Il nous aura fallu 25 ans pour ancrer l’ACS mais tant reste à faire !

La revue TCS, toujours aussi engagée

Née d’une utopie animée par un petit groupe de « rebelles », votre revue favorite signe aujourd’hui, avec ce n°125, ses 25 ans, sans vraiment avoir pris une ride. Elle est toujours engagée pour mettre en avant l’ACS mais surtout apporter un contenu technique et agronomique afin que vous puissiez continuer de faire évoluer vos systèmes de production vers plus d’efficience, sans pour autant s’écarter des fondamentaux du départ : réduction voire suppression du travail du sol, couverture végétale vivante ou morte et diversité des cultures. L’histoire de la revue TCS accompagne et reflète le développement des pratiques ACS sur le territoire mais aussi l’évolution des pratiques et des approches agronomiques. Elle a supporté le semis direct aux timides couverts du début alors que 5-8 t de MS/ha voire plus ne sont plus une surprise aujourd’hui. Une meilleure connaissance des espèces, des conditions de réussite et le déploiement de la méthode MERCI ont bien aidé. En complément, les réseaux ont été très moteurs et innovants, notamment avec les plantes compagnes en colza. Enfin, l’élevage pâturant commence même à devenir une tendance dans les fermes ACS.

La voie du raisonnable

En fait, tous ces changements d’approche et ces réussites, qui se voient dans les champs, se constatent dans les comptes de résultat, donnent envie et ont imposé une troisième voie dans le paysage agricole français et européen malgré un soutien scientifique timide, sans vraiment d’aides financières et sans compter quelques menaces comme la suppression du glyphosate.
Non sans mal et avec ses tergiversations politiques, ce dossier semble maintenant clos pour une bonne dizaine d’années. Cette décision pour laquelle nous avons toujours milité et que nous attendions avec impatience va changer la perception de l’ACS et mettre en avant l’ensemble de sa cohérence dans les débats. Il y a, bien entendu, les risques de restrictions d’usages qui sont déjà bien en place mais sans alternatives crédibles en non-labour, le glyphosate devrait rester. Par ailleurs, cette ré-homologation va continuer d’entraîner une crispation des « antis » qui vont redoubler d’ingéniosité dans leur lutte. Cependant, c’est la voie du raisonnable avec une analyse risques vs bénéfices qui s’est imposée et qui devrait toujours présager. Cette situation inédite depuis 2015-2016, depuis que nous vivions avec cette incertitude, va aussi libérer ceux qui attendaient par peur de s’engager dans une voie sans issue. Elle devrait débrider une partie de la recherche pour mieux analyser les bénéfices agroécologiques afin d’accompagner cette transition déjà bien amorcée. Si cette position historique nous offre une belle ouverture, associée à une certaine lisibilité, elle nous contraint cependant de continuer à travailler ensemble pour dégager encore plus d’efficience, de cohérence écologique et de bénéfices agro-environnementaux afin de gagner en crédibilité. Malgré les bases solides que nous avons bâties ensemble, les chantiers restent énormes ; de quoi remplir encore quelques dizaines de numéros de TCS…
Dans un premier temps, il faut affirmer que ce sont les réseaux ACS, même s’ils sont les premiers utilisateurs de glyphosate, qui ont permis une forte réduction des doses appliquées en qualifiant la pulvérisation, réduisant fortement les volumes d’eau et aussi en travaillant sur des adjuvants. Ce sont encore ces mêmes agriculteurs qui ont mis en avant la destruction des couverts par roulage et qui continuent de réfléchir et tester des enchaînements sans nécessité de glyphosate. Qu’on se rassure, ce ne sont pas les travaux sur les alternatives qui manquent mais plutôt les solutions efficaces. Mis à part le travail du sol, que nous cherchons à proscrire vu le coût mais aussi les nuisances qu’il entraîne, aucune solution, malgré la recherche en France mais aussi dans de nombreux pays pour trouver des alternatives, ne s’est vraiment imposée. Que ce soit le fait de passer des sols en surface aux micro-ondes, l’électroherbe (destruction par courant électrique) ou le Weed Blaster (destruction par sablage de poussières organiques), ces solutions n’ont pas vraiment trouvé de public et ont même prouvé avoir plus d’impacts négatifs, même si ce n’était pas vraiment les mêmes, que le glyphosate.
En complément, il y a 3 ans, les Allemands de l’université de Tübingen nous ont fait croire à un herbicide naturel à base de sucres produit par une cyanobactérie mais depuis, rien a filtré. Ensuite, des chercheurs de Gembloux en Belgique ont annoncé vouloir commercialiser rapidement 3 bio-herbicides à base d’huiles essentielles censés remplacer le glyphosate. Plus récemment, un produit « Harpe Bio Herbicide » est proposé aux USA en agriculture conventionnelle comme en AB. Il s’agirait d’un mélange d’extraits de plantes au profil biodégradable. Cependant, les premiers essais nous remontent une efficacité pas plus performante que le Beloukha qui a plus évolué vers le défanage de la pomme de terre et l’épamprage de la vigne.
Même si rien n’est encore disponible aujourd’hui, cette fenêtre nous permet de continuer d’avancer en attendant peut-être cette ouverture qui devra être à un prix raisonnable. En toute honnêteté, il sera toujours nécessaire, en production céréalière, de détruire/brûler la végétation en place avant d’en installer une autre. En l’absence de travail du sol, la voie chimique ou pseudo-chimique reste la plus réaliste.

