Canada : John Bennett, plus de vingt ans de semis direct

Frédéric Thomas, TCS n°50 - Novembre / décembre 2008

À la veille de partir en retraite, John Bennett, avec plus de vingt ans de semis direct après une première période en TCS, dresse un bilan très positif de sa carrière. Cette approche très innovante initiée dans les années quatre-vingt lui a permis de survivre à quelques crises tout en faisant progresser son exploitation sur le plan technique comme au niveau de la surface. Il se réjouit de voir également l’agriculture de conservation devenir un mode de production reconnue pour ses vertus environnementales et entre autres sa capacité à séquestrer du carbone dans les sols : des points pour lesquels il a beaucoup milité.

John et Shirley se sont installés à Biggar en Saskatchewan en 1974 sur 256 ha de terres limonoargileuses, de couleur assez noire, assez typiques de la région de cette grande prairie canadienne où règne un climat froid mais sec. Dans quelques années, John prendra sa retraite ; en une quarantaine d’années, il aura plus que doublé sa surface (640 ha en 2008 et tout en propriété) en investissant dans le foncier mais n’aura jamais acheté de matériel neuf sauf pour le semis. L’économie est de taille car John a réalisé toute sa carrière avec trois tracteurs d’occasion qui ne lui auront coûté au total que 320 dollars par an de capital soit moins d’un dollar/ha/an (aujourd’hui le dollar canadien ($ CA) est presque à parité avec le dollar US).

Un coût de traction extrêmement bas

En fait, J. Bennet commence en 1974 avec un jeu de semoirs à disques Massey- Ferguson de 7 m (forme de cover-crop équipé de trémie), un tracteur Massey de 130 CV et une moissonneuse MF 410 d’occasion. Avec le passage au semis direct en 1986 et le début de l’augmentation de la surface, il investit dans un semoir neuf à dents de 5 m de large de type Haybuster, dans un tracteur White de 135 CV boosté à 155 CV et une moissonneuse Gleaner M5 avec une coupe de 7 m, le tout d’occasion. Cet équipement lui permettra de mener sa ferme pendant quinze ans et d’absorber la progression de la surface. En 2001, enfin, il troque son semoir pour un Morris Maxim 9 m (encore un semoir à dent) neuf et un Deutz Allis d’occasion de 170 CV, gonflé à 190 CV. Aujourd’hui et même si ce parc de matériel a l’air désuet, il lui permet de semer ses 640 ha avec seulement 170 heures/an pour le tracteur de tête et 100 heures/an pour le Massey du début qui continue de servir pour le désherbage et autres menus travaux. La moissonneuse, une Gleaner N5 de 8 m de coupe, quant à elle, ne tourne que 200 heures par an. Précurseur, John a certainement poussé très loin son approche économique pour un agriculteur des grandes plaines où les coûts principaux sont la traction, l’énergie et la fertilisation. Il est, de plus, un féru de mécanique et l’hiver, long et rude de cette zone continentale qu’il passe à l’atelier, lui permet de modifier à convenance et de tenir le matériel prêt pour l’action pendant les courtes fenêtres d’intervention. Cependant, il ne fait pas exception au Canada où les fluctuations économiques comme climatiques ont habitué les « farmers » à une extrême prudence.

Des évolutions techniques majeures

Si la rotation d’origine était assez typique de cette région, avec une alternance entre le blé et une jachère pendant un an pour capter de l’eau et gérer le salissement avec de temps à autre un peu d’orge si la pluviométrie semblait suffisante (blé/orge/jachère), elle a beaucoup évolué. Aujourd’hui, la jachère a quasiment disparu et le blé alterne avec du colza de printemps (Canola), de l’orge, des pois chiches et des lentilles ; l’objectif étant d’utiliser un maximum les légumineuses en alternance pour économiser sur l’azote ensuite. En complément dans ce secteur où il ne faut compter que sur 100 jours de végétation, l’intégralité de la fertilisation est apportée au semis afin de limiter les interventions, de gagner encore en efficience des engrais mais aussi pour limiter le développement du salissement. Enfin, si la mécanisation (semis et récolte) du début ne couvrait, pour ainsi dire, que la moitié de la surface, elle doit aujourd’hui faire face à la totalité soit quatre fois plus d’hectares avec l’agrandissement de la ferme. Ce changement radical a également été le moyen d’optimiser des coûts de production.

Fédérer la recherche et promouvoir le semis direct

En parallèle et depuis qu’il pratique le semis direct, John s’est beaucoup investi dans la SSCA, l’association de conservation des sols de Saskatchewan qui regroupe 900 membres, principalement des agriculteurs mais aussi quelques techniciens et chercheurs. Il a toujours entretenu des relations étroites avec de nombreux scientifiques et s’est rapidement engagé aux côtés de ceux qui pensaient que le semis direct permet de séquestrer du carbone dans les sols et de lutter contre l’effet de serre. Il a d’ailleurs conduit sur son exploitation et ce, pendant quatre ans, un essai comparant la localisation de l’engrais dans le sillon et à côté de la ligne de semis.

Depuis quelques années, John s’investit également dans un cluster qui accompagne et soutient un programme de recherches à l’université de Saskatchewan sur les légumineuses, les biocarburants à base de légumineuses et dont les sous-produits seraient voués à être recyclés directement sur les fermes. L’objectif est de continuer de produire du blé mais en association avec des protéines, de l’énergie, de la viande et aussi des fertilisants azotés (composts + fumiers). Même dans ces immenses plaines céréalières du Saskatchewan, la réflexion sur une agriculture intégrée, plus efficace et surtout bien armée pour répondre aux enjeux de demain, suggère le retour à l’élevage. « Quelles que soient les conditions, l’équation gagnante a toujours été, et sera encore pour longtemps, la recherche du maximum d’efficience en essayant de booster la production tout en faisant pression sur les coûts », conclut J. Bennett.


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