Muni de sa mini-pelle - vraiment mini - et de son appareil photo, Louis Perusse parle, écoute, arpente les champs avec ses agriculteurs, prend 10 photos par minute et creuse comme il respire.
Deux fois par an, il quitte la région de Québec pour traverser de bout en bout sa région natale, la Gaspésie, et suivre les agriculteurs de son réseau. Il me propose de l’accompagner. En 1 semaine de road/field trip en Gaspésie, je n’ai même pas vu son écriture : il ne note presque rien, concentré sur l’échange constructif qu’il développe avec ses clients. « Mon appareil photo, c’est mes notes. Et puis en fin d’année, j’offre une sélection des plus belles photos aux agriculteurs » me dit-il. Sa mission : favoriser l’adoption des systèmes en Semis direct sur Couverture végétale permanente. « Au Québec, on distingue l’agronomie, qui englobe tous les domaines liés à l’agriculture, et l’agrologie, qui se focalise sur le sol et le végétal ». D’où le nom de son entreprise, SCV Agrologie.
Une agriculture régénératrice des sols et de l’esprit
Oui, Louis est passionné par la diversité des plantes et il est convaincu que la base d’un système agricole résilient est un sol vivant, car c’est la première étape pour que l’agriculteur redevienne au coeur de ses décisions. Mais son travail va bien au-delà. « Je coache les producteurs pour qu’ils se réapproprient l’essence de leur métier, et cela démarre par un sol vivant. Et cela demande un vrai talent pour utiliser le génie du végétal au sein d’une ferme ». Expertise, conseil, coaching, formation. Ces termes ont des niveaux différents. Dans le coaching des conseils sont fournis, et pour cela l’expertise est nécessaire. « J’informe les agriculteurs pour qu’ils acquièrent une autonomie de prise de décision à la ferme, je veux améliorer la liberté d’action des agriculteurs, et cela passe par la connaissance ». Rendre l’agriculture beaucoup plus stimulante, une vraie démarche intellectuelle, pas juste appliquer des recettes. Faire un agriculture résiliante, plutôt qu’une agriculture qui répète les même erreurs comme par le passé. Une agriculture humaine sur tous les plans.
Le réseau SCV Agrologie comprend 27 agriculteurs, mais Louis en accompagne 40, sur tout le territoire du Québec, soit 12000 ha. Lors de ma visite, nous profitons du cadre superbe d’une prairie de luzerne chez Patrick Arsenault pour faire une micro interview. « Une des manières d’améliorer mon système, c’est d’aller chercher des gens qui ont un niveau d’expertise, de les amener sur la ferme, d’écouter leurs propositions et d’oser essayer » témoigne l’éleveur laitier basé à Bonaventure.
Louis complète : « La base est de faire un bon diagnostic, comprendre les problèmes et poser des actions. Ensuite on travaille beaucoup sur les rotations ; ici, on a décidé ensemble de raccourcir la durée de la prairie à 3 ans pour avoir un maximum de luzerne vivante dans la prochaine culture ».
Du conseiller au formateur : une question de responsabilité ?
Après 2 à 4 heures d’échanges, des conclusions et des propositions émergent. « Au final c’est le producteur qui prend la décision et il en est responsable. Parfois on réalise ensemble que ça ne fonctionne pas et il y a toujours un facteur explicatif »
- Système racinaire plantule - Québec
- "Parfois on réalise ensemble que ça ne fonctionne pas et il y a toujours un facteur explicatif"
Si un conseil est appliqué et ne fonctionne pas, qui est responsable ? On pourrait penser que c’est un sujet sensible ; les agriculteurs pouvant rejeter la faute sur leur conseiller. C’est là que l’on touche à la différence entre un conseiller et un coach, et à la spécificité de ce que Louis propose. Il donne aux agriculteurs un maximum d’éléments pour qu’il puisse savoir quoi faire ; au final le « conseil » se transforme en décision prise par l’agriculteur. « Après 3 ans environ, mes agriculteurs deviennent autonomes, responsables de leur système SCV qu’on a développé ensemble. De 20-25 heures par an, on passe à 10h de services sur toute la saison. »
Les enchères à l’innovation
A en croire André Breton, « devant le Rocher Percé le pinceau et la plume doivent s’avouer impuissants ». A défaut d’utiliser un pinceau, Bertrand Anel joue à l’artiste en enrichissant un paysage déjà si beau à l’extrême est de la Gaspésie. Il développe un système agroforestier avec élevage bovin-viande. Un cas complexe, inhabituel pour la routine de Louis Perusse. « On essaye de réhabiliter des prairies naturelles laissées à l’abandon. Le challenge est de réimplanter une diversité de plantes valorisables dans l’élevage bovin viande » … au milieu d’une belle touffe d’adventices variées et colorées.
