En France, on considère souvent, à tort, que le développement des Techniques Culturales Sans Labour (TCSL) est récent. Dans la pratique, ces techniques d’implantation se sont développées dès la fin des années 60. L’extension des surfaces est cependant restée limitée dans les années 70 et elles ont quasiment disparu dans les années 80. Le choc psychologique provoqué par la PAC au début des années 90 a favorisé le développement des TCSL. Ces dernières se sont même fortement étendues ces 5 dernières années. Les TCSL peuvent prendre en France des formes très différentes, avec des degrés de simplification du travail du sol très variés. Les TCSL peuvent inclure plusieurs passages d’outils, certains réalisant un travail superficiel et d’autres un travail profond sans retournement du sol, par opposition au labour. Les TCSL peuvent aussi correspondre à du semis direct qui exclut tout travail du sol et se limite au semis.
Quel que soit le pays, la suppression ou la réduction du travail du sol n’est pas sans poser de problèmes techniques à résoudre. Par exemple, une évolution technologique des machines agricoles a été nécessaire afin de s’adapter à la présence de débris végétaux en surface qui peuvent contrarier la qualité de semis. Certaines conséquences agronomiques de la réduction du travail du sol doivent également être gérées, comme la maîtrise des adventices qui peut être plus complexe. Le concept d’agriculture de conservation (des sols) a été développé, à l’origine sur le continent américain, dans l’optique de garantir la pérennité des systèmes de cultures et leur efficacité dans la lutte contre l’érosion. C’est une approche systémique permettant d’appréhender les conséquences de la simplification du travail du sol, qu’elles soient positives comme une réduction suffisante de l’érosion ou négatives comme la maîtrise des adventices. L’agriculture de conservation décrit une conduite idéale du système de culture dans des contextes très érosifs. Elle intègre l’adaptation des rotations, en incluant les cultures et d’éventuels couverts végétaux, afin de gérer le parasitisme des cultures ou encore un niveau de couverture du sol suffisant pour réduire l’érosion.
Le développement récent des TCSL en France, et en particulier si ces techniques devaient encore se développer, interroge sur leurs conséquences à court, moyen et long termes sur l’environnement. L’ADEME, ARVALIS-Institut du végétal, l’INRA, le groupe « Chambres d’agriculture », l’AREAS, le CETIOM, l’ITB et l’IFVV se sont associés pour répondre à cette question en conduisant cette étude. Son objectif est d’aboutir à une vision d’ensemble de l’état des connaissances actuelles des impacts environnementaux des TCSL. Cette étude s’est appuyée au maximum sur des références bibliographiques françaises ou sur des résultats d’essais français. En complément, certaines publications européennes ou nord-américaines ont été valorisées. L’étude s’est attachée à conclure quant aux impacts environnementaux des TCSL dans nos conditions pédo-climatiques. Cette étude ne traite par contre pas de certains aspects des TCSL, comme des motivations associées au développement de ces techniques, par exemple certains aspects socio-économiques, ou de leurs conséquences sur les cultures. Le choix des sources d’informations, concentré sur les références bibliographiques et les résultats d’essais nationaux disponibles, avec quelques compléments indispensables de publications européennes ou nord-américaines, a un impact sur la portée de cette étude. Le souci de privilégier ainsi la sécurité quant à la qualité d’informations scientifiquement reconnues, et pertinentes pour appréhender la réalité nationale, a une contrepartie. Il s’agit du nombre limité des références disponibles et de la non prise en compte de données et savoirs techniques moins formalisés ou certifiés. Les corollaires sont une capacité réduite à tenir compte de la variabilité des situations et une interrogation critique nécessaire sur le caractère généralisable les résultats analysés. L’évolution rapide des techniques et des pratiques implique d’appliquer ce questionnement à l’actualité des références, produits de protocoles d’expérimentation ou d’observation inéluctablement en décalage par rapport à la représentation d’une réalité présente.
