Biodiversité fonctionnelle des sols, un éclairage sur l’écologie des sols

eric blanchart (IRD, UMR ECO&SOLS) ; Alter Agri n°101 - mai-juin 2010

Le sol constitue l’un des milieux les plus diversifiés sur Terre, mais aussi l’un des plus mal connus du point du vue de la biodiversité. De très nombreux organismes habitent le sol, depuis les microorganismes (bactéries et champignons) jusqu’aux vers de terre en passant par de nombreux et très variés groupes d’insectes, de nématodes, de protozoaires… Ces organismes, à travers des interactions trophiques et non trophiques, assurent le fonctionnement du sol et participent ainsi à la mise en place des services écosystémiques.

Les sols constituent l’un des milieux les plus diversifiés sur Terre. On estime que près d’un quart des espèces connues (près de deux millions d’espèces sont décrites) sont inféodées au sol. On entend par organismes du sol, tous les organismes vivants partiellement ou totalement à l’intérieur du sol ou à la surface du sol (litière, bois en décomposition, bouses…). Presque tous les embranchements du vivant sont représentés, à l’exception des groupes typiquement marins comme les méduses et les échinodermes (oursins et étoiles de mer).

Dans le sol, on trouve de très nombreuses espèces de bactéries et d’archées, de vers (nématodes ou annélides), de mollusques, d’insectes, de myriapodes, d’arachnides, de vertébrés, sans oublier les champignons et les racines de plantes.

Les sols abritent en abondance une grande diversité d’organismes

Tous ces organismes n’ont pas la même taille et il est courant de les classer selon ce critère (voir encart). Ils peuvent être extrêmement abondants. Dans l’équivalent d’une cuillère à café de sol, on peut trouver plusieurs milliers d’espèces de bactéries, plusieurs millions d’individus et plusieurs mètres de mycélium fongique, mais aussi des milliers de protozoaires et des centaines de nématodes. En terme de poids (biomasse), les microorganismes dominent les peuplements puisque les biomasses dépassent régulièrement 1 à 2t/ha ; les protozoaires peuvent atteindre 700kg/ha et les lombriciens présentent des biomasses généralement proches de 1 t/ha (exceptionnellement jusqu’à 4 t/ha).

Ces extraordinaires biodiversité, abondance et biomasse rencontrées dans les sols proviennent principalement, d’une part de la grande richesse en ressources et en énergie (les sols sont les milieux où les diverses formes de matière organiques sont recyclées) et, d’autre part de la nature même du sol qui permet une grande variété de niches (microporosité, macroporosité, dans ou à la surface des agrégats) et l’existence de gradients sur de très courtes ou plus grandes distances (zones appauvries ou enrichies en oxygène ou en eau, variabilité du pH ou des concentrations en matière organique, etc.).

Les organismes telluriques ont des rôles fonctionnels variés et complémentaires

Schématiquement, le fonctionnement d’un sol repose sur trois principaux groupes d’organismes : des organismes responsables des modifications chimiques de la matière (principalement des microorganismes décomposeurs, bactéries et champignons), des organismes responsables des modifications physiques du milieu (principalement les macroinvertébrés et les racines) et les prédateurs ou parasites d’autres organismes du sol (protozoaires et nématodes). Les classifications les plus récentes parlent respectivement d’ingénieurs chimiques, d’ingénieurs physiques et de régulateurs biologiques. Les microorganismes agissent sur la dynamique et le recyclage de la matière et des nutriments. Certaines bactéries libres ou associées aux racines de certaines plantes ont la capacité de fixer l’azote atmosphérique.

Les bactéries et les champignons ont des capacités variées à minéraliser la (les) matière(s) organique(s) et libérer ainsi des éléments minéraux qui pourront être utilisés par les plantes ou partir vers l’atmosphère (N2, N2O, CH4) ou dans les eaux de drainage (NO3). Certains champignons ont développé des associations très fortes avec des racines : les mycorhizes, qui facilitent le développement des plantes en les aidant à acquérir leurs nutriments. C’est pourquoi la plupart des plantes sont mycorhizées. Les invertébrés de la macrofaune peuvent être saprophages, phytophages, carnivores ou géophages.

