Lundi 4 septembre 2017
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Une bonne corrélation ne signifie pas qu’il y ait causalité

Manipulation de l’information : l’exemple du glyphosate

Manipulation de l’information : l’exemple du glyphosate

Avec Internet et les réseaux sociaux, l’information circule très vite et très largement. Ceci est intéressant pour ce qui est vrai et juste, bien entendu, mais ces nouveaux canaux sont également appréciés pour la diffusion de canulars comme des fausses informations. Ces outils sont donc devenus le moyen simple d’inonder un grand nombre de personnes et même les médias pour construire des vérités à force de répétitions.
Le deuxième stratagème complémentaire est l’aménagement des graphiques et des données pour amplifier, voire modifier la perception du public. Un site anglophone http://callingbullshit.org/tools.html, que nous vous conseillons, présente rapidement et simplement la panoplie des astuces utilisées pour diffuser des informations tout en leur donnant un angle de lecture. En s’appuyant sur des exemples réels, ce site explique comment des graphiques peuvent être manipulés en supprimant les axes ou en modifiant les échelles, comment repérer la légitimité d’un article scientifique ou comment, en jouant avec des couleurs, des angles ou l’épaisseur des traits, il est possible d’influencer la perception et l’interprétation de données.
Utile pour éviter de se faire balader, ce site, cherchant à être très concret, a osé utiliser ce graphique sur le glyphosate comme exemple au milieu de beaucoup d’autres.

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Incidence des cancers de la thyroïde (âges ajustés) regroupant des données de l’USDA, de NASS et de SEER et publié par Swanson et Al dans le journal des systèmes biologiques en 2014.
Jaune : incidence du cancer de la thyroïde
Rouge : glyphosate appliqué sur maïs et soja en 1000 t
Bleu : % de cultures (maïs et soja) Génétiquement Modifiées
Vert : tendance avant 1990

Comme chacun peut le remarquer, et c’est bien l’objectif de ce graphique, le glyphosate, censé être un perturbateur endocrinien, a une forte influence sur l’incidence du cancer de la thyroïde. Il est donc logique de le bannir !
Cependant une seconde lecture, avec un œil plus averti, s’impose car il est assez facile de créer des graphiques trompeurs en superposant plusieurs séries de données avec chacune sa propre échelle :
Déjà ce graphique ne prouve rien. Il n’y a aucune évidence que cette corrélation, aussi forte soit-elle, prouve une quelconque causalité. Pour se rassurer, les courbes rouge et bleue pourraient être facilement remplacées par l’évolution du nombre de téléphones portables ou de wifi dans les maisons et montrer la même tendance et corélation. Avec les mêmes données, il est donc tout aussi facile de transférer le risque sur ces appareils devenus notre quotidien. Même si cela peut apparaître logique en fonction du contexte et des objectifs visés, ce n’est pas encore une preuve tangible. Comme la palette des éléments pouvant agir sur la thyroïde, ayant augmenté entre 1990 et 2010, est large entre la taille des écrans de télé, le changement des gaz dans les systèmes de clim, la modification des édulcorants ou le nombre de repas pris à l’extérieur, chacun trouvera presque la causalité qu’il souhaite. Ainsi ce même graphique peut être utilisé à l’infini par les vendeurs de peur et des « anti-quelque chose » pour accréditer leurs dires et mobiliser des foules afin de bannir leurs cibles.
L’autre point intéressant sur ce graphique est la manipulation des axes. Déjà pour les incidences, on ne passe pas de 5 à 14 comme pourrait le laisser croire le graphique mais de 5/100000 à 14/100000. Cet artifice permettant bien sûr d’afficher une pente proche de 45 % qui interpelle. C’est pour cette raison que l’échelle correspondante sur la gauche ne va pas jusqu’à 0 ; l’incidence s’en serait déjà visuellement trouvée minorée. Ce qui est encore plus remarquable et tordu ce sont les échelles de droite. A ce niveau, les auteurs ont même osé partir de -10 (virtuellement impossible que ce soit en tonnage de glyphosate ou même en surface d’OGM). Ce stratagème, tout en ajustant les échelles, leur permet cependant de faire courir la courbe rouge (tonnage d’application de glyphosate) juste sur le haut des incidences de cancer pour bien imprimer dans les cerveaux une causalité qui n’existe pas ! En d’autres termes, un graphique où des quantités (tonnage ou % d’utilisation comme ici) sont affichées avec des valeurs négatives doit tirer la sonnette d’alarme : il ne faut surtout pas faire confiance aux informations que peuvent contenir ce document !

Après cette double lecture et cette explication de texte, sans remettre en cause les risques possibles du glyphosate, on comprend mieux comment les anti-glyphosate peuvent arriver à leur fin en faisant circuler des informations habilement manipulées voire à la limite de la malhonnêteté. C’est presque un comble de créer et divulguer sciemment des informations toxiques pour des gens qui prétendent défendre l’intérêt de tous.
Pendant que nous y sommes, nous pourrions presque profiter de cet exemple pour faire une troisième lecture. Sachant, comme nous l’avons exposé, que ce graphique sensé prouver la causalité du glyphosate n’est pas crédible bien que l’ensemble des données soient justes :
Quelle est la contribution réelle du glyphosate à cette faible augmentation des incidences du cancer de la thyroïde au milieu de tous les autres facteurs probables qui sont extrêmement nombreux ? Elle est possible mais certainement très faible !
Au regard de la forte croissance des quantités utilisées et du développement des OGM aux Etats Unis (montré sur ce graphique) et du si faible impact avéré (obliger de trafiquer les courbes) cela devient même rassurant. Le niveau de risque est très réduit et le terme « probable » utilisé par les scientifiques et les experts trouve donc ici tout son sens.
Enfin en France et en Europe où aucun OGM (résistant au glyphosate) n’est possible dans les champs et où les quantités utilisées sont par conséquent très inférieures, il est logique de supposer que les risques s’en trouvent encore plus minimisés.

Vu sous cet angle, on peut se demander pourquoi il faut absolument bannir le glyphosate. Le dogmatisme ne doit pas être une bonne raison et il y a un moment où il faudra bien faire confiance à la science, aux experts et même aux agriculteurs. Il appartient aujourd’hui aux responsables et aux politiques de prendre de vraies décisions courageuses !