Matthieu Archambeaud

  • Le pois ayant disparu laisse le champ libre aux adventices
  • Plateforme d'essai de couverts
6
novembre
2015

Couverts végétaux et maladies (2)

Le risque de transmettre des pathogènes et des maladies via les couverts végétaux est une question qui n’est pas négligeable. S’il est lié aux espèces et aux variétés utilisées dans les couverts comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, l’observation nous montre également que le choix des dates d’implantation et de destruction des couverts est primordial.

Couverts d’été : l’objectif d’un couvert estival est de produire de la biomasse en septembre/octobre (et parfois plus tard comme nous le montre les 3 années passées) ; pour ce faire l’interculture est semée en juillet/août. À cette période, généralement sèche et chaude, les couverts poussent rapidement et ne présentent aucun signe de maladies. Les choses se gâtent une fois que la plante a terminé sa croissance et arrive à floraison : les sols et l’atmosphère sont humides, la température fraîchit ; c’est à ce moment que les plantes sensibles comme le tournesol de la photo peuvent exprimer des sclérotes et toutes sortes de désagréments...

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Moralité : quand un couvert d’été est arrivé à fleur et a terminé son travail, rien ne sert de le laisser mourir à petit feu en développant et multipliant tous les pathogènes présents dans le sol  :
1. On stoppe la végétation par roulage, broyage ou pâturage, éventuellement par un léger travail aux disques (en tenant compte du fait que si on retouche au sol avant l’hiver, on risque de déclencher une minéralisation, dangereuse à cette période) ;
2. On sème une végétation qui prend le relais : soit une culture d’hiver, soit un couvert d’hiver avant culture d’été (maïs, tournesol, soja...), soit on laisse une plante semée dans le couvert d’été prendre le relais (trèfle blanc ou violet par exemple, ray-grass ou trèfle, colza ou navette, etc.).


Couvert d’hiver : Le couvert d’hiver est un couvert semé à l’automne et a pour objectif de couvrir et de structurer le sol en hiver et de produire de la fertilité (biomasse) au printemps. S’il est simple à installer (conditions de semis favorables contrairement aux couverts d’été), il ne produit de biomasse qu’au printemps et c’est donc la sortie du couvert qui est plus risquée : alors qu’un couvert d’été a fini de pousser en octobre/novembre et qu’il reste 4 à 5 mois pour qu’il se décompose et laisse le champ libre à la culture de printemps, le couvert d’hiver est encore vivant en mars et peut poser toutes sortes de difficultés (assèchement du sol en cas de destruction tardive ou au contraire difficulté de ressuyage et de réchauffement en sortie précoce, résidus, résidus...). C’est d’ailleurs pour cette raison que la féverole est aujourd’hui plébiscitée comme couverture hivernale dans les réseaux de l’AC : facile à détruire, précédent favorable, peu de résidus gênants malgré la forte biomasse...

En année " normale ", le refroidissement intervient fin octobre et la date de semis du couvert d’hiver est peu importante : même semées début septembre, les plantes se mettent au repos hivernal et attendent le printemps pour redémarrer. Cependant, avec la série d’hiver doux que nous venons de passer, la pause végétative n’intervient pas avant fin décembre et les plantes de couverture ne s’arrêtent plus : elles continuent leur développement dans des conditions favorables aux maladies (voir photo ci-contre d’une féverole avec du botrytis), voire disparaissent pour cause de développement végétatif trop important.

Moralité : Il faut apprendre à semer ses couverts à la bonne date en faisant la distinction entre couvert d’été et couvert d’hiver, en semant les premiers assez tôt et les derniers pas trop tôt. Il ne faut pas non plus oublier le bon sens paysan et le principe de la diversité.
1. La féverole n’est pas loin d’être la plante de couverture hivernale idéale, ce qui conduit à son utilisation continue voire exclusive, augmentant ainsi le risque maladie. Pensez à maintenir de la diversité : le pois et la vesce, les trèfles font aussi de bons couverts ;
2. Si on veut éviter les maladies fongiques sur les couverts d’hiver il vaut mieux ne pas les semer trop tôt pour éviter un développement végétatif trop important à l’automne ;
3. Je sais ce n’est pas simple...

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21
septembre
2015

Limaces, repousses, colza, etc.

JPEG - 308.9 koCes photos ont été prises chez un agriculteur bio dans le Loir-et-Cher : la parcelle a reçu une culture de triticale/pois sur la partie gauche et de seigle/pois sur la partie droite. Après la récolte, un couvert d’avoine rude et de vesce a été semé sur l’ensemble du champ, en un seul passage superficiel (déchaumeur Compil).


