Benoît CHORRO

  • Jean-Marc Prudhomme
6
mars
2020

Les agriculteurs ont un plan B pour préserver la planète A

Depuis de nombreuses années, les exploitations Françaises cherchent continuellement le compromis pour garantir la pérennité économique de leurs entreprises tout en améliorant leurs pratiques agricoles. L’essor de l’agriculture de conservation des sols (ACS) en est le bon exemple. Ce mouvement, à l’initiative des agriculteurs, démontre la prise de conscience de la profession vis-à-vis de l’importance de la préservation du milieu pour produire durablement. Le monde agricole a la capacité de résoudre en grande partie l’équation du changement climatique si on lui en donne les moyens. Les sols des agriculteurs peuvent stocker du carbone en grande quantité, et cela chaque année. La réduction des émissions de gaz à effet de serre risque de devenir une priorité politique, économique et agronomique pour les prochaines générations. Les agriculteurs l’ont compris. Nous devons changer. Changer notre modèle de production, changer notre façon d’acheter et de consommer, changer notre alimentation si nous souhaitons laisser à nos enfants la chance de pouvoir fouler la terre de nos aïeux. Comment s’engager dans cette direction ? Quels sont les pièges à éviter ?

La recherche de l’ultra solution

Définir « la bonne stratégie » pour assurer le développement de son entreprise devient crucial dans un monde complexe et incertain. Vaut-il mieux essayer de tout planifier et s’en tenir au plan, ou faire preuve d’agilité selon l’évolution de la situation ? Cette question universelle, néanmoins quelque peu philosophique, concerne tout chef d’entreprise, tous domaines d’activités confondus. Existe-t-il, tout compte fait, une bonne stratégie ? Une stratégie efficace que l’on pourrait répéter à chaque fois ? Peut-être que la recherche de la solution unique n’est plus la solution. Nous recherchons inévitablement l’ultra solution, mais pourquoi ne pas voir la réalité au travers d’un nouveau regard pour répondre aux futurs challenges qui se profilent ? Accepter l’incertitude comme source de nouvelles opportunités pourrait permettre de donner un nouvel élan à nos pratiques agricoles. Accepter d’être inconstant, c’est en quelque sorte copier la nature. Frédéric THOMAS invite régulièrement les agriculteurs à être inconstants dans leurs pratiques culturales pour perturber le développement des mauvaises herbes par exemple. Facile à dire, mais comment s’engager dans cette voie en limitant les risques pour ne pas perturber son équilibre financier ? Comment s’engager dans cette voie lorsque nous devons faire face à des engagements bancaires ? Toutes ces questions ne pourront être réglées au travers de cet article, néanmoins, il faut dès à présent apprendre à cultiver l’agilité pour ne pas reproduire les erreurs du passé. « Être agile », c’est apprendre à planifier son inconstance. Anticiper et imaginer les différents scénarios pour rebondir, c’est accepter les risques pour gagner en résilience et en flexibilité. Alors pourquoi ne pas être agile lorsqu’il s’agit plus largement de stratégie d’entreprise ?

Une gestion nouvelle pour des risques nouveaux

La gestion des risques, qu’ils soient économiques, agronomiques ou environnementaux, demande pour un chef d’entreprise entre autres, des qualités de discernement, d’anticipation et d’adaptabilité. Comme un funambule, l’agriculteur doit à la fois regarder vers l’horizon pour suivre sa stratégie et faire preuve d’agilité durant la campagne culturale pour gagner en rentabilité en limitant l’impact des pressions biotiques et abiotiques. De manière inconditionnelle, et quel que soit le mode de production pour maximiser sa rentabilité, il sera, semble-t-il, tout le temps nécessaire d’investir la somme d’argent optimale. Ladite somme se raisonne en fonction de son potentiel de production, en vue d’obtenir la meilleure rentabilité par unité de production. En agriculture, l’unité de production est symbolisée par le couple « parcelle x culture ». Combien sont les agriculteurs à développer annuellement, au sein de leurs structures, une logique d’optimisation rationnelle des investissements parcellaires en lien à la fois avec le réel potentiel de leurs sols et de la culture ? Combien sont les agriculteurs à connaître leur coût de revient à l’unité de production ? Pourtant, même si cette logique semble implacable, est-elle la seule à mettre en place ? Oui et non. Il est nécessaire de connaître les coûts de production de chaque culture, mais il faut également savoir être réaliste sur les coûts cachés que ceux-ci peuvent amener à l’échelle de la rotation des cultures. Il faut dès à présent apprendre à mettre de la valeur sur les services agronomiques, non marchands, pour équilibrer la balance des choix entre gestion économique et gestion agronomique.

