Avec le réchauffement climatique, le carbone est propulsé au centre des débats

Sans vouloir être alarmiste, le réchauffement climatique tend à faire la une, notamment avec cet été particulièrement chaud et sec sur l’Hexagone. Cet emballement médiatique contribue à mettre le feu dans les débats et propulse le carbone sur le devant de la scène. Bien évidemment, l’agriculture, comme à l’accoutumée, est l’une des causes principales avec ses vaches, ses engrais, sa mécanisation et ses pesticides : que de raccourcis et d’amalgames qui aveuglent et intoxiquent le grand public. Premièrement, tous les carbones et les CO2 ne se valent pas, même s’ils peuvent avoir le même impact climatique. Si ceux émis par les transports, les chauffages et l’industrie sont du carbone fossile qui vient s’additionner au carbone déjà en circulation, une grande partie du CO2 agricole et surtout celui des animaux, est du carbone issu de la photosynthèse. Pour cette partie, il ne s’agit donc pas d’une augmentation nette de carbone en circulation mais d’un changement d’état : une différence subtile mais qui est de taille !
En toute logique, il faut également relativiser et admettre que le carbone, bien qu’étant un élément important du puzzle climatique, est surtout un formidable indicateur. De par ses cycles qui relient le minéral, le vivant et l’énergie, on le retrouve dans de nombreux compartiments et sous des formes très diverses. Comme les nitrates d’il y a 20 ans, avec lesquels il peut aussi se lier dans le sol, il reflète, par contre, parfaitement l’efficience des systèmes (de la production à la consommation) avec en prime, une assez bonne compréhension par une grande majorité.

Sols et végétation reconnus comme "puits" de carbone par le GIEC

Dernier élément intéressant de ce feuilleton, c’est l’orientation « sol » donnée par le récent rapport du GIEC (Groupement d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) publié en août à Genève ; une information qui a été assez bien relayée. Ainsi, le réchauffement des sols est pris largement en compte comme accélérateur des processus et le groupe de scientifiques appelle à une gestion plus durable des terres dans l’agriculture et la sylviculture. Ainsi, les sols agricoles et la végétation sont désormais reconnus comme « puits » de carbone potentiels. En parallèle, il est nécessaire d’endiguer la désertification et l’appauvrissement, tout en conservant leur capacité de production face à des besoins croissants. Cela devrait permettre d’éviter de continuer de grignoter les forêts et les milieux sensibles qui sont eux aussi, en plus d’être des îlots de biodiversité à préserver, des réservoirs de carbone qu’il ne faut surtout pas faire repartir dans l’atmosphère. Ce rapport a également fait ressortir l’incidence du réchauffement des terres « agricoles » dénudées sur le réchauffement global mais aussi l’impact des villes et des infrastructures où le béton et le bitume les transforment en « points chauds » qui ne sont pas sans effets aujourd’hui sur les températures moyennes enregistrées et les pics de chaleur. Malgré cette ouverture et un élargissement logique concernant les éléments de contribution, il est regrettable que le GIEC ne recommande que des solutions très classiques (moins de gaspillages, plus de légumineuses...) mais ignore totalement l’Agriculture de Conservation et son potentiel en matière d’atténuation du réchauffement climatique.
Soyons clair, une couverture végétale, avec des cultures denses et aussi des couverts tout en conservant le mulch de surface est un moyen très simple d’apporter une double isolation et de refroidir efficacement les sols en été. Les différences de température peuvent atteindre facilement 10 °C et même dépasser 20 °C en plein après-midi ensoleillé entre un sol couvert avec une végétation vivante et dynamique et un sol nu et en plus asséché par de multiples passages d’outils. En complément, un sol plus frais, avec cette couverture associée à une bonne porosité, c’est très logiquement une amélioration de l’accueil et de l’infiltration de l’eau qui peut se faire rare à cette période. C’est enfin un bien meilleur environnement pour l’ensemble de l’activité biologique des parcelles. Elle peut continuer de s’épanouir tout en décomposant et minéralisant la matière organique et fluidifier le retour de la fertilité pour stimuler la production de biomasse. C’est ainsi encourager et développer le vivant mais aussi accepter qu’il émet un peu de carbone afin d’augmenter la photosynthèse pour capter et injecter encore plus de carbone dans le sol. Un processus simple et efficace qui, en plus, régénère la qualité des sols, dopant leur auto-fertilité tout en stockant du carbone.
Plus globalement, cette végétalisation, en atténuant les « points chauds » que deviennent les sols nus, mais aussi en émettant de la vapeur d’eau grâce à la transpiration, peut contribuer à modifier la course des nuages. Si la surface verte et fonctionnelle est assez conséquente, ils monteront moins haut et fourniront des pluies plus régulières et moins violentes en opposition aux événements climatiques agressifs (orage et grêle) souvent assez liés à l’élévation des nuages en altitude par la chaleur du sol. Ce phénomène est très bien illustré par les épisodes cévenols dans le Sud.