« L’an dernier on a eu de la neige jusqu’en mai, m’explique Bertrand. Le défi c’est de semer et devancer les mauvaises herbes pour produire suffisamment de biomasse car on ne fait qu’un coupe de foin en juillet ». Bertrand a un beau bagage plein d’expériences et de connaissances qui lui permet de mettre assez de grain au moulin décisionnel. Mais la présence de Louis, qui passe ses journées à discuter - de visu ou par téléphone - avec 40 fermes dans 40 contextes différents, crée un ping-pong d’idées, une enchère à l’innovation. Il réalise aussi une veille agroecologique et peut apporter les derniers connaissances scientifiques (ou les bases) dans le quotidien des producteurs. Face à ce tapis de diversité non maîtrisée, Bertrand labourera ou labourera pas ? « Je ne veux pas que le producteur s’entête à faire du non-labour. Parfois je conseille un labour parce qu’il est plus raisonnable de remettre la parcelle à zéro pour bâtir le système sur de bonnes bases agronomiques »
Agriculture de conversation
- Louis Perusse - Québec
- Louis prend le temps. Il autorise les blancs dans les discussions, où chacun fait le tour de sa pensée, intègre une idée avant de poursuivre le tennis décisionnel.
Louis prend le temps. Il autorise les blancs dans les discussions, où chacun fait le tour de sa pensée, intègre une idée avant de poursuivre le tennis décisionnel. Il ne presse pas les producteurs, imagine une diversité de solutions en intégrant toujours la psychologie, les contraintes, le habitudes et valeurs de chacun de ses « protégés ». Comme les plantes dont il croit dur comme bêche aux bénéfices, ce ne sont pas des conseils de surface que Louis propose ; ce sont des propositions aux arguments bien enracinés. « A toutes les idées qu’on propose, on n’a pas vraiment de réponse et il faut essayer à petite échelle, me dit Louis, entre deux mini profils de sol. C’est tout le défi, de trouver un équilibre entre créativité, prise de risque et résultats. Je dis à l’agriculteur de questionner la nature dans ses essais. Mon but c’est de coacher mes producteurs pour qu’ils soient autonomes… mais j’amène toujours de nouvelles idées ».
