Vendredi 6 mai 2022
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

LOMe - Légumineuses Oléagineux Méthanisation

C’est le projet sur lequel Eugène Triboi de l’INRA de Clermont-Ferrand (à la retraite depuis presque 20 ans) a travaillé pendant toute sa carrière : LOMe (Légumineuses, Oléagineux, Méthanisation).

Un essai de 26 ans

De 1968 à 1994, il a commencé par analyser la quantité d’azote que l’on pouvait recueillir dans le fourrage d’une luzerne pendant deux années de culture : 689 kg de N/ha (268 la première année et 421 la seconde). Ensuite, il a enchaîné par quatre cultures (blé/maïs/blé/orge) avant de revenir en luzerne. Lors de cette période céréalière, il a déterminé l’effet rémanent de la luzerne, c’est-à-dire l’azote supplémentaire que procurent deux années de luzerne via le sol sur les cultures suivantes. Après avoir suivi cinq cycles, il conclut sur un bénéfice supplémentaire de 202 kg N/ha (83/47/48/25) pour les quatre années de culture après les deux ans de luzerne.
Ainsi en additionnant l’azote de la biomasse et l’azote rémanent, E. Triboi démontre, avec ses recherches, un bénéfice azote de 891 kg N/ha pour seulement deux années de présence de la légumineuse : c’est tout de même un apport important compris entre 400 et 500 kg de N/ha/an !

Près d’une tonne d’azote pour deux années de luzerne

Apports en azote de deux ans d'un couvert de luzerne
Apports en azote de deux ans d’un couvert de luzerne

Non satisfait par ces premiers résultats encourageants, E. Triboi a ensuite réfléchi à un système de cultures autonome en azote qui fonctionnerait sur six ans avec deux ans de luzerne et quatre années de cultures. En cumulant les effets rémanents (200 kg de N/4 ans), l’azote contenu dans le fourrage de la luzerne (700 kg de N/4 ans), les 50 à 100 kg de N apportés par un couvert d’interculture et les 50 kg de N/ha apportés par une association ou une légumineuse graines en fin de cycle cultural, il obtient au total environ 1000 kg de N/ha. Cela représente environ 250 kg de N/ha/an pour les quatre années de production céréalière, un niveau de fourniture largement suffisant pour assurer la fertilisation de cultures productives, voire un stockage additionnel de carbone.
Enfin, hormis l’entrée d’azote, qui est loin d’être négligeable au tarif d’aujourd’hui, quelle est la rentabilité des deux années de luzerne et comment transfère-t-on habilement la fertilité ?

Ramener l’élevage

La première solution est de broyer et transférer la végétation mais c’est une manière coûteuse en travail, en énergie et pas vraiment efficace.
La seconde solution est d’alimenter des ruminants. Ils vont valoriser le fourrage et profiter de cette source de protéines de qualité. Comme ils rejettent en moyenne 80 % de l’azote ingéré, le fumier/lisier devient une source de fertilisant qui enrichit le statut azoté de l’exploitation, à condition que les engrais de ferme soient bien gérés sur des sols fonctionnels.

Finaliser par la méthanisation

Enfin, l’approche choisie et mise en avant par E. Triboi est la méthanisation. C’est le moyen de fournir de l’énergie verte pendant ces deux années de légumineuse pérenne tout en produisant un engrais naturel, complet, riche en azote, en potasse et en soufre qui peut être transféré aux bonnes périodes et en fonction des besoins, sur les cultures. Vu sous cet angle, l’agriculture pourrait redevenir « autonome » en énergie renouvelable et certainement productrice nette tout en fixant naturellement son azote et recyclant une bonne partie de sa fertilité. Lorsque l’on pense que ces mesures et propositions ont une bonne vingtaine d’années, il faut admettre le côté visionnaire d’E. Triboi.
Bien entendu, ce niveau de fourniture en azote et le recyclage de la fertilité comportent certainement quelques défis techniques qui doivent pouvoir être dépassés au vu des enjeux actuels. Il ne nous reste donc qu’à tester et mettre en œuvre LOMe !