Cette étude se décline en trois parties :
1. Un état des lieux des pratiques de travail du sol en France est présenté dans la première partie. Une synthèse de différentes enquêtes disponibles a permis de faire un état du développement actuel des TCSL, de leur dynamique et des situations agronomiques où elles sont les plus fréquentes. Quelques impacts du travail du sol sur la conduite du système de cultures (cultures intermédiaires, intrants…) sont également pris en compte, dans la limite des données disponibles. Un point est également fait sur la terminologie relative au travail du sol pour caler quelques définitions, en préalable à cette étude. 2. L’état des connaissances actuelles des impacts environnementaux des TCSL en France est présenté dans la deuxième partie. Pour atteindre cet objectif, six groupes de travail ont été mis en place pour traiter de l’azote, du phosphore, des produits de protection des cultures, de l’érosion, des gaz à effet de serre, enfin de la qualité des sols et de la biodiversité. Pour chacun de ces sujets, les auteurs ont élaboré une synthèse de « l’état de la connaissance » à partir de publications internationales et de résultats, publiés ou non, d’essais conduits en France. Un deuxième niveau de synthèse s’est attaché à consolider les connaissances par grand type de milieu : préservation des sols et biodiversité ; qualité de l’eau ; qualité de l’air et effet de serre ; préservation des ressources et des matières premières. L’impact des TCSL sur la qualité des productions est aussi traité dans ce chapitre. 3. La troisième partie de l’étude a consisté à réaliser un diagnostic des impacts environnementaux des TCSL appliqué à 3 milieux pédo-climatiques très différents : les Pays de la Loire, la Champagne berrichonne et le Lauragais. L’objectif de cet exercice est d’illustrer les synthèses bibliographiques qui ont été réalisées avec des exemples concrets très différents. C’est aussi un test de la capacité à extrapoler les connaissances acquises, y compris en tentant de les appliquer à des situations où n’existent pas de références.
Des TCSL sur un tiers des surfaces de grandes cultures en 2005
Afin de quantifier le développement des techniques culturales sans labour en France, différentes enquêtes culturales ont été analysées : SCEES, ONIGC, Du Pont, ANPP-Columa, CETIOM, ITB, CAT51-CDER. La synthèse de ces données fait d’abord ressortir un fort développement de la pratique des TCSL ces 3-4 dernières années. Les surfaces concernées représentent environ 35% des surfaces des grandes cultures en 2005. Les surfaces non retournées seraient d’environ 45% pour le blé et le colza. Cette proportion est plus faible et variable selon les cultures de printemps (10 à 30%). Différents facteurs peuvent expliquer le développement des TCSL. La réduction du temps du travail est une motivation forte. Le contexte climatique plutôt sec de ces derniers automnes peut aussi avoir favorisé en partie les TCSL (labours difficiles à réaliser, bonnes conditions pour mettre en œuvre les TCSL…).
Les TCSL sont présentes partout en France, quels que soient les cultures, les sols ou les régions… Certains facteurs favorisant la suppression du retournement du sol apparaissent dans nos enquêtes : sols argilo-calcaires, régions du grand sud-ouest, cultures d’automne, exploitations de plus grande taille que la moyenne. Inversement, les sols peu argileux, les cultures de printemps ou des régions au climat humide (bordure de la Manche) ont tendance à moins pratiquer les TCSL. La présence d’élevage sur l’exploitation est rarement renseignée dans les enquêtes grandes cultures mais quelques indicateurs comme l’apport d’engrais de ferme ou l’exportation des pailles ne semblent pas avoir d’incidence sur la fréquence des TCSL.
Nous disposons de peu de détails sur les itinéraires de travail du sol, y compris avec labour. Les données disponibles montrent un travail sans labour incluant majoritairement un travail profond avant des cultures de printemps comme la betterave ou le tournesol. Avant des céréales d’automne, les TCSL se pratiquent essentiellement avec un travail du sol limité aux 8 premiers centimètres. Les itinéraires ne se « simplifient » pas trop pour autant dans la mesure où le nombre de déchaumages a tendance à augmenter de 0.5 passage par hectare et par an en non labour.
