Pierre-Moran Mouchard

  • Chardon s'installant dans une prairie surpâturée
  • Pâturage et adventices
  • Pâturage tournant dynamique
  • Communauté microbienne du sol (photo : Uffe Nielsen)
27
octobre
2014

Légumineuse, fixation d’azote et transfert

En pâturage, avons-nous réellement besoin d’engrais azotés ?

La première grande qualité des légumineuses est la capacité de production de biomasse de très haute qualité, sans nécessiter d’apport d’azote. JPEG - 79.1 koLe second avantage est l’aptitude à fixer de l’azote, ce qui permet de soutenir leur croissance, ainsi que celle des autres plantes des pâturages. Les bactéries rhizobium trouvés dans les nodules racinaires des légumineuses peuvent fixer une grande quantité d’azote à partir de l’air, ce qui réduit la nécessité d’apporter des engrais dans des prairies ayant une légumineuse présente.

L’azote est l’un des facteurs les plus limitant pour la croissance des plantes. La capacité d’une légumineuse à utiliser l’azote de l’air est l’avantage le plus connu de la légumineuse, mais pour autant la moins comprise. La plante ne fixe pas l’azote directement, mais elle s’associe à des bactéries Rhizobium qui vivent dans de petites structures appelées nodules sur les racines des légumineuses. Ces bactéries vont prendre l’azote gazeux de l’air dans le sol, et le transformer afin qu’il puisse être utilisé par la plante.

Le processus de fixation de l’azote entre la légumineuse et les bactéries est une relation symbiotique qui est bénéfique pour ces deux organismes. Chaque organisme reçoit quelque chose de l’autre en retour. Les bactéries Rhizobium fournissent de l’azote à la légumineuse et en contrepartie la plante fournit des hydrates de carbone (d’énergie de la plante). Cet échange est donc sujet à un échange équilibré, si je donne 10 centimes à la boulangère, me donnera-t-elle une baguette entière en retour ? Non certainement pas, tout ce qui réduit la croissance des plantes telle que la réduction de la masse foliaire résiduelle après le pâturage réduira également la quantité d’énergie échangée avec la bactérie, en conséquence ceci limitera la capacité de fixation de la légumineuse. J’insiste à nouveau, il est très important de ne jamais surpâturer les plantes ! Maintenir une surface foliaire suffisant afin de maximiser l’efficience de la photosynthèse est crucial pour obtenir un taux de fixation élevé.

Les facteurs qui vont influencer la fixation sont divers, notamment la photosynthèse ou la croissance de la plante, la longueur de la saison… Mais si elle a le choix, la légumineuse va d’abord éliminer l’azote dans le sol avant d’obtenir de l’azote de l’air, une légumineuse qui pousse sur un sol très pauvre en azote, obtiendra plus d’azote de l’air. Autrement dit, la capacité de fixer de l’azote est tributaire de son environnement mais aussi de la gestion des pâturages. Il faut garder à l’esprit que la légumineuse fixe l’azote pour sa croissance dans un premier temps et que cette dernière peut être fainéante si on apporte des solutions « miracles ».

Le transfert de l’azote aux autres plantes

JPEG - 81.8 koLes légumineuses sont généralement cultivées avec des graminées dans l’espoir que la légumineuse fournisse de l’azote aux autres plantes prairiales et ainsi éliminer ou réduire l’engrais azoté commercial. Il convient dans un premier temps à comprendre que les graminées ont des systèmes racinaires plus fibreux qui sont plus efficaces pour extraire les nutriments et l’humidité du sol que les légumineuses qui elles ont un système racinaire pivotant. Par conséquent, dans une association légumineuse / graminée, la graminée utilisera l’azote dans le sol plus efficacement. Comme le niveau d’azote dans le sol diminue, les légumineuses obtiendront plus d’azote de l’air.

Il est communément admis que les légumineuses libèrent de l’azote dans le sol par leurs racines et donc que le simple fait d’avoir des trèfles par exemple réduira la nécessité d’apporter des engrais ; ceci est une idée fausse. Il existe en effet une libération de certains composés azotés solubles à partir des racines et des nodules de légumineuses, mais dans une quantité négligeable. Les principales voies de transfert de l’azote dans le sol sont par l’action de pâturage ainsi que par la décomposition de la végétation (piétinement…). La plus grande partie de l’azote est entreposé dans les parties aériennes de la plante, le restant est stocké dans la couronne, les racines et les nodosités. Les estimations montrent qu’environ 75-80% de l’azote est retenu dans les parties aériennes de la plante. Lorsque la légumineuse est consommée par les animaux, 80 à 90% de l’azote contenu dans les parties aériennes des légumineuses passe à travers l’animal et est excrétée dans l’urine et les fèces. L’un des problèmes qui peut limiter la valorisation de l’azote à ce stade est la distribution des matières fécales et des urines, avec un pâturage qui n’est pas sous pression animale et non géré la plupart des déjections animales sont concentrées autour de la source d’eau et les zones d’ombrage. La distribution des excréments est améliorée par la mise en place d’un parcellaire cohérent ainsi que la gestion des pâturages, et de l’eau dans chaque parcelle. Il faut respecter la capacité de charge de l’exploitation.

