Mardi 12 avril 2016
Thierry Stokkermans

Originaire du Sud-Ouest de la France, Thierry STOKKERMANS a travaillé en Espagne, Nouvelle-Zélande et Australie avant de s’installer aux Pays-Bas. Convaincu par le semis direct à faible perturbation, il conçoit et développe aujourd’hui des machines agricoles (zip drill).

Pommes de terre en Agriculture de Conservation des sols : butter et verdir

Ceci est une idée et rien qu’une idée.
En matière de conservation des sols et d’agroécologie, la pomme de terre est un véritable challenge. Elle demande de bouleverser le sol en profondeur à la plantation et à la récolte et, en agriculture conventionnelle, le pulvérisateur sort souvent. Aux Pays Bas, la patate reçoit entre 10 et 16 traitements par an et la culture utilise la moitié des produits phytosanitaires vendus dans le pays (source : Wageningen University).

Réinventer sa culture

La pomme de terre est une culture qui demande beaucoup au sol et à l’environnement mais elle a aussi un fort impact économique. Du Hachis Parmentier à la frite MacDo, la pomme de terre est partout et les ménages la plébiscitent. Par conséquent, la pomme de terre a un avenir économique assuré et, pour la concilier avec nos sols, il nous faudra réinventer sa culture pour la rendre moins impactante.
La pomme de terre en agroécologie est déjà une réalité. Les frères Rockey en Amérique du Nord sont bien avancés sur le sujet et Benoit Leforestier en France cultive l’idée des plantes compagnes. Néanmoins, nous ne sommes qu’au début du « gentil bordel créatif » et les idées et les expériences de chacun ne peuvent que renforcer la dynamique. Le principe « butter et verdir » est présenté et expliqué dans ce billet.

Des couverts pour créer un lit à tubercules

Partons de 2 constats : (a) la culture de la pomme de terre se pratique en butte (donc travail du sol pour former les buttes) et (b) la culture de la pomme de terre demande une terre finement émiettée pour obtenir de beaux tubercules (donc travail du sol pour émietter le sol). Ces 2 constats indiquent la voix de la réflexion : il faut faire des buttes de terre dans laquelle la pomme de terre pourra bien se développer. Créer des buttes est forcément une opération mécanique mais créer le « lit de tubercules » peut être une opération biologique. En effet, les racines et la vie du sol peuvent affiner une structure et en faire un « lit à tubercules ». D’où l’idée suivante : utiliser les couverts végétaux pour créer le « lit à tubercules ».
Butter et verdir - Figure 1 Chaumes
Dans la pratique, le blé est un précédent fréquent pour la culture de pommes de terre. La situation de départ est donc un champ plat de chaumes (figure 1).
Butter et Verdir - Figure 2 Butter
Dans les jours qui suivent la récolte du blé, il faut butter (figure 2)
Butter et verdir - Figure 3 Couvert
et ensemencer la parcelle avec les engrais verts qui vont émietter les mottes pour en faire de la terre fine, dynamiser la vie du sol et régénérer ce dernier (figure 3). Dans l’état actuel des connaissances, le couvert serait composé d’un mix de plantes, tel un couvert Biomax par exemple, avec des légumineuses pour apporter de l’azote et dynamiser la vie du sol et des graminées pour leur système racinaire fasciculé qui structure le sol. Selon la région, le climat et le type de pommes de terre cultivé (primeur, consommation, …), la destruction du couvert pourra se faire chimiquement, par le gel ou par roulage. Mais jamais par déchaumage car cela supprime l’effet couverture du sol et l’enfouissement des parties aériennes peut porter préjudice à la qualité des tubercules (tel des taches noires par exemple).

Garder la vie du sol créée

Butter et verdir - Figure 4 Planter
Les tubercules seront plantées avec une planteuse de semis direct. Le but est de garder en place la structure et la vie du sol créées (figure 4).
En effet, c’est en favorisant les organismes bénéfiques ou neutres de la vie du sol qu’il est possible d’occuper l’espace biologique et, par conséquent, de limiter l’espace vital des pathogènes. La nature a horreur du vide et aime la diversité et c’est dans ces espaces laissés libres que les pathogènes prolifèrent. Si l’agriculteur incite les organismes bénéfiques à occuper l’espace libre, il y aura moins de place pour les pathogènes. La pression pathogène est réduite. Le besoin de traiter est moindre. Le sol se porte mieux et, à priori, des économies d’intrants sont faites. De plus, certains produits en pomme de terre sont connus pour donner des maux de tête ; réduire l’usage de ces produits est aussi un gain en qualité de vie pour l’applicateur et sa famille.
Butter et verdir - Figure 5 Lever
Comme le montre la figure 5, l’idée est de faire pousser la pomme de terre dans un milieu riche en vie et en organismes bénéfiques ou neutres. Il est possible alors de parler de milieu probiotique ou de culture probiotique (« pro » = favorable et « bio » = vie). C’est l’opposé de la culture abiotique (« a » = sans et « bio » = vie) où l’objectif est de rendre le sol inerte. Les méthodes probiotiques sont des outils de l’agroécologie. Ici, dans l’exemple, le couvert est riche en azote pour avoir des résidus qui se décomposent rapidement, une vie du sol dynamique et des nutriments relargués durant la croissance de la pomme de terre.
Butter et verdir - Figure 6 - Récolte
A la fin du cycle de la pomme de terre (figure 6), la culture sera récoltée avec une arracheuse standard et de la même façon que n’importe quelle autre pomme de terre. Dans l’idée, la qualité et le rendement devront être égaux ou supérieurs à la méthode abiotique pour assurer les comptes et le bilan de l’exploitation. Assurer un revenu en année n est toujours la priorité numéro un d’une entreprise saine et les exploitations agricoles ne coupent pas à la règle. Par conséquent, l’idée décrite ici se devra de respecter la règle.

Une idée qui n’est pas nouvelle

Mais, en toute honnêteté, cette idée n’est pas entièrement nouvelle. Ron Morse aux USA a travaillé le sujet de la pomme de terre en planches en semis direct et sous couvert. Deux vidéos ont été publiées sur le sujet (vidéo1 et vidéo2) et un article. Ces travaux se rapprochent assez de l’idée décrite ici à la différence qu’il a mis l’accent sur l’effet de couverture (paille de seigle par exemple) plutôt que sur la vie du sol. Travaillant dans un terroir « chaud », son idée est de limiter les pics de chaleur dans le sol pour augmenter les rendements. La recherche bibliographique a aussi mis à jour que la Corée et le Pérou font du « no-till potatoes » mais, ici, l’information technique est assez limitée.