Opaline LYSIAK

  • L'architecture de la technique des corridors solaires (source : H.L. Britt)
  • Le pâturage tournant dynamique de Félix Noblia
  • Estimation du rendement par l'observation des épis chez Valery Groleau, en Vendée
  • Implantation de couverts avant plantation d'un rang de pommiers
31
janvier
2019

Un jeune Agron’Homme en Australie

« Je ne réalise pas que je pars à l’autre bout du monde » m’écrit Romain Lebas en cette première semaine de janvier. Le projet les Agron’Hommes « Vivre et créer l’Agroécologie dans une ferme du Monde », estime qu’il faut aider les jeunes à sortir de leur zone de confort pour trouver les clés qui leurs permettront de construire un projet de vie qui correspond encore mieux à leurs valeurs.

Lors de notre première rencontre en septembre, Romain est étudiant en BTS au lycée agricole Edouard de Chambray (Eure). Après avoir présenté le projet Les Agron’Hommes, je lance le débat : « Est-ce que vous pensez faire de l’agroécologie chez vous ? ». Romain témoigne : lui et son père portent une attention particulière à la fertilité des sols sur la ferme familiale en pratiquant l’agriculture de conservation. Romain aide son père à tous les niveaux, de la prise de décision aux interventions sur le terrain, et de l’élevage aux cultures.

Six mois et quelques échanges de mails plus tard, Romain s’apprête à partir pour le pays des kangourous, pour s’impliquer dans le projet de Randal et Juanita Breen. Au départ Romain visait une ferme sans élevage, pour approfondir ses connaissances techniques en agriculture de conservation. Il accepte finalement de partir dans une ferme avec 3000 poules et à 17000 km de chez lui. Pour la zone de confort, on est bon. Lors de mon voyage en Australie, j’avais passé juste une demi-journée chez les Breen, le temps de faire une vidéo, récolter des données essentielles pour le numéro 100 de votre magazine préféré, et comprendre que le couple d’éleveurs a tous les atouts pour partager leur expérience avec un jeune.

Romain, avec ses passions et ses talents, complètera ce que j’ai commencé à récolter, pour ramener à la manière d’un boomerang des idées d’ailleurs et mettre à disposition de tous - et surtout de ses camarades de classe qui eux n’ont pas été en Australie - des supports pédagogiques pour catalyser la transmission de connaissances agroécologiques à travers le monde.

« Ma ferme dans 10 ans, je pense qu’elle aura gardé le même esprit, la même taille, avec peut être du maraîchage sur sol vivant et des poules en agroforesterie » imagine Romain. Nous verrons si le voyage en Australie précise les idées de notre jeune agriculteur. Sans apporter de recettes, plutôt en faisant naître encore plus de questions. Mais ça, Romain le sait déjà.

Article sur la gestion holistique en Australie
Playlist Australie de la chaîne Youtube les Agron’Hommes


5
janvier
2019

La plateforme qui catalyse l’agroécologie est en de train de germer… et sa fertilité dépend de vous

Chronique Landfiles n°1 - janvier 2019

L’année 2019 naît dans un terreau - de challenges - très fertile. Défi de l’Agriculture Biologique de Conservation et du sans glyphosate. Donner à ceux qui mangent le pouvoir d’influencer les choix de ceux qui nourrissent. Et offrir aux étudiants qui manquent de situations concrètes la possibilité d’aider les agriculteurs qui ont du pain - complet - sur la planche.

Tout cela dans un contexte où ceux qui diffusent, forment, enseignent l’agroécologie commencent à être en compétition. Mais il reste un défi : comment favoriser le partage des connaissances et des expériences vécues par les agriculteurs sur le terrain, dans un monde où les informations circulent en masse sans capitalisation ? La jeune application Landfiles est sans aucun doute une réponse.

