Écologie : retour au raisonnable !

Dans ce monde médiatique, largement dominé par la crise sanitaire où chacun scrute dans ce dédale d’informations l’évolution des courbes d’incidence, les choix de vaccins et les moyens de fonctionner au milieu de contraintes changeantes dans l’espoir d’une issue, d’autres sujets, notamment l’écologie, restent très présents. Malgré tout, il semblerait que nous soyons en train d’assister à un timide retour à la raison même si ce n’est qu’une perception et qu’il faille rester prudent face à l’écologisme. Cette nouvelle voie qui murmure pourrait bien trouver résonance et s’amplifier progressivement afin de prendre le pas sur les flux d’exigences radicales, incohérentes et même contre-productives.

"Nous Paysans"

Concernant l’agriculture, le très bon documentaire« Nous Paysans », diffusé sur France 2 le 23 février, montrait avec un grand réalisme l’évolution de l’agriculture sur plus d’un siècle. La misère, la pénibilité du travail et l’attrait des villes ont vidé les campagnes qui se sont mécanisées, tout en faisant formidablement croître la production : constat classique ! Le débat ou plutôt l’échange qui a suivi rassemblait un panel d’agriculteurs (trices) très divers quant à leurs productions, leurs pratiques culturales, la taille de leurs exploitations, leurs origines et même leurs âges. Ce n’était plus une opposition d’approches et de visions d’agricultures mais plutôt une éloge à leur complémentarité et une dynamique d’adaptation que l’on présentait. Enfin, pas un dossier à charge…

3ème voie

L’autre émission qui a fait beaucoup de bruit et largement animé les réseaux sociaux est celle de Mac Lesggy avec la collaboration de Serge Zaka, un agroclimatologue sur M6 le 1er mars. En prime time, cet ingénieur agronome a osé s’attaquer aux préjugés très coriaces qui hantent l’agriculture française. Mêlant des études de terrain, des analyses scientifiques, avec l’appui d’experts mais aussi un panel de consommateurs, il a démonté habilement quelques grands clichés. Autre point intéressant de ce spécial E=M6 : l’agriculture de conservation des sols s’invitait comme une forme de 3ème voie. Sans refaire l’analyse de ces émissions qui comptent, bien entendu, des biais, des non-dits et certainement des erreurs qui sont inévitables tant le sujet est vaste et complexe, il faut relever que certains journalistes ont osé, à une heure de grande écoute, rompre avec l’agribashing et apporter une rupture face aux rhétoriques de la bien bien-pensance : un positionnement et une programmation presque inenvisageables il y a 2 à 3 ans seulement !

La moins mauvaise solution

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce début de retournement de situation. La crise sanitaire en est responsable pour une bonne partie. Malgré la cacophonie médiatique mais aussi politique et scientifique, la majorité de la population commence à comprendre que nous sommes face à une crise très complexe et que les solutions ne sont pas ou ne sont plus binaires. Pour avancer au mieux vers l’inconnu, il est important de tenir compte de la majorité des critères et de choisir la moins mauvaise des solutions ; même s’il est possible de se tromper, il est nécessaire d’agir !
La crise sanitaire a aussi remis en avant l’intérêt de la science et même du tant décrié « Big pharma » avec les vaccins. Cette situation inédite a aussi permis de mettre de côté le sacro-saint « principe de précaution » aliénant toutes les initiatives afin de réintroduire au grand public la notion de bénéfices/risques : une approche beaucoup plus logique et surtout constructive. Cette crise sanitaire laissera donc des traces importantes à beaucoup de niveaux allant même jusqu’à modifier l’analyse de l’actualité que fera la majorité de la population.
En complément, l’écologie commence à être confrontée à la réalité et aux faits. En panne d’idées et de solutions efficaces, elle tend même à se radicaliser. Par exemple, la nécessité de trouver des moyens pour réduire fortement les émissions de GES, et surtout de gaz carbonique dans l’atmosphère, replace le nucléaire, pourtant banni, comme possible transition, tant les autres énergies dites renouvelables ne sont pas aussi efficaces qu’attendues. À ce titre, l’Allemagne d’aujourd’hui fait office de mauvais élève avec son niveau de CO2/kWh. Ses émissions vont de moins 200 geqCO2/kWh à plus de 600 geqCO2/kWh avec une moyenne d’environ 420 geqCO2/kWh : une variation importante due à la discontinuité des énergies renouvelables : solaire et éolienne. Ces niveaux font partie des plus hauts d’Europe malgré tous les efforts et investissements consentis dans les énergies renouvelables depuis 30 ans. En opposition et malgré notre lenteur à bouger, la France est dans le groupe de tête en matière d’électricité décarbonée grâce au nucléaire mais aussi aux barrages hydroélectriques (50 à 80 geqCO2/kWh). Dans ce contexte où toute production nouvelle sera toujours plus carbonée, à quoi rime de vouloir faire circuler les voitures, les camions, les tracteurs et les vélos à l’électricité alors que cette consommation supplémentaire vient s’ajouter à une consommation générale toujours en croissance. Le rapport du Haut-Commissariat au plan du 23 mars dernier(« Électricité : le devoir de lucidité ») présente parfaitement l’aspect contradictoire des grandes orientations et le risque de « blackout ». Plutôt que de stigmatiser une source d’énergie en faisant croire aux vertus d’autres, il aurait été plus productif de se concentrer sur des « négawatts » et d’envisager plus sérieusement des réductions de consommations énergétiques globales plutôt que de jouer avec des habillages plaisants qui n’ont aucun effet positif, bien au contraire.