Sur la partie gauche, il ne reste plus que l’avoine et quelques repousses de pois : les limaces se sont chargées des vesces.

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A droite, toutes les vesces sont présentes puisque les limaces sont restées sur le seigle dont elles raffolent.

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On connait déjà bien le phénomène sur les blés de colza en semis direct, dans lesquels les limaces laissent tranquille la céréale si on a pris le soin de ne pas supprimer totalement les repousses.

Pourquoi ne pas introduire un peu de seigle dans les colza associés ? On éloignera peut-être quelques limaces et on occupera l’espace avec une plante réputée allélopathique (désherbante). Pour finir, et contrairement aux légumineuses compagnes, la gestion du désherbage est facilitée avec une graminée compagne.

à suivre...


10
juillet
2015

Méthanisation des couverts : le beurre et l’argent du beurre (sans la fille de la crémière) ?

JPEG - 105.7 koCeci n’est pas une blague : se chauffer au pet de vache


Après la CIPAN, la CIVE (Culture Intermédiaire à Valorisation Énergétique), destinée à l’exploitation pour la méthanisation : en partant du principe qu’un couvert végétal n’a aucune valeur économique directe mais représente plutôt un coût, autant valoriser sa biomasse pour produire de l’énergie dans un bioréacteur. On adapte simplement l’idée du mélange fourrager d’interculture aux « malchanceux » qui n’ont pas d’élevage : au lieu de le donner à manger aux vaches, on le donne aux bactéries méthanogène dans une grande panse en plastique.

Quelques remarques :

- Premièrement, cela valide l’intérêt des couverts végétaux et des mélanges, aussi bien en hiver qu’en été : on peut produire de fortes biomasses à bonne valeur énergétique en interculture à condition de la semer tôt et " d’y apporter peut-être plus de soin à l’implantation que pour des cultures classiques " pour paraphraser l’agriculteur interviewé ;
- Deuxièmement, l’idée que les couverts sont un coût, imposé par une réglementation européenne écologisante mérite d’être discutée. Oui, des couverts végétaux efficaces ont un coût (100 €/ha à l’implantation) et demandent du soin et du temps. Ils apportent par contre de réels bénéfices pas toujours faciles à chiffrer (réduction de l’érosion, portance, structure, matière organique, activité biologique) : on devrait donc plutôt parler d’investissement dans le sol et on pourrait sans doute calculer un amortissement. Pour finir, et sans se projeter à 10 ans, le calcul de la quantité d’azote recyclée ou fixée suffit souvent à se rembourser dès la première année (un couvert c’est en moyenne 3 à 4 t de MS/ha, soit 90 à 150 kg/ha d’azote dont la moitié est disponible assez rapidement).
- Troisièmement, on supprime avec la CIVE une source d’énergie importante pour le sol, ce qui représente sans doute l’intérêt principal des couverts végétaux. Initialement développés pour le semis direct, l’objectif de la couverture est de remplacer l’énergie fossile utilisée par la mécanisation et la fertilisation par de la photosynthèse et de la fixation symbiotique. Si on exporte 1 culture supplémentaire tous les deux ans, on cumule les exportations et on doit résoudre le même problème de retour aux champs que les éleveurs (logistique de stockage et d’épandage des effluents, poids des machines et compaction des sols, valorisation, etc.). Pour reprendre les propos de l’agriculteur méthaniseur : " les difficultés logistiques et de main d’œuvre sont les mêmes que dans un élevage, sans doute plus importantes car les installations de méthanisation sont plus conséquentes. "

Quelques données :

- étude de l’IRSTEA
- étude d’Arvalis dans le Sud-Ouest

Au final, on arrive à produire entre 6 et 8t/ha MS de biomasse pour des CIVE d’hiver et 4 à 6 t/ha MS pour des CIVE d’été implantée tôt et fertilisée, ce qui est concordant avec ce qu’on arrive à produire en interculture. Au niveau énergétique on arrive à produire entre 500 et 2000 L/ha de méthane (soit grosso modo la même quantité de fuel ; si on enlève les 30% de pertes liées à la chaleur (mal valorisée le plus souvent) avec la cogénération électrique, il nous reste 350 à 1300 L/ha de méthane, ce qui n’est pas négligeable. Il restera à enlever les coûts énergétiques liés à la mécanisation (semis, épandage du digestat, ensilage, stockage, transport), l’énergie grise liée à la construction du méthaniseur, des tracteurs, des remorques, des ensileuses, etc...

