Ce  slogan  mis  en  avant  depuis  maintenant  deux 
ans  par  le  ministère  de  l’agriculture  commence  à 
tracer son sillon. Même si pour certains « produire 
autrement »  semble  un  peu  flou  ou  pompeux,  il 
suffit  de  se  connecter  à  http://agriculture.gouv.fr/
Tout-ce-que-vous-devez-savoir-sur-l-agroecologie
pour s’en faire une idée assez claire. Sur le schéma 
qui  rappelle  étrangement  une  couverture  d’un 
ancien TCS (n° 40), on vante l’intérêt de réduire 
voire de supprimer le travail du sol, de le couvrir et 
de diversifier les cultures. Mieux encore, on parle de 
couverts végétaux et de sol vivant avec une activité 
biologique  qui  travaille  et  améliore  la  structure 
toute l’année. Nous n’allons pas nous plaindre de ce 
plagiat qui atteste que la direction que nous avons 
prise et soutenue depuis maintenant plus de 15 ans 
est reconnue, plébiscitée et même mise en avant. 
Cependant, l’extension de ces approches et pratiques à un plus 
grand nombre d’agriculteurs va entraîner d’autres changements 
profonds.  En  fait,  une  véritable  mutation  est  nécessaire  non 
seulement dans les fermes mais aussi au sein de toutes les strates 
de l’agriculture. Même si nous avons fait déjà un bon bout de 
chemin,  il  faut  accepter  que  « produire  autrement »  va  aussi 
exiger : 
– de conseiller, voire plutôt d’accompagner autrement. Bien 
qu’il soit toujours nécessaire d’avoir des spécialistes des produits 
phyto, des engrais, des semences, du machinisme et de la nutrition 
animale, la palette de compétences nécessaires est beaucoup plus 
large pour accompagner les agriculteurs dans cette quête pour plus 
d’efficacité  et  plus  d’intégration  des  fonctionnalités  du  vivant. 
Dans ces autres compétences à intégrer, il y a l’approche globale, 
des notions d’écologie mais aussi de sociologie car chaque cas est 
particulier et doit être géré en accord avec ses propres attentes 
en  lien  avec  son  environnement.  Cette  nouvelle  approche 
du  « conseil »  devrait  aussi  déboucher  sur  des  relations  plus 
partenariales que de type « top-down » purement commerciales ;
– d’informer autrement. Pris dans ce mouvement, les médias 
ou plutôt leurs modes de communication vont devoir évoluer. 
Plus que des recettes bien ficelées pour un plus grand nombre, 
les  agriculteurs  sont  à  la  recherche  d’exemples  concrets, 
d’explications  de  processus  biologiques  complexes,  d’expertises 
et  de  connaissances  pour  arbitrer  leurs  choix  au  quotidien  et 
progresser dans leurs pratiques. Internet, en permettant la mise 
en relation de réseaux qui peuvent s’entrecroiser sans nécessité 
de  proximité,  est  certainement  un  outil  très  important  dans 
le  soutien  du  développement  de  ces  nouveaux  systèmes  de 
production.  Informer  autrement,  c’est  aussi  ce  que  la  revue 
TCS  a  toujours  fait  et  continuera  de  faire  avec  le  sous-titre 
« Agronomie, Écologie et Innovation » ;
– de  rechercher  autrement.   Les  modes  de  production  ne 
peuvent  évoluer  massivement  sans  changement  au  niveau  de 
la  recherche  agronomique.  Dans  un  premier  temps,  il  est 
important de renforcer les liens déjà établis avec le terrain. Dans 
cette  nouvelle  direction,  l’agriculteur  doit  être  aussi  reconnu 
comme chercheur et une majorité de fermes comme des centres 
d’expérimentation. Il va falloir s’éloigner des statistiques et de la 
modélisation écrasante pour revenir aux cas particuliers. Le rôle 
de la recherche n’est plus de concevoir ni de valider des modes 
de  production  mais  d’apporter  des  connaissances 
fondamentales  et  d’expliquer  des  processus 
biologiques. Ce sont les intrants et les piliers des 
nouveaux systèmes de production que vont savoir 
intégrer habilement les agriculteurs et l’ensemble 
des  acteurs  de  terrain.  L’innovation  ne  peut 
pas se décréter ni sortir d’un laboratoire mais 
elle émane le plus souvent d’un « gentil bordel 
créatif » comme se plaît à le signaler Michel Griffon.
