Mercredi 30 juin 2021
José Martin

Cirad_ien, quasiment en pré-retraite à Montpellier, José Martin a bossé sur coton, arachide et canne à sucre en Afrique, Amérique du Sud et à La Réunion, sans abandonner le contrôle des adventices à l’intendance des projets de R-D et sans occulter le problème de l’érosion des sols, trop souvent relégué en angle mort de nos approches.

Arbitrage des controverses : les vers de terre en juges de paix ?

Même entame que pour ma première tribune : « dans leur dossier très complet sur l’agriculture de conservation et régénération des sols (ACS), les enseignants-chercheurs agro-toulousains Jean-Pierre SARTHOU et Ariane CHABERT (TCS n° 109)… ». Pour rappeler cette fois-ci un constat que je crois irréfutable : « depuis 8 000 ans, l’érosion des sols est la plus importante externalité négative de l’agriculture ; en témoigne aujourd’hui l’état (ruineux des sols) du bassin méditerranéen, dont les puissantes civilisations n’ont pu se développer que sur le socle d’une agriculture performante ».

Sols écorchés vifs

Le mystère du ruisseau rouge - Désastre
Le mystère du ruisseau rouge - Désastre

Historiquement et jusqu’à présent, aux échelles planétaire et du temps long, la dégradation progressive de la fertilité des sols et leur perte par décapage insidieux ou érosion brutale est bien la principale externalité négative de l’agriculture, sa principale force ruino-motrice. Une agriculture majoritairement minière, dévoratrice de sols natifs - nés de et élevés par la Nature au cours des âges géologiques : sols écorchés vifs à pointes d’araire de fer et de socs d’acier, au mieux et pour partie pansés avec d’onéreux apports de fumier de ferme. Une agriculture dont les dégâts se sont considérablement amplifiés avec l’avènement de l’énergie fossile et des disques pulvériseurs, en particulier il y a une centaine d’années avec la mise en valeur – en fait mise en faillite – des immensités des grandes prairies du nouveau monde, avec par exemple « le Dust Bowl des années 1930 aux États-Unis (qui) a déclenché la première vraie prise de conscience moderne de ce désastre écologique  ».

Réconciliation

Mais ne nous plaignons pas, car contrairement à bien des générations antérieures, nous vivons une époque épique, celle du développement de l’ACS et ses différentes déclinaisons plus ou moins abouties qui convergent vers un même et formidable objectif de réconciliation entre l’agriculture et la nature : l’élevage des sols vivants au profit de la culture des plantes nourricières et autres. Plus besoin de déplacer du fumier de ferme, il est produit sur place par les vers de terre et consorts ! Lucien Séguy (TCS n°108) l’expliquait fort bien : l’ACS n’est plus une exploitation minière, c’est au contraire et par mimétisme une agriculture inspirée du fonctionnement des forêts sempervirentes : verdissement maximum de l’espace agricole via une succession quasi continuelle de cultures marchandes et de couverts multi-services, avec en tête de ces services, ou plutôt à leur pied, une pédogénèse active favorable à la durabilité de cette activité et à sa résilience face à une diversité d’adversités climatiques. Avec l’avènement de l’ACS les anciennes divinités agricoles, la Déméter grecque ou la Cérès latine, feraient allégeance à la phyto-photosynthèse désormais alliée aux sols vivants en toute humilité humus-génératrice. Cette transition d’une agriculture dévitalisante conduisant à la ruine des sols au profit d’une agriculture productive, rentable et durable car génératrice de sols vivants et d’eaux claires - et de surcroît climatiquement intelligente - s’est faite en quelques décennies, et tient toute entière dans une carrière d’agriculteur ou d’agronome, c’est le grand privilège dont nous sommes nombreux à pouvoir témoigner personnellement. Ainsi en France, la revue TCS n’a pas encore 24 ans, et au Brésil, la Febradpd, tentaculaire fédération d’ACS et d’irrigation, n’aura 30 ans que l’année prochaine.

Le mystère du ruisseau rouge - l'ACS
Le mystère du ruisseau rouge - l’ACS

Cette transition fut dans le cas du premier des agriculteurs pionniers brésiliens un changement de cap à 180° opéré d’un seul coup en 1972, comme relaté dans ma première tribune d’hommage à Herbert BARTZ. Ce témoignage est repris par son biographe et ses enfants, dont sa fille, universitaire en biologie des sols au Brésil et au Portugal et spécialiste en taxonomie des lombricidés, en forme d’historiette pour enfants, à partir d’un épisode de leur enfance raconté en plusieurs langues, dont le français, avec des illustrations, dont celles qui illustrent cette tribune : https://febrapdp.org.br/livro/Le-mystere-du-ruisseau-rouge-WSantin2019.pdf