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Un problème politique ?

Si on reprend le sujet à la base, on est devant un problème politique et non technique. La France refuse (à juste titre à mon avis) l’utilisation de cultures alimentaires pour produire du biogaz : l’objectif est plutôt d’utiliser les effluents d’élevage comme matière première pour éviter des pollutions liées aux épandages. Mais il est faux de croire qu’on va produire du biogaz de manière compétitive en utilisant exclusivement des engrais de ferme et des ordures ménagères : «  Cher (1,5 million d’euros en moyenne), compliqués, chronophages, d’une rentabilité aléatoire... Au nombre de 180 en France, les méthaniseurs agricoles ne tiennent pas leurs promesses. Les exploitants qui se sont lancés dans l’aventure sont déçus. » (Les Échos, 03/03/15). Cela est tout simplement lié au fait que les animaux ont déjà prélevé à leur profit la majeure partie de l’énergie et qu’il ne reste plus grand chose dans un lisier ou un fumier :

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De cette situation de fait on a sans doute pensé retomber sur ses pieds en faisant la promotion des CIVE en se basant sur le potentiel des couverts végétaux... En réalité on se dirige lentement vers une solution à l’allemande pour rentabiliser des installations hors de prix. Les Allemands (80% des installations mondiales) se sont focalisés sur le maïs pour atteindre l’efficacité optimale, sachant qu’une installation de taille moyenne consomme annuellement la production de 200 ha de maïs ensilage, produit 20 000 t de déchets de digestion et pose aujourd’hui de sérieux problèmes à l’agriculture allemande voir ici.

Si la rentabilité des installations CIVE + déchets urbains ou d’élevage veut être optimisé, on verra sans doute se développer des rotations ou c’est l’interculture qui deviendra subrepticement la culture principale : des CIVE à base de maïs, sorgho, tournesol, éventuellement avec irrigation, désherbage, etc... La réflexion de Jean-François Delaitre sur la rotation est à ce titre intéressante : « de l’orge plutôt que du blé pour semer plus tôt les CIVE d’été et abandon du colza comme culture énergétique, une culture qui occupait 11 mois de l’année sans produire beaucoup de biomasse. »

Sinon on peut toujours produire du biogaz à l’indienne :


22
avril
2015

Couverts végétaux et maladies (1)

Le risque de transmission ou d’amplification des maladies fongiques liées au sol est l’une des rares objections soulevées par la couverture des sols en interculture. Cette question est d’ailleurs plus souvent évoquée par des prescripteurs ou des techniciens que par les agriculteurs pratiquants déjà les couverts. Qu’en est-il réellement ?

La rouille

JPEG - 195.4 koSans doute la plus impressionnante car très visible sur l’avoine qui est souvent utilisée comme couverture hivernale, en solo ou non. Outre le fait que la rouille est spécifique et n’est donc pas transmissible aux autres céréales elle est tout de même handicapante car elle réduit l’efficacité de la plante et donc du couvert ; elle réduit également l’appétence dans les mélanges fourragers.

- L’utilisation de l’avoine en mélange avec de nombreuses autres espèces réduit drastiquement le risque. On peut également remplacer l’avoine classique par de l’avoine rude qui n’est pas sensible à la rouille (mais légèrement au charbon, personne n’est parfait).

Le sclerotinia

Plus ennuyeux est le sclerotinia qui touche une majorité des espèces utilisées en interculture : les crucifères (moutardes, radis, colza...), les légumineuses, le tournesol... Le stock de sclérotes dans le sol n’attend que l’occasion de faire des petits en sautant à la gorge des plantes sensibles... En écoutant les prudents, il ne resterait donc plus que les graminées à mettre en interculture (en faisant attention à la fusariose, personne n’est parfait).