Nous ne disposons quasiment d’aucune donnée sur la pratique à long terme des TCSL. Les enquêtes quantitatives disponibles ne donnent une photographie des pratiques qu’en ayant des renseignements sur une seule année. Les enquêtes qualitatives ont mieux pris en compte les pratiques sur plusieurs années mais sont malheureusement rarement représentatives. Nous savons que parmi les parcelles implantées sans labour, les TCSL occasionnelles y dominent. Nous ne disposons cependant pas de statistiques pour en donner une proportion.
La dominance des TCSL occasionnelles, associée à un travail du sol sans labour qui fait encore largement appel à des opérations mécaniques d’outils de travail du sol, limite les enjeux liés au développement actuel des TCSL. La simplification des itinéraires n’est que limitée et la majorité des parcelles alternent encore labour et TCSL selon les années. Les gains potentiels sur les économies d’énergie par exemple ou les risques de développement d’adventices sont donc finalement largement atténués par ces constats. Par contraste, les synthèses bibliographiques ont largement reposé sur des études où les pratiques de travail du sol sont comparées à moyen ou long terme sur les mêmes parcelles. Les modes de travail du sol sont également extrémisés, avec par exemple une forte représentation du semis direct dans l’expérimentation, contrairement à ce qui est observé dans les exploitations agricoles.
Quelques enquêtes montrent une légère évolution de la gestion du système de culture. Certaines pratiques (date de semis, fertilisation, insecticides…) évoluent peu avec le mode de travail du sol. La couverture automnale des sols (cultures intermédiaires) devient un peu plus fréquente en TCSL. Au niveau phytosanitaire, les pratiques de désherbage évoluent. Les herbicides non sélectifs et les anti-graminées deviennent un peu plus fréquents. Le type de molécule utilisée peut aussi évoluer, comme dans le cas des herbicides céréales. Certains moyens de lutte agronomique contre les adventices évoluent aussi, avec notamment une hausse du nombre de déchaumages en non labour.
Ce travail de synthèse d’enquêtes met aussi en évidence de nombreuses lacunes dans nos connaissances. L’absence de données sur le travail du sol pratiqué les années précédant l’année d’enquête nous pose problème dans la mesure où certaines évolutions agronomiques se manifestent principalement au bout de 3-4 années de non retournement continu du sol. C’est le cas par exemple de l’évolution de la flore et du désherbage. L’absence de données récentes sur certaines cultures (orges, pois, maïs…) rend notre vision des pratiques de travail du sol sur ces cultures totalement obsolètes, étant donné la rapidité du développement des TCSL. Les résultats d’enquêtes de 2001 paraissent déjà obsolètes sur certaines pratiques ayant évolué elles aussi ces dernières années, comme l’implantation des cultures intermédiaires. Nous pouvons également noter l’absence de renseignements sur le type de sol dans de nombreuses enquêtes alors que c’est une base fondamentale en agronomie. La même remarque peut être formulée à propos de la rotation de cultures sur la parcelle. La distinction entre parcelles labourées ou non est également trop simplificatrice. Des renseignements simples sur la profondeur de travail et le nombre de passages permettraient d’affiner nos connaissances des pratiques et de leurs conséquences.
Des impacts à resituer par type de sol et système de culture
Les synthèses bibliographiques réalisées par six groupes de travail (azote, phosphore, produits de protection des cultures, érosion, gaz à effet de serre, qualité des sols et biodiversité) mettent en évidence que le travail du sol a des impacts environnementaux. De nombreux indicateurs ont été pris en compte et les effets des TCSL peuvent s’avérer contradictoires de l’un à l’autre. Quelques tendances se dégagent :
1. Les connaissances dans certains domaines sont très limitées et ne permettent pas de conclure quant à l’effet du travail du sol. De manière générale, les émissions de gaz dans l’atmosphère sont mal connues, étant donné les difficultés à les mesurer. Il n’y a pas suffisamment de données pour émettre un avis pertinent quant à l’impact des TCSL sur la volatilisation d’ammoniac ou de produits de protection des cultures. Elles sont à peine plus importantes pour des gaz comme les NO, NO2 et N2O. Il est également difficile de conclure concernant l’effet du travail du sol sur la contamination du sol, par les produits de protection des plantes ou les éléments traces métalliques.