Une nouvelle ouverture avec le semis à la volée ?

Au niveau des couverts végétaux, beaucoup a déjà été réalisé et les réussites dans les champs l’attestent aujourd’hui, malgré les conditions climatiques compliquées de ces dernières années. Cependant le semis à la volée avant moisson pourrait bien être la nouvelle ouverture. La visite de plusieurs plateformes cet automne semées entre 10 et 15 jours avant moisson avec des semences enrobées, lestées et conditionnées avec des résultats plus qu’encourageants pour certaines espèces comme les crucifères, les mohas et les vesces, semble permettre de contourner certains défis rencontrés par ce mode d’implantation. Outre une économie supplémentaire (épandeur d’engrais contre semoir), une gestion des pailles facilitée et une production de biomasse supérieure, ces expérimentations ont démontré une très bonne gestion des repousses et même du salissement. Cette réussite pour les implantations d’été, si elle se confirme, devrait ensuite faire écho sur les implantations de couverts en fin de végétation en maïs où nous avons encore ici un grand défi pour récupérer habilement la minéralisation d’automne. Bien entendu aussi performantes pourront être ces technologies, elles fonctionneront d’autant mieux que le sol est poreux et granuleux en surface comme peuvent le fournir des parcelles avec un bon recul ACS.
La double récolte ou 3 récoltes en 2 ans devient de plus en plus un objectif atteignable dans beaucoup de régions. La réussite des couverts, qui a appris à semer vite et bien sitôt le passage de la moissonneuse-batteuse pour mieux gérer l’humidité résiduelle, l’extension des saisons par le réchauffement climatique et une adaptation de la génétique, devraient permettre de progressivement généraliser ces pratiques. 3 récoltes en 2 ans, c’est certainement un gain de productivité sans pour autant une augmentation des coûts, hormis la moisson, car la seconde culture prend la place des couverts tout en jouant en grande partie son rôle agronomique. 3 cultures en 2 ans c’est également le moyen de donner plus de place à des cultures mineures difficiles à rentabiliser en culture principale ou des cultures énergétiques. 3 cultures en 2 ans, c’est enfin une belle opportunité de doper la diversité biologique et limiter les risques ravageurs, salissement mais aussi climatiques.
Cette orientation nous conduira certainement à explorer des approches encore plus engagées comme le relay-cropping développé par des pionniers américains, bien qu’il faille anticiper, organiser la circulation de la mécanisation et aussi adapter les stratégies de désherbage.

Continuer à explorer les semis précoces de céréales

Les implantations précoces de céréale et le blé associé ne sont pas encore une technique qui a trouvé sa place dans la boite à outils ACS bien qu’elle recèle de nombreux intérêts. Encore plus que pour les colzas, c’est certainement un bon moyen de recycler et de colporter l’azote de l’automne, qui risque de nous échapper, au printemps suivant où il devient précieux. C’est peut-être un moyen habile de leurrer les pucerons et de mieux nourrir l’activité biologique. Même si les Suisses, qui ont réussi cette aventure sur la station de recherche d’Oberacker, nous ont déjà démontré la grande utilité du broyage d’automne, nous devons continuer d’explorer cette idée et certainement mieux choisir les cultures précédentes afin de se soustraire des soucis de salissement qui viennent souvent jouer les trouble-fêtes.
Les questions de fertilité commencent à être mieux cernées. L’humus, substance noble et essentielle au bon fonctionnement des sols, est progressivement devenu « les matières organiques ». Bien que beaucoup de zones d’ombre persistent, nous comprenons beaucoup mieux aujourd’hui la différence entre matières organiques liées assurant le fonctionnement et la cohésion du sol et les matières organiques libres qui sont l’alimentation de l’activité biologique mais aussi déterminent les retours de fertilité. Nous sommes convaincus de la nécessité de développer une approche d’alimentation des sols avec de la biomasse en quantité mais aussi de qualité (rapport C/N) tout en maintenant une continuité. Nous avons enfin appris à nos dépens que l’auto-fertilité est envisageable et peut fournir des économies substantielles mais elle se construit pas à pas. Enfin, il ne faut pas que cet engouement pour l’organo-biologique nous fasse oublier que des ressources minérales sont exportées avec nos récoltes et qu’il est indispensable d’en retourner, surtout avec une croissance organique qui est immobilisatrice d’azote mais pas seulement.
Malgré toutes ces avancées, aujourd’hui, notre plus grande difficulté en matière de fertilité est d’imiter la minéralisation qu’apporte le travail du sol au moment du semis. Si la fertilisation localisée est le moyen largement utilisé malgré des complications en matière d’équipement et de logistique, le déclenchement d’une forme de « priming effect » autour de la graine serait un plus qui sécuriserait beaucoup d’implantations. De nombreuses entreprises travaillent sur ce sujet et nous devrions enfin voir arriver des solutions intéressantes assez rapidement.