– de  former  autrement.   L’école  est  un  autre 
lieu  où  des  mutations  sont  nécessaires.  Rien  ne 
sert  d’enseigner  aux  jeunes,  futurs  agriculteurs, 
techniciens ou chercheurs, des itinéraires techniques 
qui sont déjà quasi obsolètes ou des comparaisons de 
techniques sans perspectives. Au contraire, comme 
ce  sont  les  développeurs  de  demain,  il  faut  leur 
apporter  un  maximum  d’ouverture,  les  former  à 
l’écologie (comme science), les abreuver d’exemples 
de  réussite  avec  une  diversité  de  réflexions, 
d’approches et de mise en œuvre. Il faut aussi les 
sortir de cette sinistrose et les faire rêver d’un avenir 
qui enchante : le nôtre mais aussi le leur qu’ils vont 
devoir construire.
–  d’encadrer  et  de  réglementer  autrement.  
Ce  changement  ne  pourra  pas  être  durable  sans 
modification  profonde  des  règles.  Comme  il  convient  de  faire 
confiance aux vers de terre pour remplacer le travail mécanique 
du  sol ;  il  faut  limiter  la  stratégie  du  « bâton »  et  surtout  le 
remplacer par beaucoup plus de « carottes » pour accompagner 
le  développement  de  ces  nouveaux  systèmes  de  production. 
À  l’instar  de  la  suppression  des  notes  à  l’école  qui  fait  débat 
aujourd’hui,  mieux  vaut  encourager  à  faire  bien  que  de  punir. 
Dans un premier temps, la terminologie couramment employée 
doit être revue. Les mg/l de nitrates doivent être convertis en kg 
d’azote, les couverts peuvent habilement remplacer les Cipan ou 
les effluents d’élevages peuvent devenir des engrais de ferme pour 
ne donner que quelques exemples. À ce titre, le cas des couverts 
végétaux  est  une  formidable  illustration  de  ce  changement  à 
mettre  en  œuvre.  Ils  se  sont  étendus  avec  engouement  dans 
les  réseaux  AC  qui  ont  en  plus  développé  des  connaissances 
nouvelles et un vrai savoir-faire alors que la version Cipan reste 
boudée par la grande majorité. 
– de  comptabiliser  et  de  fiscaliser  autrement  :  pour  finir  ce 
tour d’horizon, il convient de revoir les modes d’évaluation. Le 
rendement ou la marge brute, qui ne sont que des indicateurs 
partiels,  doivent  céder  leur  place  au  prix  de  revient  net  à  la 
tonne ou au litre (unité de vente). D’autres paramètres avancés 
(carburant/ha,  kg  de  N/ha  ou  par  tonne,  facture  phyto/ha, 
matières  organiques  produites  et  recyclées/ha/an,  diversité  des 
cultures…) doivent également permettre de déceler, au-delà des 
aspects purement économiques, si l’orientation et les pratiques 
mises en œuvre tendent à faire plus de durabilité et de résilience. 
À  ce  niveau,  la  fiscalité  doit  également  être  revisitée  pour 
encourager ceux qui s’investissent et prennent même des risques 
pour  les  autres.  Pourquoi  ne  serait-il  pas  possible  d’inscrire  en 
charge  une  dépense  pour  frais  de  recherche  et  développement 
ou de recevoir un crédit d’impôt pour un effort environnemental 
ou  la  fourniture  d’un  service  éco-systémique.  Ce  sont  autant 
d’indicateurs et d’éléments incitatifs qu’il ne faudra surtout pas 
oublier dans le package global.
Changer bien sûr, mais pour que l’impact soit réel au-delà des réseaux AC et que la France devienne le leader de l’Agroécologie en 2020 comme envisagé, il faut aussi initier beaucoup de changements en périphérie des exploitations agricoles. En modifiant nos pratiques pour préserver nos revenus et être plus écologisant, nous étions loin de penser que ces approches pourraient déclencher autant de bouleversements au sein du monde agricole et même dans notre société. Comme le disait Albert Einstein « La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent... L’imagination est plus importante que le savoir ». À bon entendeur et surtout meilleurs vœux pour 2015.

