À leur retour de congés, nos politiques comme beaucoup de concitoyens, ont découvert, un peu stupéfaits, que le prix des céréales pendant la période estivale s’était envolé. Cet emballement des cours, renforcé par des conditions climatiques extrêmes et désastreuses en France mais aussi dans de nombreux bassins de production d’Europe et du monde, était cependant prévisible. En effet, depuis plusieurs années, et comme nous l’avions présenté dans le dossier du TCS 41 (Changement global : les termes de l’équation), les stocks mondiaux ne cessaient de fondre avec une demande dopée par la boulimie des pays émergents et le développement des bio-énergies, avec en face une croissance de la production quelque peu en panne. Ainsi, les denrées agricoles suivent, avec un peu de retard, les tensions enregistrées sur les marchés des matières premières. Si la majorité des agriculteurs, hormis les éleveurs dans un premier temps, peut se réjouir de cette manne qui va compenser les pertes de rendements, réinjecter un peu de finance dans les filières et redonner de l’espoir à beaucoup, cette montée, somme toute, subite des cours ne va pas être sans d’importantes répercussions.
Même si cette hausse des céréales, mais aussi du lait,
commence à être en partie répercutée sur le prix de
l’alimentation, ce n’est qu’un début. Rapidement il
faudra bien que les cours de la viande et particulièrement ceux
du porc et de la volaille ou de l’oeuf suivent pour encaisser
l’augmentation du prix de l’aliment qui représente entre 40 et
60 % des coûts de production. Il va également falloir que les
contrats de légumes de plein champ, de semences et autres
productions mineures s’alignent pour rester attractifs. Pris dans
cette spirale haussière, le fameux panier de la ménagère risque
donc de ressentir sérieusement cette secousse dans l’hiver et
l’année prochaine. Il faudra faire preuve de beaucoup de
pédagogie pour expliquer qu’il n’y a pas d’inflation et que le
pouvoir d’achat est préservé !
Bien qu’ils aient presque doublé, les prix des céréales n’ont
cependant pas encore crevé les plafonds, ils sont
simplement revenus à leurs cours d’avant la Pac de 92
en euros constants : un juste retour. De plus, il ne faut pas
laisser les médias comme la grande distribution tomber dans
l’excès et stigmatiser la profession. À l’image du pain, où
seulement 5 % correspondent au prix du blé, la partie qui
revient réellement aux agriculteurs est de plus en plus faible
notamment avec le développement des produits transformés : le
doublement du prix du blé ne devrait donc entraîner qu’une
augmentation de 0,04 € sur la baguette. Par contre, cette forte
croissance du prix des denrées alimentaires de base va impacter
beaucoup plus les pays à faible niveau de vie et augmenter
sévèrement la pression sur les plus démunis.
Cette situation de raréfaction, alors que beaucoup et même de
grands négociateurs internationaux s’imaginaient que
l’abondance des produits agricoles était chose acquise, allant
jusqu’à remettre en question la pertinence du maintien d’une
agriculture productive en Europe et en France, repositionne
aussi l’agriculture comme une activité hautement
stratégique qu’il ne faudrait pas laisser se
« délocaliser » comme d’autres anciens
piliers de notre économie. Il est de
nouveau urgent de remettre sur la table
l’idée de souveraineté alimentaire. En
complément, ce petit « électrochoc »
montre qu’il est temps de considérer que
les lois du marché et l’ouverture à tout va,
bien qu’utiles et souhaitables, doivent être
encadrées pour éviter toute dérive et
l’aboutissement à des situations de
pénuries. Il vaut donc mieux anticiper
qu’attendre une situation de crise pour
réagir, et il ne suffit pas de remettre les
jachères en cultures, dont la majorité en
zones productives sont déjà cultivées, le
reste étant de toute manière à très faible
potentiel, ou libérer une partie des quotas
laitiers, pour rétablir la situation. L’activité
agricole fonctionne avec beaucoup plus
d’inertie et n’a jamais apprécié les grands
modèles mathématiques. Ce nouveau contexte apporte
cependant de nombreux arguments pertinents pour réfléchir à
une vraie réorganisation de la politique agricole commune.
Cet emballement des cours va également perturber et freiner
les « bioénergies » qui, si elles ont été positives en servant
d’accélérateur dans la résorption des stocks se
retrouvent aujourd’hui beaucoup moins rentables,
puisqu’elles étaient positionnées sur un marché d’excédents.
Encore une fois, et sans aborder la notion de bilan énergétique,
la voie de l’économie, de la valorisation des sous-produits est
beaucoup plus performante et durable que la transformation de
produits « nobles ».
Par ailleurs, au niveau des exploitations agricoles, s’il faut
profiter de cette période pour consolider une situation
financière voire investir dans des pratiques encore plus
économes, il convient d’éviter tout excès
d’enthousiasme et rester prudent. Bien que la raréfaction
des ressources soit structurelle et doive perdurer, nous ne
sommes pas à l’abri d’un réajustement ponctuel et brutal des
cours à l’image de la bulle informatique ou plus récemment
immobilière. De plus, les coûts de production et bien
évidemment ceux des semences, mais aussi des engrais, de
l’énergie, de la mécanisation auxquels vont venir s’additionner
des rattrapages de marges inévitables et logiques, vont suivre la
même tendance avec par contre plus d’inertie à la baisse. Sans
oublier qu’avec cette embellie, le spectre de l’ajustement voire
de la suppression de tout ou partie des aides européennes est
plus que probable.
Enfin et au-delà des incidences économiques, cette hausse brutale du prix des céréales est le signal d’un changement beaucoup plus fondamental. Nous sommes entrés, qu’on le veuille ou non, dans une nouvelle ère où la raréfaction progressive des ressources, de l’énergie aux denrées alimentaires, va bouleverser nos économies, nos modes de vie mais également nos modes de production. Cette évolution ne se fera pas sans heurts ni grands bouleversements, mais l’agriculture tiendra certainement une place de choix dans cette nouvelle organisation. Ce qui est certain, c’est qu’elle devra rester très productive tout en préservant les ressources et l’environnement et surtout être le plus efficace possible : un concept depuis longtemps intégré par l’agriculture de conservation.