« J’ai déjà Twitté »

Voilà ce que me répond Dominique Luherne, agriculteur en Bretagne, lorsque je lui donne la possibilité de tester l’application sur son smartphone. Une première réponse que je comprends, après tout. Alors que les agriculteurs utilisent Facebook, Whatsapp, Twitter, Instagram, pour les réseaux sociaux, Mes Parcelles, Géofolia, pour le suivi des cultures, à quoi bon envahir mon écran avec une nouvelle application, dans un smartphone qui est parfois un parasite plutôt qu’une véritable aide au quotidien ? Dominique utilise son compte Twitter comme un vrai fil d’actualités de sa ferme : photos de parcelles suivies sur une campagne, approfondissement de certains sujets qui posent question dans son système. Pourtant, quand je cherche à mieux comprendre les choix agronomiques de Dominique, c’est juste impossible avec Twitter. Ou alors il faut prendre 2 heures pour éplucher les twitt et récupérer quelques informations. Rien n’est capitalisé.
Une étude menée par Terre-net en 2015 indique que 15% des agriculteurs ne sont pas satisfaits des applications agricoles qu’on leur propose. Ces derniers seraient-ils à la recherche d’une application qui connecte les cerveaux d’humains innovants en agroécologie ?

« WhatsApp répond à une partie de mes besoins »

2018 a vu l’explosion des groupes WhatsApp. L’application est accessible à ceux qui n’utilisent pas - ou ne veulent pas se laisser distraire par - Facebook. On y partage messages, photos, vidéos, documents. Félix Noblia, agriculteur dans le Pays-Basque, est très actif sur un groupe privé « Agriculture Biologique de Conservation » (ABC) partagé par une cinquantaine d’agriculteurs et conseillers. Mais ceux qui sont moins actifs ratent beaucoup de messages, ce qui laisse des « vides » dans la compréhension des thématiques et la communication au sein du groupe. Et les nouveaux arrivants dans le groupe n’ont accès à aucun des échanges précédents.
Alors, avec le co-créateur de Landfiles Nicolas Minary, Félix a impulsé la création d’un groupe Landfiles ABC, où sont capitalisés les suivis de parcelles des membres. Et en plus, ces derniers peuvent faire remonter à Landfiles leurs nouveaux besoins, comme par exemple la réalisation d’un tutoriel vidéo pour démarrer sur l’application.
Le réseau social Landfiles
Landfiles peut devenir une base solide de connaissances pour des groupes de producteurs. Elle peut aussi être un rendez-vous inter-générationnel - entre agriculteurs d’aujourd’hui et de demain - et inter-contextes pour renforcer le partage des expériences pour l’agroécologie sur notre planète. A travers l’application, vous avez un accès en direct à ce que font les agriculteurs des groupes que vous suivez sur leur ferme, un accès à des essais agroécologiques de France et du monde, et vous pouvez partager les actions du quotidien avec une communauté globale d’agriculteurs.

Pour Nicolas Minary, informaticien né dans l’agriculture, « l’innovation est faite par les agriculteurs. Je trouve que l’usage actuel de Whatsapp et Facebook est gênant : les informations sont diffusées, mais non capitalisées. Tout est perdu pour les agriculteurs, tout est gagné pour Facebook. Or, la recherche agronomique du futur sera participative ou ne sera pas. Sans capitalisation de la connaissance, on progresse très lentement . »

Landfiles répond à une demande là où d’autres applications sont absentes. Et de nombreuses possibilités d’utilisation de la plateforme ne sont pas encore nées, car elles dépendent de ceux que vous imaginez.

Je n’arrive pas à me défaire de cet « optimisme de survie » : je sais que cette nouvelle année sera plus riche en photosynthèse que la précédente. Landfiles trouve sa place dans la boîte à outils agroécologique de ceux qui veulent catalyser la transition.