2. Certains indicateurs environnementaux sont peu modifiés par le travail du sol dans la majorité des cas. Il s’agit par exemple de l’usage des ressources (hors énergie) ou de la qualité technologique des productions. La modification de la minéralisation des matières organiques est suffisamment limitée pour expliquer aussi un impact faible sur les fuites de nitrates dans les eaux. Les répercussions des TCSL sur le stock de matières organiques sont réelles bien que limitées et s’atténuant dans le temps. Les TCSL accentuent les émissions d’un autre gaz à effet de serre, le protoxyde d’azote, limitant aussi la portée de la réduction des émissions de CO2. Dans la plupart des cas, si les TCSL sont mis en oeuvre correctement, le rendement des cultures n’est pas modifié.
3. D’autres indicateurs ont tendance à être améliorés par la suppression du labour. Des économies de carburant et d’énergie sont réalisées et les émissions de gaz à effet de serre sont réduites (en incluant dans leur globalité des consommations pour conduire les cultures et les émissions de CO2 et N2O provenant du sol). L’ampleur de la réduction de ces postes est variable selon les pratiques de travail du sol, avec et sans labour. Les émissions d’oxyde nitrique sont également réduites par les TCSL qui permettent en outre une réduction de l’érosion, une concentration des matières organiques en surface et une augmentation de la biodiversité et de l’activité biologique.
4. La consommation de produits de protection des plantes aurait tendance à être augmentée en TCSL, notamment en interculture. L’impact du travail du sol est par contre très dépendant du type de rotation de cultures. Certains choix propres à l’exploitation (gestion mécanique ou chimique des adventices en interculture, adaptation ou non des rotations de cultures…) ont aussi leur importance à ce niveau.
5. Certains indicateurs évoluent lors de la suppression du labour de manière très variable, selon le contexte agronomique. Par exemple, l’impact du travail du sol sur la qualité sanitaire n’est pas le même selon la succession de cultures. De même, les transferts de produits de protection des cultures et de phosphore peuvent être accentués ou réduits selon le mode de transfert de l’eau dans le sol. En situation avec un risque de ruissellement assez important, les TCSL peuvent réduire les transferts d’eau et de polluants. Au contraire, en sol drainé, les TCSL peuvent favoriser les transferts de phosphore ou encore de produits phytosanitaires appliqués en période de drainage. Dans quelques milieux comme les sols argilo-calcaires, nous ne disposons d’aucune donnée concernant les transferts de produits phytosanitaires selon le travail du sol.
Les résultats des synthèses bibliographiques montrent que l’impact environnemental des TCSL peut être bénéfique pour la préservation du milieu et négatifs sur certains points. Toutefois, il existe des solutions techniques pour supprimer certains impacts négatifs. Ces solutions nécessitent des connaissances, de l’expertise, de l’accompagnement et de l’adaptation locale. Le point clé pour accompagner cette innovation est la création de connaissances, références, outils et leur transfert entre acteurs :
1. Il existe d’abord un réel besoin d’harmonisation des méthodes d’étude et des indicateurs utilisés. Cela est un préalable nécessaire à des résultats de qualité et valorisables dans des synthèses. Une bonne description des conditions de réalisation des essais est aussi nécessaire, notamment pour expliquer des divergences de conclusion entre publications. Par ailleurs, certains suivis nécessitent d’être réalisés sur des temps suffisamment longs. Par exemple, l’érosion nécessite d’être suivie sur plusieurs années sous pluie naturelle. Des suivis plus ponctuels sous pluie simulée peuvent arriver à des conclusions biaisées. De même, les émissions de gaz doivent être suivies sur une durée d’au moins un an.
