C’est l’histoire d’un Belge qui
débarque il y a cinq ans dans
une ferme du nord de la France.
Avec une idée en tête : remiser les
gros tracteurs, les charrues et un
maximum de produits chimiques.
Pas banal dans une exploitation de
400 hectares, qui plus est berceau
historique de la famille Bonduelle,
et accessoirement siège social du
groupe éponyme. Mais Jean
Tasiaux, l’agronome de la ferme de
la Woestyne, à Renescure, a du tempérament a revendre.
Cinq ans plus tard, il promène ses
visiteurs dans des parcelles de petits
pois ou de haricots remplies de
fleurs, pointe le retour des oiseaux et
ramasse des poignées de terre bien
plus riche en matières organiques
que chez les voisins. Il met en avant
une réduction des charges d’intrants : 246 euros l’hectare,
quand les collègues frôlent les
500 euros. L’effet d’une baisse de 45% des produits phytosanitaires et
d’un coup de frein sur les engrais. Sans compter une consommation
de carburant réduite de 40%. Le tout pour une production équivalente.
Une machine venue du Brésil
« Il s’agit simplement de refaire de
l’agronomie, l’agriculture l’a oubliée
après-guerre » explique Jean
Tasiaux. Sa technique fondée sur le
non labour du sol et sur un recours
limité aux traitements n’a rien de
révolutionnaire. Après chaque culture d’été, ses techniciens remplacent le labour par des semis de couverts végétaux (trèfle, phacélie, etc ) qui protègent le sol et le rechargent en azote. Passé l’hiver, ils utilisent
une machine très diffusée au Brésil,
qui permet de semer les plantations
de printemps sans arracher le couvert (semis direct).
Les engins à chenilles sont privilégiés aux roues, le binage hautement
pratiqué, l’irrigation raisonnée.
Moins de passage, moins d’essence,
moins d’herbicides. Les doses
d’insecticides et de fongicides ont
été revues à la baisse, passant de
150 litres à 20 litres par hectare, pour
une utilisation plus précise. Et elles
sont répandues au bon moment,
quand le vent dort, en fin de nuit.
L’agriculteur s’est mis à tolérer quelques taches de maladie par ci, quelques pertes par là.
Jean Tasiaux partage ses pratiques
avec le réseau Terr’Avenir, regroupant 150 fermes certifiées ISO 14001
comme lui. Et prend conseil auprès
des agriculteurs bio " mais pas ceux
de 1968, ça c est n’importe quoi ». Il raconte faussement naïf ne pas
comprendre le modèle des coopératives françaises vendeuses et conseillères en intrants de leurs adhérents, un conflit d’intérêt qui n’existe
pas en Belgique. Ou évoque l’air de
rien le machinisme agricole qui
freine l’importation des engins
innovants d’Amérique du Sud. Une
façon peut -être de pousser à l’achat
de machines toujours plus puissantes pour passer sur des sols de plus
en plus déstructurés.
Pas question pour autant de donner des leçons. D’abord parce qu’il
ne cache pas quelques déconvenues : le retour salvateur des vers de
terre a fait croître les dégâts des sangliers,qui en sont friands. ll faut aussi
compter avec quelques légumes qui
digèrent mal ces techniques, comme
les épinards ou les endives. Il reconnaît aussi que la terre des Bonduelle
est plutôt riche et légère a travailler.
Le responsable du développement agronomique du groupe Bonduelle, Géry Capelle, est plus prudent encore sur la diffusion de ces
pratiques dans les 2 150 exploitations qui alimentent l’industriel. Les
légumes ne représentent généralement qu’une petite partie des surfaces de chacun des fournisseurs : difficile donc de leur imposer un
bouleversement de leurs pratiques.
La place marginale des légumes,
15 % des surfaces agricoles françaises, n’encourage pas par ailleurs les
industriels des pesticides a trouver
des substitutions aux molécules
menacées d’interdiction. Les grandes cultures (céréales, maïs) profitent en comparaison de budget de recherches bien supérieurs.
Mobiliser la filière
Bonduelle consomme 10 % de la production française de légumes. Un levier que l’industriel entend actionner pour mobiliser la filière sur l’objectif phvto 2018 du Grenelle. A cet horizon, les agriculteurs devront " si possible " diminuer de moitié les traitements. Bonduelle s’est donné un objectif intermédiaire : moins 20 % d’ici a trois ans. Cette étape est préparée depuis quelques années. Outre l’expérience de sa ferme familiale, l’industriel collabore avec une petite dizaine de fermes picardes lancées en agriculture intégrée (" Les Échos " du 13 juillet 2010). Pour faire évoluer les pratiques de ses fournisseurs, le groupe joue également sur une adaptation de leur cahier des charges. Depuis deux ans, Bonduelle a par exemple supprimé l’obligation faite aux semeurs de labourer. Une prochaine version, plus directive est en discussion.