Quand gagner moins pendant un an, c’est gagner plus, plus longtemps

A l’échelle d’un système de culture, pour résoudre des problèmes agronomiques, il peut s’avérer économiquement intéressant d’intégrer, de temps à autre, une culture dite « à contre marge ». Prenons l’exemple d’un agriculteur qui souhaiterait réduire sa pression en ray-grass ou en vulpins dans les cultures de céréales d’hiver. Divers leviers agronomiques existent pour réduire la pression en mauvaises herbes. Prenons l’exemple de la mise en place de la technique dite « deux-deux », soit deux cultures de printemps à suivre (dicotylédones puis graminées) puis deux cultures d’automne (graminées puis dicotylédones). Cette technique vise à réduire fortement la présence d’une majorité des adventices en perturbant leur dynamique de germination. Par conséquent, l’utilisation des herbicides est moindre, le risque de phyto-toxicité pour les cultures l’est aussi. Au final, cela peut représenter un gain de productivité qui s’accompagne d’une moindre utilisation de certains herbicides de sortie d’hiver. Cette stratégie, équilibrée entre gestion économique et agronomique, concourt à améliorer la rentabilité de l’exploitation sur une échelle de temps longue.

Ci-dessous deux exemples de systèmes de cultures avec la stratégie « 2/2 » :
• Pois hiver > Blé > Orge printemps ou maïs en sec > Tournesol
• Pois printemps > colza > Blé > sorgho

Chez certains agriculteurs, le maïs grains ou le sorgho grains (en sec) pourraient apporter du risque à l’échelle du système de cultures, car les réserves hydriques des sols seraient trop faibles. Pour d’autres, cultiver du pois serait périlleux. Dans les deux cas de figure, seule la vision pluriannuelle peut nous amener à introduire des cultures peu rentables, si les bénéfices agronomiques apportés par la suite valent le coup. Ce choix incombe à l’agriculteur, et il n’est pas simple. Accepter de ne pas maximiser ses gains chaque année est compliqué, surtout en période de crise. Pourtant, pour arriver à bon port, il faut savoir ménager sa monture. Prenons un autre exemple : il peut arriver que le potentiel de production de certains sols diminue avec le temps. Cette analyse se fait généralement lorsque les apports de matières organiques d’origine animale se font rares, voire nuls au sein de l’exploitation. Certaines exploitations décapitalisent au fil des années le volant de fertilité de leurs sols. Fort de ce constat, comment réagir ? Doit-on gérer ses investissements en lien avec le potentiel des parcelles, « plus ma parcelle produit plus j’investis », ou doit-on au contraire investir plus dans les parcelles à faible potentiel de production, pour harmoniser le potentiel de production à l’échelle de l’exploitation ? Ce dilemme est bel et bien vécu par de nombreux agriculteurs qui se rendent compte que leurs sols sont plus gourmands en énergie pour les cultiver, et moins robustes aux aléas climatiques au fil des ans. Cette spirale infernale dirige généralement l’agriculteur vers une stratégie insidieuse de réduction des investissements en fertilisants, incompatible avec l’ambition d’améliorer sa rentabilité à moyen-long terme. Pour n’importe quel chef d’entreprise, il pourrait sembler incongru de devoir investir plus pour augmenter « le volant de fertilité » des sols sur des parcelles moins productives. Pourtant, c’est bien ce nouveau regard qu’il est nécessaire d’acquérir pour bénéficier d’un sol en bonne santé associé aux avantages des services écosystémiques introduits par l’agronomie.

