L’année météorologique 2018 a été tout sauf normale. Elle pourrait plutôt se résumer en une succession d’excès qui, pour beaucoup d’analystes, sont les prémisses du changement climatique et le présage de saisons beaucoup plus compliquées à appréhender et à gérer.
Si ces soubresauts du climat sont ennuyeux pour de nombreuses activités, c’est cependant l’agriculture qui est en première ligne suivie des compagnies d’assurances qui ont de plus en plus de sinistres « climatiques » à couvrir. Si ces dernières s’y retrouvent en gonflant progressivement leurs primes, les agriculteurs doivent par contre redoubler d’ingéniosité pour s’adapter à l’augmentation des caprices de la météo. À ce titre, Solagro a essayé d’évaluer l’ampleur de l’impact probable du changement climatique sur une exploitation céréalière de l’Aube à 30 ans. Celle-ci devrait observer une diminution des précipitations de 11 %, une augmentation de la température moyenne de 1,2 °C et une réduction de 37 jours de gel : autant dire qu’il faut se préparer au climat de l’Aude dans l’Aube !
Paradoxalement, c’est seulement lorsqu’il fait plus chaud que d’accoutumée chez nous que l’on parle de changement climatique. Les orages d’une rare violence du printemps ont fait moins la Une dans ce sens ! Pour se rassurer ou éviter de sombrer dans le catastrophisme ambiant, le livre très bien documenté « Des changements dans le climat de la France : histoire de ses révolutions météorologiques » du Dr JJN. Fuster (sorti en 1845 avant l’envolée de l’utilisation du charbon et du pétrole), qui passe en revue les aléas du climat en France depuis la conquête de la Gaule par Jules César jusqu’à son époque, peut interpeler. On y lit, par exemple, qu’il y eut de grandes chaleurs en 1473, 1540, 1553 etc. À Paris, en 1664, la température afficha durant 68 jours plus de 25°C avec 16 jours à 31°C et 3 jours à 35°C. En 1701, le fameux astronome Jacques Cassini mesura le 17 août une température de 40°C dans la capitale. Les années 1718 et 1719 furent aussi des années de chaleur violente…
L’idée ici, n’est surtout pas de contredire des faits, des risques et minimiser les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés mais de rester ouvert avec un regard critique. Les caprices de la météo sont depuis toujours la hantise des agriculteurs et même avec les moyens que nous avons aujourd’hui, trop d’incertitudes existent dans les prévisions à moyen terme ; alors, que penser des hypothèses à plus long terme ? La certitude, c’est qu’il faudra continuer de produire quelles que soient les conditions et les scénarios climatiques et que l’Agriculture de Conservation, à l’image de cette année, est certainement l’approche la mieux armée pour accepter un climat plus chaotique comme le montre l’analyse de la campagne 2018 :
Si l’hiver n’a pas été particulièrement froid, il a été par contre très humide avec de forts cumuls de pluviométrie qui ont perturbé les interventions et les semis précoces. Le meilleur drainage développé par la verticalisation des profils de sol, amplifié par les couverts végétaux, a permis aux céréales de mieux démarrer et de passer cette période compliquée. Cette meilleure gestion de l’eau, associée à la portance, a également facilité l’entrée dans les parcelles.
C’est ensuite un printemps tropical qui a pris le relais, entrainant beaucoup d’érosion, des coulées de boues et des inondations sur une grande partie du territoire. Cette période très critique a largement montré l’intérêt de ne plus travailler et couvrir le sol pour garder la terre dans les champs mais aussi mieux infiltrer l’eau. C’est cependant à cause du manque de réaction des responsables mais aussi de relais dans les médias que nous avons élaboré la couverture du dernier TCS (98). Très simplement et seulement en images, elle évoque la puissance de cette approche en matière de préservation des sols. C’était un moment stratégique pour chausser des bottes ! Au regard de ce qui vient de se passer récemment dans l’Aude et de la boue que l’on retrouve partout (la terre des champs), c’est malheureusement encore une opportunité pour analyser la contribution en amont des approches AC chez des agriculteurs du secteur pour limiter ces flux torrentiels.
Ensuite la chaleur accablante est arrivée et progressivement le sec s’est installé avec l’impossibilité de semer les couverts puis les colzas. Alors que beaucoup ont amplifié l’asséchement par du travail d’été tout en faisant de la poussière inutile, les Acistes se sont tenus à implanter rapidement après la moisson leurs couverts végétaux. Certes, ils sont souvent déçus par la biomasse produite, mais ils ont de la végétation verte et des racines vivantes, des sols protégés, des fleurs pour les abeilles et la biodiversité. Alors que la plaine ressemble à un désert et que les prairies sont grillées, les éleveurs ACistes profitent de fourrages très stratégiques et de bonne qualité nutritionnelle tandis que d’autres tapent déjà depuis longtemps dans les stocks.
Même constat pour les implantations de colza : plutôt que brasser, « solariser » la vie du sol et créer des « hot spots » (points chauds) pendant l’été, ce sont les semis précoces avec pas ou peu de travail du sol, associés à des plantes compagnes qui ont encore permis d’obtenir les établissements les plus satisfaisants et de loin les plus économes.
Malgré le passage de maigres perturbations, hormis les précipitations exceptionnelles du Sud, la situation est encore sèche et même inquiétante au moment où nous bouclons ce numéro de TCS. Si beaucoup hésitent et patientent pour les semis d’automne, les ACistes profitent de conditions d’intervention très favorables, du peu de fraicheur et de la rosée pour faire lever leurs céréales en attendant le retour de l’humidité qui pourrait être tardif et durable.
