Agriculture de Conservation et économie

Même si nous parlons beaucoup plus d’agronomie, d’environnement et de biodiversité aujourd’hui, réduire les coûts de production a été et reste encore le principal moteur de changement vers la simplification du travail du sol. C’est d’abord l’économie très substantielle de traction d’équipements et de pièces d’usure mais aussi de travail qui séduit et pousse à franchir le pas. Cependant, celle-ci n’est réalisable qu’à partir du moment où l’on développe une approche qualité du sol, associée à une approche cohérente de gestion des cultures et des couverts. Certes, la période de transition est toujours un peu compliquée, selon le milieu et l’état de départ ; souvent, une partie des économies finance les quelques erreurs et déboires mais aussi les dépenses supplémentaires comme les semences de couverts végétaux. Par contre, une fois le système installé et rodé, même si l’on reste sur une dynamique d’évolution, l’Agriculture de Conservation ouvre sur une multitude d’horizons et de potentiels de développements qui dépassent largement la simple limitation d’utilisation de la mécanisation. Elle encourage même une nouvelle analyse de l’économie des structures agricoles.

Plusieurs grandes options

En fait, et de manière synthétique, pour sécuriser voire développer le revenu de leurs exploitations agricoles, les agriculteurs ont plusieurs grandes options :
L’économie d’échelle. C’est la première et la plus commune ! Il est presque naturel de chercher à croître, s’étendre avec plus d’hectares et/ou plus d’animaux pour réduire les charges fixes. Cette alternative entraîne logiquement une augmentation assez proportionnelle de la production et du chiffre d’affaires. Cependant et malgré des économies réelles qui motivent ce choix technique, le coût de production par unité produite tend à se dégrader. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de produire plus voire beaucoup plus pour garantir un revenu. Même si cette réflexion ne remet pas en cause la notion de « taille critique », elle ressemble souvent à une forme de fuite en avant, se soldant rarement par des économies de travail. L’économie d’échelle induit de surcroît une forte augmentation des risques et surtout, du risque économique.

La réduction des dépenses. Comme bénéfice = produits – charges, c’est l’autre axe majeur en économie et l’agriculture n’est pas en reste. Bien entendu et de manières très différentes selon les exploitations, il existe encore de nombreuses dépenses qu’il est possible de supprimer, réduire ou tout simplement optimiser. Entre impact à court et moyen terme, la limite est compliquée et réduire les charges ne doit surtout pas entraîner une décapitalisation et hypothéquer l’avenir. La simplification du travail du sol est ici un très bon exemple. C’est clairement une réduction de charge assez facilement quantifiable mais la réussite de sa mise en œuvre passe par l’implantation de couverts végétaux et une adaptation des pratiques de fertilisation : des dépenses supplémentaires. Dans tous les cas, le rendement reste le diviseur des charges et de toutes les charges. Il convient donc de rester prudent et de maintenir une bonne productivité car toute forme d’extensification entraîne un effritement de la résilience dans le temps qui s’associe à une perte de la capacité à anticiper et à rebondir. Dans les cas les plus extrêmes, cela conduit à une démission lente mais dangereuse !

Développer une nouvelle activité. C’est la troisième voie classique avec un nouvel atelier d’élevage, de la méthanisation ou des gîtes ruraux. Ce sont peut-être des sources de revenus supplémentaires mais ce sont, aussi et souvent, des investissements avec un engagement financier assez lourd et long. S’il est important que ce projet s’intègre dans l’économie locale, il exige de nouvelles compétences et comporte de nouveaux risques. Il faut enfin être très prudent sur les possibles compétitions entre activités. Plus qu’une juxtaposition, il est très judicieux de rechercher la plus forte complémentarité et interaction entre les activités qui permettront de dégager des économies substantielles. Exemple : un atelier volailles qui va en fait fournir de l’engrais organique assez prisé en production céréalière aujourd’hui ou un méthaniseur qui va valoriser la grande majorité des couverts végétaux en CIVE (Cultures Intermédiaires à Valeur Énergétique) mais aussi permettre d’ouvrir la rotation, limiter le salissement et réduire fortement l’utilisation de produits phyto.

L’agriculture de précision est une approche hybride où des investissements en technologie promettent des économies mais aussi des gains de productivité. Certes, le déploiement de ses outils permet de collecter et de conserver une foule de données. La meilleure connaissance et surveillance des parcelles et des animaux peut conduire à des optimisations et donc des économies, mais gérer le vivant est encore trop complexe, imprévisible et difficile à soumettre aux algorithmes. Prenons la gestion de l’azote par exemple. Les engrais possèdent déjà un CAU (Coefficient Apparent d’Utilisation) compris entre 50 et 60 % et seulement d’environ 20 % voire moins pour les produits organiques. Ensuite, le climat avec l’eau et la température, est le facteur qui influence le plus la minéralisation et donc les fournitures du sol, au-delà du niveau d’autofertilité. Même s’il est possible d’établir des moyennes précises voire de tenir compte du réchauffement climatique probable, il semble illusoire de s’accrocher à une recherche de précision ici. L’information reste utile et un bon repère qu’il faut encadrer par des approches plus agronomiques. À ce titre, l’association de cultures et de préférence avec des légumineuses, apporte une formidable adaptation et facilité de gestion quels que soient les caprices de la météo tout en étant beaucoup plus juste et simple à mettre en œuvre. L’agriculture de précision est seulement un outil complémentaire qui va nous assister et accompagner nos recherches et quêtes d’efficacité en AC.