Journées nationales de l’agriculture

Chez nous, la dernière semaine de ce printemps 2021 a été marquée par la première édition des Journées nationales de l’agriculture célébrées sur trois jours, du vendredi 18 au dimanche 20, celui du premier tour des élections régionales et départementales si peu concouru aux urnes (y aurait-il une relation de cause à effet ?). La genèse de cette initiative inspirée des journées européennes du patrimoine (parfois matrimonial) dont la première édition à l’échelle nationale et sur une seule journée remonte à 1984 (deux ans après la fête de la musique) est sans nul doute à rechercher dans la non célébration de l’édition 2021 du Salon international de l’agriculture pour cause de pandémie de covid-19. Paraphrasons de Gaulle qui assurément aurait approuvé cette initiative servant in fine notre souveraineté alimentaire et même énergétique : "Comment voulez-vous (gouverner un pays) doper l’agriculture d’un pays où il existe (plus de) 246 variétés de fromages ?" Cette diversité est certes un atout, mais comment soutenir l’agriculture dans toute sa diversité sans déperditions paperassières asservies aux particularismes des filières ? Justement en considérant le cœur et l’âme communs à tant de diversité patri- matri- moniale, leur radicalité vivante : le sol, dans son intégrité et sa vitalité, à préserver ou restaurer, bonifier et renforcer. Par exemple en encourageant les agriculteurs engagés dans cette régénération Plateforme digitale - Pour une agriculture du vivant.

Vers de terre en juges de paix

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Le mystère du ruisseau rouge - Le VDT, indicateur
Le mystère du ruisseau rouge - Le VDT, indicateur
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Pour rétamer cette deuxième tribune, retour à la première, en renvoyant à la conclusion, juste avant l’hommage final à Herbert Arnold BARTZ le grand pionnier germano-brésilien de l’ACS, pour à nouveau lui faire écho, à lui et à sa fille biologiste des sols : « arbitrons avec les bilans de carbone à promouvoir en juges de paix, et les vers de terre du grand Darwin en témoins » ? Ces rôles ne pourraient-ils être inversés, en érigeant les vers de terre en juges de paix, comme le Mimi de cette historiette dont la scène remonte aux années 80’ (Mimi pour minhocas, vers de terre en portugais). Car ce Mimi s’est avéré recouvrir toute une diversité d’espèces, avec parmi elles 10 taxons qui ont été décrits pour la première fois par la petite fille de l’histoire, Marie Luise Caroline Bartz et al. (Zootaxa 3458 : 59–85 (2012) in www.mapress.com/zootaxa/ ), dont Fimoscolex bartzi nommé ainsi en l’honneur de son papa.
ADDENDUM.  JPEG - 8.8 koEn 1837, Charles Darwin, de retour de son voyage de cinq années à travers le monde, est à bout de forces. On l’envoie se ressourcer à la campagne, chez son oncle, qui dans ses prairies avait observé l’étonnant travail fouisseur et exonérateur des vers de terre. Cela amènera Charles à publier dès 1838 une première communication sur la formation de la terre végétale (On the formation of mould. Proceedings of the Geological Society of London, vol. 2,‎ 1838). Ensuite, accaparé par ses célèbres travaux sur l’évolution par sélection naturelle et l’origine des espèces, il délaisse l’origine des sols et les vers de terre pour y revenir à partir de 1869 avec de remarquables travaux qui culmineront à la fin de sa vie par la publication conjointe en Angleterre et aux États-Unis en 1881 l’ouvrage de référence, en français « La terre végétale et les vers des terre », où il écrit en conclusion page 313 : « Il est merveilleux de penser que sur une telle étendue toute la masse de l’humus superficiel est passée et repassera encore, toutes les quelques années, au travers du corps de vers de terre. La charrue est une des plus anciennes et des plus utiles inventions de l’homme ; mais bien avant qu’elle existe, la terre était en fait régulièrement labourée et continue toujours de l’être par les vers de terre. On peut douter que beaucoup d’autres animaux aient joué un rôle aussi important dans l’histoire du monde que ces créatures rudimentairement organisées. »
« Aujourd’hui, il est bien reconnu que les vers de terre sont des agents importants pour le maintien de « sols sains », et qu’ils agissent comme indicateurs de la qualité de l’environnement. » George G. Brown, Christian Feller, Eric Blanchart, Pierre Deleporte et Sergey S. Chernyanskii, « With Darwin, earthworms turn intelligent and become human friends. », Pedobiologia, vol. 47, nos 5–6,‎ 2004, p. 924–933 (DOI 10.1078/0031-4056-00282)
Source : Wikipedia, La Formation de la terre végétale par l’action des vers de terre

Complément de dernière minute, capté sur France Inter https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-lundi-28-juin-2021 avec l’annonce d’une réédition par L’élan des mots, d’une nouvelle traduction récente de l’ouvrage de Darwin, préfacée par Pierre-Henry Gouyon, professeur au Muséum National d’Histoire naturelle

EPILOGUE 

Sur l’air de la chanson de Féloche Darwin avait raison. Peut-être pas tout à fait sur la charrue (mais à son époque en Angleterre les dévastations par charrue interposée restaient modérées, alors que 140 ans plus tard, avec les énergies fossiles et les disques pulvériseurs, les dévastations devenaient immodérées : BARTZ AVAIT RAISON ! Vivent les vers de terre juges de paix !