Manfred Wenz, une gestion positive des adventices

Danielle Bodiou, TCS n°46 - Janvier / février 2008

Plusieurs centaines d’agriculteurs se sont rendus aux journées proposées par l’association Base en novembre dernier au cours desquelles Manfred Wenz, agriculteur allemand et l’un des pionniers du nonlabour en agriculture biologique, a partagé, photos à l’appui, son expérience. Tourné vers le non-travail du sol et le SD sous couvert, il utilise largement les couverts comme auxiliaires dans la réduction du salissement et l’amélioration du sol.

Les journées proposées par l’association Base en novembre dernier accueillaient Manfred Wenz, un agriculteur allemand de soixante-dix ans, consultant international en travail de sol, en SD et en gestion des systèmes de culture, pour témoigner de son expérience. Installé à Ottenheim, près de Fribourg dans la plaine du Rhin, il conduit, avec son fils Friedrich, un domaine céréalier de 30 hectares en agriculture biologique et biodynamique [1]. Ses sols constitués de dépôts fluviaux successifs sont très hétérogènes et varient entre graviers, limons battants caillouteux et limons argileux. Depuis le début de sa carrière d’agriculteur en 1954 et jusqu’en 1969, sa ferme, menée en système conventionnel, suit une rotation maïs-blé. Le travail des terres se fait de manière classique. Les herbicides non utilisés initialement puisque seulement apparus dans les années soixante, sont finalement intégrés et les doses s’accroissent. Très vite, Manfred Wenz constate une chute des rendements en même temps qu’une érosion et une fatigue des sols. « Toute la couche superficielle de terre noire avait été consumée » indique-t-il. Pour lutter contre ce processus de dégradation, il décide de se tourner vers l’agriculture biologique. Les dix premières années, il réalise un labour superficiel. Les apports d’engrais sont supprimés. Les éléments fertilisants sont amenés par la restitution et la transformation des résidus organiques. Malgré des labours moins profonds et une gestion organique conforme au standard agronomique en vigueur, les résultats des dix premières années ne sont pas ceux escomptés : les adventices envahissent les parcelles, les rendements diminuent (les récoltes de blé ne dépassent pas les 20 q/ha) et les sols continuent à se dégrader par les passages répétés d’outils.

En 1979, M. Wenz, agriculteur bio atypique, prend un autre virage en adoptant la méthode Kemink, du nom d’un spécialiste allemand en maraîchage. Il s’agit d’une méthode basée sur un billonnage en planches fixes : un travail en butée sans retournement réalisé par un outil proche d’un cultivateur classique, qui a pour but de limiter la perturbation du sol. Seule une bande étroite de sol tous les 75 cm est travaillée à chaque passage, les zones non perturbées servant de refuge à la vie du sol. Après une dizaine d’années de travail Kemink avec une rotation triennale de deux ans de prairies suivies d’une année de blé, M. Wenz constate de nettes améliorations : une meilleure teneur en humus et un sol qui retrouve sa structure et son potentiel. « Depuis la suppression du travail intensif du sol, j’ai récupéré 27 cm de couche humifère, soit environ 1,5 cm de création de sol par an », affirme l’agriculteur. L’utilisation de cette méthode lui a également permis d’améliorer ses rendements avec environ 45 quintaux de blé en moyenne. Par ailleurs, les céréales sont propres sans aucune intervention entre le semis et la récolte. Avec l’arrivée de son fils sur le domaine, la méthode Kemink a été abandonnée en 1998, M. Wenz n’en conservant que certains principes de base. Depuis, ils se sont tournés vers des techniques de travail superficiel du sol et le SD sous couvert. Suivant les cultures et les rythmes de gestion, ils essaient de ne pas intervenir entre le semis et la récolte. La seule zone du sol susceptible d’être travaillée est la couche des quatre premiers centimètres. Encore faut-il la toucher le moins souvent possible…

Les adventices pour réparer les sols

Outre le travail minimal du sol, la particularité de l’approche de M. Wenz réside dans une gestion différenciée des adventices, en utilisant les phénomènes de concurrence et les associations de cultures plutôt que les techniques de lutte par destruction. L’agriculteur cherche à vivre avec une certaine biodiversité. Pour lui, il n’existe pas réellement « de mauvaises herbes » mais d’« autres plantes  » qui, par leur présence, apportent de la biodiversité et des indications agronomiques à la parcelle. Il a observé que l’enherbement est souvent le reflet de l’état du sol et de la matière organique. Chaque adventice apparaît dans un milieu très précis dans le but de régler des déséquilibres existants, de résoudre un problème créé par des erreurs de gestion des sols ou des cultures. Dans une rotation de six ans, M. Wenz réserve une année au développement des adventices pour leur fonction réparatrice du sol. Le rumex, par exemple, ameublit les sols compactés grâce à son puissant système racinaire et agit également sur la réorganisation de l’azote. L’agrostis lève les phénomènes de battance et de micro-érosion. Le chardon et le liseron résorbent la matière organique mal décomposée en profondeur par leurs puissants rhizomes. Quant au vulpin, il peut constituer « un excellent couvert végétal » pour certaines cultures de printemps. Cette année, les Wenz se sont servis d’un couvert de vulpin au stade fleur pour y installer en direct une culture de carthame et une culture de pois. En fait, pour eux, il faut à tout moment chercher le bon équilibre entre sol et végétation. Les adventices gênantes pour les cultures ont alors tendance à disparaître. Le hersage au printemps a également été abandonné afin d’éviter une minéralisation excessive d’humus et surtout pour ne pas détruire les turricules des vers de terre dans lesquels les radicelles des cultures viennent directement se nourrir.