Intérêt et puissance des couverts permanents

La végétalisation, même si cela a été compliqué dans certaines régions cette année et notamment dans le Centre, peut également être une source de fourrages très stratégiques et de très haute qualité nutritionnelle. Si ceux qui ont suivi les règles que nous diffusons avec la revue TCS, ont en grande partie réussi à couvrir leurs sols, il est clair que les conditions particulières de cet été et de cet automne ont largement montré l’intérêt et la puissance des couverts « permanents » de légumineuses pérennes : un outil dans la boite à outils AC de mieux en mieux maîtrisé. Enfin, même si la biomasse aérienne n’est pas toujours à la hauteur, les racines sont beaucoup plus développées dans ces conditions extrêmes. Logiquement, il faudrait ajouter les exsudats racinaires, ainsi que le carbone consacré à l’alimentation de l’ensemble de la vie connectée aux racines (les mycorhizes en particulier) même si cela rend très compliqué la quantification réelle de cette approche à la « séquestration » du carbone. Il est évident que la végétalisation est fonctionnelle et certainement beaucoup plus efficace que nous pouvons le penser.
Ensuite, il ne suffit pas de capter d’importantes quantités de CO2 via la photosynthèse et de les injecter dans les sols où elles vont être terriblement utiles, notamment via l’ensemble des fonctions agronomiques des matières organiques. Il faut limiter voire supprimer le travail du sol qui fait souvent ressortir le carbone plus vite qu’il ne rentre. Il convient de plutôt opter pour la version « activité biologique ». Elle aussi retournera une partie de ce carbone dans l’atmosphère mais de manière plus lente et plus régulière avec un bilan net positif au niveau des sols. Même si c’est un processus assez long, c’est une option évidente, d’autant plus que la grande majorité des sols de la planète sont déficitaires et ont un énorme besoin de reconstituer leur teneur en matières organiques. Avec 20 t de carbone par ha et par point de MO, la puissance de cette direction est suffisamment conséquente pour l’inclure immédiatement dans les dispositifs d’atténuation mis en avant par le GIEC. Elle rejoint le fameux 4 %° présenté à la COP 21 qui peut être largement dépassé aujourd’hui, au regard des performances de l’AC et du savoir-faire que nous avons développé.

"Les autres ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas !"

Si les États, les ONG environnementalistes et tous les alarmistes ont du mal à accepter cette réalité et admettre que l’AC est un mode d’agriculture qui peut continuer de garantir des niveaux de production élevés tout en régénérant la qualité des sols et contribuant très positivement à la maîtrise du niveau de CO2 dans l’atmosphère, des industriels, par contre, commencent à considérer cette nouvelle opportunité. Ainsi et dans différents pays comme l’Autriche, l’Allemagne et les États-Unis, des entreprises souhaitant se dédouaner de leurs émissions cherchent à passer directement des contrats de séquestration de carbone avec des agriculteurs. Bien évidemment, le suivi et les mesures ne sont pas simples mais ces dispositifs contractualisés ont comme vertu d’être axés sur un résultat tangible et d’offrir enfin une possibilité de rémunération directe ou de soutien au changement de pratique : une forme d’assurance en quelque sorte.
Enfin ces nouveaux « contrats carbone » sont certainement un moyen habile de mettre en avant le potentiel de l’AC en matière de maîtrise du réchauffement climatique. Si dans ce brouhaha médiatique, peu de voix s’élèvent favorablement, le carbone risque de ramener les esprits raisonnables à accepter l’AC comme un compromis largement gagnant ; les autres ne pourront plus dirent qu’ils ne savaient pas !


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