La valorisation de l’azote est soumise à d’autres conditions. Il est capital d’avoir un sol sain et vivant permettant à la vie du sol de prospérer, car ces étapes ne sont que le début du cycle de transformation et de transfert de l’azote.

Pour résumer : l’autonomie en N n’est pas une utopie, en revanche cela dépend principalement de la gestion des plantes, et donc de la gestion du pâturage. Pour valoriser et utiliser la capacité des légumineuses à fixer et rendre disponible de l’azote aux autres plantes prairiales, il faut :
- favoriser l’efficience de la photosynthèse par une gestion des pâturages à travers les résiduels (quantité de biomasse restant après le pâturage).
- adapter le parcellaire et la gestion des pâturages pour favoriser une distribution homogène des urines et fèces.
- maintenir au moins 30% de légumineuse dans la prairie.
- favoriser par la gestion des plantes le développement de la vie dans vos sols.

Sur le même sujet : Est-ce que les légumineuses cèdent beaucoup d’azotes aux plantes compagnes pendant leur croissance ?

Images : Évaluation Visuelle du Sol, édition française, PâtureSens et Graham Shepherd.

Référence :
- S.F. LEDGARD et K.W. STEELE – Ruakura Agriculture Center – Nouvelle-Zélande
- Baird KJ – Australian Agricutural Research
- Woodfield D, Clark D – Irish Agricultural and Food Research
- Texas A&M University –
- M. G. Lambert – Grasslands Division – Nouvelle-Zélande
- DR. John Jennings - University of Arkansas, USA departement of agriculture
- Graham Shepherd – BioAgrinomics – Nouvelle-Zélande


9
octobre
2014

Les « mauvaises herbes », interaction entre les espèces

Lorsque les prairies ne sont pas correctement gérées, les animaux sélectionnent en permanence les plantes les plus appétentes et digestes. Cela conduit à sur-pâturer les meilleures plantes et donc à favoriser les plantes indésirables. Comme nous l’avons déjà mentionné, les plantes sur-pâturées ont un système racinaire moins dynamique, ce qui les empêche d’être concurrentielles. Les mauvaises plantes qui elles ont développé un système racinaire plus profond ont un avantage évident pour obtenir de l’eau et des nutriments, particulièrement lors de sécheresses. Elles vont aussi pouvoir se reproduire, et prendront leur place dans la pâture.

Les images ci-dessous montrent les effets de la méthode de pâturage sur l’interaction concurrentielle entre les plantes.

- Les espèces indésirables obtiennent un avantage pour utiliser l’eau et les nutriments en pâturage continue.

Surpâturage

- Une pâture abusée (brûlée, herbicide, abus de la plante par les animaux), sur laquelle la biomasse à été réduite a des conséquences sur le système racinaire.

Pâturage et adventices

- Des longues périodes de repos et des courtes périodes de pâturage très intensives : Permettent aux plantes de former un système racinaire sain, une plante vigoureuse et compétitive face aux espèces indésirables.

Pâturage tournant

Appliquer beaucoup de pression animale pour consommer les refus (photo 2), peut réduire la santé de l’écosystème de manière plus prononcée que le pâturage continue (photo 1). De façon répétée, la biomasse racinaire et sa profondeur seront réduites, tout comme la couverture du sol, menant à de plus grandes fluctuations de température dans le sol, de niveaux d’humidité plus faibles, une réduction de l’activité biologique et de sa capacité à recycler les nutriments. La capacité des espèces à lutter pour survivre sera inexistante.

Pour que les plantes les plus bénéfiques puissent proliférer, être vigoureuses, repousser rapidement et établir un système racinaire performant, il faut : Permettre aux pâtures de repousser entre les périodes de pâturage, ne jamais surpâturer ou sous pâturer et la nature fera le reste (photo 3). La gestion des pâturages est le moyen le plus efficace pour réduire les mauvaises herbes.

La gestion des pâturages est une solution pour minimiser les problèmes liés aux espèces indésirables. Les « mauvaises herbes » sont de nature opportuniste, et seront par la force concurrencées avec succès par les espèces fourragères pour la photosynthèse, l’espace, l’humidité et les éléments nutritifs. L’accent devrait être mis sur l’optimisation de la production de biomasse qui est obtenu en optimisant les conditions environnementales (fertilité du sol, humidité…), sur la sélection des espèces prairiales les plus adaptées pour vos conditions (type de sol, climat), ainsi que sur la gestion des pâturages.