Les activités de fouissement et de consommation des macro-invertébrés (et des racines) ont des conséquences importantes sur la structuration du sol et l’incorporation de matière organique dans le sol. Cette biostructuration (ou bioturbation) est à l’origine d’une forte hétérogénéité spatiale du sol avec des zones appauvries ou enrichies en matière organique, et donc des zones où les activités microbiennes sont soit stimulées soit inhibées. Les acariens et collemboles ont également des régimes trophiques variés même si l’essentiel des espèces sont saprophages (ou détritivores) ; ils consomment la matière organique en décomposition et sont très abondants dans les litières.

Les nématodes et protozoaires ont développé des régimes trophiques très variés : ils peuvent consommer des racines (pour les nématodes), des bactéries, des champignons ou être carnivores.

Préserver les organismes du sol, principaux fournisseurs de services rendus par les écosystèmes

L’ensemble des fonctions réalisées par cette grande diversité d’organismes (ce que l’on appelle le fonctionnement biologique des sols) assurent le fonctionnement des écosystèmes et les services rendus par ces écosystèmes à l’humanité. Pendant 5 ans, sous l’impulsion de l’ONU, des scientifiques et politiques du monde entier ont évalué l’état des écosystèmes de la Planète. Le rapport rendu en 20052 reconnaît que les écosystèmes rendent des services à l’humanité et qu’il faut donc les protéger. Ces services se répartissent en :
- services de support sans lesquels les autres services ne pourraient être réalisés (recyclage des nutriments, production primaire, formation des sols, recyclage de l’eau),
- services d’approvisionnement (en nourriture, eau douce, fibres et bois, ressources génétiques ou pharmaceutiques),
- services de régulation (de l’eau, du climat, de l’air, des maladies et bioagresseurs, de l’érosion)
- et services culturels (esthétiques, éducatifs, récréatifs).

Les activités réalisées par les organismes du sol assurent la majeure partie de ces services. C’est pourquoi la biodiversité du sol est si importante pour la préservation de la vie sur Terre.

Pourtant, les efforts de conservation de la biodiversité portent majoritairement sur les espèces épigées (oiseaux, araignées, etc.). Les animaux du sol « à protéger » ne représentent que 1 % des espèces « à protéger » (alors que rappelons-le les organismes du sol comptent pour 25 % de l’ensemble des espèces décrites). Seules huit espèces du sol sont déclarées « en danger » : trois scorpions, quatre araignées et un scarabée.

Les menaces qui pèsent sur la biodiversité (notamment celle du sol) sont bien connues : le changement climatique (sécheresses, feux, tornades, etc.) et les invasions biologiques s’ajoutant aux multiples et plus directes, modifications humaines (urbanisation, pratiques agricoles, fragmentation de l’habitat, etc.). Ces perturbations altèrent l’habitat de ces organismes et, par conséquent, le fonctionnement des écosystèmes. Les écologues soulignent fréquemment qu’une faible perturbation peu favoriser la biodiversité (en l’absence de perturbation, l’exclusion compétitive favorise les espèces dominantes) ; en cas de perturbation forte, seules les espèces tolérantes subsistent. De plus, une même perturbation peut entraîner des effets variables sur les organismes et le fonctionnement des écosystèmes. Il est par conséquent très difficile de prévoir les effets d’une perturbation sur la biodiversité et le fonctionnement biologique d’un sol.

De nombreuses espèces assurent des fonctions proches ou identiques

La conservation de la biodiversité du sol est justifiée principalement par les services et fonctions qu’elle rend. Ceci ne signifie par pour autant qu’un plus grand nombre d’espèces permettra d’assurer plus de services car beaucoup d’espèces assurent des fonctions très proches, voire identiques (ce qu’on nomme la redondance fonctionnelle). Différentes théories scientifiques concernent cette redondance fonctionnelle. La première propose que seules certaines fonctions montrent de la redondance (beaucoup d’espèces participent à la décomposition de la matière organique, très peu d’espèces participent à la nitrification
- transformation des nitrites en nitrates
- ou à la dégradation d’un composé toxique).

Une autre théorie décrit la redondance comme dépendant du contexte (deux bactéries ayant la même fonction peuvent être actives dans des conditions différentes du milieu ou à des périodes différentes). Enfin, une troisième théorie rend compte de la multifonctionnalité de certaines espèces (les champignons actifs dans les processus de transformation et de décomposition affectent également la structure du sol).


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