2021, l’année de tous les excès
Après une année 2020 compliquée à cause de la pandémie et des confinements, 2021 reste l’année de tous les excès y compris climatiques. Avec la reprise de l’activité, l’envolée soudaine du prix des céréales et du colza dans des proportions surprenantes a surpris tous les opérateurs. En parallèle, c’est le prix des énergies qui s’enflamme sur fond de pressions géopolitiques. En toute logique, les engrais et particulièrement l’azote, ont suivi avec aujourd’hui des inquiétudes sur la couverture pour la campagne à venir. Enfin, nous ne sommes pas à l’abri de risques de ruptures d’approvisionnement en pièces détachées et en produits phyto : le glyphosate se faisait rare cet automne ! Dans ce monde qui s’emballe et devient imprévisible, gérer risque de devenir très complexe avec en plus des adversités climatiques croissantes à intégrer pour la production agricole. Sans vouloir être alarmiste, sachant que la prévision est une science compliquée, il convient de prendre un peu de recul et d’analyser la situation avant de se projeter le mieux possible en 2022.
L’économie agricole a changé d’ère
L’économie agricole, assez stable auparavant, a globalement changé d’ère depuis 2007, pour entrer dans une phase très volatile avec des variations importantes et imprévisibles des cours des céréales et des intrants, avec en toile de fond une montée en puissance des à-coups climatiques. Ce que nous vivons actuellement ne fait que renforcer cette certitude avec cependant une accentuation des amplitudes. Plus que lutter contre cet état de fait, il va falloir en prendre acte, continuer d’adapter ses stratégies pour abaisser au maximum ses coûts par unité de production et rechercher des retours sur investissement plus rapides. Dans cet environnement incertain, l’objectif économique le plus judicieux est de passer les années compliquées et marger lorsque c’est possible. C’est une stratégie que nous avons toujours soutenue avec la revue TCS et qui positionne les exploitations agricoles dans une meilleure posture dans ce contexte en montagnes russes.
Fortes modifications des assolements
Ainsi et à l’entrée de la prochaine saison, le prix du carburant, des intrants mais surtout de l’azote, risque de largement bouleverser les équilibres précaires de la production agricole nationale et mondiale. Dans ce contexte où chaque producteur sera contraint de réduire assez drastiquement sa fertilisation, il semble irréaliste de prétendre à une croissance de la production globale pour la prochaine campagne. De plus, cette situation inédite peut entraîner de fortes modifications d’assolements (plus de soja et moins de maïs) mais aussi une mise en jachère temporaire de zones peu productives sur la planète comme au Canada ou en Australie par exemple. Des agriculteurs n’engageront tout simplement pas les frais s’ils sont certains de perdre de l’argent.
"Nous continuons à nous nourrir trois fois par jour"
Au regard de cette situation et puisqu’il ne s’agit pas que d’un souci climatique dans une région productrice mais d’un mouvement global impactant la capacité à produire, le marché risque de rester déficitaire pour quelques temps. Cela laisse supposer que les prix des céréales vont rester très attrayants au moins pour 2022. D’autre part, même si beaucoup d’analystes prétendent que dans une économie « stable », les prix des commodités agricoles suivent le prix de l’énergie et entre autres du pétrole, l’expérience du confinement a bien montré qu’il est presque possible d’arrêter de consommer des biens classiques mais que nous continuons à nous nourrir trois fois par jour.
Si nous pouvons nous réjouir de cette tension sur les marchés des céréales qui sera nécessaire pour couvrir la hausse importante des coûts de production, il ne faut pas ignorer les répercussions négatives pour l’élevage mais aussi pour des pays fortement importateurs. Il ne faut pas oublier que l’envolée du prix des céréales a été l’un des déclencheurs du printemps arabe il y a plus d’une dizaine d’années. Cette situation renforce et alimente également l’idée de la souveraineté alimentaire qui monte en puissance. Cette crise est certainement une opportunité ou au moins une première marche pour remettre en avant la fonction primaire mais essentielle de l’agriculture : produire de la nourriture. Avec la crise énergétique et la recherche de solutions décarbonnées, l’agriculture risque aussi d’être beaucoup plus sollicitée par ce segment de marché. Enfin et avec le verdissement souhaitable et la recherche de matériaux bio-sourcés, une multitude de marchés particuliers vont émerger et tirer encore plus la demande vers le haut.