Alors, un petit tuto vidéo pour commencer ?
https://youtu.be/PNTubm7QO4E

Plus d’informations sur https://landfiles.fr

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Nicolas, sur la ferme de son frère, éleveur de Montbéliardes dans le Haut Doubs

22
octobre
2018

Le ver de terre n’a pas de frontières

Tiens tiens, l’Humain se rappelle soudainement qu’il vient de l’Humus et y dédie une journée !
Le dimanche 21 octobre nous célébrons la journée mondiale du Ver de Terre, organisée par la Earthworm Society of Britain. Un jour pour le ver de terre, alors qu’on devrait l’honorer 24h/24 et 7j/7. Cela me fait penser à la journée de la femme. Mais c’est quand même une bonne idée, car ça m’a donné l’occasion de faire cette vidéo :

Vous l’avez vu et entendu, vous avez peut être été ému : il y a plus de façons de dire « ver de terre » que de pays sur terre. Et pourtant ils font tous le même travail, quel que soit le contexte. Ils participent - à leur insu - à produire notre nourriture partout sur la planète. Humbles, ils ne demandent aucune éloge, pourtant Christophe Gatineau dans son dernier livre a décidé de le faire.
Pendant 11 mois et dans 12 pays, j’ai rencontré des passionnés du lombric, ou des gens qui n’y connaissent rien mais c’était l’occasion pour leur aérer l’esprit à coup de galeries. Les vers de terre ne connaissent pas les frontières ; on leur en impose parfois entre certains horizons. Oui, l’inter-culture (du latin cultura « habiter », « cultiver », ou « honorer ») entre peuples - aller vers l’autre et aimer la différence autant que les similitudes - est aussi importante que dans les champs, pour maintenir une vie sous la surface des sols, des écosystèmes équilibrés.
«  Le ver de terre c’est l’agriculteur-chercheur , me dit Sebastien Angers, agriculteur Québécois. Il creuse dans l’inconscient du vivant, dans la complexité et le mystère du sol, comme tous les agriculteurs qui prennent des risques sur leur ferme pour expérimenter »
Si on développe une certaine connection à la nature, il nous rappelle que tous les Humains viennent de l’Humus et plus on se rapproche du sol, à la fois si simple et complexe, plus on gagne en Humilité. Cette Humilité nous est aussi vitale que l’Humus. « La nature me fait chaque année apprendre de mes erreurs » explique Félix Noblia, agriculteur qui relève le défi de l’ABC dans le Pays Basque.
Au Brésil, l’agroforestier João Pereira me dit «  la Nature c’est l’énergie, les Humains sont la conscience  ». Nous avons l’incroyable opportunité d’utiliser notre conscience pour restaurer les écosystèmes - qui sont aujourd’hui des égosystèmes - et catalyser les processus naturels pour produire notre nourriture. «  L’être humain est un animal raté » dit l’éthologue Pierre Jouventin. L’évolution nous a donné un cadeau (ou un fardeau) celui de pouvoir et devoir prendre des décisions ; si éloignés des origines de la vie notre instinct ne suffit plus. Allons trouver notre place au sein de la nature pour prendre des décisions et sauver notre espèce ? Le film de l’être humain pourrait se terminer ainsi : « Quelques millénaires après s’être levé sur ses deux pattes arrières et s’être un peu trop éloigné du sol, de sa source, l’Homo s’est auto-détruit » c’est la Nature qui publie l’article, parce qu’elle s’en sortira très bien. C’est de l’Humour, mais c’est bien sérieux. Rapprochons nous du sol et tout ira bien, vous verrez.


24
septembre
2018

« Depuis que j’ai vu un peu d’humanité dans le regard d’un ver de terre...

... je vous avoue avoir repris espoir ». Quelques lignes après cette phrase, Christophe Gatineau laisse au lombric la première partie de son livre « L’éloge du ver de terre ». On connaît l’auteur officiel, mais en fait les droits reviennent au lombric et à l’Humus, sans qui l’Humanité (écrivains inclus) n’existerait pas.