Technique de la biomasse végétale

Les Wenz utilisent également certains couverts étouffants pour gérer les adventices. Ils privilégient aujourd’hui les couverts de féverole, de caméline, de sarrasin, de moutarde et d’autres plantes à fort potentiel de biomasse. La luzerne et le ray-grass ont été délaissés car ils étaient difficiles à détruire sans herbicide. Les Wenz ont également remarqué l’effet bénéfique du mouron et de la véronique pour leurs blés. Ces plantes couvrent le sol en mars-avril sans vraiment concurrencer la culture. Ensuite, au mois de mai, elles arrivent en fin de cycle de végétation et vont se décomposer pour relarguer des éléments fertilisants qui aident alors le développement du blé. Reprenant cette idée d’écosystème dynamique, les agriculteurs se sont tournés il y a quelques années vers les couverts de trèfle blanc comme tête d’assolement. En fournissant également de l’azote, ce trèfle est généralement implanté mi-avril. Deux à trois fauchages pendant l’été permettent de détruire les adventices qui s’installent au début du cycle. Ceci afin d’obtenir un trèfle homogène à l’automne dans lequel un blé est semé en direct.

Après la récolte du blé, le trèfle et la végétation spontanée sont fauchés une à deux fois pour obtenir de nouveau un couvert homogène de trèfle en octobre. Un 2e cycle de céréales semées en direct peut alors démarrer, sans à nouveau aucune intervention entre semis et récolte. L’été suivant, après avoir fauché les chaumes, le trèfle est entièrement détruit par un outil par l’outil mis au point par Manfred Wenz et Ulrich Schreier, de la société EcoDyn et membre de l’association Base. Ensuite, en octobre, un blé est semé en bandes derrière les pattes d’oies de l’outil. Cette technique d’implantation permet un dernier faux semis lors de l’installation du blé. Lors de ce travail, il est important de parfaitement contrôler la profondeur du travail et ne pas descendre en dessous de 4-5 cm pour tenter d’affecter le moins possible la structure et la vie du sol. L’année suivante, on déchaume à nouveau avec le même outil, puis on détruit les repousses de blé et on implante un seigle à nouveau en bandes derrière des pattes d’oies. Après cette séquence de trèfle/blé dans trèfle/blé dans trèfle/blé pur/seigle, on installe un couvert végétal suivi d’un pois ou d’une féverole d’automne (semée à 8 cm à cause du gel). Les agriculteurs sont satisfaits des rendements de ces dernières années qui s’établissent entre 25 q et 35 q pour le blé semé en direct dans le trèfle et entre 40 q et 60 q pour le blé semé en pur. Les Wenz se disent également satisfaits du bon fonctionnement et du résultat économique de ce système compte tenu du peu de travail, de la faible consommation d’intrants (notamment de carburant) et de la vente directe des céréales à un boulanger local à environ 600 euros/t.

Cultures associées

Les Wenz consacrent beaucoup de temps à l’expérimentation et au développement de nouvelles techniques. Dans leurs terres inondables, ils subissent parfois des « ratés ». Il arrive qu’une partie des cultures soit inondée au printemps puis envahie de mauvaises herbes, notamment de vulpin. En faisant des essais de semis en direct dans ces couverts spontanés, ils ont obtenu des résultats intéressants notamment pour le pois ou le carthame. Un mélange de tournesol/ sarrasin/trèfle blanc semé l’an dernier s’est développé harmonieusement à l’instar de nos « biomax ». L’objectif était d’occuper tous les espaces avec des plantes « souhaitées » et non des adventices. Les cultures ont pu être récoltées à quelques jours d’intervalle, laissant un sol couvert de trèfle blanc. Le rendement du tournesol s’est élevé à 18 q/ha (pour un contrat alimentaire de 1 000 euros/t), celui du blé noir à 600 kg/ha. Les Wenz ont également, avec leur outil, semé en direct une cameline et une féverole d’hiver dans un chaume de maïs grain. La récolte simultanée des deux cultures en été est possible même si la cameline présente une avance de maturité, car celle-ci ne perd pas ses graines (les gousses restant fermées). Enfin, plusieurs essais sont en cours pour le SD de cultures de printemps dans un couvert de seigle installé à l’automne (soja, tournesol, pois, maïs…). Dans un souci de perfectionner leur système, les Wenz, plutôt que de lutter contre le salissement, se dirigent de plus en plus vers une stratégie d’association de plantes et de cultures, qui, avec une bonne synergie entre elles, occupent bien le terrain.


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