Qui a déjà pensé à aller voir ce qui se passe dans une bouse ? Bon, je sais, vous passez certainement vos heures « libres » à autre chose… C’est à l’occasion d’une visite, à la maison, de Daniel et Christiane Rougon, entomologistes et professeurs de l’Université d’Orléans maintenant à la retraite, que j’ai eu l’occasion de regarder de plus près ce qui se passe à l’intérieur d’une bouse ou, plus exactement, d’un crottin… Nous avons comparé deux types de crottins : ceux issus d’un élevage de chevaux (le mien, en l’occurrence) et ceux de trois chevaux tarpans, vivant en semi-liberté à quelques km de là. Ces trois chevaux-là font partie d’un programme de sauvegarde de cette race très ancienne (le projet Tarpan) : la seule intervention humaine, sauf accident, consiste seulement à les surveiller. Ils ne sont donc pas, par exemple, vermifugés. Les miens si, à raison de trois vermifuges annuels (molécules employées, en alternance : ivermectine +/- praziquantel et fenbendazole).
Pour rappel, dans les excréments des animaux, vivent, notamment, des insectes coléoptères, les bousiers. Coprophages, ils vivent des excréments. Certains en font des boulettes qu’ils roulent mais la plupart vivent à l’intérieur de la bouse. Ils se nourrissent de la matière fécale mais en enduisent aussi leurs galeries qu’ils creusent à l’intérieur de cet habitat mais aussi dans les premiers cm du sol, parfois jusqu’à plusieurs dizaines de cm de profondeur. C’est dire s’ils participent activement à la décomposition des matières organiques et leur assimilation au niveau du sol. Ils font ainsi parti des premiers acteurs de la dégradation des MOS.
Le résultat de cette comparaison se passe presque de commentaires ! Dans les crottins « maison », on ne retrouve que 2 ou 3 espèces de bousiers, pas plus. Alors que dans les crottins des tarpans, çà grouille, tellement il y en a. A l’œil, il est très difficile de les identifier (ils sont très vifs !) mais notre célèbre entomologiste a, comme à son habitude, fait des prélèvements et compte s’attabler à leur identification prochaine. Toujours est-il qu’il y en a bien plus que dans les crottins de chevaux vermifugés et surtout, on y trouve des espèces sensibles à l’ivermectine. En comparaison, dans les crottins de chevaux régulièrement vermifugés, on trouve des espèces devenues résistantes à cette molécule. Ce qui confirme ce que l’entomologiste a pu observer par ailleurs et notamment dans des élevages de bovins ou d’ovins : la vermifugation n’agit pas que sur les vers intestinaux des animaux élevés mais aussi sur les insectes coprophages et leur diversité. On sait que chaque espèce présente a son rôle dans chaque écosystème. Un déséquilibre et toute la chaîne, tout le fonctionnement de l’écosystème est affecté. C’est la même chose ici. Un impact collatéral de la vermifugation qui a forcément des conséquences sur la fertilité globale des sols.
Il est évident, à l’image des pesticides, qu’on a trop forcé et qu’on force certainement toujours trop dans l’usage de ces produits. Il faut sans aucun doute raisonner autrement. Pas facile dans des contextes sanitaires souvent tendus où tout doit être clean et tracé ! Pourtant, d’autres pistes existent. Pour en avoir discuté en direct avec eux, des chercheurs planchent sur d’autres manières de raisonner la vermifugation des animaux, de manière à diminuer l’usage des molécules. Car, bien entendu, il n’y a pas que l’impact sur la fertilité des sols, impact de faible poids aux yeux de beaucoup, il y a surtout, pour eux, le développement de résistances ! Ainsi, en tous cas en ce qui concerne les chevaux, des scientifiques planchent sur un raisonnement de la vermifugation à partir des analyses de crottins pour éviter les traitements systématiques et d’ailleurs, souvent mal employés (pas les bonnes molécules par rapport à la cible, pas les bonnes périodes de traitement, pas les bonnes doses…)
On m’aurait dit que j’écrirais autant sur les bousiers…