2. Il va de soi qu’une amélioration des connaissances de certains phénomènes liés à l’environnement est nécessaire. Par exemple, dans le domaine des transferts de produits phytosanitaires, une meilleure connaissance des interactions entre les phénomènes d’absorption sur les matières organiques, de dégradation et de transferts est nécessaire. Les transferts de gaz dans l’atmosphère sont aussi encore mal connus.
3. Comme cela a déjà été souligné, les références acquises en France sur les impacts environnementaux des TCSL ne couvrent que quelques situations agronomiques. Des sites ont fait l’objet de suivis intéressants, comme à Boigneville ou la Jaillière. Certaines situations agronomiques assez importantes en France ont cependant fait l’objet de peu de suivis comme par exemple les sols argilo-calcaires qui sont pourtant emblématiques de la pratique des TCSL en France. Paradoxalement, très peu de mesures des impacts environnementaux des TCSL y ont été réalisées. Il serait intéressant de créer un observatoire français des TCSL avec un suivi de quelques sites couvrant des situations de sol, climat et rotation de cultures différents. Un suivi de différents indicateurs (eau, érosion, différents gaz, biodiversité…) permettrait d’avoir des données dans les grandes situations agronomiques françaises.
4. Il semble nécessaire de construire des grilles d’analyse des impacts environnementaux des TCSL qui permettraient de les prédire à partir d’une description de la situation agronomique. Ce point sera développé ultérieurement.
5. L’exploitation agricole se gère dans sa globalité. L’approche systémique est donc nécessaire. Le travail du sol modifiant de nombreux paramètres, tout changement de pratique d’implantation des cultures doit s’accompagner de modifications pour optimiser le système de culture. Cela est valable dans les systèmes faisant appel au labour mais encore plus nécessaire dans les systèmes sans labour qui sont encore récents dans leur mise en œuvre dans les exploitations françaises. Ainsi, il est important de travailler sur certains points où les connaissances manquent. La pression parasitaire, et ses conséquences sur l’usage des produits de protection des plantes, sont parfois le point faible des TCSL dans certaines situations. Des progrès sont nécessaires pour optimiser la lutte contre certains ennemis des cultures (travail du sol, gestion du couvert végétal, rotation de cultures…). L’impact des TCSL sur la gestion de l’azote (dose, fractionnement) est aussi à préciser pour différents types de milieux français. De même, l’incorporation du phosphore, qui permet de réduire les flux de phosphore soluble par ruissellement, est à tester dans des sols où les transferts se font par drainage.
Des études de cas pour mieux appréhender les réalités agronomiques locales
La troisième partie de l’étude avait pour objectif de réaliser des diagnostics des impacts environnementaux des TCSL dans différentes conditions pédo-climatiques ou différents systèmes de cultures. L’exercice a été réalisé pour trois milieux différents : les Pays de la Loire, la Champagne Berrichonne et le Lauragais. Conformément aux conclusions de la synthèse des impacts des TCSL (partie 2 du projet), il apparaît que des effets contradictoires des TCSL apparaissent selon les indicateurs considérés et le type de milieu pris en exemple.
Nos trois études de cas montrent que malgré certaines limites, les connaissances acquises permettent d’analyser des cas concrets. Il est possible, et indispensable si l’on veut progresser, d’afficher clairement les domaines dans lesquels des références existent, celles qui sont applicables avec un minimum d’extrapolation et enfin celles qui font défaut. Cela permet d’apporter des réponses nuancées et de mettre en évidence les données qui restent à acquérir. Les conclusions des études de cas sont plus fines et plus précises que des conclusions « nationales » qui mettent en exergue une forte variabilité, selon les situations, des effets du travail du sol sur certains indicateurs. Nos trois études de cas montrent bien des problématiques très différentes selon le contexte local, qu’une vision à l’échelle du territoire national a tendance à atténuer. Les TCSL semblent constituer un bon moyen dans les trois études de cas pour réduire les consommations d’énergie, les émissions de GES et favoriser la biodiversité. En revanche, au niveau de la qualité de l’eau, des conclusions sensiblement différentes apparaissent selon que le ruissellement est un mode de transfert important ou pas et selon l’impact des rotations de cultures sur la pression des adventices.