J’ai eu la chance inouïe de pouvoir commencer à lire « L’éloge du ver de terre » avant sa sortie officielle et la rupture de stock chez Amazon (vous avez bien lu, c’est Amazon, sans « e »). Lors du salon Innovagri le 6 septembre, je rencontre le créateur du blog Le Jardin Vivant à l’arrière de son Kangoo sans savoir que c’est lui. Il m’offre une poire de son jardin et nous nous mettons à parler lombrics et labour au beau milieu de la Beauce. Quelques heures plus tard, en échange d’une belle conversation filmée, il me dédicace son bouquin en avant-première.
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Des articles, des émissions, il y en a déjà une belle collection. Mais je devais en faire la critique, de cet éloge, moi, Opaline, prof d’agroécologie globe trotteuse, amoureuse des vers de terre de la planète. Je sais dire ver de terre en 14 langues, c’est vous dire ! Mais je veux juste vous mettre l’eau (ou plutôt l’humus) à la bouche, ne pas tout vous dévoiler de ce livre qui fut un vrai délice pour moi. Au passage, c’est amusant : Christophe Gatineau est passé sur Europe 1 en même temps queles Agron’Hommes sur RFI.

Christophe Gatineau
Christophe Gatineau

Ce livre est un éloge, mais n’est pas une longue liste de bénéfices et d’atouts que le lombric terrestre apporte à l’agriculture. Ça, beaucoup l’ont déjà fait, avec un impact limité au cercle des passionnés d’agroécologie (comme moi). Non, c’est plutôt une discussion pleine d’émotions entre un homme et un ver de terre, qui assument pleinement être en train de faire l’éloge de ce dernier, en s’écartant (mai pas trop, hein) du cœur du sujet pour parler philosophie : comment les hommes ont divisé alors que dans la nature tout est lié (et nous avec), comment les hommes sont gouvernés par leurs croyances alors que le ver de terre lui, a la tête sur les épaules. Quand il plane un peu trop, l’auteur se fait vite rappeler à l’ordre par son pote lombric « Tu te souviens du titre du livre ? [...] j’ai l’impression que tu fais l’éloge de ton cerveau ».

On a parfois l’impression d’être dans un bouquin pour enfants. Je dis parfois, car pendant que le ver de terre se repose dans son terrier, l’auteur en profite pour mettre à nu la sexualité débridée de l’annélide. En choisissant le format d’un roman, Christophe Gatineau rend accessible à tous ceux qui savent lire les bases de géodrilologie (la science du lombric) découverts par Charles Darwin et Marcel Bouché, et justement peu diffusés et oubliés à travers les siècles et les décennies parce que seuls les scientifiques et agronomes pouvaient (et voulaient) les comprendre.

Notre petit ver de terre n’est jamais à cours de phrases choc : « …Cette idée lumineuse qui consistait à abandonner la fertilisation organique pour nourrir la plante uniquement avec NPK n’est pas née du bon sens paysan mais dans le cerveau de vos meilleurs cerveaux agricoles, les ingénieurs agronomes ». Après ces efforts de réflexion et au bout de quelques pages/heures, le lombric n’hésite pas à respecter sa nature et à aller dormir dans son terrier. L’auteur, bien humain, continue son discours, au diable la fatigue, il faut le finir cet éloge !

« A force de croire, vous avez fini par prendre vos croyances par des savoirs ». Voila ce qu’a dit un ver de terre à Christophe Gatineau, à l’occasion d’un coup de fourche dans son jardin. Alors que l’être humain s’amuse à être vegan, végétarien, crudivore ou paléothiquien, le lombric est logique : il est locavorien, il mange « ce qui est dans son environnement direct [...] des plantes fermentées ou crues, parfois faisandées ». La suite est croustillante (et crue), rendez vous page 69.

En fait, ce dialogue Homme-Humus est une stratégie, une opportunité, pour reprendre une par une des idées qui, à force d’être éloignées de la terre ferme sont amenées aux extrêmes. La terre végétale ? La forêt comme modèle ? La charrue, mal absolu ? Ce sont nos idées qui nous font prendre des décisions et qui conditionnent notre survie. Cette survie dépend de l’état de nos sols, dont le ver de terre n’est pas seulement la star et le symbole, mais le garant. On devrait s’inspirer de la sagesse lombricienne, celle qui ne se laisse pas emporter par sa pensée et son ego, celle qui garde toujours les pieds dans la terre. Et je suis 100% d’accord avec Christophe : pour respecter la vie, pour respecter le lombric, il faut qu’il soit reconnu par la loi.