Regarder l’agriculture avec un nouvel œil

Dans un monde où l’usage des pesticides sera probablement de plus en plus réglementé, où certains produits seront interdits ou deviendront quasi inefficaces, l’évolution des phénomènes de résistance, l’alternance des périodes de sécheresse ou de pluie pourraient tout simplement mettre à mal nos plans. Il faut donc se préparer à rebondir en cas d’échec. Rebondir, c’est penser aux alternatives possibles. Rebondir c’est être résilient. Rebondir c’est mener une réflexion pour bâtir un système de cultures économe en intrants et multi-performant. Cette réflexion doit être globale, et prendre en compte à la fois l’amélioration des performances économiques de l’exploitation, la qualité des sols, les enjeux liés à la préservation de la biodiversité, ainsi que le volet social. Un nouveau regard est nécessaire. Améliorer sa rentabilité et toutes ses performances ne se raisonne pas uniquement sur le court le terme à l’échelle des cultures emblavées. Il est parfois nécessaire de s’accorder un peu de temps et de l’accompagnement par des tierces personnes pour analyser les forces et les faiblesses de son entreprise. Par exemple faire le point sur son parc matériel et les annuités en lien avec celui-ci peut avoir du sens dès lors que l’on souhaite entamer un changement profond de système. Regarder l’agriculture d’un nouvel œil, c’est souvent ce que réalisent les agriculteurs engagés en ACS. Ils acquièrent, au fil de leurs pérégrinations, une capacité à pouvoir se projeter sur le long terme sans occulter les difficultés du quotidien. Cela pourrait venir du fait qu’ils intègrent les couverts végétaux comme une culture à part entière dans le système, même si cette hypothèse reste à vérifier. L’articulation des cultures de rentes avec les inter-cultures nécessite de repenser son système dans sa globalité. Tout comme l’ensemble de la profession, les agriculteurs en ACS doivent rationnaliser leurs investissements annuels tout en investissant dans leur outil de travail « sol » pour le futur. C’est ce qu’a fait Dominique GABORIEAU, céréalier dans la Vienne (86), il y a quelques années, en créant un partenariat avec un éleveur de moutons voisin. Le deal est simple : Dominique met à disposition ses terres à un berger. Celui-ci lui choisit et paye les semences de couverts végétaux. Dominique sème à sa charge et le berger gère son troupeau dans les champs. Voici un exemple de complémentarité gagnant-gagnant qui est permise lorsque l’on regarde différemment les possibilités que nous offre notre voisinage, un semoir direct, les couverts végétaux, et des ruminants. Dominique GABORIEAU bénéficie des avantages du « broute-crotte » sans inconvénients et à un prix incomparable. Engager une réflexion globale, en prenant soin de bâtir un système de cultures résilient en maîtrisant ses coûts de production, tout en apprenant à donner une valeur aux services écosystémiques, tels pourraient être les nouveaux éléments du cadre conceptuel de gestion économique d’une exploitation agricole de demain. Le changement est souvent synonyme d’appréhensions par peur de l’inconnu. En tant que chef d’entreprise, comment concilier performance économique et transition vers un modèle d’agriculture de conservation des sols ?

Passer d’une logique de changement subi à des changements choisis

Attardons-nous quelques instants sur la technique du colza-plantes compagnes pour limiter la pression des adventices et des ravageurs (altises d’hiver). Cette technique, désormais bien connue, introduite par Gilles SAUZET il y a environ 9 ans est un bon exemple pour aborder le concept de changement de logique. Actuellement, il est possible de cultiver des colzas avec des plantes de services choisies telle que la féverole, le fenugrec, la lentille ou le trèfle blanc. Selon les années, les plantes compagnes peuvent apporter des services agronomiques variés et permettent généralement d’améliorer la rentabilité de la culture lorsque la technique est maîtrisée (et que la météo est clémente). Passer d’une logique de « je me bats contre des adventices et des ravageurs » à « je produis avec des plantes compagnes pour limiter la présence des adventices » semble intéressante mais pas encore opérationnelle pour toutes les cultures. Sans entrer dans un schéma extrême où plus aucun herbicide ne serait utilisé, il est fort probable que de nouvelles pistes soient creusées dans le futur, pour re-concevoir l’architecture de nos référentiels techniques et agronomiques, tant à l’échelle du système, qu’à l’échelle de la culture. Le buzz autour des couverts végétaux depuis quelques années illustre bien le changement qui est en train de s’opérer. Les inter-cultures décriées pendant de nombreuses années concentrent désormais l’attention et l’intérêt d’une grande majorité d’agriculteurs, toutes filières de production confondues. L’essor des couverts végétaux en France, en Suisse, voire aux États-Unis, a permis d’apporter également son lot d’innovations agronomiques. Certains agriculteurs posent un regard nouveau sur des outils des fois oubliés sous le hangar. La renaissance de l’utilisation du DP12 en est le parfait exemple : semer dans une culture déjà en place est facilité, alors que cet outil semblait désuet. Au-delà de l’aspect machinisme qui nécessiterait un article complet, le couvert à durée indéterminée, nouveau concept agronomique, fait son trou. La gestion des couverts végétaux à durée indéterminée est une technique qui illustre le changement de paradigme qui s’opère. Le fait de garder un couvert en tant que potentielle culture de rente peut se programmer à l’avance, mais la part d’incertitude concernant la récolte de celle-ci demeure. Dans ce cas présent, c’est la relation aux rotations prédéfinies lors de la planification agronomique initiale qui se confronte à une nouvelle logique : l’opportunisme maîtrisé. L’opportunisme maîtrisé pourrait se définir comme la balance entre inconstance agronomique et connaissance des facteurs limitants de son système.