Mieux vendre et privilégier les circuits courts. C’est une autre orientation qui est dans l’air du temps et les récents confinements en ont renforcé la demande et la pertinence. C’est un levier fort pour augmenter la marge par unité de production pour s’extraire des fluctuations de prix nationales et internationales face auxquelles les circuits classiques laissent peu de choix. Souvent utilisé par beaucoup de maraîchers et d’agriculteurs bio, alors que cette stratégie est ouverte à tous, c’est également le moyen de renouer un dialogue avec les urbains/rurbains locaux et de leur faire comprendre la complexité de l’agriculture. La vente directe exige cependant de nouvelles compétences, quelques investissements, mais surtout peut devenir très chronophage et comporter des risques nouveaux avec notamment l’entrée dans les contraintes et les réglementations de l’agroalimentaire. Enfin et malgré l’engouement actuel, la demande est en forte croissance et il existe des niches et des opportunités à pourvoir mais il convient de rester réaliste sur le potentiel de ce segment de marché !

L’Agriculture de Conservation. Même si ce n’est pas la piste la plus évidente, c’est certainement l’une des orientations les plus prometteuses en matière de sécurisation voire d’augmentation de revenu. C’est premièrement de fortes économies de main-d’œuvre mais aussi de carburant et de mécanisation bien que celles-ci se construisent dans le temps. C’est en parallèle d’autres économies d’irrigation, de phytos et d’engrais à terme même si celles-ci exigent un investissement dans les semences de couverts et de plantes compagnes. Avec la sécurisation des rendements voire une augmentation (ou plus de régularité) grâce à des sols plus fonctionnels qui assurent mieux leur pouvoir tampon, l’AC se traduit par une augmentation de la marge par unité de production. De plus, elle renforce, par la réduction du niveau de capital investi et des charges opérationnelles, la sécurisation économique des systèmes de production face à toutes formes d’aléas. La culture de l’opportunisme développée par certains pionniers dans des zones marginales, amplifie même cette habile réduction des risques avec des couverts qui deviennent cultures ou inversement, que permet d’apporter l’AC. En complément, cette orientation ouvre sur une multitude d’autres opportunités de productions. La qualité des sols retrouvée et le savoir-faire en matière de semis post récolte en été débouche, chez certains, sur une seconde récolte qui vient remplacer un couvert. Chez d’autres, c’est l’élevage pâturant qui profite de la portance et de la qualité de cette biomasse diversifiée en venant valoriser les couverts végétaux. Prochainement, ce sera certainement la qualité intrinsèque des produits qui permettra d’alimenter des filières spécifiques et plus rémunératrices. En fait, ces entreprises, grâce à l’AC, ne s’étendent pas à l’horizontal mais plutôt de manière verticale en superposant des productions tout en recherchant la plus grande cohérence agronomique. Enfin, ce mode de développement est vecteur d’externalités positives avec des bénéfices environnementaux qui ne sont que la conséquence de la qualité et de l’intensité de leur orientation avec, récemment la séquestration du carbone : la possibilité de capter un nouveau bonus. Une aide pour nous encourager à faire encore mieux que ce que l’on fait déjà !
Bien entendu, cette transition n’est pas gratuite. Mais plus que des investissements, elle exige l’acquisition de nouvelles compétences, d’un savoir-faire associé au développement d’une approche systémique avec une certaine forme de retour à l’autonomie de décision. L’évolution de la performance et de la résilience d’un système agricole ne se décrète pas ni ne s’achète ; il se construit patiemment dans le temps.
Enfin, ce changement de stratégie induit également une modification d’attitude avec l’intégration d’une dynamique positive, d’une sensibilité aux innovations agronomiques et d’une ouverture pour repérer rapidement de nouvelles opportunités, les incorporer et en profiter.

La rentabilité est souvent beaucoup plus influencée par le « comment » produit-on

Il faut dépasser, bien entendu, le regard un peu « couperet » de cette analyse et il existe de nombreux « mix » habiles entre ces différentes grandes lignes de stratégies qui sont possibles et à encourager à partir du moment où les projets reposent sur une grande cohérence d’ensemble.
À ce niveau, il convient de garder à l’esprit que la rentabilité est souvent beaucoup plus influencée par le « comment » produit-on que par le choix de la production ou de la technique. En d’autres termes, la gestion qualitative des détails et la recherche de cohérence sont toujours plus performantes que le choix d’activité ou le type de production. Ce sont en fait ceux qui sont attentifs et présents dans leurs champs et/ou leurs bâtiments qui sauront anticiper, réagir et prendre les bonnes décisions. À ce niveau l’Agriculture de Conservation, en ramenant les agriculteurs dans leurs parcelles, avec en prime une forte connexion à leur terre, est un levier formidable d’optimisation et de sécurisation financière.


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