L’ACS séduit de plus en plus d’éleveurs

Alors qu’à son origine l’ACS était plutôt éloignée de l’élevage, il faut admettre aujourd’hui que la réintroduction d’animaux pâturant dans quelques exploitations commence à faire écho alors que les éleveurs plus traditionnels continuent de démissionner. Si l’approche qualité du sol, qualité de l’aliment et santé de l’animal est une bonne base, la réflexion est avant tout économique. En effet, les couverts après céréales apportent souvent presque plus de biomasse de qualité que les prairies à l’année. De plus, ce fourrage diversifié est facilement pâturable et arrive à une période stratégique où souvent, les éleveurs sont déjà obligés de distribuer leurs stocks. Apportant d’importantes économies, une bien meilleure valorisation de la fertilité via une gestion différente des effluents tout en fournissant une alimentation complémentaire l’été, avec un savoir-faire développé par encore des pionniers en ACS, l’Agriculture de Conservation des Sols peut séduire aujourd’hui une bonne partie des éleveurs. Il y a également fort à parier que ces pratiques, remettant les animaux dans leur contexte, réduisent également leurs impacts environnementaux.

Le dossier carbone risque de continuer à nous surprendre

L’axe carbone fait partie depuis très longtemps de notre argumentaire à tel point que Nicolas Hulot avait même fait référence à un article de TCS (N°19 d’octobre-novembre 2002) dans son livre « le Syndrome du Titanic » sorti en 2004. Sans s’apitoyer sur ce temps précieux perdu où le 4/000 de S. Le Foll, l’idée que l’agriculture et surtout l’Agriculture de Conservation de Sols puisse « séquestrer » du carbone atmosphérique et participer activement à la limitation du dérèglement climatique a fait son chemin et des agriculteurs commencent même à recevoir leurs premiers paiements carbone. Outre qu’il s’agisse d’une belle revanche sur ceux qui voudraient cataloguer l’agriculture et surtout cette agriculture comme néfaste pour la planète, le carbone et surtout l’équivalent CO2 va permettre d’établir de vraies mesures et d’apporter du réalisme dans ce débat. Ce dossier, malgré tout récent, risque de continuer à nous surprendre et surtout de mettre en avant l’ACS vis-à-vis du grand public.
Toujours en matière d’atténuation du réchauffement climatique, la couverture des sols en été par des cultures et/ou des couverts performants commence à montrer toute sa force de maintien de températures « fraîches » et de gestion des cycles de l’eau et des pluies en opposition à des sols nus et travaillés. Enfin, et certaines compagnies d’assurance très impactées par le niveau des dégâts à indemniser notamment lors des inondations, commencent à considérer qu’il serait peut-être plus judicieux d’investir en amont dans nos formes d’agriculture plutôt que de rester passif et de se contenter d’augmenter sans fin les contributions. Nous aurons prochainement de nouveaux alliés et pas des moindres dans ce combat pour l’amélioration de l’environnement et surtout la limitation du réchauffement climatique même si, au-delà du carbone, c’est certainement le prix et l’accès à l’énergie qui risquent de modifier profondément nos modes de production mais aussi nos modes de vie !

Sortir des laboratoires

Enfin, la complexité d’aborder les questions agronomiques, économiques et environnementales de manière systémique est en train de complètement perturber l’approche « en silo » classique de la recherche. À ce niveau, l’ACS a déjà obligé beaucoup de travaux à sortir des laboratoires et des stations de recherche pour s’appuyer sur des mesures et évaluations réalisées sur des exploitations réelles et en mouvement. Bien que compliquées à collecter, moins précises, plus complexes à agréger statistiquement et même quelques fois déstabilisantes, ces données reflètent la vie réelle des exploitations agricoles. Des coopératives ou autres groupes ont déjà et sont en train de développer en parallèle des formes de réseaux d’expérimentation et recherche de plein champ conduits en collaboration avec des agriculteurs impliqués. Il y a fort à parier que ces nouveaux arrangements et combinaisons qui, outre redonner aux agriculteurs la place qu’ils méritent dans le développement, permettront d’accélérer un flux d’innovations agronomiques réalistes mais aussi leur diffusion et leurs adaptations locales.
Au vu de ces éléments, l’ouverture qu’apporte la ré-homologation du glyphosate repositionne l’ACS comme moteur de la recherche agronomique et devrait entraîner un réel basculement des pratiques pour le bénéfice de tous. Avec ce bilan plutôt encourageant, l’ensemble de l’équipe de TCS vous offre ses meilleurs vœux et vous souhaite une bonne saison 2024.


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