Passer d’une logique de planification rigide à une logique de flexibilité maîtrisée

L’opportunisme maîtrisé a pour objectif de limiter la présence des bio-agresseurs en ne les habituant pas aux rotations de son système. Passer d’une logique de « je prévois tout à l’avance pour utiliser de nombreux leviers agronomiques » à « je suis imprévisible pour perturber les bio-agresseurs dans leurs habitudes » demande un certain temps d’adaptation. Prenons l’exemple de Jean-Marc PRUDHOMME, agriculteur en Charente (16) qui maîtrise ce concept. Cette technique peut s’envisager en conservant un couvert d’hiver de type féverole par exemple, ou bien en semant un couvert d’été post-moisson comme du sarrasin ou du millet. Conserver un couvert végétal initialement prévu pour couvrir le sol afin de l’amener jusqu’à la récolte est intéressant. La féverole est une plante qui s’y prête bien. Dans le cas de la féverole, semée comme couvert avant un maïs ou un tournesol, si elle est bien répartie dans le champ, et que peu de mauvaises herbes sont présentes, ne pas la détruire peut s’avérer au final très intéressant économiquement. Une féverole en Charente, sur des terres avec des réserves utiles comprises entre 60 et 80 mm, peut produire entre 25 et 40 quintaux. Un tournesol, dans certaines situations, ne dépasse guère 25 quintaux. Malheureusement, les rendements moyens sont plus bas et il faut des fois s’y prendre à deux fois pour réussir son semis à cause de la pression exercée par les oiseaux ou autres bio-agresseurs. Selon le contexte parasitaire et le prix de vente des cultures, il peut s’avérer judicieux de conserver un couvert en place qui, au final, possède un niveau de charges opérationnelles bien plus faible qu’une culture franche. Les incertitudes dans le choix des cultures semées et dans la récolte, renvoient à la nécessité d’être dans une dynamique d’agronomie de précision pour utiliser un minimum de produits chimiques, et d’avoir une capacité à rebondir selon les différents risques agro-climatiques de la campagne culturale, car tout n’est pas rose. En outre, on peut avoir la même analyse avec le semis des cultures en dérobé post-moisson estivale. Le semis de sarrasin après une céréale ou d’un millet après la culture d’un pois n’est pas toujours un pari gagnant. Des fois, c’est la culture qui devient un couvert, car la récolte engendrerait trop de frais au regard du potentiel déclaré. Dans tous les exemples décrits, il faut s’inscrire dans une logique d’agilité agronomique conciliant précision et flexibilité tout en maîtrisant les charges.

Gagner en adaptabilité

Planifier et imaginer tous les « plan B », c’est se préparer à rebondir en cas de coup dur. Pensez-vous qu’il soit incohérent de planifier son inconstance ? Pour ma part, je pense que c’est regarder l’agriculture sous un nouvel angle. Mickael BRUNET, agriculteur dans la Vienne (86) sur une exploitation en polycultures-élevage sur des terres hydromorphes, le pense aussi. Il faut se préparer à gagner en adaptabilité pour contrecarrer les contraintes imposées par son environnement naturel. Mickael BRUNET a décidé d’investir dans un semoir semis direct en 2017 afin de s’engager dans la voie de l’agriculture de conservation des sols de manière progressive. L’achat d’un semoir a été un facilitateur, mais le déclic est venu grâce au trèfle blanc, plante compagne associée au colza. Le trèfle, dans son terroir, se plaît bien. Il pompe le surplus d’eau, et grâce à son maillage racinaire, améliore la portance des sols. Plus besoin de préparer un lit de semences avec la charrue et la rotative, de semer en mauvaises conditions sur une plage de temps réduite à cause d’une mauvaise portance des sols. Le semis avant 2017 était une contrainte et il demandait une organisation sans faille. Une météo trop pluvieuse à la Toussaint pouvait faire dérailler le système. Pouvoir semer en direct, ou derrière un léger déchaumage, a apporté plus de résilience au système, voire à l’exploitation toute entière. Au-delà de l’amélioration des conditions de travail et de vie, le couplage semis direct – plante de service – couverts à durée indéterminée apporte de nouvelles opportunités pour améliorer la rentabilité de son exploitation. En outre, la facilité de semer des cultures en dérobé derrière des prairies temporaires ouvre l’éventail des solutions agronomiques pour couvrir le sol en permanence, tout en favorisant la production de fourrage si besoin. Avant 2017, la rigueur était de mise sur l’exploitation, car le temps disponible pour semer était réduit. La pression était forte. Aujourd’hui, Mickael BRUNET planifie dans sa tête, aussi bien quelles seront ses cultures de rente, que les plans B qui pourraient faire leur apparition en saison. Il s’entraîne à gérer l’incertitude en réfléchissant aux différents cultures qui peuvent se combiner sur une même parcelle.