- Dans les faits, et même s’il semble plus prudent d’éviter de placer trop de crucifères dans les couverts des rotations avec un colza ou un tournesol qui revient trop souvent, on a observé assez peu de problèmes sur le terrain depuis la quinzaine d’années que sont testés les couverts un peu partout en France, en Europe et dans le monde. Pour être plus précis, les deux années où j’ai pu observer des sclérotes exprimés sur des couverts étaient les deux ou trois hivers doux que nous venons de passer : sur des couverts ayant déjà atteint la floraison et qui n’ont pas été " stoppés " par le froid. L’hypothèse qu’on peut avancer est qu’il y a certainement assez peu de problèmes de maladies sur des couverts qui démarrent forts dans des conditions saines (août, septembre, début octobre), contrairement à des cultures qui doivent démarrer ou redémarrer au printemps dans des conditions humides favorables aux maladies ; la situation s’inverse courant octobre avec des plantes moins poussantes et des conditions froides et humides : il est sans doute temps d’arrêter le couvert (et peut-être d’assurer un couvert relais sous-semé ou sursemé).

- Dernier point, plus on développe l’activité biologique dans le sol, moins les champignons parasites posent de problèmes puisqu’ils sont concurrencés par des champignons utiles de type décomposeurs ou mycorhiziens voire sont carrément dévorés par des congénères : un champignon antagoniste du sclerotinia, Coniothyrium minitans, est désormais commercialisé. Par ailleurs si les champignons du sol se comportent comme ceux de la croûte de fromage, la diversité est bénéfique : fromages traditionnels au lait cru : un microbiote riche et diversifié confère des bénéfices associés.

L’aphanomyces

Un dernier pour la route : aphanomyces, terreur à juste titre des producteurs de légumes et de pois protéagineux. Elle touche non seulement le pois mais aussi la féverole, les trèfles violet et blanc, la luzerne ou le haricot. La survie des spores dans le sol est estimée entre 10 ans et 20 ans. Si vous êtes concernés (secteur contaminé et culture concernée) il est plus prudent de respecter quelques règles.

-  Espèces et variétés sensibles  : l’UMR BiO3P de l’INRA de Rennes a publié (Moussart, Even et Tivoli, 2011) il y a quelques années un document fort intéressant faisant le recensement de la sensibilité des espèces et des variétés réellement sensibles à aphanomyces. On s’aperçoit qu’en dehors de quelques espèces très sensibles (pois, lentille, gesse), la plupart des variétés utilisées en France sont assez résistantes. Le seul bémol pourrait être le colza associé qui fonctionne justement très bien avec du pois, de la lentille et de la gesse. Cependant, le facteur variétal est important puisque les chercheurs recommandent " d’éviter le pois fourrager dans les parcelles moyennement à fortement infestées (PI>1.5). Dans les parcelles saines ou faiblement infestées, privilégier des variétés telles que Arkta, Lisa ou Assas. Éviter Picar. " La féverole est résistante dans les conditions françaises ; les variétés de trèfles blancs utilisées en couverture permanente ne sont pas sensibles, contrairement à la luzerne ou le facteur variétal est important. Ce sont les vesces qui présentent, comme d’habitude, la plus grande variabilité : " la vesce présente des variétés sensibles (Bingo, Améthyste, Caribou, Safran, Savane, Barvicos, Granit), partiellement résistantes (Cristal, Candy, Opale, Spinelle, Jade, Delphi, Platine) et totalement résistantes (Nacre, Capucine, Michaëla, Melissa, Scarlett, Topaze, Marine, Malachite, Corail, Catarina, Caravelle). Les variétés sensibles et partiellement résistantes sont susceptibles d’être pénalisées par la maladie et pourraient multiplier l’inoculum dans le sol. "

-  Associations d’espèces  : dans les situations à risque, il est recommandé d’éviter de multiplier les espèces sensibles dans les rotations. La chambre régionale d’agriculture de Lorraine a publié un tableau intéressant attribuant des notes en fonction des situations. Comme ce que l’on peut observer sur la rouille de l’avoine, le fait d’associer des espèces entre elles réduit le risque par 2 en culture et par 3 ou 4 en interculture (sans doute du fait d’une présence moins longue). On aurait pu rajouter dans le tableau le soja qui représente un risque nul (pas sensible et non multiplicateur).


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-  Qualité du sol  : last but not least, le risque “ aphano ” augmente également avec l’humidité du sol, ce qui signifie encore une fois qu’un sol vivant, correctement structuré et drainé réduit les risque de contamination...

En résumé :

- Garder le bon sens paysan : diversifier les espèces, y compris dans les couverts et surtout dans les couvertures permanentes (ne pas prolonger au-delà du raisonnable des associations céréales/luzerne ou trèfle) ;
- Associer les espèces dans les couverts et pourquoi pas dans les cultures ;
- Développer la vie du sol, meilleur garant de la santé du sol, des plantes (et sans doute des animaux et des hommes) ;
- Dans les situations à risque (production légumière notamment), sélectionner des variétés tolérantes ou résistantes et faire attention au colza associé à la lentille et à la gesse.