Alors oui, je crois que ce livre est un outil pédagogique pouvant être utilisé de manière interdisciplinaire - « parce qu’il faut penser système, parce que tout est lié » comme l’explique Christophe dans cette interview :

Les profs d’agro, de français, de bio-eco, de philo et d’éducation socio-culturelle devraient l’avoir toujours dans leur sac et on devrait en offrir un exemplaire à tous les jeunes des lycées agricoles. J’y réfléchis sérieusement.

Pour terminer, j’ai pondu une citation, inspirée du Dalaï Lama : « Si on expliquait à tous les jeunes de 8 ans l’importance du ver de terre, en une génération l’érosion disparaîtrait de la planète »*. Citation à reprendre et à diffuser, SVP lors de la journée mondiale du Ver de Terre, le 21 octobre 2018.

(*) « Si on apprenait à tous les jeunes de 8 ans la méditation, en une génération la violence disparaîtrait de la planète »


23
août
2018

Au Québec, l’agriculture de conversation à la base de l’agroécologie

Louis Perusse - Québec
Louis Perusse - Québec

Muni de sa mini-pelle - vraiment mini - et de son appareil photo, Louis Perusse parle, écoute, arpente les champs avec ses agriculteurs, prend 10 photos par minute et creuse comme il respire.
Deux fois par an, il quitte la région de Québec pour traverser de bout en bout sa région natale, la Gaspésie, et suivre les agriculteurs de son réseau. Il me propose de l’accompagner. En 1 semaine de road/field trip en Gaspésie, je n’ai même pas vu son écriture : il ne note presque rien, concentré sur l’échange constructif qu’il développe avec ses clients. « Mon appareil photo, c’est mes notes. Et puis en fin d’année, j’offre une sélection des plus belles photos aux agriculteurs  » me dit-il. Sa mission : favoriser l’adoption des systèmes en Semis direct sur Couverture végétale permanente. « Au Québec, on distingue l’agronomie, qui englobe tous les domaines liés à l’agriculture, et l’agrologie, qui se focalise sur le sol et le végétal ». D’où le nom de son entreprise, SCV Agrologie.

Une agriculture régénératrice des sols et de l’esprit

Oui, Louis est passionné par la diversité des plantes et il est convaincu que la base d’un système agricole résilient est un sol vivant, car c’est la première étape pour que l’agriculteur redevienne au coeur de ses décisions. Mais son travail va bien au-delà. « Je coache les producteurs pour qu’ils se réapproprient l’essence de leur métier, et cela démarre par un sol vivant. Et cela demande un vrai talent pour utiliser le génie du végétal au sein d’une ferme ». Expertise, conseil, coaching, formation. Ces termes ont des niveaux différents. Dans le coaching des conseils sont fournis, et pour cela l’expertise est nécessaire. « J’informe les agriculteurs pour qu’ils acquièrent une autonomie de prise de décision à la ferme, je veux améliorer la liberté d’action des agriculteurs, et cela passe par la connaissance ». Rendre l’agriculture beaucoup plus stimulante, une vraie démarche intellectuelle, pas juste appliquer des recettes. Faire un agriculture résiliante, plutôt qu’une agriculture qui répète les même erreurs comme par le passé. Une agriculture humaine sur tous les plans.

Le réseau SCV Agrologie comprend 27 agriculteurs, mais Louis en accompagne 40, sur tout le territoire du Québec, soit 12000 ha. Lors de ma visite, nous profitons du cadre superbe d’une prairie de luzerne chez Patrick Arsenault pour faire une micro interview. « Une des manières d’améliorer mon système, c’est d’aller chercher des gens qui ont un niveau d’expertise, de les amener sur la ferme, d’écouter leurs propositions et d’oser essayer  » témoigne l’éleveur laitier basé à Bonaventure.