Exemple d'un système de culture flexible

Trouver l’équilibre

Quelle que soit sa stratégie, la logique à laquelle on se réfère, ou les motivations personnelles qui nous animent, la finalité pour un chef d’exploitation est de dégager la meilleure rentabilité de son outil de production. Tout au long de l’article, les différents exemples égrainés démontrent que plusieurs stratégies sont envisageables pour tenter de rentabiliser au mieux ses pratiques. Néanmoins, aucune approche n’est parfaite. Chaque agriculteur sait que la nature est incontrôlable. Une stratégie efficace une année peut être défavorable l’année suivante. Gérer les contradictions des nouveaux concepts agronomiques avec les références techniques antérieures efficaces est nécessaire pour trouver l’équilibre. Il faut être vigilant à ne pas extrémiser ses pratiques, au risque de se retrouver dans une double impasse : intellectuelle et technique. Les logiques du « soit l’un soit l’autre » ou du « ni-ni » ne fonctionnent pas bien en agriculture. Savoir identifier le facteur limitant pour déterminer la bonne stratégie est primordial. Reprenons l’exemple du colza plantes compagnes cité précédemment qui combine plusieurs logiques : celle du « je me bats contre » les mauvaises herbes avec un désherbant de rattrapage si besoin et la logique du « je produits avec des plantes compagnes » pour réduire la pression des grosses altises à l’automne et me passer d’un insecticide si possible.

Ne pas se perdre dans la transition

Une des plus grandes difficultés lorsque que l’on change de système est de pouvoir discerner ce qui relate du choix stratégique ou du choix idéologique. L’objectivité doit être le maître mot dans la prise de décision. Savoir faire la part des choses est primordial. Là aussi, c’est une question de dosage. Cela s’acquiert avec l’expérience. Pourtant, il ne faut pas mettre de côté ses envies. Le tout est d’accepter que la trajectoire du changement soit progressive, jalonnée par des étapes, ses propres étapes, pas celles du voisin. A ce titre, une anecdote sur la vie du groupe DEPHY Ecophyto de la Coopérative OCEALIA est intéressante à ce stade de l’article. Durant le mois de mai 2017, Jean-Marc PRUDHOMME avait accueilli chez lui une partie des adhérents du groupe. Un tour de plaine collectif fût réalisé. Jean-Marc PRUDHOMME, engagé dans l’ACS depuis 2012 est très expérimenté et la qualité de ses semis est souvent irréprochable. Les récoltes étaient belles cette année et pourtant, ce n’est pas ce point que certains agriculteurs retinrent lors de la visite. En outre, Mickael BRUNET et Dominique GABORIEAU furent à l’époque intrigués par la technique du couvert à durée indéterminée et la notion d’adaptabilité avec le plan B en cas d’échec. Aujourd’hui, ils pratiquent tous deux ces techniques sur leurs fermes et voient plutôt d’un bon œil l’intérêt d’être raisonnablement opportuniste. Ce nouveau regard est apparu car ils ont respecté leurs propres étapes du changement. Dans leur cas de figure, plusieurs ateliers de re-conception de systèmes de cultures ont été organisés avec leurs conseillers de la coopérative OCEALIA pour identifier quelles seraient les nouvelles combinaisons agronomiques et techniques permettant d’améliorer à la fois leurs marges et le taux de couverture du sol, tout en baissant si possible l’usage des produits phytosanitaires. Tels étaient les objectifs qu’ils se fixaient, source de motivation. Plusieurs rencontres ont été nécessaires pour affiner les réflexions par le jeu des débats agronomiques. Cette étape initiale a permis d’introduire de nouvelles idées et, chemin faisant, tous deux ont également intégré d’autres groupes de discussion pour mélanger les savoirs et acquérir une plus large expérience. En 2017, il leur aurait été difficile d’évoquer la destruction d’une culture, même si celle-ci n’avait engendré que très peu de dépenses. Déterminer à l’avance des plans B dans un système de culture n’était pas dans leur logiciel et de nombreuses questions s’entrechoquaient dans leurs têtes : comment maximiser sa rentabilité en étant opportuniste ? Comment gérer les bio-agresseurs si notre système n’est pas régi par un cadre bien déterminé à l’avance ? Comme vous l’aurez compris, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, mais il leur a fallu un peu de temps, grâce à des formations, pour comprendre que ces nouvelles approches devaient se mettre en place au fur et à mesure. Tout comme le sol doit être prêt pour s’engager dans le semis direct, les têtes doivent l’être également, et ceci avant même le sol, pour ne pas faire d’erreur lorsque l’on s’engage dans une transition de modèle de production.

