Mercredi 29 juin 2016
Camille Atlani-Bicharzon

Gilles Sauzet, associer du colza et des légumineuses

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Village Agroécologique d’Innovagri qui se tiendra les 6, 7 et 8 septembre 2016.

Colza associé en SD semé le 3 août 2013 (Antonio Pereira - CA 52)Quels sont les bénéfices d’une association colza-légumineuse ?

Avant toute chose, il est essentiel de dire qu’une association colza-légumineuse n’apportera des bénéfices que si l’implantation du colza est réussie. Il est donc indispensable de porter une attention particulière à la réussite de cette implantation pour bénéficier des services de l’association. Lorsque nous avons commencé nos essais il y a huit ans, nous avions un certain nombre d’objectifs et de questions sur les avantages supposés d’une telle association. D’autres questions sont aussi survenues en cours de route. Nos six objectifs de recherche principaux étaient de déterminer l’impact de l’association colza-légumineuse sur la structure du sol, la disponibilité d’azote dans le sol, la compétition avec les adventices, les insectes automnaux du colza, les risques d’hydromorphie et, enfin, l’intérêt sur le rendement en souhaitant que les risques de compétition colza/légumineuses soient non influents

Le premier bénéfice d’une telle association concerne donc le sol. Nos régions céréalières présentent des contextes pedologiques argilo-calcaires, limono-sableux ou argileux dans lesquels les taux de matière organique sont assez faibles et où la qualité structurale du sol n’est pas toujours stable. Le fait d’augmenter la quantité de racines dans le sol et de changer le type de rhyzosphère doit faciliter l’amélioration structurale, porale et organique du sol. Pour ce qui est de l’azote, l’installation de couverts d’interculture et l’association de légumineuses à nos cultures enrichit bien sûr le pool d’azote et doit améliorer les quantités disponibles pour les cultures. Le colza, mais aussi les céréales suivantes, bénéficient donc d’une réserve azotée plus conséquente. La compétition vis-à-vis des adventices était, elle, un bénéfice pour lequel nous avions des incertitudes avant de commencer nos tests. Nous craignions notamment que le couvert entre aussi en compétition avec le colza, alors que cette éventuelle concurrence est sans grand risque dès lors que l’implantation du colza est réussie. En revanche, le fait d’augmenter la surface foliaire et la quantité de biomasse par mètre carré entraîne effectivement un phénomène de compétition avec les adventices pour l’eau, l’azote et la lumière. Nous réduisons ainsi la croissance des adventices, ainsi que le peuplement d’adventices à levée tardive.

Concernant l’impact sur les ravageurs, nos démarches en expérimentation et en parcelles agriculteurs ont montré qu’un colza à croissance dynamique associé à une légumineuse type féverole réduisait nettement les dégâts des grosses altises et des charançons du bourgeon terminal à l’automne. Cinquième bénéfice, l’amélioration de la porosité du sol par un enracinement plus dense, ainsi que l’apport d’un type racinaire pivotant comme celui de la féverole limite les risques d’hydromorphie dans les zones présentant ce risque. Dans des parcelles très hydromorphes, l’association avec une féverole permet de préserver la qualité racinaire du colza qui soufre moins de l’asphyxie. Enfin, la question de l’impact sur les rendements est évidemment importante pour les agriculteurs dans nos milieux où la pérennité du colza passe par une stabilisation du rendement à une valeur plus élevée qu’elle n’est pour l’instant. Si nous voulons que nos cultures restent compétitives dans ces milieux-là, il est indispensable d’en augmenter les performances globales, notamment en termes d’implantation, de contrôle des bio-agresseurs et de nouvelles fournitures l’azote. Dans des systèmes où les intrants ne répondent pas toujours à nos attentes, l’association permet non seulement des bénéfices écologiques, mais aussi une optimisation des performances du colza en termes de quantité et productivité.

Quels facteurs doivent être pris en compte par les agriculteurs souhaitant se lancer dans cette pratique en Région Centre ?

En premier lieu, il est indispensable de connaître à la fois la physiologie du colza et celle des légumineuses. En effet, nous devons intégrer dans nos colzas des espèces de légumineuses à croissance relativement rapide et plutôt des espèces estivales et des variétés de printemps. Nous souhaitons une croissance dynamique à l’automne mais l’absence de concurrence vis-à-vis du colza. Nous devons par ailleurs, autant que possible, utiliser des légumineuses qui gèleront pendant l’hiver pour éviter le désherbage chimique. Les espèces fleurissant avant l’hiver se dégradent ensuite, même en l’absence de gel. Il est très important que le colza soit dominant sur la parcelle au moins jusqu’au stade 4-5 feuilles. Il faut, pour cela, choisir des légumineuses à installation rapide mais légèrement plus tardive que le colza. Le colza doit être dominant sur la parcelle jusqu’au démarrage de sa phase de croissance dynamique. Toutes les légumineuses que nous utilisons à ce jour – lentilles, fenugrecs, trèfles d’Alexandrie, gesse, vesce, féverole, etc. – ont des croissances soit un peu plus tardives, soit vraiment plus tardives que le colza.

Le quatrième élément concerne l’implantation pratique du colza et de la légumineuse, qui est une question fondamentale. N’oublions pas que la réussite de l’implantation du colza et de sa structure de peuplement sont indispensables pour que le système donne satisfaction ; il ne faut en aucun cas que la légumineuse intégrée dans le semoir ne nuise à la qualité du semis de colza. Avec un semoir mono-caisse à une seule trémie, il est possible de mélanger le colza avec des graines de petite taille, telles que des lentilles, des fenugrecs ou des trèfles d’Alexandrie. Pour intégrer des variétés à grosses graines type féverole, il faudra soit un semoir à deux caisses, soit pratiquer le double semis.