Au regard de l’expérience tirée de nos trois études de cas, quelques points méritent d’être soulignés :
1. Certains impacts environnementaux se gèrent nécessairement à une échelle nationale, voire internationale. C’est le cas par exemple de la qualité de l’air, de l’effet de serre ou de l’énergie. Par contre, pour d’autres, l’échelle décisionnelle peut être ramenée à un niveau plus local comme celui du bassin versant dans le cas de la qualité de l’eau. On voit apparaître clairement dans certaines études de cas que chaque technique d’implantation a des points forts et des points faibles qui peuvent s’opposer et ne relèvent pas des mêmes échelles de décision (eau/air). Un minimum d’arbitrage semble nécessaire afin d’éviter des mesures aux effets contradictoires. Par exemple, les techniques de contrôle mécanique des adventices (déchaumage et faux semis), utiles en l’absence de labour et dans une perspective de limitation de l’usage des herbicides, peuvent avoir un effet négatif en augmentant les consommations de carburant fossile et en favorisant l’érosion dans les milieux qui y sont sensibles.
2. Comme perspective de travail, il serait intéressant de développer des outils d’analyse simplifiée des impacts environnementaux du travail du sol. Par exemple, vis-à-vis des transferts de produits de protection des plantes ou de phosphore vers les eaux, il serait intéressant de faire le lien entre les résultats actuellement disponibles concernant les TCSL et la méthode développée au sein du CORPEN. Cette dernière décrit les différents modes de transferts de l’eau dans le sol (transferts hypodermiques, par ruissellement ou infiltration ; transferts lents ou rapides…). Concernant la protection des plantes, il serait nécessaire de développer des outils simples visant à décrire les différents leviers de lutte agronomique en fonction du contexte agronomique. Les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre pouvant être assez variables selon les itinéraires mis en oeuvre, il serait aussi intéressant de disposer d’outils simples pour les évaluer. Au-delà du diagnostic, il est important d’aller jusqu’à proposer des solutions.
3. Il faut avoir à l’esprit que le travail du sol n’est qu’une composante du système de production pour lequel doivent aussi être pris en compte les interactions entre le milieu (sol…) et les diverses pratiques (rotation, protection des cultures…). Dans de nombreuses expérimentations, une comparaison « toutes choses égales par ailleurs » du seul effet du travail du sol a le mérite d’être rigoureuse, de donner les grandes tendances mais ne prend pas toujours en compte la manière dont on peut gérer un changement de pratique de travail du sol sur une exploitation agricole. Cette évolution de la gestion du système de culture l’accompagne de l’évolution de diverses pratiques sur l’exploitation, avec des phases d’apprentissage, des échecs, des adaptations, des réussites… L’expérimentation appréhende mal toute cette complexité et les interactions qui sont mal connues faute d’enquêtes adaptées intégrant l’effet des pratiques à moyen ou long terme. Une évolution des systèmes d’acquisition de références est nécessaire sur ce plan si l’on souhaite avoir une meilleure connaissance des impacts environnementaux des TCSL. Enfin, si les TCSL étaient largement adoptées par les agriculteurs pour des raisons économiques, ou préconisées en raison de leurs effets positifs sur les consommations énergétiques, les émissions de gaz à effet de serre et la biodiversité, il serait intéressant de prolonger la réflexion que nous avons menée sur les études de cas pour améliorer la conduite de ces systèmes afin de minimiser leurs impacts environnementaux.