Jill Clapperton : Le sol est plus intéressant que la terre !

Jill Clapperton était l’invitée du festival national de non-labour et semis direct (NLSD) qui s’est tenu à Reignac-sur-Indre le 31 août dernier. Intervenant sur la relation entre la qualité des sols et la qualité des aliments, elle a particulièrement insisté sur le rôle primordial de l’activité biologique comme vecteur de nutrition et de protection des cultures, Alors que selon l’organisation mondiale de la santé, la qualité intrinsèque de l’alimentation produite ne cesse de se dégrader, elle a insisté sur la nécessité pour les agriculteurs de passer de la notion de rendement à celle de productivité des sols et de qualité des aliments, pour assurer une alimentation animale et humaine saine et durable.

L’activité biologique est le pivot de la qualité des sols

La clé du défi posé à l’agriculture d’aujourd’hui (quantité, qualité, environnement) repose pour Jill Clapperton sur les organismes vivants dans le sol, seuls capables de fournir aux plantes une alimentation équilibrée. Il s’ensuit naturellement des plantes saines, des animaux et des hommes en bonne santé, un environnement préservé, mais également des exploitations agricoles viables et préparées aux changements de demain (coût de l’énergie et des intrants, conservation des sols…).

Si en France, on utilise volontiers le terme de chaîne alimentaire pour caractériser les relations existant entre les êtres vivants au sein d’un écosystème, elle préfère parler de « soil food web » (réseau alimentaire du sol) dans lequel existent effectivement des relations de prédation, mais également d’association, de symbiose et de stimulation. Et elle ajoute : « Quand vous êtes debout sur la terre, vous vous tenez sur le toit d’un autre monde ». En effet, si à l’heure actuelle, la physique et la chimie des sols sont bien étudiées, leur biologie demeure encore peu connue. L’activité biologique du sol, sous-estimée par la recherche agronomique, les techniciens et les agriculteurs, et encore trop peu étudiée, possède des fonctions et interrelations éminemment complexes. Si aujourd’hui une grande partie des organismes du sol reste inconnue (10 % des espèces seraient identifiées), on sait en revanche que leur action en terme de structuration, de fertilité et de recyclage est irremplaçable. L’activité biologique est réellement le lien entre le monde minéral et le monde végétal. Cependant, il ne suffit pas de trouver un grand nombre d’individus, il faut aussi un grand nombre d’espèces : en augmentant la complexité du « réseau vivant du sol », on permet à celui-ci d’acquérir de la flexibilité par rapport aux conditions externes et internes, de la résilience [1] et de la résistance en réponse à des agressions physiques, chimiques ou biologiques.

Pour Jill Clapperton, l’activité biologique est à la base même des cycles du vivant (cycles des éléments minéraux et des oligoéléments, du carbone…) en étroite relation avec les plantes. Dans cette optique, l’objectif de l’agriculteur est de maintenir et d’accroître la biodiversité dans ses parcelles afin de développer un sol fertile, équilibré et résistant qui peut se passer de beaucoup d’intrants. Une des premières mesures est de préserver les organismes du sol par un travail minimum afin d’éviter l’élimination des macro-organismes (vers de terres et insectes), mais également d’éviter la fragmentation des hyphes de champignons qui tissent un véritable réseau de prospection de l’eau et des nutriments. C’est sur ce réseau que viennent littéralement se « brancher » les plantes ; il permet également une micro-agrégation du substrat minéral et organique, et sert de ressource alimentaire de base à l’écosystème. Sachant que seule une petite fraction des champignons est pathogène, J. Clapperton insiste également sur la nécessaire réduction de l’utilisation des fongicides qui privent souvent le sol de ce réseau vivant et actif.

Préserver et encourager la biodiversité

Parallèlement à la préservation de la faune et de la flore du sol par des pratiques culturales adaptées, il est primordial d’installer la biodiversité végétale dans les parcelles, diversité qui induit une diversité biologique souterraine. Cette « biodiversité culturale » doit se faire dans le temps (une rotation diversifiée) et dans l’espace (mélange de cultures si cela est possible, mais surtout mélange de plantes pendant l’interculture). En effet, chaque plante induit autour de son système racinaire une rhizosphère spécifique (voir TCS N° 32), véritable interface entre le végétal et son milieu. Cette interface garantit une prospection optimale du milieu par les racines, alimente la plante de manière équilibrée tout en la protégeant et en dynamisant son développement. On assiste en fait à un véritable « ménage à trois », dans lequel chacun des acteurs stimule et protège l’autre afin de se développer lui-même le mieux possible.

En ignorant cette interface, voire en la perturbant, on se prive d’une source de nutriments complète et équilibrée mais également d’une protection efficace des cultures contre les maladies et les ravageurs. Les traitements phytosanitaires inadaptés ou le travail intensif du sol ne sont pas seuls en cause ; Jill Clapperton a ainsi récemment montré dans une étude qu’une fertilisation phosphorée supérieure à 20 kg/ha/an diminue de façon significative l’efficacité de la rhizosphère pour l’absorption du calcium, du zinc et du cuivre ainsi que le contenu en éléments des grains récoltés (Clapperton et al. 1997) : en nourrissant directement les plantes avec des engrais de synthèse, la rhizosphère se développe plus tardivement et moins bien, entraînant non seulement une réduction de la teneur en oligoéléments des récoltes, mais privant également la culture d’une protection et d’une partie de l’eau disponible dans le sol.

Produire des aliments de qualité

L’agriculteur doit dépasser la simple production de grains et de fourrage pour arriver à une production d’aliments avec la complexité et la qualité que cela implique. Au final, c’est la garantie d’une meilleure santé pour les animaux et les hommes. Par exemple, l’introduction de mélange fourrager en Amérique du Nord a permis de se passer de compléments minéraux pour les vaches allaitantes et d’augmenter l’état sanitaire du troupeau. Si nous savions déjà que l’Agriculture de Conservation était cohérente au niveau économique, agronomique et environnemental, Jill Clapperton a confirmé cette cohérence au niveau sanitaire  : développer des sols de qualité a des répercussions jusque dans notre assiette !


Télécharger le document
(PDF - 132.6 ko)