à suivre...


20
novembre
2014

La ferme des 1000 vaches : High-tech ou Low-tech ? (2ème partie)

Opposition à la ferme des 1000 vaches" L’affaire" de la ferme des 1000 vaches est très symptomatique du manque de discernement de nos concitoyens et de certains agriculteurs en ce qui concerne notre avenir agricole.

On nous présente une caricature où on trouve d’un côté les défenseurs des " paysans ", installés sur de petites fermes et pratiquant une agriculture de terroir, alliant respect de l’environnement et qualité ; de l’autre côté on trouve des affreux " capitalisses " qui ne croient qu’au progrès industriel et technique, à une économie basée sur la croissance perpétuelle, tournés vers des lendemains qui chantent et piétinant une Nature exsangue.

Sans rentrer dans les motivations de chacun (riverains mécontents, entrepreneur du bâtiment en reconversion, militants écologistes, citoyens de bonne foi et agriculteurs entreprenants ...), on peut quand même essayer de recentrer le débat.

Le vrai problème n’est pas de savoir si il y a 1000 vaches [1] ou 10 sur la ferme mais si le système d’élevage est cohérent. Le fait de concentrer 1000 vaches nourries à l’ensilage de maïs et au soja n’est pas innovant en soit, même si ça permet d’avoir des ristournes sur l’aliment et de monter une usine à gaz ; on peut également poser la question de l’impact sur le paysage (pire que 10 stabulations de 100 vaches ?).

Pour vous montrer que dans le domaine de la performance " environnementale " ce n’est pas la taille qui compte, regardez cette petite vidéo sur Rhys Williams, agriculteur anglais, tournée par nos amis de PatureSens il y a quelques années. Quelques chiffres sur ce monsieur : 100% herbe (pâturage, ensilage, couverts), 800 vaches, 4 000 à 5 000 litres de lait par vache, plus de 4 vaches/ha, 10 à 12 rotations par an, 16 t/ha de MS consommée, 20 000 L/ha/an de lait, ...

Pour changer d’ambiance :

Bref, il n’y a pas besoin d’opposer les Néo-Babes 2.0 à des agriculteurs hyper-productivistes car c’est bien le système de production qui est important, pas la surface, le look ou l’idéologie (mais c’est vrai que du point de vue de la nostalgie, le Breton et ses bœufs l’emporte sur le Gallois et ses 800 vaches). Comme d’habitude en France on se chamaille sur des problèmes accessoires et on n’aborde jamais les vrais problèmes.

Un autre exemple : robotisation d’un élevage ou comment prendre le problème à l’envers :

Dans cette vidéo sur la robotisation poussée d’un élevage, on comprend que le passage à l’automatisation permet aux éleveurs de vivre mieux (on s’en doute), au troupeau également (pourquoi pas ?) et qu’il permet même de générer quelques économies de fourrages. Ne sont, par contre, pas posées d’autres questions essentielles : combien ça coûte ? quelle stratégie de gestion des sols et des cultures a été mise en place en amont ? quel est la solidité économique d’un système soumis à de fortes charges dans un contexte où le revenu est soumis à fluctuations (climat, prix du lait, prix des aliments, crises financières...).

On est en fait dans une logique de fuite en avant :
1. mon système de production arrive à ses limites car je dois travailler de plus en plus pour gagner ma vie
2. il faut faire des économies d’échelle (concentration des élevages, réduction de la main d’œuvre)
3. il faut des robots pour faire le travail (gain de temps, réduction de la main d’œuvre)
4. il faut continuer à travailler de plus en plus pour payer les traites ...

La vraie question serait : pourquoi est-ce que mon système n’est pas rentable ? dois-je produire plus ? consommer moins ? faire autre chose ? -> Il est nécessaire de se poser les bonnes questions et la gestion holistique est un excellent outil pour cela.

En résumé :
- Le high-tech c’est bien et parfois mieux (s’il peut réellement aider l’agriculteur dans sa vie quotidienne : gain de temps, automatisation, compilation de données, réaction en temps réel, etc.) mais ne ça sert à rien sans le low-tech ;
- Le low-tech performant est souvent synonyme d’individus high-tech (innovants, curieux, pro-actifs, marginaux, etc.) qui peuvent utiliser indifféremment du low-tech (poste à souder, connaissance du sol, intuition) que du high-tech (drone, robots, réseaux sociaux) ;
- Ça n’empêche pas de trouver des " low-tech " très sympathiques mais en dehors du coup et des " high tech " désagréables également à côté de la plaque (l’inverse est tout aussi vrai).

