Dans les grandes plaines du Nord Dakota, parmi les exploitations qu’il suit, J. D. Fuhrer épaule le Brown’s Ranch, exploitation de 2 000 ha gérée par Gabe Brown1, dans le comté du Burleigh. « Son objectif est la durabilité de son système d’exploitation. Il la recherche, en premier lieu, à travers la qualité et la santé de ses sols », explique l’agronome. Dans ce secteur du Nord Dakota, nous sommes dans une zone de prairies semi-arides, au climat froid et sec. La pluviométrie annuelle ne dépasse pas, en moyenne, les 410 mm.
Une alimentation du sol équilibrée
J. D. Fuhrer décrit la situation
initiale de la ferme, ainsi (début
des années 90) : un taux de
matières organiques inférieur à
2 % ; des sols riches en limons
avec une vitesse d’infiltration de
l’eau minimale, un travail profond
et systématique à l’automne,
une très faible diversité des
cultures et une rotation toute
aussi pauvre avec, les 40 dernières
années, une succession
jachère cultivée et blé ; le reste
de l’assolement étant consacré
à la prairie permanente. « Après
quatre années de réelle misère, au
début des années 90, G. Brown a
décidé de changer radicalement de
conduite. En 1993, il a acheté son
premier semoir de semis direct »,
indique J. D. Fuhrer.
Mais au-delà de la seule simplification
du travail du sol,
l’agriculteur a, d’emblée, décidé
de revoir l’ensemble de son assolement
en l’enrichissant au
maximum. « Un sol est vivant.
Il faut le nourrir mais pas n’importe
comment. Son alimentation
doit être équilibrée, explique-t-il.
Pour cela, je veux me rapprocher
du fonctionnement de l’écosystème
prairial, celui des prairies naturelles
d’ici, les Rangeland. Ainsi, la
diversité aérienne favorise celle des
racines et donc toute la vie qui va
avec, comme les mycorhizes. »
L’agriculteur apporte donc un
maximum de biomasse, très variée,
que ce soit en culture ou en
interculture. Aujourd’hui, pas
moins de 30 plantes, voire 40,
sont présentes, sur une année,
sur la ferme. Elles sont rarement
cultivées seules mais plutôt en
association d’espèces. G. Brown
prend garde à inclure, dans sa
rotation, à la fois des graminées
estivales et des dicotylédones
hivernales. Et, bien entendu, les
légumineuses, occupent, dans ce
système, une place importante.
En voici quelques exemples.
– Maïs semé en accompagnement
de vesce velue et précédé
d’un couvert de seigle, triticale
et vesce. Au printemps, un passage
de glyphosate supprime les
céréales et calme la vesce. Le
maïs est semé dedans, en direct.
Il ne reçoit aucun engrais minéral,
si ce n’est en starter au semis
(l’exploitation est généreusement
alimentée en fumier). En
2008, ce type de maïs a produit
le meilleur rendement pour la
région, entre 70 et 75 q/ha, en
sec ; rendement équivalent à un
maïs fertilisé normalement (engrais
minéral).
– Toujours dans le maïs, semis
de pois ou de soja, dans les inter-
lignes, après la dernière application
herbicide. Pour cela,
G. Brown s’est aménagé un semoir
spécifique en 7 rangs.
– Orge semée en direct dans
un trèfle incarnat qui sert, à
l’automne, de couvert végétal.
– Pois et vesce velue cultivés
ensemble car bénéficiant du
même inoculat.
– G. Brown sème aussi des
mélanges plus « sophistiqués »
comme l’association triticale,
trèfle incarnat, vesce velue et
sweet clover (un trèfle). « C’est
un mélange étagé, qui occupe efficacement,
tous les espaces libres »,
argumente l’agronome. Et c’est
un moyen de diminuer la part
de maïs ensilage. Plus récemment,
l’agriculteur a également
introduit le mélange avoine-pois
fourrager-raves-radis-trèfle
incarnat et vesce velue. Semé
en avril, le mélange a été récolté
en août, avec un résultat
légèrement inférieur à du maïs
ensilage mais très honorable, de
40 tonnes vertes/ha.
Les couverts sont pâturés
La liste des mélanges réalisés sur le Brown’s Ranch ne peut pas être exhaustive. Elle s’adapte sans cesse. Elle est grandement valorisée par l’élevage. Quand les mélanges, en culture ou en couvert, ne sont pas récoltés (en foin ou en ensilage), ils sont tout bonnement pâturés. C’est le cas des couverts d’été. « Ainsi, nous avons augmenté la surface de pâturage sur l’exploitation. Nous avons aussi remarqué que lorsqu’il y avait pâturage du couvert, la culture suivante produisait mieux. Outre l’apport gratuit de fumier, le piétinement, par la remise à plat de l’herbe (nous faisons pâturer l’herbe haute), permet un retour plus important de carbone au sol. Par contre, nous essayons de ne jamais faire consommer plus de la moitié d’un couvert. Le printemps suivant, la culture est ainsi semée dans le reste de la couverture », explique l’agriculteur au travers de J. D. Fuhrer. Celui-ci rajoute : « Depuis cette année, G. Brown n’utilise plus de roulettes étoiles sur son semoir pour écarter les résidus. Il suffit d’un bon réglage des disques pour les couper. Bien entendu, l’hiver du Nord Dakota faisant, en plus d’un très bon fonctionnement du sol, les résidus ne sont plus si volumineux à l’arrivée du printemps. » L’agronome avoue aussi, devant cette vitesse de dégradation devenue importante, commencer à choisir des résidus à C/N plus élevé. Si les teneurs en matières organiques étaient inférieures ou égales à 2 % il y a 15 ans, elles se situent aujourd’hui entre 3,7 et 4,3 %. « Un gain de 2 % de matières organiques, c’est entre 40 et 60 kg N/ha/an fournis en plus naturellement par le sol ! », évoque l’agronome. « C’est aussi, pour 1 % de matières organiques en plus, 12 mm de RFU supplémentaires pour chaque 30 cm de sol », ajoute-t-il.
Si, au départ, l’exploitation n’a rien changé en matière de fertilisation ni de désherbage, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle a réduit sa consommation d’engrais de 90 % et d’herbicides de 75 % ! Certaines parcelles ne reçoivent pas d’herbicides durant trois ans. Les insecticides et les fongicides ont été complètement supprimés. « Les analyses faites régulièrement ne nous montrent pourtant aucune carence », indique l’Américain. Comme si les plantes trouvaient, aujourd’hui, l’essentiel de leurs besoins, naturellement. De même, si, dans cette région, le manque d’eau est une préoccupation majeure pour les céréaliers, elle ne l’est plus pour G. Brown.