Le changement climatique, la relation des citoyens aux pesticides, l’érosion de la biodiversité ou la dégradation de la qualité de nos sols, nous obligent et nous obligeront encore plus demain à modifier notre façon de produire. Au final, c’est notre relation à l’agriculture et à l’alimentation qui sera impactée sous toutes ses coutures. Il est temps de mettre à jour notre « logiciel » de gestion des risques et plus globalement nos stratégies de production. Ces nouveaux challenges à relever auront inévitablement un impact sur nos organisations économiques et sociales. Pour s’engager dans la transition des pratiques vers l’agriculture de conservation des sols, il faudra connaître et maîtriser un éventail de solutions techniques et agronomiques. Apprendre à ne plus rechercher l’ultra solution pour résoudre un problème pourrait éviter de tomber dans une impasse. Au-delà des connaissances à acquérir pour réussir sa réorientation, il faudrait être de plus en plus précis dans la mise en place de ses différentes techniques de productions si l’on souhaite accroître sa rentabilité tout en minimisant l’impact des pratiques sur le milieu. Les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés nous emmènent à re-concevoir nos modèles de gestion d’entreprise agricole. Après-guerre, il fallait nourrir la France, désormais il faut nourrir la France mais préserver les ressources de la Terre. Les agriculteurs peuvent mettre en place des plans B si la culture est ratée, mais il n’y a pas de planète B. Il faut, par conséquent, apprendre à décompacter nos cerveaux pour moins retourner nos sols. Pour cela, il faut passer d’une logique de changement subi à des changements choisis, accepter de cultiver des plantes compagnes pour mettre moins d’insecticides, accepter de protéger les sols avec des couverts végétaux pour éviter des contraintes réglementaires incompatibles avec la nature, accepter de faire un pas vers son voisin ou de modifier légèrement son système de cultures pour s’engager dans une relation gagnant-gagnant. Passer d’une logique de planification rigide à une logique de flexibilité maîtrisée, c’est accepter un monde où la nature reprendra ses droits. La priorité pour chaque agriculteur doit être d’apprendre à gagner en adaptabilité. Tout comme les salariés qui sont prêts à faire différents travails durant leur carrière professionnelle, les agriculteurs devront apprendre à jongler entre leurs différentes stratégies agronomiques pour perturber les parasites des cultures. Être agile agronomiquement sera un point fort pour performer économiquement, bien plus que la maîtrise des doses d’efficacité des molécules chimiques. Il faudra être agile comme un funambule qui trouve l’équilibre en suivant une trajectoire bien définie mais qui, au grès de sa perche, ajuste son avancement. L’équilibre se trouve en respectant le pas de temps nécessaire à l’acquisition d’expériences. Se former prend du temps, aller trop vite, c’est risquer la chute. Manquer de discernement dans ses choix s’est mettre en péril son exploitation. Regarder l’agriculture avec un nouvel œil est une nécessité, si l’on souhaite pérenniser l’agriculture familiale en France et valoriser notre modèle de production auprès des citoyens Français et au-delà des frontières. Au final, les agriculteurs ont les solutions pour préserver la planète A, des plans B et bien plus. C’est le moment de croire en nous !

Jean-Marc Prudhomme
Jean-Marc Prudhomme
Dominique Gaboriau
Dominique Gaboriau
Mickaël Brunet
Mickaël Brunet

Action pilotée par le ministère chargé de l’agriculture et le ministère chargé de l’environnement, avec l’appui financier de l’Agence Française pour la Biodiversité, par les crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Ecophyto

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