Louis complète : «  La base est de faire un bon diagnostic, comprendre les problèmes et poser des actions. Ensuite on travaille beaucoup sur les rotations ; ici, on a décidé ensemble de raccourcir la durée de la prairie à 3 ans pour avoir un maximum de luzerne vivante dans la prochaine culture ».

Du conseiller au formateur : une question de responsabilité ?

Après 2 à 4 heures d’échanges, des conclusions et des propositions émergent. « Au final c’est le producteur qui prend la décision et il en est responsable. Parfois on réalise ensemble que ça ne fonctionne pas et il y a toujours un facteur explicatif »

Système racinaire plantule - Québec
Système racinaire plantule - Québec
"Parfois on réalise ensemble que ça ne fonctionne pas et il y a toujours un facteur explicatif"

Si un conseil est appliqué et ne fonctionne pas, qui est responsable ? On pourrait penser que c’est un sujet sensible ; les agriculteurs pouvant rejeter la faute sur leur conseiller. C’est là que l’on touche à la différence entre un conseiller et un coach, et à la spécificité de ce que Louis propose. Il donne aux agriculteurs un maximum d’éléments pour qu’il puisse savoir quoi faire ; au final le « conseil » se transforme en décision prise par l’agriculteur. « Après 3 ans environ, mes agriculteurs deviennent autonomes, responsables de leur système SCV qu’on a développé ensemble. De 20-25 heures par an, on passe à 10h de services sur toute la saison.  »

Les enchères à l’innovation

Elevage chez Bertrand Anel - Québec
Elevage chez Bertrand Anel - Québec

A en croire André Breton, « devant le Rocher Percé le pinceau et la plume doivent s’avouer impuissants ». A défaut d’utiliser un pinceau, Bertrand Anel joue à l’artiste en enrichissant un paysage déjà si beau à l’extrême est de la Gaspésie. Il développe un système agroforestier avec élevage bovin-viande. Un cas complexe, inhabituel pour la routine de Louis Perusse. « On essaye de réhabiliter des prairies naturelles laissées à l’abandon. Le challenge est de réimplanter une diversité de plantes valorisables dans l’élevage bovin viande » … au milieu d’une belle touffe d’adventices variées et colorées.
« L’an dernier on a eu de la neige jusqu’en mai, m’explique Bertrand. Le défi c’est de semer et devancer les mauvaises herbes pour produire suffisamment de biomasse car on ne fait qu’un coupe de foin en juillet ». Bertrand a un beau bagage plein d’expériences et de connaissances qui lui permet de mettre assez de grain au moulin décisionnel. Mais la présence de Louis, qui passe ses journées à discuter - de visu ou par téléphone - avec 40 fermes dans 40 contextes différents, crée un ping-pong d’idées, une enchère à l’innovation. Il réalise aussi une veille agroecologique et peut apporter les derniers connaissances scientifiques (ou les bases) dans le quotidien des producteurs. Face à ce tapis de diversité non maîtrisée, Bertrand labourera ou labourera pas ? « Je ne veux pas que le producteur s’entête à faire du non-labour. Parfois je conseille un labour parce qu’il est plus raisonnable de remettre la parcelle à zéro pour bâtir le système sur de bonnes bases agronomiques »

Agriculture de conversation

Louis Perusse - Québec
Louis Perusse - Québec
Louis prend le temps. Il autorise les blancs dans les discussions, où chacun fait le tour de sa pensée, intègre une idée avant de poursuivre le tennis décisionnel.