Illustrations d’incohérences

Ce même constat contre productif a déjà été exposé entre le verre et le plastique dans le TCS n°108. Sans mettre de côté les aspects « pétrole » du plastique mais aussi pollution, le remplacer par du verre ne règle en rien l’impact global pour l’environnement et la planète. Nous avons réussi le tour de force de faire croire que recycler (jeter) le verre est un geste responsable, alors que le sable n’est pas encore une matière première limitée. De plus, pour refondre le verre, il faut atteindre une température de 1600°C, et une nouvelle fois de 800°C pour lui redonner une forme : un recyclage très énergivore sans compter le transport induit. Le plastique est aussi recyclable mais à très basse température (180°C) et beaucoup plus léger. Il n’a donc pas que des inconvénients sachant que le vrai recyclage consiste à laver et remplir ses bouteilles, ses bocaux et même mieux, à utiliser le vrac !
En fait, ces exemples ne sont que des illustrations d’incohérences qui sont applicables aussi à beaucoup de dossiers agricoles présentés au grand public. Cependant, il faut admettre que nous arrivons à la fin d’une période. Les discours binaires et clivants, même s’ils étaient et sont encore utiles pour alerter et orienter les adaptations, sont difficilement les pourvoyeurs de solutions durables. Ainsi, ces visions réductionnistes commencent à se heurter aujourd’hui à la réalité des faits et sont souvent confrontées à un paradoxe : ce sont les solutions tant critiquées qui risquent de devenir des choix acceptables pour transiter et vraiment réduire nos émissions et notre pression environnementale de manière globale. L’agriculture de conservation, pourtant productiviste et encore consommatrice d’engrais et de phyto (dont le glyphosate) est, à ce titre, un exemple parfait. Elle permet de continuer de produire de manière très économe (bilan énergétique très positif) tout en minimisant fortement les impacts sur le sol, œuvrant à une nette amélioration de la qualité de l’eau, encourageant la biodiversité, tout en séquestrant du carbone dans les sols. Peut-on aujourd’hui se passer de cette solution, même si elle n’est qu’une étape, une dynamique, d’autant plus qu’elle est déjà fonctionnelle et maîtrisée par une frange croissante des agriculteurs ?
En complément et comme pour la pandémie, il va falloir accepter le fait que nous vivons et évoluons dans un monde complexe. Les solutions, s’il en existe, sont toujours diverses et incertaines puisque le contexte évolue en permanence. Il va donc falloir sortir des croyances simplistes et de nouveau faire confiance à la science pour nous informer, nous aider à prendre des décisions et à avancer, tout en acceptant le doute.

La responsabilité de chacun

La nécessité de développer une approche globale ou systémique afin d’aboutir à des bilans bénéfices/risques est le dernier enjeu majeur à affronter. Difficile de comprendre que le poids carbone d’une douzaine d’œufs est plus impacté par la manière de l’acheter. Si vous avez fait quelques kilomètres en voiture pour aller chez le paysan voisin, c’est du local, ce sont de bons œufs, c’est un acte responsable, mais le poids carbone sera très impacté par votre déplacement spécifique. Cet exemple très simple démontre bien la difficulté d’une approche système mais surtout ramène à la responsabilité de chacun dans son travail, dans sa consommation et dans sa vie. Cette complexité rejoint l’agriculture où la dimension de la structure peut être synonyme d’économie d’énergie, où l’intensification peut être positive s’agissant de la photosynthèse, où des intrants peuvent être salutaires s’ils assurent quantité et qualité.
Il est donc temps de soutenir le retour à la raison dans les débats et surtout de laisser plus la parole aux experts dans leur domaine et leur faire confiance. Ce ne sont pas des idéologies trop décalées voire des utopies qui construiront le monde de demain, mais la grande diversité des acteurs qui œuvrent en s’appuyant sur leurs réalités, les connaissances complexes de leurs milieux et leurs savoir-faire. À ce titre, l’agriculture de conservation, par ses cohérences économiques, agronomiques et environnementales risque de continuer de surprendre et certainement, progressivement s’imposer !


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