"Il est tout de même possible d’espérer"
Dans cette période tourmentée, des revirements de situation sont possibles comme très récemment l’engouement pour l’habitat dans nos campagnes. Ainsi, l’agriculture peut retrouver une place importante et stratégique avec peut-être à la clé plus de compréhension, de respect et même plus de liberté d’opérer. Sans faire de l’optimisme béat, il est tout de même possible d’espérer. Le changement de perception de la majorité de nos concitoyens qui « acceptent » de faire confiance à la science et entendent beaucoup mieux la notion de bénéfice vs risque est aussi un élément favorable. Ces modifications d’environnement devraient nous obliger à arrêter de considérer trop les détails et forcer un retour au raisonnable et à l’essentiel !
Face à ces conditions et ces incertitudes, quels sont les atouts de l’Agriculture de Conservation des Sols ?
– Si les économies d’énergie et de mécanisation étaient déjà très intéressantes hier, dans ce contexte particulier, elles deviennent indispensables et certainement les plus faciles à aller chercher sans enfreindre la productivité à partir du moment où les pratiques sont maîtrisées. Chaque crise énergétique a poussé beaucoup d’agriculteurs vers la simplification du travail du sol : il serait surprenant que celle-ci déroge !
– Avec un prix d’azote, qui a plus que doublé en un an, la rentabilité économique des couverts végétaux se trouve très largement améliorée, sans compter le reste des bénéfices agronomiques et environnementaux. Si on s’en tient à une fourchette basse de 80 à 150 kg de N/ha de recyclé et de capté en moyenne, les frais de semences et de mise en place sont vite remboursés.
– Le raisonnement est identique pour les colzas associés où il est stratégique d’aller chercher encore quelques kilos de N en début de culture et lors de l’interculture suivante (trèfle). La vitesse de retour sur investissement reste cependant une difficulté qu’il faut intégrer. C’est, par contre et en toute logique, une belle prime à ceux qui ont investi et se sont engagés il y a déjà bien quelques années.
– Dans cet environnement, ce sont ceux qui ont capitalisé et développé patiemment leur volant d’autofertilité qui pourront plus facilement réduire légèrement leurs niveaux de fertilisation sans risque. Une économie assez substantielle qui viendra s’ajouter aux autres.
– La qualité du sol retrouvée est également vectrice d’une bien meilleure gestion de l’eau et d’une plus grande résilience par rapport au changement climatique. Une forme d’assurance récolte afin de maintenir une bonne productivité malgré un climat compliqué. Quoi qu’il arrive, « le rendement reste le roi ! » comme le disent nos amis anglais : c’est le diviseur des charges et il est d’autant plus stratégique que celles-ci sont élevées et que les cours sont hauts afin de continuer de garantir la meilleure marge par unité de production.
– L’ACS donne l’habitude du mouvement, du changement, de la remise en question et même du risque. Elle permet de mettre en place des scénarios opportunistes comme conserver et récolter le couvert, lorsque celui-ci passe l’hiver. Elle ouvre et prédispose à de nouvelles cultures et opportunités de productions. Elle débouche même sur de nouvelles collaborations entre voisins et/ou le retour de l’élevage pâturant en céréaliculture. Sa résilience et son adaptabilité vont certainement être de formidables atouts pour traverser cette période compliquée voire en profiter.
– Même si certains en doutent encore, l’ACS est enfin très performante en matière de mitigation du changement climatique. Immédiatement par la couverture des sols en été qui permet de limiter les points chauds, comme nous l’avons montré dans le numéro précédent de TCS, mais aussi à moyen terme par la « séquestration » de carbone via la photosynthèse. Avec l’urgence climatique, ces bénéfices vont continuer d’émerger et de s’imposer comme une évidence.
– L’ACS est enfin déjà effective dans la grande majorité des régions, des sols, des climats et des productions. De nombreux agriculteurs l’on adaptée à leurs conditions spécifiques et ont développé un savoir-faire qu’il convient aujourd’hui de simplement transférer et étendre.
Garder le cap
Ainsi et face à cette période de fortes turbulences dans laquelle nous sommes entrés, il faut garder le cap, même s’il faut continuer d’apprendre à naviguer par gros temps. En parallèle, ces conditions vont amplifier les grandes cohérences de l’ACS et forcer des évolutions logiques qui ne feront qu’accroître la résilience de nos approches à moyen terme. Seule une période de rupture peut engendrer de vrais changements et malgré les difficultés qu’elle génère, elle recèle toujours de nombreuses opportunités pour ceux qui savent anticiper !
L’ensemble de l’équipe de TCS vous offre ses meilleurs vœux et vous souhaite une bonne saison 2022.