Soyez ouverts, sortez couverts
Améliorer la fertilité, stocker l’azote et surtout, stocker l’eau. Un programme de taille chez Patasol, où la pomme de terre domine dans les assolements. Quand on connaît les itinéraires techniques conventionnels, on pourrait penser que c’est peine perdue. Mais pour Jean-François Chabot, c’est un beau challenge. « La résilience est le mot clé de mon système. Je sais qu’à force de patience les systèmes qu’on développe vont rapporter. On vient de traverser deux années caractérisées par une sècheresse, et l’an dernier on a déjà vu la différence dans les champs. Ça va mieux et la couverture végétale y est sans doute pour beaucoup ». Dans une parcelle, il a comparé l’implantation de pommes de terre derrière un couvert végétal détruit au printemps, ou sans couvert. En plongeant la main dans la terre, près des racines du tubercule, c’est évident, le sol est plus frais dans la partie qui a reçu les couverts. On remarque que l’appareil foliaire des plants y est moins régulier. « Souvent les cultures rattrapent leur retard après les premiers semaines de développement, rassure Louis. C’est peut-être la dynamique de minéralisation de l’azote qui change et il faut le comprendre et s’adapter »
Une banque de graines dans le coffre… pardon, la valise
Sur une autre parcelle, on observe les jeunes pousses d’un mélange de 6 plantes, une recette que Louis maîtrise et qu’il a adaptée au contexte de Patasol. « Les couverts ont permis de réduire le travail du sol. Les vers de terre sont déjà de retour dans nos parcelles ! » se félicite Jean-François. Phacélie, avoine fourragère, vesce velue, radis fourrager, pois fourrager, herbe du Soudan. Une accumulation d’observations dans des contextes très variés ont conduit notre expert-couverts à réaliser que ce mélange fonctionne aussi bien au dessus qu’en dessous. « Il combine des plantes qui ont une diversité de fonctions. On explore les différents horizons du sol, différents espaces aériens avec des feuillages plus couvrants ou des plantes plus longues et fines. Il y a de la diversité végétale, et des abris pour la biodiversité animale ».
A 17h, Louis annonce la fin du rendez-vous par un rapide « Je te fais un petit mix de plantes ? ». Il propose aux membres de son réseau de semer une vingtaine d’espèces sur une petite surface. Il appelle ça une parcelle « cuisine » : le but premier est de former par l’observation, de voir les types de plantes qu’il peut intégrer dans son système de culture. « Ensuite on peut faire un profil de sol, observer la diversité des enracinements, et voir que la qualité du sol est modifiée par l’arrivée des plantes ».
- Profil racinaire à la bêche - Québec
- "Ensuite on peut faire un profil de sol, observer la diversité des enracinements, et voir que la qualité du sol est modifiée par l’arrivée des plantes"
Ce qu’il se passe à la surface en dit beaucoup sur la santé des sols. Dans son réseau, Louis fait aussi le lien aussi entre offre et demande de semences de couverts ; il connaît les producteurs qui commencent à exceller dans la production de cette denrée parfois rare. Il a rempli, au fil des années, une belle banque d’échantillons de plantes de couverture qui permet aux agriculteurs de démarrer de petits essais. « L’objectif final est d’optimiser la croissance des plantes pour avoir une belle couverture et faire de la biomasse à partir de la lumière du soleil, stocker de la fertilité, intensifier l’activité biologique. Je démarre toujours avec 3 espèces, un mélange complet mais qui ne va pas effrayer l’agriculteur avec une trop forte diversité »
SCV Agrologie « Avec, pour et chez les agriculteurs »
Est-ce que les agriculteurs vont chercher les connaissances techniques de Louis ? Oui… mais ce n’est vraiment pas la seule attente. L’expertise rassure, mais quand on a du fun, c’est mieux. Les riches échanges humains de plein pied se traduisent par des échanges au sein de l’humus, dans le sol. D’ailleurs, c’est de là que viennent les mots humour, humanité et humilité, les ingrédients de l’agroecologie et les valeurs de SCV Agrologie.
A 39 ans, il pense déjà former la relève, de la même manière que Lucien Seguy l’a formé - et continue de le former - depuis 8 ans. « D’ici quelques années je formerai des agron’Hommes en herbe pour faire de l’agriculture intelligente, stimulante, fondée sur l’agroécologie » Louis est un vecteur, un lien, il facilite le voyage des expériences d’un bout à l’autre du Québec agricole. En agroécologie tout est question d’équilibre. Les field trip de l’été sont passionnants et cuisants ; le rude hiver québécois est le temps des bilans. Les journées sont chargées et la résilience il la trouve dans la course, son autre passion. « Dans la vie, il faut aussi savoir se dépasser et mieux se connaître » m’explique t’il. Et je devine que courir dans la nature lui permet aussi de se reconnecter à l’essentiel.