Louis prend le temps. Il autorise les blancs dans les discussions, où chacun fait le tour de sa pensée, intègre une idée avant de poursuivre le tennis décisionnel. Il ne presse pas les producteurs, imagine une diversité de solutions en intégrant toujours la psychologie, les contraintes, le habitudes et valeurs de chacun de ses « protégés ». Comme les plantes dont il croit dur comme bêche aux bénéfices, ce ne sont pas des conseils de surface que Louis propose ; ce sont des propositions aux arguments bien enracinés. « A toutes les idées qu’on propose, on n’a pas vraiment de réponse et il faut essayer à petite échelle, me dit Louis, entre deux mini profils de sol. C’est tout le défi, de trouver un équilibre entre créativité, prise de risque et résultats. Je dis à l’agriculteur de questionner la nature dans ses essais. Mon but c’est de coacher mes producteurs pour qu’ils soient autonomes… mais j’amène toujours de nouvelles idées ».

Soyez ouverts, sortez couverts

Améliorer la fertilité, stocker l’azote et surtout, stocker l’eau. Un programme de taille chez Patasol, où la pomme de terre domine dans les assolements. Quand on connaît les itinéraires techniques conventionnels, on pourrait penser que c’est peine perdue. Mais pour Jean-François Chabot, c’est un beau challenge. « La résilience est le mot clé de mon système. Je sais qu’à force de patience les systèmes qu’on développe vont rapporter. On vient de traverser deux années caractérisées par une sècheresse, et l’an dernier on a déjà vu la différence dans les champs. Ça va mieux et la couverture végétale y est sans doute pour beaucoup ». Dans une parcelle, il a comparé l’implantation de pommes de terre derrière un couvert végétal détruit au printemps, ou sans couvert. En plongeant la main dans la terre, près des racines du tubercule, c’est évident, le sol est plus frais dans la partie qui a reçu les couverts. On remarque que l’appareil foliaire des plants y est moins régulier. « Souvent les cultures rattrapent leur retard après les premiers semaines de développement, rassure Louis. C’est peut-être la dynamique de minéralisation de l’azote qui change et il faut le comprendre et s’adapter »

Une banque de graines dans le coffre… pardon, la valise

Sur une autre parcelle, on observe les jeunes pousses d’un mélange de 6 plantes, une recette que Louis maîtrise et qu’il a adaptée au contexte de Patasol. « Les couverts ont permis de réduire le travail du sol. Les vers de terre sont déjà de retour dans nos parcelles ! » se félicite Jean-François. Phacélie, avoine fourragère, vesce velue, radis fourrager, pois fourrager, herbe du Soudan. Une accumulation d’observations dans des contextes très variés ont conduit notre expert-couverts à réaliser que ce mélange fonctionne aussi bien au dessus qu’en dessous. « Il combine des plantes qui ont une diversité de fonctions. On explore les différents horizons du sol, différents espaces aériens avec des feuillages plus couvrants ou des plantes plus longues et fines. Il y a de la diversité végétale, et des abris pour la biodiversité animale ».
A 17h, Louis annonce la fin du rendez-vous par un rapide « Je te fais un petit mix de plantes ? ». Il propose aux membres de son réseau de semer une vingtaine d’espèces sur une petite surface. Il appelle ça une parcelle « cuisine » : le but premier est de former par l’observation, de voir les types de plantes qu’il peut intégrer dans son système de culture. « Ensuite on peut faire un profil de sol, observer la diversité des enracinements, et voir que la qualité du sol est modifiée par l’arrivée des plantes ».

Profil racinaire à la bêche - Québec
Profil racinaire à la bêche - Québec
"Ensuite on peut faire un profil de sol, observer la diversité des enracinements, et voir que la qualité du sol est modifiée par l’arrivée des plantes"

Ce qu’il se passe à la surface en dit beaucoup sur la santé des sols. Dans son réseau, Louis fait aussi le lien aussi entre offre et demande de semences de couverts ; il connaît les producteurs qui commencent à exceller dans la production de cette denrée parfois rare. Il a rempli, au fil des années, une belle banque d’échantillons de plantes de couverture qui permet aux agriculteurs de démarrer de petits essais. « L’objectif final est d’optimiser la croissance des plantes pour avoir une belle couverture et faire de la biomasse à partir de la lumière du soleil, stocker de la fertilité, intensifier l’activité biologique. Je démarre toujours avec 3 espèces, un mélange complet mais qui ne va pas effrayer l’agriculteur avec une trop forte diversité  »