Quelles que soient les surprises que nous réserve la fin de saison, 2018, de par ses excès climatiques, a permis de démontrer la très grande résilience de l’AC face aux incertitudes climatiques et ses capacités à limiter les impacts et dégâts collatéraux. Alors pourquoi ces approches ne sont-elles pas mises en avant au moins par des responsables professionnels ou par certaines associations de préservation de l’environnement et qualité de l’eau ?
- Summer Heat Trends : tendances des températures chaudes d’été de 1970 à 2014 pour les mois de juin, juillet et août (0,8 °F de variation correspond à 0,5 °C)
- Cette carte, tirée d’une étude de Ellen Stuart-Haëntjens (Virginia Commonwealth University), montre que la région comprise entre l’ouest du Minnesota et les Dakotas a réussi, en changeant drastiquement de pratiques culturales, à inverser localement et durablement (40 ans) la tendance climatique (réchauffement) subie par l’ensemble des États-Unis. Surprenant, mais c’est aussi dans cette même région que nous trouvons la majorité de nos inspirations nord-américaines :
1 - Don Reicosky (Laboratoire des sols de Morris MN) dont nous avons publié les résultats en matière d’émissions de carbone par les différentes formes de travail du sol dès 2002 (TCS n°19)
2 - Jay Furher (NRCS : National Ressource & Conservation Center de Bismark au ND). Il travaille sur la ferme de recherche de Menoken mais aussi avec différents ranchers et agriculteurs/éleveurs comme Gabe Brown.
3 - Dwayne Beck (Dakota Research Station à Pierre au SD). Outre être un promoteur du SD localement depuis plus de 30 ans, il a activement soutenu l’introduction du maïs et du soja comme des couverts végétaux dans cette partie du pays soit disant trop aride pour supporter une culture de blé chaque année. C’est également à D. Beck que nous devons les enchaînements 2/2.
4 - Ann Fischer (NRCS de Backer au MT). Accompagnant des agriculteurs dans une région encore moins productive de l’Est du Montana, elle a fait de l’AC mais aussi de la diversification des cultures, des associations et des approches très opportunistes, ses axes de développement.
L’AC n’est malheureusement développée et soutenue que par des réseaux d’agriculteurs qui n’ont pas une vraie légitimité environnementale. Par ailleurs, même si ses pratiques nécessitent beaucoup moins de phytos, l’AC continue de faire appel à de la « chimie » qui doit être bannie et au glyphosate : « sacrilège » !
Cette posture idéologique et ce manque d’approche globale rendent aveugle alors que des études montrent qu’il est possible d’influencer positivement le climat localement (échelle assez large) en modifiant en profondeur les pratiques agricoles (cf. : carte USA en illustration). Cette grande région aride du centre/nord des USA produisait du blé en monoculture qui alternait avec une jachère nue (passages répétés de cultivateur et/ou de disques). L’idée était de capter assez d’eau pour une récolte satisfaisante une année sur deux d’où le nom de « dry farming » (mode de production agricole de conditions sèches) donné à ces pratiques. Cependant refusant de voir l’eau comme facteur limitant mais plutôt la mauvaise gestion du sol, certains visionnaires et agriculteurs pionniers ont commencé à implanter des légumineuses dans les jachères, puis du soja et même aujourd’hui avec succès du maïs en sec, voire des couverts végétaux. Après plus de 30 ans d’efforts, ces approches, d’abord très sensées économiquement, ont fait écho et l’adoption est aujourd’hui massive. Ainsi le verdissement de cette vaste plaine et l’intensification de la photosynthèse, outre stopper l’érosion, ont permis de refroidir les sols qui ne sont plus nus ni exposés en été, de mieux capter et valoriser le peu de pluie qui généralement arrive sous la forme d’orages violents et même aujourd’hui, d’augmenter légèrement la pluviométrie et sa régularité.
Cet exemple bien réel d’impact positif corrobore une étude de chercheurs slovaques (A new water paradigm for the recovery of the climat : 2007) que nous avions publiée en 2015 (TCS n°84). Ils expliquent qu’il faut couvrir les sols avec de la végétation vivante et augmenter la transpiration pour ralentir les cycles atmosphériques de l’eau et faire pleuvoir plus et plus régulièrement.
Au regard de ces constats et maintenant de ces exemples concrets, il est logique que les agricultures qui travaillent intensivement leurs sols et les laissent nus une bonne partie du temps contribuent activement au « changement climatique » alors que l’AC, en couvrant et augmentant la transpiration, peut inverser les choses assez rapidement. Son impact est d’autant plus remarquable que ces pratiques requièrent beaucoup moins d’énergies fossiles (réduction des émissions) et augmente la séquestration du carbone dans les sols, amplifiant son impact global positif à moyen terme : une belle cohérence, n’est-ce pas ?
Alors, au lieu de penser pour nous agriculteurs, de participer à de coûteux meetings internationaux ou de déballer des expertises sur les plateaux télé, venez nous rencontrer, venez voir nos champs, venez constater comment en développant une approche cohérente, nous avons déjà commencé à inverser réellement les tendances. Ce changement de paradigme et ses impacts facilement visibles et mesurables vous surprendront et vous donneront certainement des idées pour aborder différemment d’autres enjeux majeurs auxquels notre société doit faire face.