En conclusion :
- Le problème du low-tech c’est qu’il est complexe à diffuser et à mettre en oeuvre puisqu’il est basé sur l’expérience, la connaissance, l’intelligence et le partage ;
- Le hightech est coûteux mais relativement simple à mettre en œuvre (il suffit de lire le mode d’emploi puisque les chercheurs et ingénieurs qui ont créé le procédé ont réfléchi à votre place - parfois brillamment d’ailleurs).


10
octobre
2014

Êtes-vous mûrs pour le semis direct ?

J’avais crayonné ce tableau sur un bout de nappe dans un restaurant pour essayer d’expliquer simplement à des étudiants ce qu’il faut résoudre comme problèmes avant de parvenir à faire du semis direct permanent.

Avantages comparatifs des moyens de travail du sol

Les principaux avantages attendus du travail du sol sont :

- La gestion des résidus de la culture précédente pour permettre l’implantation de la culture suivante ;
- La structuration (temporaire) de la couche dite arable pour aérer le sol et permettre un bon développement des racines ;
- Le réchauffement dudit sol pour permettre la minéralisation de la matière organique et donc la fertilisation des cultures ;
- La destruction des adventices (temporaire) pour éviter la concurrence en début de végétation.

Ce qui signifie que lorsqu’on réduit ou supprime le travail du sol, on va devoir travailler différemment pour contourner ces difficultés, et que le semis direct est la technique la plus délicate car elle n’en résout aucun.

Si on prend les TCS " intensifs " qui combinent travail profond sans retournement et travail de surface, il y a peu de différence avec le labour, hormis qu’on ne dilue pas la matière organique (seulement vrai si le fissurateur ne mélange pas les horizons de terre).

Le strip-till localise quand a lui le travail du sol et résout donc la majorité des problèmes à condition de travailler dans de bonnes conditions.

Les TCS de surface permettent la plupart du temps de bien gérer les résidus, le salissement et le réchauffement du lit de semence mais pas du tout la structure : la pratique des couverts végétaux et une bonne activité biologique commencent à devenir essentielles. Les sols limoneux ou très argileux risquent de poser des questions pendant de longues années...

Pour le semis direct, il faut commencer à ruser sérieusement avec la nature !

- Résidus  : soit ils se décomposent très vite (légumineuses plutôt que pailles), soit le semoir joue bien avec (dents avec du dégagement, disques tranchants, résidus verts ou bien secs), soit on les écarte (roulettes chasse-débris, prétraçage, écartement des rangs) ;
- Structure  : pas trop de problème dans les textures favorables (sols sains, sables, argilo-calcaires superficiels), sinon il va falloir de la patience, de la matière organique et de l’activité biologique. Pas de problème non plus avec les céréales, peu sensibles aux sols compacts ;
- Réchauffement et fertilisation : relativement peu de problèmes en automne sain et en fin de printemps (sols ressuyés voire réchauffés, cultures peu sensibles et à cycle long) bien que le climat des dernières campagnes ait parfois mis à rude épreuve les convictions ; les cultures de printemps et les cultures sensibles (colza, pois) sont plus délicates à réussir. Dans tous les cas une fertilisation starter (minérale, organique, voire biologique) est un plus : la jeune plantule ayant davantage besoin d’une activité biologique performante autour de sa radicule que de grandes quantités d’éléments minéraux. Dans les conditions froides et humides, le réchauffement préalable du lit de semence peut s’avérer indispensable (passage de surface, pré-traçage au strip-till ou avec le semoir à vide) ;
- Adventices  : pas trop compliqué avec des désherbants, d’autant plus que le semis direct limite fortement les levées ultérieures. Pour les bios et ceux qui souhaitent doivent réduire les IFT, la seule solution est de se retrouver avec un sol propre au moment du semis ou avec des adventices qui n’en sont pas (plantes estivales gélives non montées à graine, plantes non gênantes pour la séquence de rotation qui vient) : la solution est souvent d’avoir un couvert conséquent et implanté très tôt, ainsi qu’une rotation adaptée, par exemple de type 2/2.

On aurait pu ajouter la gestion des ravageurs : limaces, taupins et campagnols mais on sort un peu du sujet pour rentrer dans une réflexion plus globale.