consiste à arroser
une portion de sol avec une
solution de moutarde diluée
dans de l’eau et à ramasser les
vers de terre qui se mettent à sortir pour fuir la brûlure. Cependant,
pour que la méthode
soit fiable et que les données
soient comparables d’un lieu à
l’autre, il est nécessaire de respecter
plusieurs points :
– L’extraction aura lieu entre
les mois de janvier et d’avril,
période de pleine activité de
la faune lombricienne, sous
peine de passer à côté des individus
en diapause ou encore
de ne pas saturer suffisamment
en eau le sol en période sèche.
Le prélèvement se fera de préférence
le matin et le sol devra
bien entendu être ressuyé et
non gelé (6 à 10 °C) ;
– La mesure est effectuée trois
fois sur une même parcelle sur
une surface de 1m2, délimitée
par une ficelle et des piquets.
Pour éviter les biais on évitera
de piétiner la zone de prélèvement
et pour la même raison
on ne fera pas de mesure sur les bordures de parcelle (au
moins 10 m) ; pour limiter les
déplacements, les trois placettes
seront alignées et espacées
de 6 m en évitant les passages
de roues et si possible sur une
zone plane pour empêcher les
« fuites » de moutarde ; on
aura soin de raser la végétation
pour être certain de ne
pas manquer quelques vers ;
– Pour éviter des variations
dues à la composition de la
moutarde, on utilisera exclusivement
le petit pot de 150 g
de moutarde Amora fine et
forte (ni TCS, ni l’UMR Ecobio
ne possèdent d’actions
dans cette entreprise), à raison
de deux pots par arrosoir
de 10 l, correctement dilués
avec un agitateur. L’arrosoir
sera idéalement équipé d’une
rampe d’arrosage pour assurer
la régularité du débit et de la
distribution ;
– Toujours dans un souci
d’homogénéité, le temps de
capture est de 15 min après
l’arrosage ; chaque placette
étant arrosée et prélevée deux
fois, il vous faudra quatre pots
de moutarde par placette,
soit 12 pour une parcelle. Si
les vers continuent de sortir
après 15 min, on continue de
les ramasser avant de faire le
deuxième arrosage ;
– Les vers de terre vont commencer
à sortir et il est nécessaire
de les saisir avec une
pince à épiler si on ne veut
pas qu’ils rentrent à nouveau
dans le sol : cette partie est
d’ailleurs la plus sportive du
prélèvement puisque les vers
sont relativement vifs et ont
la fâcheuse tendance à se
découper en tronçons plus
difficilement identifiables.
Deux conseils : attendre qu’ils
soient quasiment sortis de leur
galerie pour les prendre et utiliser
une pince à bouts plutôt
larges et plats pour éviter de
les couper ; dans tous les cas, si
l’animal est scindé en deux, il
est nécessaire de ramasser les
deux parties pour l’identification
ultérieure ;
– Dernier point, pour ne pas
surestimer sa population, il
est important de se contenter
de ramasser les lombrics qui
sortent dans la limite du m2
choisi, même s’il est tentant
d’obtenir plus d’individus que
le voisin. Les lombrics sortis
sont mis dans un bac avec de
l’eau pour les rincer et leur
éviter la mort.
Compter et identifier
Une centaine d’espèces de
vers de terre a été recensée en
France, chaque espèce ayant
été classée en fonction de sa
morphologie, de sa physiologie
et de son écologie. On
distingue ainsi trois classes qui vivent dans des compartiments
de sol différents et qui
ont des caractères physiques
différents :
– Les épigés sont des lombrics
très colorés (rouge sombre) de
petite taille (1 à 5 cm) qui vivent
à la surface du sol dans les
amas de matières organiques ;
ils ne creusent pas ou peu de
galeries et se reproduisent assez
rapidement (une centaine
de cocons par individu et par
an avec un temps de maturation
du cocon de 45 jours) ;
– Les anéciques sont plus gros
(10 à 110 cm) et bicolores : la
tête est foncée et la queue est
pâle ; ce sont eux qui creusent
des galeries verticales permanentes,
construisent des cabanes
en surface avec des débris
végétaux et émettent une
partie de leurs déjections sur
le sol (turricules) ; ils se reproduisent
peu (12 cocons par an
et par individu avec un temps
de maturation de 9 mois) mais
vivent plusieurs années si on
ne les perturbe pas ;
– Les endogés mesurent de 1 à
20 cm et sont de couleur claire
sur tout le corps, parfois marbrée
; ils sont beaucoup moins observés que les autres car ils
ne remontent quasiment pas à
la surface et creusent des galeries
temporaires très ramifiées
plutôt horizontales.
Une fois vos lombrics récoltés, il va donc falloir les séparer suivant les types définis ci-dessus, sachant que l’OPVT prend en compte une classe supplémentaire : épigé, endogé, anécique à tête rouge et anécique à tête noire. La distinction tête rouge/tête noire est assez facile à faire sur le terrain et permet d’introduire un facteur qualitatif (biodiversité) puisque les têtes rouges (de type Lombricus terrestris) sont assez communs et plus résistants aux pratiques agricoles actuelles que leurs collègues à tête noire (de type Aporrectodea giardi). Cela signifie d’ailleurs que si vous trouvez des têtes noires, il y a de grandes chances pour que vos sols soient en bonne santé. Une fois les bestioles classées, il vous restera à remplir les fiches de terrain imprimables sur le site de l’OPVT ou sur www.agriculture- de-conservation.com (ainsi qu’un guide d’identification des lombrics) ; vous remettrez ensuite les captifs en liberté à 2 m de la zone de prélèvement pour ne pas les réintoxiquer à la moutarde. Il ne vous restera plus alors qu’à utiliser les verres à moutarde rincés pour fêter dignement la journée et de retour à la maison à compléter la base de données en ligne. Vous pourrez ensuite suivre l’évolution de la base de données et vous comparer à d’autres situations. Pour les personnes plus zélées ou plus compétentes il est possible de prendre des photos et des échantillons conservés dans l’alcool pour des analyses plus poussées (renseignez-vous sur le site Internet de l’OPVT).
En dehors du comptage et de la détermination, ce genre d’expérience ludique est un bon moyen d’observer différemment son sol et la vie qui l’occupe. Enfin, si nous sommes beaucoup de lecteurs à nous mobiliser et à remonter de l’information, les résultats pourraient servir à promouvoir l’agriculture de conservation.