30
septembre
2014

Est-il possible de bien vivre en production laitière ?

Je veux partager avec vous cette vidéo et présenter le système de production de Laurence et Erwan Leroux, réfléchit autour de divers objectifs. Je tiens à préciser avant tout autre chose que ce système correspond aux objectifs du Coteau de l’Aber. Il est évidemment possible de produire plus de lait à partir d’un système pâturant, je posterai une autre vidéo bientôt de Rhys Williams qui produit entre 15 et 20k litres de lait par hectare avec 90% pâturage. Et quel plus beau projet, finalement, que de gagner sa vie en pratiquant le métier que l’on aime ?

Des objectifs économiques

  • Le premier est celui du ratio entre le chiffre d’affaires et les charges pour le réaliser. L’objectif est donc que l’EBE hors main d’œuvre doit dépasser 60% du chiffre d’affaires. Une dépense de 1 euro doit rapporter 2.5 euros de recettes.
    • Objectif atteint. Laurence et Erwan réalisent 75% d’EBE hors main d’œuvre soit 440 euros /1000 l lait.
  • Le second critère est la rémunération du travail afin de pouvoir se rémunérer pour chaque heure passé à travailler mais aussi pouvoir rémunérer un salarié pour partir en vacance... Ainsi ils se donnent un objectif de revenu net de 15 euros / heure.
    • Objectif atteint !
  • Le troisième critère est la rentabilité du capital, soit la rentabilité économique brute (rémunération du capital). Seuil fixé à 20%, chaque investissement doit être rentable !
    • Cet objectif est atteint, ils pérennisent ainsi la structure.

Des objectifs sociaux
Le système doit aussi répondre à des objectifs sociaux, qui sont le temps de travail. Le système monotraite favorise d’une part la longévité, les vaches effectuent six lactations, voire davantage et participe à la solidité de leur santé. Le fait de ne réaliser qu’une traite par jour, le matin, permet aussi de donner de la place à la vie de famille, à la vie sociale et aux échanges professionnels. Le groupement des vêlages et le tarissement des vaches permettent encore une fois de répondre à ces objectifs sociaux. La salle de traite est fermée des vacances de Noël à début mars.

Des objectifs environnementaux Laurence et Erwan souhaitent préserver les ressources naturelles du site, afin de transmettre un outil de travail sain aux générations suivantes. L’exploitation se veut aussi durable pour être transmise dans de bonnes conditions. Erwan surveille régulièrement l’état microbiologique des sols, évite le surpâturage et dresse annuellement un bilan carbone de l’exploitation pour évaluer son impact global. 100% de prairies 80% des surfaces classées à risque fort ou moyen de fuites phytosanitaires 515 tonnes de CO2 émises par an... et 2000 tonnes de CO2 stockées dans les sols (matière organique)

La planification
Pourquoi ce système est-il performant ? Que devons nous retenir ? La planification est un élément important dans toute opération. Un plan bien conçu, soigneusement préparé et mis en œuvre, permettra d’améliorer les pâturages, la santé animale ainsi que la production de matière sèche tout en optimisant les performances des plantes et des animaux. Ce plan permettra d’atténuer les préoccupations environnementales, et plus important encore, la planification doit garantir la rentabilité en étant pratique, flexible et simple à utiliser. Cette planification devra tenir compte de l’investissement de départ, de la durée de vie du matériel utilisé, de la qualité de vie, ainsi que de la rentabilité des capitaux.

« L’agriculture c’est une passion, mais c’est d’abord notre métier. Il faut en vivre !  » Laurence et Erwan Leroux.


16
septembre
2014

Tailler les racines

La gestion des pâturages est la gestion de l’interaction plante / animal / sol. Si les pâturages sont entrepris à travers la gestion des plantes de manière à fournir continuellement de la matière organique sous une forme disponible pour des sols sains et vivants, alors le pâturage peut améliorer la productivité des pâtures et des animaux en même temps.


Graminées de prairie pâturéesLa biomasse racinaire et celle au-dessus du sol sont plus ou moins égales, formant une image miroir. Une plante surpâturée (à gauche) à un système racinaire plus faible.


Dans les pâtures les plantes constituent la principale interface entre les animaux et le sol. L’énergie pour la croissance des racines et de la plante vient principalement de la lumière capturée par le haut de la plante lors de la photosynthèse. Une plante avec une surface foliaire réduite ne peut soutenir un système racinaire important. Une plante ayant un système racinaire profond (comme celle de droite), offre une multitude d’avantages, notamment, l’aération du sol, lutte contre l’érosion, améliore le cycle des éléments nutritifs, augmente la capacité de rétention d’eau. Elles constituent également un habitat et le substrat pour le biote du sol tel que les bactéries qui fixent l’azote.