SCV Agrologie « Avec, pour et chez les agriculteurs »

Est-ce que les agriculteurs vont chercher les connaissances techniques de Louis ? Oui… mais ce n’est vraiment pas la seule attente. L’expertise rassure, mais quand on a du fun, c’est mieux. Les riches échanges humains de plein pied se traduisent par des échanges au sein de l’humus, dans le sol. D’ailleurs, c’est de là que viennent les mots humour, humanité et humilité, les ingrédients de l’agroecologie et les valeurs de SCV Agrologie.
A 39 ans, il pense déjà former la relève, de la même manière que Lucien Seguy l’a formé - et continue de le former - depuis 8 ans. « D’ici quelques années je formerai des agron’Hommes en herbe pour faire de l’agriculture intelligente, stimulante, fondée sur l’agroécologie » Louis est un vecteur, un lien, il facilite le voyage des expériences d’un bout à l’autre du Québec agricole. En agroécologie tout est question d’équilibre. Les field trip de l’été sont passionnants et cuisants ; le rude hiver québécois est le temps des bilans. Les journées sont chargées et la résilience il la trouve dans la course, son autre passion. «  Dans la vie, il faut aussi savoir se dépasser et mieux se connaître » m’explique t’il. Et je devine que courir dans la nature lui permet aussi de se reconnecter à l’essentiel.

« Les sols à nu, c'est pas sexy, soyez couverts d'esprit » !
« Les sols à nu, c’est pas sexy, soyez couverts d’esprit » !

6
juillet
2018

Une belle prise en main du (test du) slip !

Admettons-le, plus grand monde ne porte de slip en coton. Dans les coûts de leur expérimentation, Pauline Caron, Antoine Têtard et Quentin Delattre, étudiants en BTS APV à Arras, ont dû intégrer l’achat d’un lot de 6 slips, avec un noble objectif : nourrir la vie du sol ou, tout au moins, celle qui est plus ou moins présente dans les 5 parcelles testées.
Ils ont choisi de comparer (de gauche à droite) :

1) Sol de forêt – limon argileux
2) Blé sous couvert de trèfle, système en AC avec agroforesterie – limon crayeux
3) Blé implanté en SD - système en TCS (15 cm) – argiles lourdes
4) Labour d’hiver - système en labour systématique – limons argileux
5) Blé implanté après déchaumage – système en labour 1 an sur 2 – limons argileux.

Les slips ont passé 3 mois dans le sol, depuis leur « date d’implantation » le 21 octobre, à leur excavation le 21 janvier. Ils ont ensuite été présentés, comme le montre la photo, aux autres étudiants du lycée agro-environnemental de Tilloy-lès-Mofflaines. Un test très péda-agroécologique, qui marquera sans doute les esprits ; j’encourage les profs de lycées agricoles à le mettre en place. Matériel : une bêche, des slips et quelques parcelles à comparer.

Résultat du test
Résultat du test

Les agriculteurs (dont certains sont des habitués d’A2C.com) reconnaîtront leurs pratiques à travers les slips. Ceux dont les sols sont peu vivants auront au moins l’avantage de repartir avec un slip gratos. Les « jaloux » dont le slip a été consommé par l’activité biologique pourront toujours utiliser le témoin, sur la droite du tableau.
Je ne vais pas plus loin dans l’analyse : à vous de décrypter la fertilité des sols dans les slips, et surtout, à vos commentaires, qui seront riches d’enseignement pour nos jeunes Agron’Hommes tous 3 passionnés par l’agroécologie !

Pauline, Antoine et Quentin, des Agron'Hommes ambassadeurs de l'agroécologie
Pauline, Antoine et Quentin, des Agron’Hommes ambassadeurs de l’agroécologie