L’association modifie les pratiques en matière de désherbage. Il faut notamment intervenir de préférence en post-levée, selon la précocité de levée des adventices ; ou mettre en place des mesures agronomiques limitant la germination des adventices, telles que le semis à faible vitesse pour limiter le flux de terre. Enfin, nous avons intérêt à ce que notre colza associé lève relativement tôt, ce qui nécessite une réflexion sur la gestion de l’interculture, les travaux de préparation, en particulier les dates d’intervention. La croissance précoce du colza et de la légumineuse doit se faire dans des conditions de température et de rayonnement encore importants. L’expertise montre donc que le semis de colza-légumineuse doit s’effectuer avant le 1e septembre dans de nombreux cas. Nous pourrons le pousser jusqu’au 5 septembre dans les zones où il y a un apport de matière organique ; il sera en revanche préférable de le faire avant le 20-25 août dans des situations argilo-calcaires quand les conditions hydriques seront favorables.

Comment définissez-vous l’agroécologie et comment la pratique du colza associé peut-elle s’y inscrire ?

Jusqu’à maintenant la réussite en céréaliculture était fondée sur la réussite des intrants. Nous comptions sur une très bonne efficacité des intrants concernant la protection des cultures ainsi qu’une utilisation maximum des fertilisants apportés. Toutefois nous n’avons pas, tous les ans, une réussite totale de nos intrants. Par ailleurs, politiquement et socialement, la tendance est plutôt à la diminution d’utilisation de ces produits. Il est donc indispensable de mettre en place des cultures robustes et dont les performances ne sont pas liées exclusivement à la réussite des intrants. Nous devons ainsi penser à d’autres modes de lutte contre les bioagresseurs, à d’autres manières de garantir une croissance optimum de nos cultures, à d’autres leviers pour optimiser le comportement de la culture.

Le colza associé peut être l’un de ces leviers : réduction du désherbage par compétition avec les adventices, réduction des insecticides grâce à son impact sur les ravageurs automnaux, réduction des engrais par l’amélioration du pool azote... Cependant, il faut selon moi aller plus loin si nous voulons réellement réussir ce passage vers une démarche agro-écologique. Nous devons entrer dans une démarche globale de changement au niveau du système de culture afin de favoriser des interactions positives et en des avantages écologiques. Intégrer le colza associé dans une exploitation juste pour un seul bénéfice n’a aucun sens. Il s’agit de l’associer à d’autres innovations dans notre système de culture, telles que les couverts d’interculture, le semis direct, le strip-till, pourquoi pas l’allongement de la rotation... Le colza associé, à lui seul, ne transformera pas la situation – il faut être clair. C’est bien l’impact du changement de système de culture et du changement de pratiques de l’agriculteur qui permettra de tirer d’importants bénéfices. Cela doit impérativement s’inscrire dans une démarche globale qui favorise la qualité d’implantation des différentes cultures dans un contexte d’amélioration durable de la qualité du sol tant d’un point de vue physique, biologique que chimique.

En revanche en revenant au colza associé, sa réussite passe par une implantation permettant une croissance dynamique et régulière jusqu’à l’entrée de l’hiver. Pour moi, nous ne pourrons pas entrer en agro-écologie si nous ne sommes pas capables de faire des plantes robustes et cela passe donc par une démarche agronomique très poussée. Prenons l’exemple de 2012 : les implantations étaient généralement ratées et nous n’avons jamais autant utilisé de pesticides pour des résultats médiocres. À l’inverse, en 2011, les implantations étaient réussies et nous en avons très peu utilisé. Avant de parler colza associé, il est donc indispensable de parler colza tout court : sa qualité, sa robustesse, sa capacité à lutter d’elle-même contre les bio-agresseurs de tous types. Ensuite l’association – et nous le constatons encore cette année – permet au colza d’être performant en plus d’être robuste.

Que souhaitez-vous partager lors de votre atelier et de votre conférence sur le colza associé à Innov-Agri ?

Mon exposé portera avant toute chose sur la réussite de l’implantation du colza, parce que sans une implantation de colza réussie nous ne retrouverons pas les bénéfices espérés de l’association. Je parlerai ensuite du choix des espèces pour pouvoir les adapter aux contraintes et aux contextes pédoclimatiques. Surtout, je souhaiterais faire passer que, certes, le colza associé présente des atouts pour la culture de colza mais qu’il est possible d’en tirer encore plus de bénéfices en l’intégrant dans une démarche plus globale de système de culture. Si nous voulons par exemple combattre durablement les adventices en diminuant les quantités de désherbant il nous faudra réfléchir à la rotation, à la succession des cultures, à la couverture du sol, aux alternances entre travail et non-travail du sol, etc.

Le colza associé s’inscrit complètement dans une démarche d’évolution du système de culture et d’évolution des pratiques. Sans cette évolution des pratiques, il nous sera difficile de déplafonner le potentiel de nos cultures dans les régions où il est faible, tout en limitant notre utilisation d’intrants.

Pour moi, les deux messages forts à faire passer sont donc : en premier lieu, la réussite de l’implantation de la culture pour qu’elle soit robuste ; puis le fait que le colza associé s’inscrit dans une démarche beaucoup plus globale d’évolution des systèmes de culture pour qu’ils soient complètement adaptés aux contextes pedoclimatiques et aux moyens de l’exploitation.