Chardon s'installant dans une prairie surpâturéeUne pression continue sur les plantes les plus appétentes procure un avantage concurrentiel aux plantes les moins désirables pour l’eau et les éléments nutritifs lui permettant de se reproduire et de s’installer.


Lorsque les animaux peuvent pâturer plus de trois jours dans une même parcelle, ils exercent une pression continue sur les plantes désirables et mangent les repousses. Les racines de ces plantes sont compromises sous l’effet du surpâturage et ne peuvent fonctionner efficacement. Le flux des nutriments peut être réduit de plus de 80%, créant ainsi une nécessité d’apporter des engrais. Ces plantes sont aussi vulnérables en période de sécheresse…

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4
septembre
2014

Un Sol Vivant

Communauté microbienne du sol (photo : Uffe Nielsen)Nos sols sont la base d’une agriculture performante, mais qu’est-ce qui rend un sol vivant ?

Seule l’activité biologique qui accompagne les plantes peut transformer un sol minéral en un sol vivant. Le maintien de la couverture du sol et l’utilisation du processus de pâturage pour structurer le sol et nourrir les organismes du sol sont d’une importance fondamentale. Un nombre important d’organismes vivent dans nos sols, et remplissent de nombreuses fonctions. Les grands invertébrés, comme les vers de terre et les bousiers sont faciles à voir et nous sont plus familiers que la plupart des composants microscopiques. Ils aident à décomposer la litière végétale et les déjections animales en les rendant plus accessibles pour les micro-organismes du sol. A leur tour les micro-organismes du sol peuvent libérer jusqu’à deux fois plus d’éléments nutritifs que des engrais appliqués.

Comment pouvons-nous accroître l’activité biologique dans les sols ?

Comme nous ces organismes ne peuvent survivre sans eau, nourriture et abri. Autrement dit, ils nécessitent un habitat aérobie et une source d’alimentation fiable. Ces exigences sont remplies par la matière organique dans le sol et sur le sol. La couverture du sol, réduit les températures extrêmes (variation chaude / froide, comme le toit d’une maison), et facilite l’infiltration des précipitations. Elle réduit aussi l’évaporation et l’érosion de sorte à ce que l’effet net de garder un sol couvert en permanence, c’est qu’il reste humide plus longtemps. Les racines des plantes qu’elles soient mortes ou vivantes, structurent le sol, elles fournissent également le substrat (nourriture) pour les organismes du sol, sous une forme qui est disponible lorsque les conditions sont chaudes et humides. C’est une chance ! Car le cycle est vertueux, à leur tour ces organismes vont rendre des nutriments disponibles quand la plante en aura le plus besoin. Ceci est l’un des multiples avantages de travailler avec la nature, autrement, ces nutriments seraient lessivés sous la zone racinaire ou absorbés (fixés) sur les particules du sol sous une forme inutilisable par les plantes.

crédit photo : Uffe Nielsen, http://www.uws.edu.au/hie/people/researchers/doctor_uffe_nielsen


28
août
2014

Les Pâtures et les Ruminants

source : WinkyLa dégradation de ressources associées au pâturage mal géré conduit souvent à des résultats mal intentionnés, et qui conduit souvent à l’exclusion des pâturages de l’alimentation animale.

Il faut commencer par comprendre que les prairies et les ruminants ont évolué ensemble au cours des millions d’années, et les pâtures ont BESOIN de ruminants, qu’ils soient des kangourous, des éléphants ou des moutons, afin de faciliter le flux d’énergie et le recyclage des nutriments. Dans les milieux à faible pluviométrie, les plantes qui ne sont pas pâturées, deviennent sénescentes et cessent de croître de façon productive. Le pâturage rationnel est sans doute le seul processus naturel par lequel les prairies peuvent être maintenues ou/et améliorées de manière durable. Le pâturage non géré, ou l’exclusion complète du pâturage, conduit inexorablement à la désertification en zone agricole, sauf dans les zones à forte pluviométrie.

Pour obtenir des plantes et des sols sains vigoureux et productifs, les animaux doivent être en lots groupés et déplacés régulièrement. Une parcelle dans un système de pâturage intensif (type Néo-Zélandais), ne sera pâturée qu’entre 5 et 12 jours par an ! Soit moins de 3% du temps de l’année… Nous parlons bien d’un système d’alimentation à 100% pâture.

crédit photo : http://flickr.com/photos/83654635@N00